Littérature de jeunesse en anglais : William Shakespeare, Le Songe d'une nuit d'été/Panique chez les comédiens

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Chapitre 7 : Panique chez les comédiens
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Entrent QUINCE, SNUG, BOTTOM, FLUTE, SNOUT, STARVELING.
BOTTOM. — Sommes-nous tous rassemblés ?
QUINCE. — Oui, oui ; et voici une place admirable pour notre répétition. Ce gazon vert sera notre théâtre, ce buisson d’épines nos coulisses ; et nous allons jouer la pièce tout comme nous la jouerons devant le duc.
BOTTOM. — Pierre Quince !
QUINCE. — Que dis-tu, terrible Bottom ?
BOTTOM. — Il y a dans cette comédie de Pyrame et Thisbé des choses qui ne plairont jamais. D’abord, Pyrame doit tirer son épée et se tuer. Les dames ne supporteront jamais cela. Qu’avez-vous à répondre ?
SNOUT. — Par Notre-Dame, cela leur fera une peur affreuse.
STARVELING. — Je crois que nous ferons bien de laisser la tuerie de côté quand tout sera fini.
BOTTOM. — Pas du tout. J’ai un expédient pour tout concilier. Écrivez-moi un prologue, et que ce prologue ait l’air de dire que nous ne ferons aucun mal avec nos épées, et que Pyrame n’est pas tué tout de bon ; pour plus grande assurance, dites-leur que moi, qui fais Pyrame, je ne suis pas Pyrame, mais Bottom le tisserand : cela les rassurera tout à fait contre la peur.
QUINCE. — Allons, nous ferons ce prologue ; et il sera écrit en vers de huit et de six.
BOTTOM. — Non, ajoutez-en encore deux : qu’on le fasse en vers de huit.
SNOUT. — Et les dames ne seront-elles point effrayées du lion ?
STARVELING. — Je le crains bien, je vous assure.
BOTTOM. — Camarades, vous devriez y bien réfléchir. Amener sur la scène, Dieu nous protège ! Un lion parmi des dames, c’est une chose bien terrible ; car il n’y a pas de plus redoutable bête sauvage que votre lion, au moins ; nous devons bien faire attention à cela.
SNOUT. — Il faudra donc un autre prologue pour dire que le lion n’est pas un lion.
BOTTOM. — Oh ! il faut que vous nommiez celui qui joue le lion, et que l’on voie la moitié de son visage au travers du cou du lion ; il faut qu’il parle lui-même, et qu’il dise ceci, ou quelque chose d’équivalent : —« Mesdames, ou belles dames, je vous souhaiterais, ou je vous demanderais, ou je vous prierais de ne pas avoir peur, de ne pas trembler ; je réponds de votre vie sur la mienne. Si vous croyiez que je viens ici comme un lion, ce serait exposer ma vie. Non, je ne suis rien de pareil ; je suis un homme tout comme les autres hommes….. » Et alors qu’il dise son nom, et qu’il leur déclare tout net qu’il est Snug le menuisier.
QUINCE. — Allons, cela sera ainsi. Mais il y a encore deux choses bien difficiles : c’est, d’abord, d’introduire le clair de lune dans une chambre ; car vous savez que Pyrame et Thisbé se rencontrent au clair de la lune.
SNUG. — La lune brillera-t-elle le soir où nous jouerons notre pièce ?
BOTTOM. — Un calendrier ! un calendrier ! voyez dans l’almanach, cherchez le clair de lune, cherchez le clair de lune !
QUINCE. — Oui : il y aura de la lune ce soir-là.
BOTTOM. — Alors, vous pouvez laisser ouverte une fenêtre de la grande chambre où nous jouerons, et la lune pourra y briller par la fenêtre.
QUINCE. — Oui : ou un homme peut venir avec un fagot d’épines et une lanterne, et dire qu’il vient pour représenter ou figurer le personnage du clair de lune.
— Mais il y a encore une autre difficulté. Il nous faut une muraille dans la grande chambre ; car Pyrame et Thisbé, dit l’histoire, se parlaient au travers de la fente d’un mur.
SNUG. — Vous ne pourrez jamais apporter une muraille sur la scène. Qu’en dites-vous, Bottom ?
BOTTOM. — Le premier venu peut représenter une muraille : il n’a qu’à avoir quelque enduit de plâtre, ou d’argile, ou de crépi sur lui, pour figurer la muraille ; ou bien encore, qu’il tienne ses doigts ainsi ouverts ; et, à travers ces fentes, Pyrame et Thisbé pourront se parler tout bas.
QUINCE. — Si cela peut s’arranger, tout est en règle.—Allons, asseyez-vous tous, fils de vos mères, et récitez vos rôles. Vous, Pyrame, commencez ; et quand vous aurez débité vos discours, vous entrerez dans ce buisson, et ainsi des autres, chacun selon son rôle.
(Puck survient sans être vu.)
PUCK. — Quels sont ces rustiques personnages qui font ici les fanfarons, si près du lit de la reine des fées ? Quoi ! une pièce en jeu ? Je veux être de l’auditoire, et peut-être aussi y serai-je acteur, si j’en trouve l’occasion.
QUINCE. — Parlez, Pyrame.—Thisbé, avancez.
PYRAME. — « Thisbé, les fleurs exhalent de douces odieuses.
QUINCE. — Odeurs, odeurs.
PYRAME. — … Exhalent de douces odeurs : telle est celle de votre haleine, ma chère, très-chère Thisbé. — Mais, écoutez ; une voix ! —Restez ici un moment et dans l’instant je vais venir vous retrouver. » (Il sort.)
PUCK, à part. — Voilà le plus étrange Pyrame qui ait jamais joué ici.
(Il sort.)
THISBÉ. — Est-ce à mon tour de parler ?
QUINCE. — Oui, vraiment, c’est à vous ; car vous devez concevoir qu’il ne vous quitte que pour voir d’où vient un bruit qu’il a entendu, et qu’il va revenir sur-le-champ.
THISBÉ. — Très-radieux Pyrame, dont le teint a la blancheur des lys, et dont les couleurs brillent comme la rose vermeille sur un églantier triomphant : sémillant jouvenceau, et même très-aimable Juif, aussi fidèle que le plus fidèle coursier que rien ne peut fatiguer. — J’irai te trouver, Pyrame, à la tombe de Ninny.
QUINCE. — À la tombe de Ninus, l’ami ! —Mais vous ne devez pas dire cela encore ; c’est une réponse que vous avez à faire à Pyrame. Vous débitez tout votre rôle à la fois ; les répliques, et tout. — Pyrame, entrez, votre tour est venu. Rien ne peut fatiguer, sont les derniers mots de la tirade.
(Puck rentre avec Bottom affublé d’une tête d’âne.)
THISBÉ. — Aussi fidèle que le plus fidèle coursier que rien ne peut fatiguer.
PYRAME. — Si j’étais beau, Thisbé, je ne serais jamais qu’à toi.
QUINCE. — Ô prodige monstrueux ! prodige étrange ! ce lieu est hanté. — Vite, camarades, fuyons ! Camarades, au secours ! (Toute la troupe s’enfuit.)
PUCK. — Je vais vous suivre ; je vais vous faire tourner à travers les marécages, les buissons, les ronces et les épines. Tantôt je serai cheval, et tantôt chien, pourceau, ours sans tête, et tantôt une flamme ; hennissant, aboyant, grondant, rugissant, brûlant ; cheval, chien, pourceau, ours, et feu tour à tour. (Il sort.)
BOTTOM. — Pourquoi donc s’enfuient-ils ainsi ? C’est un tour qu’ils me jouent pour me faire peur.
(Snout rentre.)
SNOUT. — Ô Bottom, comme te voilà changé ! Que vois-je donc là sur tes épaules ?
BOTTOM. — Qu’est-ce que tu vois ? Tu vois une tête d’âne, qui est la tienne ; n’est-ce pas ? (Snout sort.)
(Quince rentre.)
QUINCE. — Dieu te bénisse, Bottom ! Dieu te bénisse ! Te voilà métamorphosé. (Il sort.)
BOTTOM, seul. — Je vois leur malice : ils veulent faire un âne de moi, pour m’effrayer, s’ils le peuvent. Mais, moi, je ne veux pas bouger de cette place, quoi qu’ils puissent faire. Je vais me promener ici en long et en large, et je vais chanter, afin qu’ils comprennent que je n’ai pas la moindre peur. (Il chante.)
Le merle au noir plumage,
Au bec jaune comme l’orange,
La grive avec son chant si gai,
Le roitelet avec sa petite plume.