Théorie des groupes/Exercices/Simplicité des groupes linéaires spéciaux projectifs
Problème 1
Soit V un espace vectoriel de dimension finie n sur un corps commutatif F. On a vu dans le chapitre théorique que deux transvections de V sont toujours des éléments conjugués dans le groupe GL(V). On va prouver que si la dimension n de V est au moins égale à 3, deux transvections de V sont toujours des éléments conjugués dans le groupe SL(V).
a) Tout d'abord, on ne suppose pas n au moins égal à 3. Soit f un endomorphisme de V; on suppose qu'il existe un hyperplan H de V et un sous-espace W de dimension 1 de V tels que H ⋂ W = 0, que f(H) ⊆ H et que f(W) ⊆ W. Prouver que pour tout élément d de F, il existe un endomorphisme de V qui commute avec f et dont le déterminant est égal à d. (Indication : l'endomorphisme à trouver peut être choisi comme coïncidant avec l'identité sur H.)
Nous avons V = H ⊕ W, donc nous pouvons définir un endomorphisme g de V par
- g(h + w) = h + dw pour tout h dans H et tout w dans W.
Alors
- f ∘ g (h + w) = f(h + dw)
- (1) f ∘ g (h + w) = f(h) + df(w).
D'autre part,
- g ∘ f (h + w) = g(f (h + w))
- (2) g ∘ f (h + w) = g( f (h) + f(w) ).
D'après les hypothèses f(H) ⊆ H et f(W) ⊆ W, f(h) appartient à H et f(w) appartient à W, donc, par définition de g, le second membre de (2) est égal à f(h) + df(w), donc (2) peut s'écrire
- g ∘ f (h + w) = f(h) + df(w).
La comparaison avc (1) montre que
- (3) f et g commutent.
D'autre part, si on complète un base (h1, ..., hn-1) de H en une base (h1, ..., hn-1, w) de V, avec w dans W, la matrice de g dans cette base de V s'obtient en multipliant par d la dernièr colonne de la matrice identité, donc le déterminant de g est égal à d. Joint à (3), cela prouve le point (a).
b) On suppose que la dimension n de V est au moins égale à 3. Soient t et u deux transvections de V. À l'aide du point a), prouver que t et u sont des éléments conjugués dans le groupe SL(V).
D'après le chapitre théorique, t et u sont des éléments conjugués dans le groupe GL(V), donc il existe h dans GL(V) tel que
- (1)
D'autre partt, toujours d'après le chapitre théorique, il existe une base (a1, ..., an) de V telle que la matrice de u dans cette base soit . Si nous posons
- H = Fa1 + ... + Fan-1 et W = Fan,
nous avons u(H) ⊆ H (notamment parceque u(a1) = a1 + a2 et que a1 + a2 appartient à H = Fa1 + ... + Fan-1 parce que n est supposé au moins égal à 3) et u(W) ⊆ W. (Puisque u est un automorphisme, on peut évidemment préciser u(H) = H et u(W) = W.) D'après le point a), il existe donc un endomorphisme g de V qui commute avec u et dont le déterminant est égal à d-1, où d désigne le déterminant de h.
Alors
donc (1) peut s'écrire
Le déterminant de est dét(g) dét(h) = d-1d = 1, donc (2) montre que t et u sont des éléments conjugués dans SL(V).
Problème 2
a) Soit F un corps commutatif, soit a un élément de F qui ne soit le carré d'aucun élément de F. (Le cas se présente. Par exemple, dans le corps à 3 éléments, - 1 n'est pas un carré. De même; un élément négatif du corps des nombres rationnels n'est pas un carré dans ce corps.) Prouver que les matrices
et
sont des matrices élémentaires de transvection mais ne sont pas des éléments conjugués dans le groupe SL(2, F).
Puisque a est supposé ne pas être un carré dans F, il n'est pas nul, donc les deux matrices en question sont des matrices élémentaires de transvection.
Supposons que, par absurde, ces deux matrices soient des éléments conjugués dans le groupe SL(2, F). Alors, il existe une matrice P dans SL(2, F) telle que
autremnt dit telle que
- ,
ou encore, en désignant par 1 la matrice identité,
- ,
ce qui revient à
- .
Si nous posons
- ,
notre dernier résultat revient à z = 0 et t = xa. Donc
- ,
d'où, puisque P appartient à SL(2, F),
- ,
ce qui contredit le fait que a n'est pas un carré dans F. Cette contradiction prouve l'assertion du point a).
b) Soit F un corps commutatif ayant un élément qui n'est pas un carré dans F, soit V un espace vectoriel de dimension 2 sur F. Prouver qu'il existe deux transvections de V qui ne sont pas des éléments conjugués dans le groupe SL(V).
D'après le point a), nous pouvons choisir dans SL(2, F) deux matrices élémentaires de transvection M et N qui ne sont pas des éléments conjugués dans le groupe SL(2, F). Choisissons une base B de V et désignons par f (resp. g) l'automorphisme de V ayant M (resp. N) pour matrice dans la base B. D'après le chapitre théorique, f et g sont des tranvections de V. Supposons que, par absurde, f et g soient des éléments conjugués dans le groupe SL(V). Il existe donc dan SL(V) un automorphisme h tel que
Si H désigne la matrice de h dans la base B, on a donc
- .
Puisque h appartient à SL(V), H appartient à SL(2, F), donc M et N sont des éléments conjugués dans le groupe SL(2, F), ce qui contredit notre choix des matrices M et N. Cette contradiction prouve l'assertion du point b).
Problème 3
D'après le chapitre théorique, l'ordre du groupe PSL(3, 4) est 20160. Le groupe A8 est lui aussi d'ordre 20160. Nous allons prouver que ces deux groupes ne sont pas isomorphes, ce qui montrera que deux groupes simples finis peuvent avoir le même ordre sans être isomorphes. Puisque le groupe A8 comprend des éléments d'ordre 6, par exemple (1 2 3 4 5 6) (7 8), il suffit de prouver que PSL(3, 4) n'a pas d'élément d'ordre 6, ce qui sera fait dans la suite de l'exercice.
Rappels :
- 1° Dans un anneau commutatif où 1 + 1 = 0 (ce qu'on écrit aussi 2 = 0), on a
- -1 = 1,
- (x + y)2 = (x - y)2 = x2 + y2 = x2 - y2,
- (x + y)4 = (x - y)4 = x4 + y4 = x4 - y4,
- (x + y + z)2 = x2 + y2 + z2, etc.
- C'est vrai en particulier dans le corps à 4 éléments F4 et dans l'anneau de polynômes F4[X].
- 2° Si F désigne un corps commutatif, si M désigne une matrice carrée ∈ Mn(F) (n nombre naturel > 0), si f(X) est un polynôme ∈ F[X] annulé par M, alors chaque facteur irréductible sur F du polynôme caractéristique de M est un des facteurs irréductibles sur F de f(X); cela se déduit facilement du fait que le polynôme minimal de M divise f(X) et du fait que le polynôme caractéristique et le polynôme minimal de M ont les mêmes facteurs irréductibles (voir P. Tauvel, Algèbre, 2e édition, 2010, théor. 11.9.8, p. 191).
- 3° Dans le corps (commutatif) fini Fq à q éléments, la (q - 1)-ième puissance de tout élément non nul est égale à 1 (ce qu'on peut déduire du théorème de Lagrange), donc le polynôme Xq-1 - 1 admet la décomposition en facteurs linéaires
a) Désignons par a et b les deux éléments de F4 distincts de 0 et de 1. Prouver les relations
- a3 = b3 = 1,
- X3 - 1 = (X -1) (X -a) (X -b).
Cela résulte du rappel préliminaire 3°, où on fait q = 4.
b) Prouver que PSL(3, 4) n'a pas d'élément d'ordre 6.
D'après le chapitre théorique, PSL(3, 4) est le groupe quotient de SL(3, 4) par le groupe SZ(3, 4), formé des matrices scalaires appartenant à SL(3, 4). (D'après le rappel préliminaire 2°, le cube de tout élément non nul de F4 est égal à 1, donc les matrices scalaires appartenant à SL(3, 4) sont exactement les matrices scalaires appartenant à GL(3, 4), mais ce fait ne nous servira pas.) Donc, pour prouver que PSL(3, 4) n'a pas d'élément d'ordre 6, tout revient à prouver que
- (thèse 1) si M est une matrice ∈ SL(3, 4) telle que M6 soit scalaire, alors M2 ou M3 est scalaire.
Soit donc M une matrice ∈ SL(3, 4) telle que M6 soit scalaire.
Supposons d'abord que M6 = 1, autrement dit que M annule le polynôme X6 - 1.
D'après le point a), nous avons dans F4[X],
- (2) X3 - 1 = (X - 1) (X - a) (X - b).
En élevant au carré et en tenant compte du rappel préliminaire 1°, nous trouvons
- X6 - 1 = (X - 1)2 (X - a)2 (X - b)2.
D'après le rappel préliminaire 2°, il en résulte que chaque facteur irréductible (dans F4[X]) du polynôme caractéristique de M est égal à (X -1), à (X -a) ou à (X -b). Puisque ce polynôme caractéristique est de degré 3, il est donc de la forme (X - c) (X - d) (X - e), avec c, d, e dans F4\{0}. Puisque le déterminant de M est égal à 1, il faut c d e = 1, donc le polynôme caractéristique de M est égal
- ou bien à (X - 1) (X - a) (X - b) = X3 - 1 (voir relation (2) )
- ou bien à (X - f)3 pour un certain élément (non nul) f de F4.
Dans le premier cas, M3 = 1, donc M3 est scalaire et notre thèse (1) est vraie. Dans le second cas, M annule le polynôme (X - f)3 et donc aussi le polynôme (X - f)4, qui, d'après le rappel préliminaire 1°, est égal à X4 - f4. Donc, dans ce cas,
- M4 = f4.
Puisqu'on suppose M6 = 1, on a donc M2 = f - 4 = f2, donc M2 est scalaire. Notre thèse (1) est donc prouvée dans le cas où M6 = 1.
Prouvons-la maintenant dans le cas où M6 est un scalaire (non nul) autre que 1. Soit M6 = c, où c est un des deux éléments a et b de F4. Alors M annule le polynôme X6 - c = X6 - c4, qui, d'après le rappel préliminaire 1°, est égal à (X3 - c2)2. Donc
- (3) M annule le polynôme (X3 - c2)2.
D'après le rappel préliminaire 3°, c3 est égal à 1, donc, puisque c est distinct de 1, c2 est distinct de 1. (On tire d'ailleurs de la seconde relation du point a), en égalant les coefficientss indépendants, que ab = 1, d'où, d'après la première relation du point a), a2 = b et b2 = a.) Toujours d'après le rappel préliminaire 3°, c2 n'est donc pas un cube dans F4, autrement dit le polynôme X3 - c2 n'a pas de racine dans F4. Puisque ce polynôme est de degré 3, il est donc irréductible sur F4. Dès lors, compte tenu de la relation (3) et du rappel préliminaire 2°, le seul facteur irréductible du polynôme caractéristique de M est X3 - c2. Puisque ce polynôme caractéristique est de degré 3, il est donc égal à X3 - c2, donc M3 = c2, donc M3 est scalaire, ce qui achève de démontrer la thèse (1).