Théorie des groupes/Produit direct et somme restreinte
Sauf mention contraire, les lois de groupe seront notées multiplicativement. Quand il sera question de plusieurs groupes, il nous arrivera de désigner leurs éléments neutres par le même symbole 1, ce qui, en pratique, ne prête pas à confusion.
Produit direct de deux groupes
[modifier | modifier le wikicode]Soient et deux groupes. Désignons par leur produit cartésien (ou, plus exactement, le produit cartésien de leurs ensembles sous-jacents). Il est naturel de définir sur une loi de composition composante par composante :
- ,
le produit apparaissant dans le second membre étant calculé dans et le produit dans . On vérifie facilement que cette loi de composition munit d'une structure de groupe. Ce groupe est appelé produit direct (ou simplement produit) des groupes et et noté . Si et désignent respectivement les éléments neutres de et de , l'élément neutre de est . Le symétrique d'un élément de est l'élément .
L'application définit un isomorphisme de sur (« commutativité » du produit direct) et l’application définit un isomorphisme de sur (« associativité » du produit direct).
Produit direct d'une famille de groupes
[modifier | modifier le wikicode]En théorie des ensembles, on emploie le mot « famille » dans deux sens légèrement différents[1].
Dans le premier sens, une famille est un graphe fonctionnel. Si on voit un graphe fonctionnel comme une famille et que désigne la première projection de ce graphe, on désigne la famille en question par , où désigne l'unique élément tel que le couple appartienne au graphe L'ensemble est alors appelé l'ensemble des indices de la famille en question. Nous dirons aussi que cette famille est indexée par .
Dans le second sens, on définit une famille d'éléments d'un ensemble E comme une application dont l'ensemble d'arrivée est E.
Dans le présent chapitre, nous emploierons le mot « famille » dans son premier sens. Par exemple, quand nous considérerons une famille de groupes, nous ne nous soucierons pas d'un ensemble dont chaque soit élément.
La définition qu'on a donnée plus haut du produit direct de deux groupes se généralise comme suit à une famille quelconque de groupes.
On appelle groupe produit de cette famille, ou produit de cette famille, ou produit direct de cette famille, et on note le produit cartésien de la famille des (ensembles sous-jacents des) , muni de la loi de composition composante par composante :
- ,
Il est clair que cette loi de composition est bien une loi de groupe.
Remarque. Les notations ne sont pas tout à fait fixées. L'emploi ci-dessus du symbole est conforme à Bourbaki[2], à J.J. Rotman[3], à D.S. Dummit et R.M. Foote[4] etc. Kurzweil et Stellmacher[5] notent ou encore ou encore le produit direct d'une famille finie de groupes. Ils n'emploient le symbole que pour désigner des opérations internes à un groupe[6]. W.R. Scott, Group Theory, 1964, réimpr. Dover, 1987, pp. 14-15 (exemples 11 et 12), désigne par le produit direct d'une famille de groupes.
Somme restreinte d'une famille de groupes
[modifier | modifier le wikicode]Dans le produit direct , considérons les éléments possédant la propriété suivante : l’ensemble des éléments i de I tels que (où 1 désigne le neutre de ) est fini. Ces éléments de , appelés familles de support fini, forment un sous-groupe de .
Remarque. La définition qui précède est conforme à la terminologie de Bourbaki[7]. Là où nous disons « somme restreinte », de nombreux auteurs disent « somme directe », même s'il s'agit de groupes non commutatifs[8].
Si l’ensemble I est fini, la somme restreinte et le produit direct coïncident. Dans la suite de ce chapitre, nous ne nous intéresserons plus au produit direct.
Inclusions canoniques. Soient une famille de groupes et S sa somme restreinte externe. Pour chaque élément i de I, désignons par l’application de dans S qui à l'élément x de fait correspondre la famille dont la i-ème valeur est x et dont les autres valeurs sont 1. Nous définissons ainsi un homomorphisme injectif de dans S. Cet homomorphisme est appelé i-ème inclusion canonique de dans S. L'image de par est isomorphe à et on l'identifie souvent à , disant par exemple que est un sous-groupe de S. Pour la clarté de ce premier exposé, nous éviterons cet abus de langage.
On vérifie facilement que les sous-groupes de S sont distingués et qu’ils ont deux à deux des intersections réduites à l'élément neutre de S.
Soient i et j deux éléments distincts de I. Tout élément de commute avec tout élément de . En effet, les produits et sont tous deux égaux à la famille dont la i-ème composante est x, la j-ème composante y et dont les autres composantes sont égales à 1. (L'hypothèse est essentielle dans le cas où les ne sont pas supposés commutatifs.)
De façon générale, si G est un groupe, si est une famille finie d'éléments de G qui commutent deux à deux, on peut définir le produit de cette famille d'éléments de G sans se préoccuper d'un ordre dans l’ensemble J, car, vu la commutativité, le produit est indépendant de l’ordre choisi. Il est clair qu'on peut de même définir le produit d'une famille même infinie d'éléments de G qui commutent deux à deux si l’ensemble des i tels que est fini. Avec cette définition, tout élément de S est le produit de la famille d'éléments de S. En particulier, les engendrent S.
Projections canoniques. Soit une famille de groupes. Pour tout élément de , l'application est un homomorphisme de (somme restreinte externe) dans (Vérification facile.) Cet homomorphisme est surjectif, car pour tout élément de Gj, est l'image de par (Autrement dit, ) L'homomorphisme est appelé la j-ième projection canonique (ou simplement la j-ième projection) de sur
Considérons l’application f de S dans K qui applique la famille sur (ce produit est bien défini, vu les hypothèses de commutation). Il est clair que pour tout élément i de I, , comme requis dans l'énoncé. Le fait que f est un homomorphisme résulte du fait suivant, démontré dans Monoïde/Composé d'une séquence : soient M un monoïde et x1, ... , xn, y1, ... , yn des éléments de M. Si, pour tous indices distincts i, j, xi commute avec yj, alors
- x1 ... xn y1 ... yn = x1 y1 ... xn yn.
Donc f est un homomorphisme tel que requis dans l'énoncé. L'unicité de l'homomorphisme tel que requis dans l'énoncé se déduit facilement du fait que les images canoniques des Gi dans S engendrent S.
Si tous les groupes sont abéliens alors leur somme directe l'est aussi, et le théorème ci-dessus fournit la propriété universelle de la somme directe externe :
- Propriété universelle de la somme directe externe. Soient une famille de groupes abéliens, K un groupe abélien et une famille d'homomorphismes. Il existe un et un seul homomorphisme f de dans K tel que, pour tout élément j de I, , où désigne, comme plus haut, la j-ième inclusion canonique. Cet homomorphisme f applique la famille sur
Dans le langage de la théorie des catégories, la propriété universelle de la somme directe d'une famille de groupes abéliens revient à dire que si est une famille de groupes abéliens, le groupe et, dans les notations ci-dessus, la famille d'homomorphismes constituent une somme (on dit aussi un « coproduit ») de la famille dans la catégorie des groupes abéliens[9]. Nous avons ainsi prouvé que les sommes existent dans la catégorie des groupes abéliens. Nous verrons dans un chapitre ultérieur (Produit libre d'une famille de groupes) que les sommes existent aussi dans la catégorie des groupes[10].
La démonstration, facile, est laissée au lecteur.
Des remarques faites plus haut sur la structure de la somme restreinte externe nous suggèrent la définition suivante :
Il revient au même de dire que pour tous éléments distincts i et j de I, chaque élément de commute avec chaque élément de et que tout élément de G peut s'écrire d'une et une seule façon , la famille étant une famille de support fini telle que pour tout i[11].
On peut dire par exemple que l'isomorphisme canonique de sur G applique sur et que, comme on l'a vu, est normal dans .
Donnons encore deux autres caractérisations de la somme restreinte interne. Le lecteur pourra les démontrer à l'aide de la remarque qui précède et du fait (démontré dans Exercices/Sous-groupe distingué et groupe quotient) que si deux sous-groupes normaux ont une intersection réduite à l'élément neutre, tout élément de l'un commute avec tout élément de l'autre.
1° chaque Gi est normal dans G ;
2° les Gi engendrent G ;
3° pour tout i dans I,
1° chaque Gi est normal dans G ;
2° les Gi engendrent G ;
3° si i1, ... , in sont des éléments de I deux à deux distincts, si est un élément de , ... , si est un élément de , si alorsCette dernière caractérisation est utile comme condition suffisante pour que G soit somme restreinte interne des Gi.
On vérifie facilement que la somme restreinte externe est somme restreinte interne de la famille (où, comme plus haut, désigne la i-ième inclusion canonique de dans la somme restreinte externe).
Si l’ensemble I est fini, on remplace souvent l’expression « somme restreinte interne » par « produit direct interne », ou « produit direct », ou « produit ». Plutôt que de dire qu'un groupe est produit direct interne d'un couple (H, K) de ses sous-groupes, on préfère dire qu’il est produit direct interne de H et de K, etc.
Projections de la somme restreinte interne. Soit un groupe, somme restreinte interne d'une famille de sous-groupes. Pour tout élément j de I, on appelle j-ième projection de G sur Gj (relativement à la famille ) l’application de G dans Gj qui, pour tout élément x de G, applique x sur l'élément xj de Gj apparaissant dans l'unique expression de x sous la forme avec pour chaque i. Il est clair que cette projection est un homomorphisme de dans . Elle est d'ailleurs égale au composé où désigne l'isomorphisme canonique de G sur et où, comme plus haut, désigne l'homomorphisme de (somme restreinte externe) sur Gj. On a vu que l'homomorphisme de sur Gj est surjectif, donc la j-ième projection de G sur Gj, étant égale à , est un homomorphisme surjectif. Il est d'ailleurs clair que tout élément de Gj est sa propre image par la j-ième projection de G sur Gj .
Pour tous éléments distincts i, j de I, tout élément de Hi commute avec tout élément de Hj ; il en résulte clairement que, pour tous éléments distincts i, j de I, tout élément de Hσ(i) commute avec tout élément de Hσ(j). Le sous-groupe de G engendré par les Hi est G tout entier ; il en résulte clairement que le sous-groupe engendré par les Hσ(i) est G tout entier. Enfin, si J est une partie finie de I, si est une famille telle que pour tout élément j de J, xj appartienne à Hj, si , alors chaque xj est égal à 1 ; il en résulte clairement que si K est une partie finie de I, si est une famille telle que pour tout élément k de K, yk appartienne à Hσ(k), si , alors chaque yk est égal à 1 (poser J = σ(K) et considérer la famille , en notant que, pour chaque j dans J, appartient à Hj).
La démonstration, facile, est laissée au lecteur.
Nous avons vu que si est une famille de groupes et une famille telle que, pour tout i, Hi soit un sous-groupe de , alors la somme restreinte externe des Hi est un sous-groupe de la somme restreinte externe es Gi. Une version interne de ce théorème (si un groupe G est somme directe interne d'une famille de sous-groupes, si pour tout i, désigne un sous-groupe de , alors le sous-groupe engendré par les est somme directe interne des ) peut s'obtient comme cas particulier du théorème suivant :
Si j et k sont deux éléments distincts de J, tout élément de Hj est un élément de Gj et tout élément de Hk est un élément de Gk, donc tout élément de Hj commute avec tout élément de Hk. Si j1, ... , jr sont des éléments de J deux à deux distincts, si x1 ... xr = 1 avec alors j1, ... , jr sont des éléments de I deux à deux distincts et x1 ... xr = 1 avec donc x1 = ... = xr = 1.
1° G est somme restreinte interne de la famille ;
2° G est somme restreinte interne de la famille et, pour chaque élément k de K, Lk est somme restreinte interne de la famille .Démonstration laissée au lecteur.
D'après la « commutativité » et l'« associativité » de la somme restreinte interne, il est clair que si un groupe G est somme restreinte interne d'une famille (Hi)i de sous-groupes, chaque Hi est facteur direct de G.
Soient H un facteur direct de G et N un sous-groupe distingué de H. Il s'agit de prouver que N est distingué dans G. Puisque H est facteur direct de G, il existe un sous-groupe K de G tel que G soit le produit direct H × K de H et K. Alors tout élément de K commute avec tout élément de H. En particulier, tout élément de K commute avec tout élément de N, donc K normalise N. D'autre part, puisque N est sous-groupe normal de H, H normalise N. Ainsi, H et K normalisent tous deux N. Puisque G est engendré par H et K, N est donc distingué dans G.
D'après la propriété universelle de la somme restreinte externe, il existe un et un seul homomorphisme g de la somme restreinte externe S des Gi dans K qui applique la famille de support fini sur . D'autre part, puisque G est somme restreinte interne des Gi, il existe un et un seul isomorphisme de G sur S (à savoir l'isomorphisme canonique considéré plus haut) qui, pour toute famille de support fini , avec pour tout i, applique sur . Il est clair que convient pour f. L'unicité de f résulte de ce que les Gi engendrent G. Elle peut aussi se déduire de l'unicité de g : si f1 et f2 sont tous deux tels que le f de l'énoncé, alors et satisfont tous deux aux conditions qui définissent g, donc sont égaux, donc f1 et f2 sont égaux.
Soit un élément de . Prouvons que l'application f_j de dans définie dans l'énoncé est un homomorphisme. Pour tout dans , considérons l'homomorphisme défini comme étant l'homomorphisme identité si et comme étant l'homomorphisme nul si D'après la propriété universelle de la somme restreinte interne, appliquée à la famille , il existe un (et un seul) homomorphisme de dans qui, pour tout , coïncide avec sur Cela signifie que
- (1) coïncide avec l'identité dans
et que
- (2) pour tout dans , est nul dans
Soit un élément de Puisque est somme restreinte des , nous avons
- (3),
où est une famille de support fini avec pour tout dans Puisque est un homomorphisme, il résulte de (1), (2) et (3) que
- ,
ce qui montre que l'homomorphisme est égal à l'application de l'énoncé. Cette application est donc bien un homomorphisme. Puisque, par définition, coïncide avec l'identité sur , chaque élément de est sa propre image par , donc l'homomorphisme est surjectif.
a) L’application est un homomorphisme de dans
b) L'image de est et le noyau de est
Soient et deux éléments de L'application , d'après sa définition, envoie le produit de et de sur l'élément de Puisque chaque est un homomorphisme, l'élément en question est égal à la famille , qui est le produit de et de Cela montre que est un homomorphisme.
(Ce fait peut se mettre en relation avec la propriété universelle de la somme restreinte : dans cette propriété universelle telle qu'on l'a énoncée, prendre pour K la somme restreinte externe H des Hi et remplacer par , où correspond aux présentes hypothèses et où désigne la i-ième inclusion canonique de Hi dans .)
On a donc démontré l'assertion a) de l'énoncé.
Prouvons que contient Soit un élément de ; il s'agit de prouver que
- (thèse 1) appartient à
Puisque la famille appartient à , elle est de support fini, donc
- il existe une partie finie de telle que, pour tout dans
Toujours du fait que la famille appartient à , il résulte que
- pour chaque dans J, il existe un élément de dont l'image par est
Donc
- il existe une famille telle que, pour tout dans , appartienne à et
(Cela ne dépend pas de l'axiome du choix, puisque est fini.)
On peut compléter la famille en une famille appartenant à en ajoutant, pour chaque dans une i-ième composante égale à l'élément neutre de On obtient ainsi un élément de dont l'image par est , ce qui prouve notre thèse (1). Nous avons donc prouvé que contient L'inclusion réciproque est immédiate, donc
La démonstration de la relation est laissée au lecteur. Le point c) de l'énoncé résulte évidemment du point b).
Dans les hypothèses et notations du théorème qui précède, nous dirons parfois que est la somme restreinte (somme directe dans le cas commutatif) de la famille (ou des ). Il est clair que si les sont des isomorphismes, la somme restreinte des a pour isomorphisme réciproque la somme restreinte des
Pour tout i, il existe un isomorphisme de Gi sur Hi. D'après l'axiome du choix, il existe donc une famille d'isomorphismes de groupes et la thèse résulte du théorème qui précède.
1° la somme restreinte externe H des Hi est un sous-groupe distingué de la somme restreinte externe G des Gi ;
2° le quotient G/H est isomorphe à la somme restreinte externe des quotients Gi/Hi.Le lecteur prouvera facilement le point 1°. Désignons par Q la somme restreinte externe des groupes quotients Gi/Hi. Pour tout élément de G, la famille est de support fini et appartient donc à Q. Considérons l’application f de G dans Q qui à tout élément de G fait correspondre l'élément de Q. Il est clair que f est un homomorphisme surjectif dont le noyau est H, donc f induit un isomorphisme de G/H sur Q, ce qui démontre le point 2°.
Voici une version interne de ce théorème :
1° le sous-groupe H de G engendré par les Hi est somme restreinte interne des Hi et est un sous-groupe distingué de G ;
2° le quotient G/H est isomorphe à la somme restreinte externe des quotients Gi/Hi.Le point 1° est un cas particulier d'un théorème démontré plus haut. Pour démontrer le point 2°, désignons par SG la somme restreinte externe des Gi et par SH la somme restreinte externe des Hi. L'isomorphisme de SG sur G applique SH sur H et induit donc un isomorphisme de SG/SH sur G/H. D'après le théorème précédent, SG/SH est isomorphe à la somme restreinte externe des quotients Gi/Hi donc G/H l'est aussi, ce qui démontre le point 2°.
Pour tout élément i de I, posons si i appartient à J et si i appartient à K. Pour tout i dans , est distingué dans , donc, d’après le théorème précédent, le sous-groupe H de G engendré par les , i parcourant , est distingué dans G et G/H est isomorphe à la somme restreinte externe des , i parcourant . Il est clair que H est égal à , donc
- (1) est isomorphe à la somme restreinte externe des , i parcourant I.
Dans la somme restreinte externe des , les facteurs correspondant aux indices appartenant à J sont réduits à l'élément neutre, donc
- (2) la somme restreinte externe des , i parcourant I, est isomorphe à la somme restreinte externe des , où k parcourt K.
Pour un élément k de K, est isomorphe à , donc la somme restreinte externe des , où k parcourt K, est isomorphe à la somme restreinte externe des , où k parcourt K, et est donc isomorphe à . Il résulte donc de (2) que la somme restreinte externe des , i parcourant I, est isomorphe à . D'après (1), est donc isomorphe à . Le cas particulier s'en déduit immédiatement.
Remarque. Il y a évidemment plusieurs démonstrations possibles. On pourrait commencer par démontrer le cas particulier (en notant que si un groupe G est produit direct interne de deux sous-groupes G1 et G2, la seconde projection associée à cette décomposition est un homomorphisme surjectif de G sur G2 admettant G1 pour noyau) et passer au cas général en notant que d’après l'« associativité » de la somme restreinte interne, G est somme restreinte interne de et de .
Il suffit de le démontrer dans le cas où n = 2, l' « associativité » du produit direct interne permettant alors une démonstration par récurrence sur n. Soient donc H1 et H2 des sous-groupes distingués de G tels que H1 ⋂ H2 = 1. Il s'agit de prouver que H1 H2 est produit direct interne de H1 et H2. D'après un problème de la série Exercices/Sous-groupe distingué et groupe quotient tout élément de H1 commute avec tout élément de H2. D'autre part, l'hypothèse H1 ⋂ H2 = 1 entraîne que l'écriture h1h2 d'un élément de H1H2 avec h1 dans H1 et h2 dans H1, est unique : en effet, si h'1h'2 = h1h2, avec h'1 dans H1 et h'2 dans H1, alors h1-1h'1 = h2h'2-1. Comme le premier membre appartient à H1 et le second membre à H2, h1-1h'1 et h2h'2-1 appartiennent « tous deux » à H1 ⋂ H2 = 1, donc h'1 = h1 et h'2 = h2. Nous avons donc prouvé que tout élément de H commute avec tout élément de K et que tout élément de HK peut s'écrire d'une et une seule façon comme produit d'un élément de H par un élément de K, donc HK est produit direct interne de H et de K.
Prouvons que H1 H2 ... Hn est produit direct interne de H1, H2, ... , Hn. D'après le théorème qui précède, il suffit de prouver que (H1 H2 ... Hi-1) ⋂ Hi= 1 pour tout i (2 ≤ i ≤ n) et pour cela, il suffit de prouver que l’ordre de Hi est premier avec celui de H1 H2 ... Hi-1. (Deux sous-groupes finis d'ordres premiers entre eux ont une intersection réduite à l'élément neutre, car l’ordre d'un élément commun à ces sous-groupes divise l’ordre de chacun de ces sous-groupes et est donc égal à 1.) On peut par exemple raisonner par récurrence sur n. Par hypothèse de récurrence, H1 H2 ... Hi-1 est produit direct interne de H1, H2, ... et Hi-1, donc son ordre est le produit des ordres de H1, H2, ... et Hi-1, donc est premier avec l’ordre de Hi. Nous avons donc démontré la première assertion de l'énoncé. Il en résulte que l’ordre de H1 H2 ... Hn est égal au produit des ordres des Hi. Si l’ordre de G est supposé égal au produit des ordres des Hi, on a donc G = H1 H2 ... Hn et G est le produit direct interne des Hi, ce qui prouve la seconde assertion de l'énoncé.
Remarques.
- Le corollaire qui précède nous servira dans l'étude des groupes nilpotents finis.
- Dans la démonstration de ce corollaire, on aurait pu éviter le raisonnement par récurrence en utilisant le fait que si G est un groupe et K1, K2, ... , Kn des sous-groupes distingués finis de G, l'ordre de K1 K2 ... Kn divise le produit des ordres des Ki. (Voir « formule du produit » au chapitre Classes modulo un sous-groupe.)
On prouvera seulement que si G1, ... , Gn sont des groupes finis dont les ordres ne sont pas premiers entre eux deux à deux, la somme directe des Gi n’est pas un groupe cyclique, le reste étant laissé au lecteur.
Supposons d’abord n = 2. Il s'agit de prouver que si G1 est un groupe fini d'ordre n1 et G2 un groupe fini d'ordre n2, si n1 et n2 ne sont pas premiers entre eux, alors la somme directe de G1 et de G2 n’est pas un groupe cyclique.
Soit (a, b) un élément de cette somme directe. D'après la première partie de l'énoncé, l’ordre de (a, b) est égal au ppcm des ordres de a et de b. Comme l’ordre de a divise n1 et que l’ordre de b divise n2, le ppcm de n1 et de n2 est un multiple commun de l’ordre de a et de l’ordre de b, donc est multiple du ppcm des ordres de a et de b. Ainsi, l’ordre de (a, b) divise le ppcm de n1 et de n2. Puisque n1 et n2 ne sont pas premiers entre eux, leur ppcm est strictement plus petit que leur produit. Donc aucun élément (a, b) de la somme directe de G1 et de G2 n'a un ordre égal à l’ordre n1 n2 de cette somme directe, donc cette somme directe n’est pas cyclique.
Notre thèse est donc prouvée dans le cas n = 2. Dans le cas général, il existe deux indices distincts j et k tels que les ordres de Gj et de Gk ne soient pas premiers entre eux. D'après la première partie de la démonstration, la somme directe de Gj et de Gk n’est pas cyclique, donc la somme directe de G1, ... , Gn contient un sous-groupe non cyclique et n'est donc elle-même pas cyclique.
Facteurs directs d'un groupe abélien
[modifier | modifier le wikicode]Cette section peut être omise en première lecture.
Les groupes supposés abéliens seront notés additivement.
Dans un groupe abélien G, tous les sous-groupes sont normaux, ce qui entraîne que si H et K sont des sous-groupes de G, le sous-groupe de G engendré par H et K est H + K. Dès lors, d'après le théorème 4 (ou encore le théorème 18) :
1° ;
2°Si G est un groupe (non forcément abélien), si H et K sont des sous-groupes de G, la condition « HK = G » est symétrique en H et K (passer aux inverses). Donc la condition « et » est symétrique en H et K.
Le théorème 21 peut alors se formuler comme suit :
- (i) H et K sont complémentaires dans G ;
- (ii) tout élément de G peut se mettre d'une et une seule façon sous la forme , avec et
Supposons que H et K sont complémentaires dans G. Alors tout élément de G est de la forme , avec et Si et sont respectivement des éléments de H et de K tels qu'on ait aussi , alors , donc Le membre gauche appartient à H et le membre droit à K, donc (puisque H et K sont supposés complémentaires) les deux membres appartiennent à , donc et Nous avons donc prouvé l'implication (i) , à savoir que si H et K sont complémentaires dans G, alors tout élément de G s'écrit d'une et une seule façon sous la forme avec et
Réciproquement, supposons que tout élément de G s'écrit d'une et une seule façon sous la forme avec et et prouvons que dans ce cas, H et K sont complémentaires dans G. On a évidemment G = HK. Si est un élément de , alors et sont toutes deux des écritures de sous la forme avec et Puisqu'on suppose qu'une telle écriture est unique, il faut , ce qui prouve que et achève donc de prouver que H et K sont complémentaires dans G.
- (i) H est facteur direct de G ;
- (ii) il existe un sous-groupe K de G tel que tout élément de G s'écrive d'une et une seule façon avec et ;
- (iii) l'homomorphisme canonique admet (au moins) un homomorphisme section, c'est-à-dire qu'il existe un homomorphisme tel que soit l'automorphisme identique du groupe G/H ;
- (iv) il existe un endomorphisme de G tel que Ker = H et que ;
- (v) il existe un homomorphisme (surjectif) de G dans H qui coïncide avec l'identité en tout élément de H.
Supposons (i) et tirons-en (ii). D'après l'hypothèse (i), il existe un sous-groupe K de G tel que D'après le théorème 16 bis, H et K sont complémentaires dans G, donc, d'après le théorème 17, tout élément de G peut se mettre d'une et une seule façon sous la forme avec et , ce qui prouve que la condition (ii) est satisfaite.
Cessons de supposer (i) mais supposons (ii) et tirons-en (iii). D'après l'hypothèse (ii), il existe un sous-groupe K de G tel que tout élément de G s'écrive d'une et une seule façon avec dans H et dans K. Cela revient à dire que
- (1) tout élément de G est congru à un et un seul élément de K modulo H.
Soit X un élément de G/H. Il existe un élément de G tel que X = gH, donc, d'après (1),
- il existe un et un seul élément de G tel que X = kH.
Puisque K est contenu dans G, nous pouvons donc considérer l'application de G/H dans G qui, pour tout élément X de G/H, envoie X sur l'unique élément de K tel que X = kH. Prouvons que est un homomorphisme de G/H dans G.
Soient et des éléments de G. Alors
- (2) applique l'élément sur l'unique élément de K tel que
Mais si (resp. ) désigne l'unique élément de K tel que (resp. , alors
- ,
d'où, puisque G est abélien,
- ,
donc l'unique élément de K tel que est Donc, d'après (1),
- applique l'élément de G/H sur ,
donc est un homomorphisme de G/H dans G.
Pour tout élément gH de G/H, nous avons, par définition de ,
- (3),
où
- (4) est l'unique élément de K tel que gH = kH.
La relation (3) peut encore s'écrire
- ,
ou encore, d'après (4)
- ,
donc est l'automorphisme identique de G/H. Nous avons ainsi prouvé que la condition (ii) de l'énoncé entraîne (iii).
Sans autres hypothèses que celles de l'énoncé, supposons (iii) et tirons-en (iv). Désignons par l'homomorphisme canonique de G sur G/H. D'après l'hypothèse (iii), il existe un homomorphisme de G/H dans G tel que
- (5) soit l'automorphisme identique de G/H.
Désignons par l'endomorphisme de G. Alors
- , où, d'après (5), nous pouvons remplacer dans le membre droit par l'automorphisme identique de G/H. Donc
- (6)
D'autre part, pour tout élément de H,
- ,
- (7)
Puisque est un homomorphisme de G/H dans G et que H est l'élément neutre de G/H, le membre droit de (7) est l'élément nul de G, donc pour tout élément de G, autrement dit
- (8)H est contenu dans le noyau de
Prouvons l'inclusion réciproque. Si est un élément du noyau de , nos avons, par définition de
Par exemple en composant à gauche avec et en tenant compte que est l'automorphisme identique de G/H, on trouve , gH = 0, donc appartient à H, ce qui prouve que le noyau de est contenu dans H. Joint à (8), cela prouve que le noyau de est égal à H. Avec (6), cela prouve que la condition (iv) de l'énoncé est satisfaite. Nous avons donc prouvé que (iii) entraîne (iv).
Sans autres hypothèses que celles de l'énoncé, supposons (iv) et prouvons (v). D'après (iv), il existe un endomorphisme de G tel que
- (9)
et que
- (10)le noyau de soit égal à H. Alors, pour tout élément de G,
- ,
- ,
donc appartient à Ker(, c'est-à-dire, d'après (10), à H. Donc si désigne l'automorphisme identique de G,
- (11)l'endomorphisme de G (on vérifiera que c'est bien un endomorphisme, compte tenu que G est abélien) prend ses valeurs dans H.
D'autre part, d'après (10), s'annule en tout point de H, donc
- (12) l'endomorphisme de G coïncide avec l'identité en tout élément de H.
D'après (11), nous pouvons considérer la corestriction à H de l'endomorphisme de G. D'après (12), cette corestriction est un homomorphisme de G dans H qui coïncide avec l'identité sur H, donc la condition (v) de l'énoncé est satisfaite. Nous avons ainsi prouvé que la condition (iv) de l'énoncé entraîne la condition (v). (On peut noter que l'homomorphisme de G dans H mentionné dans (v) est évidemment surjectif.)
Sans autres hypothèses que celles de l'énoncé, supposons que la condition (v) est satisfaite et prouvons que la condition (i) l'est aussi.
D'après l'hypothèse (v), nous avons un homomorphisme de G dans H qui coïncide avec l'identité en tout élément de H. Il est clair que est surjectif :
- (13)
Posons Ker(). Nous allons prouver que
- (thèse 14)
Pour tout élément de G, nous avons
- (15),
d'où, puisque coïncide avec l'identité en tout élément de H,
- (16),
- ,
donc, pour tout élément de G,
- Ker(),
- ,
- ,
d'où, d'après (13),
- ,
donc
- (17)
Soit un élément de
Puisque appartient à H, il existe, d'après (13), un élément de G tel que
- (18),
d'où
- (19)
Puisque appartient à Ker(), le membre gauche de (19) est nul, donc
- ,
ce qui, d'après (16), peut s'écrire
- ,
d'où, d'après (18), , ce qui prouve que
Joint à (17) et au théorème 16bis, cela prouve notre thèse (14), à savoir , et donc l'implication (v) (i).
Remarques.
- L'équivalence des conditions (i) à (iv) (mais non (v)) sera généralisée dans le chapitre Théorie des groupes/Produit semi-direct.
- On utilisera le théorème qui précède dans un futur chapitre (non encore publié) sur les groupes abéliens libres.
Notes et références
[modifier | modifier le wikicode]- ↑ N. Bourbaki, Théorie des ensembles, Hermann, 1970, p. II.14.
- ↑ Algèbre, ch. 1, § 4, déf. 12, p. 43.
- ↑ An Introduction to the Theory of Groups, 4e édition, tirage 1999, p. 308.
- ↑ Abstract Algebra, Wiley, 2004, p. 157.
- ↑ The Theory of Finite Groups, An Introduction, Springer, 2004, p. 27.
- ↑ Ouvr. cité, p. 28.
- ↑ N. Bourbaki, Algèbre, ch. I, § 4, no 9, Paris, 1970, p. 46.
- ↑ Voir par exemple P. Tauvel, Algèbre, seconde édition, Dunod, 2010, p. 50.
- ↑ Voir S. Lang, Algèbre, Paris, Dunod, 2004, pp. 39 et 137.
- ↑ S. Lang, Algèbre, 3e éd., Paris, Dunod, 2004, p. 74.
- ↑ N. Bourbaki, Algèbre, ch. I, § 4, nos 8 et 9 ; Paris, 1970, pp. 45-46.
- ↑ N. Bourbaki, Éléments de mathématique, Algèbre, ch. I, § 4 ; Paris, 1970, p. 45.
- ↑ N. Bourbaki, Algèbre, I, Chapitres 1 à 3, Paris, 1970, ch. 1, § 4, no 9, prop. 15, p. 46.