Anthropologie des jeux vidéo/Comment Warframe développe un environnement social sain
Introduction
[modifier | modifier le wikicode]Pour les développeurs de jeux multijoueurs, un objectif important consiste à créer un environnement agréable socialement. Car qui dit jeux multijoueurs, dits interactions sociales, en vue de l'amusement de tout un chacun. Or, pour que ces interactions soient les plus saines possibles, les règles et fonctionnalités des mondes virtuels dans lesquels les joueurs évoluent doivent être pensées en ce sens.
La toxicité dans les jeux vidéos multijoueurs
[modifier | modifier le wikicode]Au sein des jeux vidéo multijoueurs, « Les comportements agressifs et anti-sportifs associés sont nommés "toxiques" »[1]. La toxicité est un des problèmes majeurs des jeux en ligne, elle vient entacher l'expérience des joueurs et parfois même la réputation des jeux, lorsque la toxicité atteint de trop hauts niveaux. Par exemple, Call of Duty a particulièrement mauvaise réputation, et remporte généralement la palme de la plus haute toxicité, on trouve même une étude qui l'affirme statistiquement.[2] Ces comportements font fuir les joueurs et posent de sérieux soucis aux éditeurs, qui essayent de les résoudre en constituant des politiques de régulation.
En 2019, une étude a mis en lumière l'étendue de la toxicité dans les jeux vidéos : 74% des adultes qui jouent à des jeux multijoueurs en ligne auraient été victimes d'une forme de harcèlement, allant d'insultes sur la base de leur identité, de leur origine ethnique, de leur sexe et de leur orientation sexuelle, au harcèlement criminel, au harcèlement sexuel et aux menaces physiques (Anti-Defamation League, 2019)[3]
Les éditeurs ne sont pas les seuls à chercher à résoudre le problème. Dans le but d'aider à lutter contre ce mal, L'Agence française pour le jeu vidéo (AFJF) tente d'identifier les quatre éléments déterminants majeurs du comportement toxique tout en cherchant des leviers pour les contrer :
- L'environnement en ligne : Les perceptions des règles peuvent différer de ce qu'elles sont hors ligne.
- L'environnement de jeu : Les mécanismes de jeu affectent le comportement et les émotions des joueurs.
- L'environnement social : Les autres joueurs ont un effet sur nos comportements.
- Le joueur lui-même : Les caractéristiques et la psychologie affectent la disposition à la toxicité[3].
Mise en application avec Warframe
[modifier | modifier le wikicode]Warframe est un jeu vidéo réalisé par Digital Extremes qui est sorti en version finale les 12 novembre 2013.[4] On peut également apprendre sur Wikipédia que son développement a commencé le 8 août 2009, alors qu'il ne fut mis à disposition des joueurs qu'à partir de 2012. Le style du jeu n'est pas facile à décrire, mais on peut le voir comme un mélange entre un TPS (jeu de tir à la troisième personne) et un MMORPG (Jeu de rôle en ligne massivement multijoueur).
Bien qu’il s'agisse d'un multijoueur, Warframe présente très peu de toxicité. Selon Digital Extremes, ils ont réalisé très tôt dans le développement du jeu que constitué et maintenir une communauté accueillante doit être une priorité. «The community department was one of the first on the team», explique Rebecca Ford (directrice créative).[5] Pour comprendre comment ses développeurs ont réussi à créer un espace social sain, voici repris ci-dessous, et appliqués au jeu, les différents points d'attention,telle que relevée par l'AFJF.
L’environnement en ligne
[modifier | modifier le wikicode]Internet est souvent considéré comme un espace dans lequel règne l'anonymat. En général, la distance entre identité dans le jeu et la véritable identité peut encourager une désinhibition morale et voir apparaitre des comportements toxiques.
Les solutions proposées sont de joindre les comptes des joueurs à leur véritable identité. Mais également de permettre aux joueurs de révéler leur personnalité à travers la création d'un avatar qui leur ressemble[3].
Ce facteur ne se retrouve pas appliqué dans Warframe, les joueurs sont effectivement « cachés » derrière des pseudonymes et rien dans l'avatar du jeu ne contrebalance la donne, vous pouvez observer à droite un exemple de caractère jouable. Il faut donc pousser la recherche plus loin quant à la faible toxicité présente dans le jeu.
L'environnement de jeu : les mécanismes de jeu affectent le comportement et les émotions des joueurs
[modifier | modifier le wikicode]Un autre élément qui génère des émotions particulièrement fortes est le système du jeu en lui-même, notamment l'aspect compétitif (sans doute l'exemple le plus significatif et récurrent). Pour contrer ce problème, la théorie est d'intégrer un « jeu positif » dans les mécanismes de jeu. À savoir : réduire au minimum utile les moments de friction entre les joueurs ; permettre aux joueurs de jouer comme ils l'entendent (choix du mode de jeu libre, etc.) ; intégrer des systèmes qui incitent au fair-play de façon efficace et attrayante pour avoir un réel impact.[3]
Waframe n'est pas un jeu compétitif, mais plutôt collaboratif. Et c'est sûrement là une des raisons de l'environnement sain. Sans compétitions, les tensions entre joueurs sont réduites. D'autant plus que les développeurs ont réussi à créer un environnement collaboratif agréable, pour les raisons suivantes :
Premièrement, dans certains jeux collaboratifs, l'autre est un élément nécessaire à la réussite de la mission. S'il échoue, tout le monde échoue, ce qui peut créer de la tension. Dans Warframe, cet aspect est assez réduit : bien que cela puisse être handicapant, l'échec des autres ne va pas réduire à néant toutes vos chances de réussite.
Ensuite, les joueurs inconnus que vous rencontrez lors d'une ou plusieurs parties peuvent apporter des bonus non négligeables. En effet, dans Warframe, vous avez la possibilité d'appliquer des bonus (meilleure chance de trouver des objets rares, monter plus vite de niveaux, etc.). Ces bonus vont s'appliquer à vous et à tous les joueurs qui vous entourent, on a donc plus souvent de bonnes surprises en jouant avec des inconnus que de mauvaises.
Enfin, quand vous tombez sur un coffre rare ou un objet précieux, ce n'est pas « premier arrivé, premier servi », vous pouvez prendre l'objet et, si les autres joueurs passent par là, ils pourront également le faire. Ça ne s'arrête pas là, puisque le jeu permet de signaler ces objets aux autres joueurs, en appuyant sur une touche. Vous indiquez alors aux inconnus à proximité qu'un objet rare se trouve là.
Cette mécanique d'aide n'est pas expliquée par le jeu quand on débute, mais elle est tellement répandue auprès de l'ensemble des joueurs qu'elle devient rapidement un automatisme. Le sentiment de trouver un trésor est déjà très agréable, mais quand un inconnu vous prévient pour que vous ne le ratiez pas, cela augmente le sentiment de contentement et participe grandement à un environnement sain, puisque cela donne envie de remercier la personne dans la boite de discussion, et de le faire à son tour.
L'environnement social : les autres joueurs ont un effet sur nos comportements
[modifier | modifier le wikicode]Si les mauvais comportements ne sont pas contrôlés et punis, cela banalise la toxicité, elle devient normale et habituelle dans le jeu. D'autant plus qu'on remarque que les nouveaux joueurs observent et imitent les interactions d'autres joueurs dans le but de s'intégrer, mais ils manquent souvent des compétences nécessaires pour intervenir face à des comportements toxiques dont ils sont témoins.[3]
Il est possible dans Warframe, comme dans la grande majorité des jeux, de signaler les comportements problématiques d'autres joueurs. Par contre, le jeu n'offre pas de compensation encourageante au fair-play. Cependant, les joueurs ayant atteint un certain niveau et faisant preuve d'un comportement irréprochable peuvent devenir modérateurs des différents channels de discussion. Ils sont alors récompensés avec la monnaie propre au jeu appelé : « platinium ». En plus de ces bénévoles, l'équipe de développement est extrêmement active que cela soit sur le chat en jeu et également sur les canaux Discord officiel.[5]
Les comportements des joueurs
[modifier | modifier le wikicode]Il arrive que les joueurs ne soient pas pleinement conscients de l'impact que leurs actions ont sûr autrui. Ceux qui ont un contrôle émotionnel limité sont plus enclins à adopter des comportements toxiques. Il est important de sensibiliser les joueurs à la manière dont leurs paroles et leurs actions peuvent affecter les autres, par exemple en les encourageant à se mettre à la place d'une victime. Il est également essentiel de les informer sur le concept de « tilt » et sur la façon dont il peut avoir un impact négatif sur leurs performances individuelles et collectives.[3]
Cet aspect est plus difficilement applicable à Warframe. Pour y répondre, il faudrait notamment interroger des personnes toxiques ou des témoins proches de ces personnes.
Exemple
[modifier | modifier le wikicode]"In a toxic online world, Warframe is a refuge for my son – and millions of others »[5]
Un père nous raconte les difficultés de son fils, atteint du spectre autistique, pour socialiser dans le monde réel et virtuel. Rapidement le père s'inquète que Zac (son fils) tombe sur des communautés toxiques qui pourraient ruiner son moral "my worry was that it would bring him into contact with gaming’s less savoury communities [...] who can make shooters such as Call of Duty a challenging place for vulnerable people ». Mais au lieu de cella, il tombe sur une communauté remarquablement amicale et accueillante.[5]
Warframe est un jeu très complet pour ne pas dire complexe, la quantité très importante de connaissance nécessaire pour comprendre les innombrables facettes du jeu demande beaucoup de temps, ou un peu d'entraide. Les nouveaux joueurs en soif de comprendre et d'optimiser leur temps de jeu vont donc ce tourné vers la fenêtre de discussion intégrée au jeu pour demander conseil. C'est le cas de Zac qui a reçu un très bon accueille des autres joueurs et c'est rapidement senti accepter. Keith Stuart (le père) soulève la très bonne modération du chat comme indicateur de cet accueil. Dans un second temps, Zac a même fait des rencontres, des joueurs avec qui il avait sympathisé l'ont invité à rejoindre leur clan.[5]
Ce témoignage permet aussi de rebondir avec le point "L’environnement en ligne" et sa partie concernant la création d'avatars. En effet dans Warframe, chaque aspect de l'apparence de votre personnage peut être modifié et personnalisé, créant ainsi des avatars très individuels permettant donc d'afficher et de partager ses intérêt. "My son has warframes designed to resemble his comic book heroes – Deadpool, Viper from the X-Men, a whole lot of manga characters I don’t know – and these provide him with a way to display and share his interests; they’re signals of who he is."[5]
Enfin, le père explique que l'autisme de son fils n'a jamais posé de problème aux autres joueurs "My son often mentions his autism to the people he meets in the game chat, I think because he is sometimes self-conscious, but it’s just accepted". Les développeurs semblent également travailler pour que certaines communautés ne se sentent pas exclues. Dans la quête Chains of Harrow, le protagoniste est possède un spectre autistique. Et dans un autre registre un personnage non genré a été conçu en collaboration avec la communauté LGBTQIA+, et des quêtes d'histoire explorent différentes formes d'amour entre les personnages ont été intégré.[5][6]
Conclusion
[modifier | modifier le wikicode]En conclusion, l'examen de Warframe à travers le prisme des facteurs de toxicité identifiés par l'AFJF met en lumière les éléments clés qui contribuent à la création d'un environnement social sain dans ce jeu multijoueur. Warframe se distingue par son approche collaborative qui réduit les tensions entre joueurs et incite au fair-play. Les mécanismes de jeu favorisent la solidarité et la générosité, créant ainsi une atmosphère positive et engageante.
Bien que certains aspects, comme la modération des comportements toxiques et l'incitation à la bonne conduite, pourraient être améliorés, Warframe est un exemple intéressant concernant les manières dont les développeurs peuvent concevoir des jeux multijoueurs afin de promouvoir des interactions sociales saines et enrichissantes pour tous les joueurs.
Pour compléter cette analyse, il serait intéressant de se pencher sur les problèmes qui ont pu et dû survenir dans l'environnement social de Warframe. Comment ont-ils été réglés, quelles décisions ont prises les développeurs et comment la communauté a évolué face à cela.
Références
[modifier | modifier le wikicode]- ↑ Attouk Adam et Garcia-Bardidia Renaud, « Expérience et toxicité dans le jeu vidéo : une illustration par le cas de league of legends », dans Management & Data Science, 5, 2021.
- ↑ « The Most Positive and Negative Fanbases Online Based on Their Language Use - Word Tips », sur word.tips (consulté le 12 mai 2024).
- ↑ 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 et 3,5 « Civisme et jeux vidéo, l'éclairage des sciences comportementales », sur AFJV, (consulté le 7 mai 2024).
- ↑ (en) « Warframe », sur Metacritic (consulté le 12 mai 2024).
- ↑ 5,0 5,1 5,2 5,3 5,4 5,5 et 5,6 (en) Keith Stuart, « In a toxic online world, Warframe is a refuge for my son – and millions of others », The Guardian, 2024-02-28 [texte intégral (page consultée le 2024-05-13)].
- ↑ (en) « Digital Extremes - Digital extremes celebrates pride », sur Digital Extremes (consulté le 13 mai 2024).