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Théorie des groupes/Groupes libres, premiers éléments

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Groupes libres, premiers éléments
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Chapitre no 45
Leçon : Théorie des groupes
Chap. préc. :Caractères irréductibles de quelques groupes
Chap. suiv. :Groupes libres : théorème de Nielsen-Schreier

Exercices :

Groupes libres, premiers éléments
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Théorie des groupes/Groupes libres, premiers éléments
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Dans ce chapitre, on va exposer les premiers éléments sur les groupes libres. Le contenu du chapitre et ses exercices sont à la portée du lecteur connaissant les chapitres 1 à 7 et 16 de la leçon (groupe, sous-groupe, partie génératrice, homomorphisme, isomorphisme, sous-groupe normal, groupe quotient, groupes monogènes et , éléments conjugués, groupe dérivé) et les propriétés les plus classiques des cardinaux infinis.

Une grande utilité des groupes libres est qu'ils permettent de fonder rigoureusement les présentations de groupes, ce que nous ferons dans un chapitre ultérieur.

La notion de produit libre d'une famille de groupes, qui sera exposée plus loin dans ce cours, permettrait de définir les groupes libres autrement que dans le présent chapitre[1], mais, de même que plusieurs auteurs de manuels, on a préféré commencer par un exposé des groupes libres indépendant de la notion de produit libre.

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Groupe libre construit sur un ensemble

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Remarque. L'expression « mot signé » n'est pas standard. Bourbaki[3] définit un mot sur l'ensemble X comme un multiplet d'éléments de X. Cette notion de mot sur X ne revient évidemment pas à celle de mot signé sur X qui est définie ici. Nos mots signés sur X sont, dans le langage de Bourbaki, les mots sur le produit cartésien

Calais[4] recourt à un ensemble choisi arbitrairement parmi les ensembles équipotents à X et disjoints de X ; elle parle alors de « mot sur  », où « mot » a le même sens que dans Bourbaki. Les « mots sur  » de Calais sont une autre version de nos « mots signés sur X ».

Rotman[5] et Robinson[6] recourent eux aussi à un ensemble choisi arbitrairement parmi les ensembles équipotents à X et disjoints de X ; Rotman appelle « word on X » et Robinson appelle « word in X » ce que J. Calais appelle « mot sur  ». Les « words on X » de Rotman et les « words in X » de Robinson sont donc une autre version de nos « mots signés sur X ».



On vérifie facilement que dans l'ensemble des mots signés sur X, définit une loi de composition interne associative admettant le mot signé vide pour élément neutre. C'est donc une loi de monoïde.


Exemples.

Tout mot signé de longueur est réduit.
Le mot signé est réduit.
Un mot signé de la forme n'est pas réduit.
Si et sont distincts, tout mot signé de la forme est réduit.

Pour des raisons qui apparaîtront bientôt, on écrit généralement un mot signé réduit sous la forme

et l'on omet même les égaux à 1. Dans cette notation, le mot signé vide est noté 1.

La notation d'un mot réduit sur X est ambiguë si l'ensemble X est supposé contenu dans un groupe, cas que nous rencontrerons. Il faudra alors faire les distinctions nécessaires.

Nous allons maintenant définir une loi de composition interne dans l'ensemble des mots réduits sur X. La juxtaposition (mise bout à bout) ne convient pas car, par exemple, ((x, 1), (x, 1)) et ((x, -1)) sont des mots réduits mais ((x, 1), (x, 1), (x, -1)) n'en est pas un.

Le résultat est le même que si l'on mettait v et w bout à bout et qu'on supprimait du mot signé ainsi obtenu l'éventuel « digramme » de la forme ou , en continuant les suppressions tant qu'il reste un tel « digramme ».

Par exemple, si a, b, c sont trois différents éléments de X, le composé réduit v w de v = a b b c-1 et de w = c b-1 a est a b a.

On a employé l'expression « composé réduit » pour faire la distinction avec la mise bout à bout, mais dans la suite, on dira souvent « composé » tout court au lieu de « composé réduit ».

Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. On a noté que le composé de deux mots réduits sur X est un mot réduit sur X, donc la loi de composition en question est une loi de composition interne. On pourrait démontrer l'associativité de cette loi par d'assez longues distinctions de cas, mais cette méthode étant fastidieuse, nous allons préférer un procédé de van der Waerden (qui consiste à plonger le magma F(X) dans le groupe de ses permutations).

Pour toute lettre signée dans F(X), notons (où les barres verticales n'ont rien à voir avec le cardinal) l'application de F(X) dans lui-même définie de la façon suivante :

pour tout mot réduit v,

Autrement dit, est égal au composé réduit . La fonction prend donc bien ses valeurs dans F(X).

Vérifions que

(thèse 1)

Notons le groupe symétrique de F(X) ; notons le sous-groupe de engendré par les permutations , où x parcourt X.

D'après la « description constructive du sous-groupe engendré » (chapitre Groupes, premières notions), tout élément g de peut s'écrire

avec n naturel (), dans X et dans {1, –1}.

Puisque nous avons vu que et sont deux permutations de F(X) inverses l'une de l'autre, cela peut encore s'écrire

En considérant une telle écriture de gn est le plus petit possible, on voit qu'on peut supposer qu'il n'y a pas dans {1, ... , n} deux indices consécutifs i et i + 1 tels qu'on ait à la fois et . Nous dirons qu'une décomposition de g pour laquelle il n'y a pas deux tels indices est réduite.

Alors, d'après la définition de ,

autrement dit, en revenant à la notation initiale des mots signés,

Il en résulte que la décomposition réduite de g est unique : si est une décomposition réduite de g, alors et pour tout i dans {1, ... , n}.

Notons f l'application de F(X) dans telle que, pour tout élément (mot réduit)

D'après ce qui précède,

(4) f est une bijection de F(X) sur .

Prouvons que c'est un homomorphisme de magmas de F(X) dans , c'est-à-dire que, pour tous mots réduits v et w sur X,

(thèse 5)

Nous avons vu en (4) que f est une bijection, donc c'est un isomorphisme de magmas de F(X) sur . Puisque est un groupe et qu'un magma isomorphe comme magma à un groupe est un groupe (voir chapitre Groupes, premières notions), nous avons prouvé que F(X) est un groupe (isomorphe à ).

Les deux autres assertions de l'énoncé se vérifient facilement. ◻


Pour tout élément de X, notons le mot signé  ; notons l'ensemble des , où parcourt X.

Alors définit une bijection de X sur la partie de F(X). On commet souvent l'abus d'identifier à et à .

Le mot signé peut s'écrire, selon la loi du groupe F(X),

Si, pour tout élément de X, on identifie à x, le mot signé s'écrit donc

ce qui explique pourquoi nous avons introduit cette notation plus haut.

Groupes libres

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Remarques. 1° On peut noter l'analogie entre la définition d'une base d'un groupe et une caractérisation des bases d'un espace vectoriel ou, plus généralement, d'un module.

2° On définit un groupe abélien libre comme un groupe abélien qui est libre en tant que -module. Dans l'expression « groupe abélien libre », le mot « libre » n'a pas le même sens que dans l'expression « groupe libre » : un groupe abélien libre n'est généralement pas un groupe libre.

3° Un groupe admet sa partie vide pour base si et seulement s'il est trivial (c'est-à-dire réduit à son élément neutre).

4° Le singleton {1} est une base du groupe .

5° On verra dans les exercices des exemples de groupes n'admettant pas de bases.

Début d’un théorème
Fin du théorème
Début d’un théorème
Fin du théorème

Remarque. Ce lemme nous servira, plus loin dans ce chapitre, à démontrer l'équipotence des bases d'un même groupe libre.

Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. Soit G un groupe, soit f une application de dans G ; il s'agit de prouver qu'il existe un et un seul homomorphisme de F(X) dans G qui prolonge f.

Pour tout élément

de F(X),

posons

le second membre étant calculé dans le groupe G. Nous définissons ainsi une application de F(X) dans G.

En faisant nous trouvons

donc

(1) l'application prolonge f.

Prouvons que est un homomorphisme.

De ceci et de (1), il résulte que est un homomorphisme de F(X) dans G qui prolonge f. Par exemple parce que est clairement une partie génératrice du groupe F(X), est le seul homomorphisme de F(X) dans G qui prolonge f, ce qui achève la démonstration. ◻

Remarques. 1° Le théorème qui précède montre essentiellement qu'étant donné un ensemble X, il existe un groupe libre admettant une base équipotente à X.

2° Rappelons que, vu la bijection canonique de sur , on commet volontiers l'abus de langage d'identifier à . On dit alors que X est une base de F(X). On pourrait d'ailleurs, à l'aide de remplacements convenables dans F(X) et d'un transport de structure, construire un groupe libre dont X serait une base en toute rigueur des termes, mais cela n'en vaut pas la peine. Dans le présent chapitre, on continuera à faire la distinction entre et , mais on avertit l'étudiant qu'un examinateur pourrait trouver qu'il s'agit là d'une mauvaise pratique.


Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration.

Supposons d'abord 1° et prouvons 2°.

Montrons maintenant que 2° et 3° sont équivalents.

Supposons enfin 2° et prouvons 1°.

Nous avons donc prouvé la première assertion de l'énoncé, à savoir l'équivalence des conditions 1° à 3°. La seconde assertion de l'énoncé, à savoir que tout groupe de base X est isomorphe à F(X), résulte évidemment du fait que 1° entraîne 2°. ◻


Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. C'est une forme faible de la partie 1° 2° de l'énoncé 5. ◻

Remarque. Tout groupe libre non trivial est donc infini.


Avec cette définition, l'équivalence des conditions 1° et 3° de l'énoncé 5 revient à l'énoncé suivant :

Début d’un théorème
Fin du théorème


Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. Soit X une base d'un groupe L. La condition 3° de l'énoncé 5 est alors satisfaite. Or l'existence affirmée par cette condition entraîne que X engendre L. ◻

Soient X un ensemble et Y une partie de X. Le lecteur vérifiera facilement que l'ensemble est contenu dans et que le groupe F(Y) est un sous-groupe de F(X). Puisque est une partie génératrice (et même une base, comme on l'a vu) de F(Y), on peut préciser que F(Y) est le sous-groupe de F(X) engendré par .

Rappelons (voir chapitre Sous-groupe distingué et groupe quotient) que s'il existe un homomorphisme surjectif du groupe G sur le groupe H, on dit que H est un quotient de G.

Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. Notons l'homomorphisme de F(X) dans G qui prolonge l'application L'image de l'application f est la partie X de G, donc, puisque prolonge f, l'image de contient X. Puisque X est une partie génératrice de G et un homomorphisme, il en résulte que est surjectif. Donc G est isomorphe au quotient , ce qui prouve la première assertion de l'énoncé.

En prenant pour X l'ensemble (sous-jacent) de G, nous trouvons que G est un quotient du groupe libre F(G), ce qui prouve la seconde assertion de l'énoncé. ◻

Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. Puisque Y est une partie génératrice de L, il résulte de l'énoncé 9 que

(1) L est un quotient de F(Y).

Donc

(2)

Puisque X est une base de L, L est isomorphe à F(X) (énoncé 6), donc (2) peut s'écrire

(3)

Démontrons d'abord que la première assertion de l'énoncé est vraie si Y est infinie.

Démontrons maintenant que la première assertion de l'énoncé est vraie si Y est finie.

Cela achève la démonstration de la première assertion de l'énoncé. La seconde résulte clairement de la première. ◻

Remarques. 1° Pour démontrer la relation nous n'avons pas supposé que la partie Y est finie, mais nous avons fait cette supposition pour déduire de que . Il est nécessaire de distinguer les cas Y finie et Y infinie, car la question de savoir si pour tous ensembles infinis X et Y la relation entraîne est indécidable dans l'axiomatique ZFC de la théorie des ensembles (sauf contradiction dans cette axiomatique)[7].

2° Pour prouver que deux bases d'un même groupe libre ont toujours le même cardinal, on peut aussi démontrer que l'abélianisé d'un groupe libre de base X est un -module admettant une base équipotente à X (un énoncé équivalent est démontré dans les exercices) et utiliser le fait que deux bases d'un même -module ont toujours le même cardinal[8].


Remarques. 1° Le fait que deux bases d'un même groupe libre sont toujours équipotentes est une nouvelle analogie entre les bases d'un groupe libre et celles d'un espace vectoriel, le rang d'un groupe libre étant analogue à la dimension d'un espace vectoriel. Nous verrons toutefois dans les exercices de la série Groupes libres : théorème de Nielsen-Schreier qu'un groupe libre H sous-groupe d'un groupe libre L peut avoir un rang strictement supérieur à celui de L, ce qui rompt l'analogie entre groupes libres et espaces vectoriels.

2°. Nous avons vu (remarque 3° après la définition d'une base) qu'un groupe admet sa partie vide pour base si et seulement s'il est trivial (réduit à l'élément neutre). Cela revient à dire qu'un groupe est libre de rang 0 si et seulement s'il est trivial.

Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. Par construction, si X et Y sont équipotentes alors F(X) et F(Y) sont isomorphes.

D'après l'énoncé 6, F et G sont alors isomorphes.

Réciproquement, si est un isomorphisme de F sur G, les parties génératrices de F ont pour images par celles de G, et chacune est équipotente à son image, si bien que F et G ont même rang donc X et Y sont équipotentes. ◻

Remarque. On a vu (remarque 4° suivant la définition d'une base) que le singleton {1} est une base du groupe . Donc, d'après l'énoncé 11, un groupe est libre de rang 1 si et seulement s'il est isomorphe à .

Parties libres d'un groupe

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Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. Notons <X> le sous-groupe de G engendré par X. D'après l'énoncé 5, le point 1° du présent énoncé équivaut à ce que l'unique homomorphisme de F(X) dans <X> qui prolonge l'application de dans <X> soit un isomorphisme. Comme l'image de contient X, est surjectif, donc dire que est un isomorphisme revient à dire qu'il est injectif. Cela équivaut à ce que l'homomorphisme

soit injectif. Comme est l'unique homomorphisme de F(X) dans G qui prolonge l'application de dans G, nous avons prouvé que les conditions 1° et 2° de l'énoncé sont équivalentes.
Notons toujours l'unique homomorphisme de F(X) dans G qui prolonge l'application de dans G. La valeur de en un mot réduit est l'élément de G, calculé selon la loi de G. Il en résulte que les conditions 2° et 3° de l'énoncé sont équivalentes.
Il en résulte aussi (puisqu'un homomorphisme de groupes est injectif si et seulement si son noyau est trivial) que les conditions 2° et 4° de l'énoncé sont équivalentes. ◻


Ce nouvel emploi du mot libre est un peu ambigu car un sous-groupe d'un groupe G peut être libre comme groupe mais n'est jamais une partie libre de G, par exemple parce qu'une partie libre de G ne comprend jamais le neutre de G. (Vérification facile, voir les exercices.)

De la caractérisation 3° ou 4° des parties libres, il résulte clairement que toute partie d'une partie libre d'un groupe est une partie libre de ce groupe.

Début d’un théorème
Fin du théorème

Démonstration. Cela se déduit facilement, par exemple, de l'énoncé 8 et du fait qu'une partie d'un groupe est libre si et seulement cette partie est une base du sous-groupe qu'elle engendre. ◻

Remarque. On verra dans les exercices de la série Groupes libres : théorème de Nielsen-Schreier que le cardinal d'une partie libre d'un groupe libre L peut être strictement supérieur au rang de L.

Seconde forme des éléments de F(X)

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Soit X un ensemble. Pour un élément de X, notons l'élément de . Tout élément de F(X) peut se mettre d'une et une seule façon sous la forme

,

est un nombre naturel (), où est une séquence d'éléments de X dans laquelle deux éléments consécutifs ne sont jamais égaux et où sont des entiers relatifs tous distincts de 0.
Il ne serait pas bien difficile de le démontrer ici, mais nous ne le ferons pas, parce que l'étude des produits libres nous fournira un énoncé plus satisfaisant.

Notes et références

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  1. C'est ainsi que procède N. Bourbaki, Algèbre I, chapitres 1 à 3, Paris, 1970, p. I.84.
  2. Voir par exemple J. J. Rotman, An Introduction to the Theory of Groups, 4e éd., tirage de 1999, p. 344. Définition équivalente dans N. Bourbaki, Algèbre, Chapitres 1 à 3, 1970, p. I.147, exerc. 26.
  3. N. Bourbaki, Algèbre, chapitres 1 à 3, Paris, 1970, p. I.78.
  4. J. Calais, Éléments de théorie des groupes, Paris, 1984, p. 329-330.
  5. J. J. Rotman, An Introduction to the Theory of Groups, 4e éd., tirage corrigé de 1999, p. 344.
  6. D. J. S. Robinson, A Course in the Theory of Groups, 2e éd., 1996, p. 45.
  7. Voir J.-L. Krivine, Théorie des ensembles, 2007, chap. 12.
  8. Voir par exemple J. Calais, Éléments de théorie des groupes, Paris, 1984, théor. 9.23, p. 344-345.