Recherche:Clefs pour mieux comprendre le monde et participer à son évolution/L'Homme au sein de la société

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L'Homme au sein de la société
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Chapitre no 7
Recherche : Clefs pour mieux comprendre le monde et participer à son évolution
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Questions de vie et de mort[modifier | modifier le wikicode]

Prévenir et guérir les maladies, améliorer l’état de santé, soulager la douleur et lutter contre la mort: tels sont les objectifs de l’activité médicale. Si ceux qui la pratiquent acceptent que des éléments étrangers viennent s’y ajouter, leur fonction risque de se trouver dévalorisée. La naissance et la mort ne sont pas des maladies mais des événements qui méritent d’être abordés dans toutes leurs dimensions. Le corps médical ne doit pas y jouer un rôle trop important. Pour être efficace et rester indépendant, il faut savoir passer le relais au bon moment.

La question de l’euthanasie intervient lorsque la médecine parvient à ses limites et reste impuissante en face de certains maux d’une extrême gravité. À partir du moment où cette solution est envisagée, ce ne sont plus des objectifs strictement médicaux qui sont poursuivis. Il serait donc logique que la demande soit prise en charge par des instances pluridisciplinaires. Et il en va de même pour l’interruption volontaire de grossesse, celle-ci étant généralement pratiquée pour éviter les problèmes sociaux ou familiaux que la venue d’un enfant pourrait provoquer. Cette affiliation libérerait le corps médical d’une responsabilité écrasante et lui permettrait de rester concentré sur sa véritable fonction.

La légalisation des gestes qui provoquent la mort mérite une réflexion approfondie. Aujourd’hui, ce recours est presque toujours inspiré par une véritable compassion. On s’y résout dans le cas de situations particulièrement dramatiques ne permettant pas d’espérer une issue favorable. Mais ne met on pas ainsi le doigt dans un engrenage qui risque de nous entraîner peu à peu vers des dérives que les partisans actuels de la légalisation désavoueraient avec force ? Lorsqu’elle est inscrite dans la loi, l’exception peut un jour devenir une règle. Il n’est peut-être pas souhaitable de légiférer sur tout. Certains domaines relèvent de la conscience individuelle: il n’y a alors que des cas particuliers. Enlever la vie doit être une responsabilité prise par une personne. Celui qui accomplit ce geste doit assumer pleinement tout ce que cela implique. S’il agit conformément à une directive, la responsabilité est diluée.

Que ce soit pour une gestation ne pouvant être acceptée ou pour une existence devenue subjectivement inacceptable, les désirs exprimés sont-ils la meilleure référence ? Souvent, l’envie de mourir n’est que la conséquence d’une intériorisation du regard attribué à autrui. Dans bien des cas, le malade ne demande qu’à être rassuré au sujet de sa dignité. S’il sent qu’il est toujours pleinement accepté dans la communauté des vivants ayant un avenir, il sort généralement de son isolement. Il abandonne alors son projet de suicide assisté et, malgré les difficultés apparemment insurmontables, il décide de miser une fois de plus sur la vie et ses paradoxes. Cette renaissance sera grandement facilitée s’il sent autour de lui des personnes prêtes à lui prodiguer aide, affection et compréhension. Une évolution semblable surviendrait sans doute si un véritable accompagnement psychologique et des mesures sociales étaient prévus pour aider les femmes enceintes en difficulté.

Coopération entre un aveugle et un paralytique

Le choix de la mort ne doit pas être rendu plus facile que celui de vie. Il est souhaitable que cet ultime recours reste exceptionnel et ne soit autorisé qu’en l’absence de toute autre solution, après un examen approfondi de la situation. De nombreux arguments plaident en faveur de l’euthanasie active. Cette « mort douce » permet d’écourter une fin de vie particulièrement douloureuse et déstructurante. Elle évite d’avoir à subir trop longuement un état qui incarne la négation de l’idéal de vie qui jusqu’alors avait été celui de la personne concernée. Elle épargne aussi aux proches le spectacle affligeant d’un être cher torturé par la maladie et devenu méconnaissable. D’autres raisons sont nettement moins nobles. Ainsi, dans une société ayant à un si haut degré le culte des apparences – en particulier celui du corps jeune, performant et attirant – cette solution évite les questions qui dérangent. Nous devons essayer d’aller plus loin que la simple résignation aux pis-aller. En remettant en question le genre de médecine qui prédomine actuellement, en nous interrogeant sur le contenu de nos valeurs, nous ferons peut-être des découvertes qui nous permettront de voir les situations sous un angle différent. Des solutions plus exaltantes pourront alors être proposées au patient. Il appartient à chacun de poser des jalons pour éviter un risque qui n’est pas négligeable: celui de voir se mettre en place une barbarie aseptisée.

Il va de soi que prolonger la vie n’a de sens que si cela est dans l’intérêt du malade. Dès que manifestement ce n’est plus le cas, la priorité doit être donnée au soulagement de la souffrance physique et psychologique. Mais ne cédons pas à la facilité en laissant se banaliser l’euthanasie: des situations cruelles pourraient peu à peu en découler. Si, malgré sa dépendance, une personne âgée lourdement handicapée continue de vouloir rester en vie, on lui fera sentir qu’elle coûte de l’argent à la société et cause beaucoup de tracas à son entourage. Et tout cela, pour une vie devenue stérile et misérable. On présentera aussi comme des modèles les personnes moins dégradées qu’elle qui ont choisi de s’effacer, préservant ainsi « leur dignité » et suscitant l’estime de ceux qui restent. À un stade plus avancé, on ne cherchera même plus à convaincre ou à prévenir l’intéressé. Conformément aux directives de gestionnaires avisés et convaincus de la haute valeur éthique de leur tâche, des spécialistes accompliront au moment jugé opportun, le geste libérateur. L’hyper-technicisation de notre médecine est en grande partie responsable des survies artificielles et de la plupart des dilemmes que nous devons affronter. Une approche plus holistique engendrerait une fin de parcours d’une toute autre tonalité.

L’interruption de la vie avant la naissance comporte elle aussi des risques de dérives. L’élimination quasi systématique des filles est déjà dans certains pays une pratique courante. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) pour des raisons médicales n’est pas non plus sans danger. On peut, au départ, invoquer les dépenses de santé pour décourager vivement ou même interdire les grossesses lorsqu’il existe une forte probabilité de maladie chronique chez l’enfant à naître, et fixer insensiblement des critères de plus en plus exigeants qui correspondraient de fait à une sélection. Et puisque la procréation médicalement assistée permet un tri sélectif des embryons, pourquoi ne pas la généraliser par mesure de prudence ? La plupart des gens finiraient sans doute par être convaincus que, finalement, c’est dans l’intérêt de tous, à commencer par l’intéressé lui-même. Nous pouvons difficilement prévoir de quelles façons les lois seront utilisées. Le monde traverse parfois des crises graves et le pouvoir politique peut tomber entre des mains peu délicates.

Avant de nous engager dans une voie, assurons nous qu’à long terme, elle mène bien là où nous souhaitons aller : les bénéfices des premiers pas ne permettent pas de présumer des derniers. Lorsque quelque chose met notre sensibilité en éveil ou en émoi, ne soyons pas trop pressés de réagir ou de relativiser selon les normes en vigueur : marquons plutôt une pause, déployons nos antennes et mettons nous à l’écoute de notre for intérieur. Le manque d’ouverture à la dimension spirituelle nous prive de l’apport de toute une gamme de moyens d’investigation très précieux, en particulier pour relier les différents domaines. À cause de la vision incomplète qui en résulte, les décisions éthiques et juridiques sont en grande partie prises à l’aveuglette, sans grande conviction et en fonction de l’air du temps. Les plus hardis mettent les autres devant le fait accompli. Comme nous traversons actuellement une phase relativiste, les législateurs n’ont aucun argument décisif à objecter. Ils se contentent donc d’accompagner le mouvement en l’insérant dans un cadre acceptable. Seuls ceux qui ne craignent pas d’être traités d’esprits rétrogrades osent résister, le cas échéant. Même lorsqu’il s’agit d’intérêts vitaux, ce qui profite à une minorité ne doit pas peser trop lourdement sur l’avenir de l’humanité dans son ensemble. De plus, les possibilités techniques ne doivent pas déterminer les objectifs à poursuivre mais être à leur service et ne donner lieu à des applications que si, après un examen approfondi et un débat véritablement démocratique, cela semble globalement souhaitable.

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Aucun être humain ne doit être utilisé comme un moyen sans son consentement clairement exprimé en pleine connaissance de cause. – À plus forte raison s’il n’y a pas la moindre contrepartie. Dans les conditions normales, les cellules de l’embryon se multiplient et se différencient, entraînant progressivement l’apparition de toute une gamme d’organes et de fonctions. À partir d’un certain degré de développement, un organisme suffisamment autonome est constitué : la naissance d’un enfant viable est désormais possible. Compte tenu de la continuité du processus, nous ne pouvons pas nous contenter de dire : « tant qu’il n’a pas atteint ce degré de complexité, nous avons seulement affaire à un amas de cellules. » On peut commencer à parler de personne lorsqu’il y a quelqu’un qui par exemple perçoit ou ressent ce qui lui arrive. Dans l’incertitude où nous sommes, le principe de précaution est sans doute le plus sage et le plus respectueux. Si nous voulons être pleinement humains, nous devons éviter d’infliger à l’être en gestation tout ce qui est contraire à ce que nous pensons être son bien propre. Il n’est peut-être pas dans son intérêt d’aller jusqu’à la naissance si c’est pour être rejeté de manière irrémédiable et devoir ressentir sa vie comme un fardeau douloureux. Dans les cas de cette nature, le choix de la mère et celui du père doivent être respectés. Tout ce qu’on peut faire, c’est leur proposer une aide ou des alternatives.

Les expériences sur l’embryon sont d’un autre ordre. Nous sommes déjà, me semble-t-il, dans le registre de la violence. En tous cas, il y a un doute. N’oublions pas que, sans intervention de notre part, il pourrait devenir un être humain vivant, avec toute la sensibilité et la conscience que cela suppose. Il est possible d’invoquer l’intérêt supérieur de l’humanité pour légitimer ces pratiques et l’empêchement de naître qui en découle. Mais sommes nous certains que, dans ce cas précis, ce sacrifice y contribue ? Les promoteurs de « l’industrie du vivant » tiennent des propos qui ne sont pas faits pour rassurer. Il existe un risque réel de voir l’être humain potentiel être traité comme un simple amas de cellules ou une marchandise. En pratique, il est impossible de fixer des limites en cours de route : une fois l’autorisation d’expérimenter obtenue, une brèche est ouverte. Comme le citoyen moyen ne parvient pas à tout comprendre, il se croit tenu de suivre le mouvement même si cela va à l’encontre de ce qu’il ressent profondément. C’est dommage car l’Histoire montre que la lucidité n’est pas toujours du côté de la majorité. Suivre aveuglément les personnes qui font autorité serait tout aussi périlleux : l'actualité montre qu’elles aussi se sont souvent trompé.

L’école est une source d'espérance[modifier | modifier le wikicode]

Dans une assez large mesure, l’école dépend de l’état de la société. Il s’agit cependant d’un lieu privilégié. Les habituels impératifs de production et d’action y sont largement mis entre parenthèses et la substance même de l’être humain est directement concernée. L’école est un espace qui accueille des êtres en cours de formation. Ici plus qu’ailleurs, il est possible d’interrompre l’enchaînement des conditionnements en suscitant des prises de conscience et en proposant de nouvelles orientations. On peut également y semer des graines qui se développeront discrètement, mais qui seront source de croissance et d’épanouissement tout au long de de la vie, créant peu à peu des conditions propices à l’amélioration du climat social.

Les enseignants ont une triple mission :

  • aider chaque élève à développer harmonieusement l’ensemble de ses facultés,
  • l’éduquer afin qu’il puisse vivre en bonne intelligence avec ses semblables et respecter la planète où il est né,
  • lui donner la possibilité de comprendre le monde et d’acquérir des connaissances dans de multiples domaines.

Aucun de ces objectifs ne doit être négligé. L’école accueille des élèves qui ont déjà une Histoire. La transmission sera grandement facilitée si des relations de personne à personne parviennent à s’établir. Le sens de la responsabilité doit être développé le plus tôt possible. Si les élèves disposent d’une liberté suffisante dans le choix de ce qu’ils ont à étudier, ils se sentiront partie prenante de leur éducation, comprendront mieux les enseignants et progresseront plus facilement.

Chacun devrait pouvoir rejoindre l’universel en suivant la ligne de développement qui lui est propre. Si le contenu de l’enseignement semble pouvoir être mis au service des projets de l’élève ou s’il peut prendre appui sur ce qui se trouve déjà présent en lui, les études seront prises en charge par l’ensemble de la personnalité. Le mouvement complémentaire a lui aussi de l’importance : l’éducateur doit aider l’élève à faire le lien entre sa propre histoire et la grande aventure de l’humanité.

La culture générale favorise le discernement et permet d’engager le dialogue avec ceux dont l’expérience est très différente de la nôtre. Toutefois, si l’on administre aux élèves une grande quantité d’informations sans avoir au préalable attisé leur soif de comprendre, ils risquent d’absorber le savoir à contrecœur et n’en assimileront qu’une faible partie. Souvent même, ils développeront une certaine aversion pour les nourritures spirituelles, devenant ainsi une proie facile pour ceux qui proposent du « prêt à penser » ou des loisirs sans consistance. Il est donc important que les enseignants soient formés de façon à pouvoir susciter le questionnement et donner envie d’explorer toutes les facettes de la réalité. L’idéal serait que les élèves apprennent aussi à apprendre et même à penser par eux-mêmes. Mais tout cela demande de part et d’autre un engagement personnel qui peut seulement être encouragé.

Tous les aspects de la personnalité doivent être cultivés : non seulement les aptitudes physiques et les capacités intellectuelles mais aussi tout ce qui relève de la sensibilité : que ce soit au milieu naturel, à la beauté sous toutes ses formes ou à ce que l’autre ressent. L’indicible lui-même peut être subtilement abordé de façon à favoriser la créativité et l’accès au sans-limite. Une jachère n’est pas une friche ; elle s’inscrit dans un plan d’ensemble. Tous les domaines négligés laissent une place vacante où des caricatures des contenus souhaitables ne tardent pas à s’installer. Des impulsions novatrices peuvent quelquefois en jaillir, mais elles sont rares et leur survie est sans cesse menacée par le milieu inhospitalier où elles voient le jour.

La préparation à la vie professionnelle ne doit pas être perdue de vue, mais il est également nécessaire d’enseigner aux élèves tout ce qui peut leur permettre de résoudre plus facilement les problèmes rencontrés dans la vie quotidienne. Ainsi, ils pourront devenir des adultes capables de s’adapter à de multiples situations et résister à toutes les oppressions. Dans tous les cas, l’important n’est pas d’apporter une grande quantité d’informations. Il s’agit avant tout d’amorcer le mouvement en posant clairement les bases et en fournissant quelques repères essentiels. L’élève recherchera ensuite de lui-même, par les canaux les plus variés, les éléments dont il aura précisément besoin à tel ou tel moment de sa vie. Les techniques désormais disponibles élargissent considérablement le champ des possibles. Grâce à des simulations et des jeux de rôles, chacun pourrait prévoir en partie les conséquences de ses actes et se préparer à affronter toutes sortes de situations.

Pour l’instant, l’école est un lieu où l’on apprend surtout ce qui permet de s’aménager une place au soleil. On y consacre trop peu de temps à essayer de découvrir comment, ensemble, nous pourrions dissiper l’incompréhension, la misère et le mal de vivre : ces tristes nuages qui aujourd’hui encore, assombrissent l’existence d’une partie de l’humanité. Si nous voulons un avenir vraiment radieux, c’est pourtant par là qu’il faudrait commencer. Le sens du bien commun peut être cultivé par des méthodes appropriées. En passant progressivement du jeu à l’observation, puis à l’étude et aux activités directement productives, les élèves apprendraient à coopérer peu à peu avec joie et efficacité. Ils pourraient le faire au sein d’équipes poursuivant des objectifs d’intérêt général qu’ils définiraient eux-mêmes par des voies démocratiques.


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L’autorité se trouve actuellement ébranlée en profondeur. Les valeurs qu’elles permet de transmettre étant à redéfinir, elle a tendance à se désagréger ou à se rétracter avec plus ou moins d’amertume. Des sursauts ont lieu quelquefois mais, la plupart du temps, ils prennent la forme d’un autoritarisme sans fondement convaincant. Entre l’attitude démissionnaire et le rapport de force, il y a un nouvel équilibre à trouver. Les idéologies du « client-roi » et du « tout, tout de suite » donnent à certains le sentiment que tout leur est dû, quel que soit leur comportement et leur degré d’évolution. Le chemin de la liberté emprunte inévitablement les voies de la discipline ; celle-ci étant de plus en plus personnalisée puis progressivement laissée à l’initiative de chacun. Souvent, en croyant revendiquer notre liberté nous réclamons seulement la disparition des protections qui nous empêchent d’être à la merci des désirs qui se sont emparés de nous et qui nous gouvernent de l’intérieur. Être vraiment libre, c’est avant tout être maître de ses impulsions, de ses émotions et de ses pensées. Ceux qui n’ont pas trouvé un équilibre suffisant ne peuvent être libres, car ils ont sans cesse besoin d’un appui extérieur pour se tenir debout. Ceci dit, qui que nous soyons, nous devons refuser de nous soumettre à tout ce qui nous empêche de prendre la responsabilité de notre vie et d’agir en fonction de ce qui nous semble souhaitable en notre âme et conscience. Et il en va de même pour les libertés fondamentales auxquelles chacun a droit, et dont la Déclaration Universelle des Droits de L’Homme donne un aperçu. Dans ce domaine, tout renoncement engendre un recul.

L’école peut assurer toutes ses fonctions lorsque ceux qu’elle accueille la considèrent comme une chance, une porte généreusement ouverte. Lorsque c’est effectivement le cas, les élèves et les enseignants peuvent coopérer dans le respect mutuel : chacun étant plus volontiers à l’écoute de l’autre et essayant de lui faciliter la tâche. Le respect authentique ne provient ni de la crainte ni d’une quelconque idéalisation. C’est un hommage rendu à l’arrière-plan de chacun : la fonction ou l’espace intérieur distinct de la simple personnalité. C’est d’ailleurs ce que suggère l’étymologie du mot respect : « ce qui est derrière. » Cette prise en considération permet de trouver le ton juste et la bonne distance. La communication peut ainsi s’établir sur des bases véritablement saines.

Les capacités humaines sont stimulées en fonction des motivations. Souvent, on crée artificiellement des émotions en instituant un système de punitions et de récompenses qui n’ont rien à voir avec le genre de conséquences qui découlent habituellement des activités concernées. On obtient ainsi des résultats immédiats parfois spectaculaires, mais cela entraîne un brouillage des domaines et des valeurs. À la longue, il devient difficile de savoir pourquoi on agit. Il est préférable d’aider les élèves à trouver une satisfaction au sein même de l’action, sans attendre d’autre récompense que l’enrichissement qui tout naturellement en résulte. Le contexte est lui aussi primordial : il peut stimuler ou décourager. Aujourd’hui, les plus défavorisés ont le sentiment qu’ils participent à un scénario où, quoiqu’ils fassent, ils ne pourront jouer qu’un rôle insignifiant. Pour consentir à des efforts, il faut avoir le sentiment qu’il y a bien un lien entre notre activité et l’avenir qui se prépare. Raison de plus pour tenter de poser ici les bases d’un monde meilleur.

Jeux de rôles en perpétuelle évolution[modifier | modifier le wikicode]

Si les femmes et les hommes pouvaient se rencontrer sur un pied d’égalité dans tous les domaines, l’ensemble de la société en bénéficierait. De nos jours, encore, les uns et les autres sont plus ou moins contraints de se conformer à des images stéréotypées. Il en résulte un manque de souplesse dans les relations et une inhibition de la créativité. Chacun d’entre nous est un être complexe et singulier qui ne coïncide généralement pas avec les visions simplistes qui servent de référence. Malheureusement, les pressions exercées sont telles qu’il est difficile de s’en affranchir[1].

À l’époque préhistorique, une certaine répartition des rôles s’est établie. La guerre et la chasse sont des activités trop mouvementées pour une femme enceinte et peu compatible avec le fait d’allaiter. Sans doute est-ce la raison principale pour laquelle ces domaines étaient surtout l’affaire des hommes. Les femmes restaient donc plutôt à proximité du foyer : un lieu auquel on attribuait souvent un caractère sacré. Elles occupaient le rôle central pour tout ce qui concerne la vie et les soins qui s’y rattachent ; Ce domaine dont elles étaient en quelque sorte les grandes prêtresses ne devait pas être considéré comme inférieur à celui des hommes. Si l’on en croit les conceptions habituelles relatives à la question, ceux-ci se consacraient surtout à la maîtrise de l’espace environnant et à sa structuration. À ce stade, l’interdépendance était une question de survie.

Peu à peu, profitant de leur force physique et des avantages que leur donnait leur rayon d’action, les hommes se sont octroyé toutes sortes de privilèges. Ils l’ont fait par égoïsme mais sans doute aussi pour compenser un certain sentiment d’infériorité dû au fait que leur rôle dans la procréation est de moindre importance et qu’ils ne sont pas équipés biologiquement pour nourrir les bébés. Des millénaires durant, certaines femmes ont pu êtres maintenues dans un état d’asservissement plus ou moins marqué, sans aucune perspective d’émancipation. Aujourd’hui, grâce à l’évolution des conditions sociales et matérielles, une plus grande autonomie de la personne est devenue possible en maints endroits. Les hommes ont longtemps négligé le fait que les Droits de l’Homme concernent les femmes autant qu’eux-mêmes. Heureusement, grâce aux revendications féministes et aux prises de conscience qui ont eu lieu depuis, le retard se comble peu à peu.

Dans tout mouvement de libération, des éléments parasites parviennent à s’infiltrer et provoquent toutes sortes de déformations qui défigurent les idéaux de départ. De nos jours, les contraintes ne sont pas, autant que par le passé, dictées par les convenances sociales, les traditions ou les préceptes moraux : elles sont habituellement orchestrées par les propagandistes de l’idéologie marchande. Celle-ci se trouve d’ailleurs providentiellement soutenue par les modes intellectuelles qui involontairement la confortent. La société de consommation prospère lorsqu’elle dispose d’une main d’œuvre abondante et d’une clientèle avide de posséder. Tout ce qui ne s’inscrit pas dans le circuit commercial est considéré comme ayant peu de valeur. Comme elles constituent une alternative, les activités de subsistance font l’objet de campagnes de dépréciation. Et il en va généralement de même pour toutes les tâches effectuées gratuitement dans les cercles restreints. Au sein de l’espace domestique, on donne de soi-même, mais cela ne rapporte ni argent ni pouvoir ni prestige. Pour la mentalité mercantile, une telle situation est scandaleuse et constitue une véritable provocation.

Les communautés affectives telles que la famille sont basées principalement sur des relations de longue durée, de personne à personne. Comme de plus, elles incluent toutes les dimensions de l’être, elles constituent un cadre privilégié permettant de résister au rouleau-compresseur des conditionnements socio-économiques. Si les hommes et les femmes pouvaient y coopérer de manière créative, en accord avec les idéaux de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, ils poseraient les bases d’une société où les mécanismes inhumains tendraient à disparaître. Nous avons tendance à sous-estimer les bienfaits de la fraternité. Ce sentiment qui concilie le sens de l’unité et celui de la diversité n’a cependant pas son pareil pour prévenir ou réparer les dommages dus aux malentendus.

Les femmes ont souvent une sensibilité et une souplesse qui leur permettent de traverser les frontières de toute nature. Elles parviennent ainsi à intégrer sans trop de difficultés les différents aspects de l’existence. La plupart des femmes sont attentives aux besoins de la personne et à ce que chacun a de spécifique. Ces points de repère les aident beaucoup dans le choix de leurs orientations. Elles sont, moins que les hommes, influencées par les systèmes et les idées générales[1]. Les structures psychiques sont à géométrie variable. Les caractéristiques des uns et des autres sont en perpétuelle évolution. Les hommes entrent tout juste dans une phase de renouvellement de leur relation au monde. De plus en plus, ils essaient de développer en eux-mêmes les qualités habituellement attribuées aux femmes.

Dans le champ socio-culturel, cependant, ces qualités continuent à être sous-estimées au bénéfice de celles qui sont traditionnellement considérées comme viriles ; en particulier l’affirmation de soi et l’esprit de conquête. Les deux genres sont désormais concernés par cette survalorisation. Éveiller directement les consciences des hommes devait être une tâche surhumaine. Un certain nombre de femmes ont donc décidé de défier cette moitié de l’humanité qui détenait le pouvoir. Ce noble combat était sans doute nécessaire pour inspirer la crainte et le respect. Mais « la paix des braves » en est le dénouement naturel. Lorsque ce stade sera atteint, les femmes et les hommes pourront découvrir ensemble les nouvelles possibilités offertes par les chemins de l’amour. Plus que jamais sans doute leurs relations seront aventureuses et chacun pourra et osera être ce qu’il est, tout simplement, en empruntant librement aux caractères des deux genres.

  1. 1,0 et 1,1 Dans le meilleur des cas, beaucoup de généralités ne sont rien d’autre que des considérations de bon ton ou des constatations de type statistique : elles ne laissent pas présumer de l’essence du sujet qu’elles concernent. Ceci s’applique évidemment à toutes les distinctions hâtivement établies pour caractériser les femmes et les hommes.

Paysage social et atmosphère culturelle[modifier | modifier le wikicode]

Jusqu’à une époque relativement récente, les croyances et les valeurs étaient en général transmises par voie d’autorité d’une génération à l’autre. Leur contenu était homogène à l’intérieur de chaque communauté mais pouvait différer beaucoup de l’une à l’autre. Les difficultés de compréhension qui en résultent ont bien souvent eu des conséquences dramatiques. Et elles continuent malheureusement d’en avoir. Ce mode de transmission a aujourd’hui tendance à disparaître. Chacun est ainsi convié à découvrir en lui-même ce qu’il peut croire et promouvoir. Dans le même temps, notre interdépendance devient de plus en plus marquée et la nécessité de prendre des décisions au niveau planétaire se fait de plus en plus pressante. Pour faire face à ces défis, nous avons besoin de valeurs qui soient à la fois plus authentiques et plus universelles que celles dont nous avons hérité. Les éducateurs ont donc un rôle moins directif mais tout aussi important. Ils doivent susciter les démarches qui permettent d’avancer en direction des sources d’où proviennent les vraies valeurs.


Il est souhaitable d’être compréhensif envers les faiblesses de la nature humaine. Elles sont présentes en chacun de nous, plus ou moins exacerbées ou transmutées par les conditions familiales et sociologiques. Nous devons par contre résister vigoureusement au cynisme, aux tentatives de manipulation, aux pratiques volontairement dégradantes et à la violence. Ceci est nécessaire, surtout lorsque ces agissements sont étalés avec complaisance ou insolence, avec quelquefois même le désir de faire école. Ne soyons pas dupes des alibis des opportunistes de toutes conditions. Certains se réfugient derrière l’absurdité du monde, d’autres invoquent les injustices de la société ou le préjudice d’une enfance traumatisante pour se décharger de toute responsabilité.

Celui qui se considère comme une victime a le sentiment d’avoir droit à une réparation, une compensation ou tout au moins une indulgence particulière quoiqu’il fasse. Il a également tendance à estimer que ce statut le dispense de certains devoirs pourtant élémentaires. Une telle attitude doit évidemment être découragée car elle empêche d’être attentif aux possibilités offertes dans le présent. Mais pour que chacun croie en lui, cesse de gâcher sa vie et apporte de bon cœur sa contribution à l’édifice social, il faut que sa dignité soit reconnue ou qu’il ait le sentiment que son existence est précieuse. Il peut difficilement avancer avec confiance et générosité s’il ne se sent pas le bienvenu au sein de la société et si, au fond, on n’attend rien de bon venant de lui. Apposer une étiquette est commode et donne un sentiment de sécurité mais cela empêche une véritable compréhension : celle de nos alter ego bien sûr, mais également celle de nous-même. La justice peut être bénéfique aux coupables autant qu’aux victimes. Si les peines sont conçues comme un moyen de réparer les dommages, elles favorisent les réconciliations et apaisent les révoltes stériles. Si elle comportent des moyens de se retrouver, de se restructurer ou de découvrir de nouvelles orientations, elles peuvent être ressenties comme libératrices par l’intéressé. Chacun est aux prises avec les difficultés de sa nature et se trouve plongé dans des situations qui le déterminent partiellement. Il n’y a cependant pas de fatalité. Si l’on donne au noyau central de la personne les moyen de s’exprimer, une évolution beaucoup plus libre et harmonieuse peut voir le jour.

L’esprit ultra-libéral ne concerne pas seulement l’économie, il souffle également dans le domaine socio-culturel. Là aussi, on lui attribue la vertu de laisser le champ libre pour une harmonisation naturelle des tendances. Ses adeptes remettent en cause une bonne partie des médiations et des régulations que les sociétés avaient mis en place pour tenter d’éviter que les plus vulnérables ne sombrent dans les abîmes de tous ordres. Malgré leurs innombrables défauts, ces règles et ces préceptes ont joué un rôle non négligeable dans la prévention de la souffrance, des conflits et des séismes intérieurs. Le progrès éthique et l’universalisation des valeurs passent généralement par une déconstruction de ce qui existe et une reconstruction sur des fondements plus amples et avec des perspectives plus ambitieuses. Ce qui fait défaut se trouve soudain valorisé de manière exclusive. Dans le même temps, ce qui paraît en excès est souvent rejeté dans sa totalité. Et cela dure tant qu’un relatif équilibre n’est pas établi. Ce juste milieu qui est souhaitable n’a évidemment rien à voir avec la tiédeur. Ce n’est pas non plus une morne plaine mais : « Un sommet entre deux abîmes. » chaque être humain a une sensibilité propre et se trouve dans chaque domaine à un certain degré d’évolution. Pour éviter les options sécuritaires, les replis communautaires et les dérives nihilistes ou sectaires, les réformes doivent être introduites avec délicatesse, en étudiant attentivement les situations telles qu’elles se présentent effectivement et en tenant compte de toutes les composantes présentes dans le champ social. Ainsi conduites, elles seront judicieusement adaptées à la réalité et pourront être enrichies de l’intérieur par un grand nombre de personnes.


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Dans un monde où tout se transforme, il est bon de maintenir un état d’interrogation permanente. Nous avons la chance de vivre dans une société où il existe une grande liberté d’expression. Comme presque tout peut être expérimenté, davantage de personnes osent s’aventurer sur le terrain de la création. Certains y apportent une authenticité qui illumine et réchauffe le cœur d’hommes et de femmes qui jusqu’alors se sentaient isolés ou pensaient que leur vie n’avait aucun sens. En matière de goût, il n’y a plus véritablement de critères faisant autorité. L’amateur d’art peut donc venir à la rencontre des œuvres avec sa sensibilité propre, l’esprit léger, dégagé de tout a priori. Mais doit-il pour autant être naïvement ouvert à tout ce qui se présente? Certaines œuvres particulièrement ambiguës font étalage d’une violence inouïe mais sont présentées comme un moyen de la dénoncer. J’ai pour ma part le sentiment que leurs auteurs jouent sur les deux tableaux en même temps. Ne s’agit-il pas, avant tout, de divertissements où chacun peut en toute bonne conscience jouir d’un spectacle analogue à celui qu’offraient les affrontements entre gladiateurs ? Au mieux, ce sont eux aussi des exutoires ou une façon de se préparer à toute éventualité. Certains militaires visionnent d’ailleurs les films de ces « dénonciateurs » avant les combats. Les manifestations de violence et de perversité doivent être relatées sobrement. Elles devraient être étudiées plutôt qu’exhibées avec un enrobage qui donne le champ libre à toutes sortes d’utilisations.

L’égoïsme, et la cruauté sont parfois présentés sous des formes extrêmement séduisantes. La qualité du style et du savoir-faire donne facilement droit de cité et permet au monstrueux de prendre place dans l’espace public tel un cheval de Troie. Une fois installé, il devient un modèle qui influence les personnalités fluctuantes en mal d’identification. L’abîme exerce une fascination qui provoque un état de vertige auquel tous ne peuvent pas résister. Et une fois pris dans le tourbillon descendant, il est très difficile de remonter. Le malaise se trouve lui aussi disséminé à très grande échelle. Il n’est pas rare de voir quelqu’un s’enrichir en vendant du désespoir. Il arrive même que des distinctions honorifiques soient décernées à ceux qui ajoutent ainsi au fardeau déjà existant sans faire entrevoir la moindre perspective de sublimation véritable.

Souvent, nous aimons amplifier les contrastes à cause des effets spectaculaires que cela provoque. Nos gesticulations attisent elles aussi des conflits en sommeil. Cette façon caricaturale ou théâtrale de présenter les situations cristallise les problèmes et retarde leur résolution. Ce qui est vrai pour les simples commérages concerne également les messages diffusés chaque jour à des millions d’exemplaires. Ceux qui disposent d’une large audience exercent parfois une influence considérable. Ce qui est inoffensif pour les uns peut être déstructurant pour d’autres. Modifier la température de quelques degrés n’a guère d’importance lorsqu’il s’agit d’eau tiède ; mais, aux abords de certaines valeurs (0 ou 100°), un seuil critique est franchi. L’eau cesse alors de s’écouler et se transforme en un bloc rigide ou se volatilise. Lorsque le passage d’un état à l’autre est très rapide, des phénomènes difficilement prévisibles peuvent survenir. Il peut s’agir de merveilles comme ces fleurs de givre que l’on découvre avec émotion certains matins d’hiver. Malheureusement, ces changements brusques sont plus souvent responsables d’événements aux conséquences dramatiques[1].

Un créateur n’a pas à répondre du détournement de ses œuvres. Tout ce qu’il peut faire, c’est s’efforcer de supprimer au maximum les imprécisions et les ambiguïtés qui pourraient le permettre. Il doit par contre se sentir concerné par leur impact et tenter de prévoir les conséquences possibles pour les uns et les autres. La liberté de pouvoir exprimer son point de vue ne se divise pas : même celle de nos adversaires mérite que nous la défendions. Toutefois, plus la liberté d’expression est grande, et plus on doit faire preuve d’un sens aigu des responsabilités. Ceci concerne d’ailleurs le public tout autant que les créateurs. Ouverture d’esprit ne signifie pas absence de discernement. Ne sous-estimons pas l’influence des images qui pénètrent en nous. Les parties les plus primitives de notre conscience ne font sans doute guère la distinction entre la réalité et les fictions vues sur un écran. Les zones activées lorsqu’on s’imagine en train d’effectuer une action sont sensiblement les mêmes que celles qui sont concernées quand on passe soi-même à l’acte ou qu’on observe quelqu’un en train d’agir de cette manière. Et nous savons que, par exemple, les images vues dans la soirée réapparaissent un peu plus tard au sein des rêves. À leur tour, ceux-ci exercent une influence sur la construction de la personnalité et l’atmosphère psychologique du lendemain. Un petit grain de folie aide à respirer plus librement. Toutefois, pris à trop forte dose, le remède peut devenir un poison.

Depuis un certain temps déjà, le symbolique stimulant a fait place à une illusion souvent triviale que l’on consomme plus ou moins distraitement sans modération. La plupart des produits de l’industrie culturelle ont des effets anesthésiants. À force de vivre ainsi par procuration, dans un monde de fiction stérile, nous ne ressentons plus guère la nécessité d’utiliser notre imagination pour améliorer les conditions de vie et la qualité des relations. Pour résister à de telles agressions, notre sensibilité profonde est notre meilleure référence. Note tâche n’est pas aisée car nous recevons peu de nourriture favorisant son développement. Le brouhaha ambiant nous empêche d’entendre le jeu des instruments discrets. Les productions à visée commerciale occupent le devant de la scène et s’interposent entre le public et les œuvres de qualité. En ce domaine non plus la complaisance n’est pas de mise : l’important est de ne pas participer. Nous resterons ainsi disponibles pour accueillir dignement les œuvres les plus profondes et les plus généreuses : celles qui nous renforcent, nous éveillent à nous-mêmes ou nous donnent le désir de réenchanter le quotidien.

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Il existe actuellement une forte tendance à tout mettre sur le même plan. L’ensemble paraît ainsi plus facile à saisir. Seulement, voilà ! en procédant ainsi, les gouffres les plus obscurs se trouvent au même niveau que les sommets qui offrent une vision panoramique. Si nous ne sommes pas attentifs aux différences d’élévation, nous risquons de connaître quelques mésaventures. La dimension verticale est la clé qui nous permet de transmuter les éléments incompatibles. C’est aussi elle qui nous permet de nous affranchir progressivement des limites de la condition humaine. Mais qui sait ? Sous ses allures d’enfant terrible, notre époque cache peut-être bien son jeu. L’étape actuelle n’a sans doute rien d’un affaissement. Dans le grand jeu du monde, il ne faut pas se fier aux apparences car, pour aller d’un sommet à un autre il faut souvent commencer par redescendre.

  1. C’est notamment le cas du phénomène de surfusion. Un exemple fameux eut lieu à Lagoda. La température de l’eau était en dessous de zéro mais, comme elle était très pure, la glace ne se formait pas. Il advint qu’une troupe de cavaliers entra brusquement dans le lac. Ils firent remonter une partie du dépôt qui couvrait le fond. Dès lors, la glace put se former autour des grains de poussière. Le lac gela presque instantanément, retenant irrémédiablement prisonniers les chevaux qui venaient d’y pénétrer.

Le concert des nations[modifier | modifier le wikicode]

De nombreux objectifs sont communs à tous les Hommes : nous les atteindrons plus facilement en réunissant nos efforts. Ce que le passé nous a légué de meilleur peut servir de point d’appui mais il nous faut également être à l’écoute des impulsions nouvelles qui cherchent à s’exprimer.

Les États sont des ensembles trop étroits pour répondre efficacement aux défis écologiques, sociaux et culturels du monde contemporain. Une coopération à une plus vaste échelle est devenue indispensable. Les institutions internationales déjà existantes ont d’incontestables mérites mais elles ne sont pas assez équitables. De plus, l’influence qu’elles exercent reste assez modeste. Si nous parvenions à un degré d’unification suffisant, les questions importantes seraient abordées de manière plus cohérente et nos réalisations auraient plus d’envergure. L’universalisme véritable ne peut cependant être ni décrété ni résulter des initiatives des élites : il doit découler d’une prise de conscience et d’une aspiration venues de toutes les couches sociales. Il ne peut s’établir que s’il existe une volonté sincère de dépasser les divergences afin d’œuvrer efficacement pour le bien commun et l’avenir de tous. Cet universalisme serait très différent de la globalisation superficielle qui a cours actuellement. Celle-ci s’est mise en place sans véritable vision d’ensemble et sans qu’une consultation préalable ait été effectuée. Cette ouverture opportuniste des frontières accroît généralement l’influence de ceux qui sont bien placés et fragilise ceux dont la position est mal assurée. Nous avons besoin d’une mondialisation basée sur de tout autres principes.

Le sentiment d’appartenance à l’humanité est trop abstrait pour servir d’unique point de ralliement. Ses contours sont trop vastes et peu évocateurs pour la majorité d’entre nous. Entre l’individu et l’universel, il est nécessaire qu’il existe des échelons intermédiaires plus enveloppants. La plupart des Hommes ont besoin de se retrouver au sein de communautés où le cœur et la vie des sens peuvent s’alimenter et s’exprimer. Ils ne s’y sentent à l’aise que s’ils y trouvent un rôle à leur mesure. Ces réseaux de solidarité comprennent la famille et la nation mais aussi des collectivités et des groupements de toute nature qui se superposent, s’interpénètrent et évoluent au cours du temps. Sans ces relations entre communautés distinctes et autonomes, l’uniformité s’installerait peu à peu et la vie entrerait dans une profonde stagnation. De plus, chaque niveau a un rôle spécifique et structurant et ne peut être supprimé sans fragiliser l’ensemble. L’unité humaine doit donc être réalisée en préservant la diversité afin que les différents arts de vivre se fécondent mutuellement. Toutefois, ces communautés pourraient résulter de plus en plus d’un choix personnel au lieu de dépendre, comme aujourd’hui encore, du milieu de naissance ou des pressions de tous ordres.

Si l’union des différentes composantes de l’humanité pouvait s’effectuer sur de telles bases, rien ne disparaitrait arbitrairement : une citoyenneté nouvelle viendrait simplement s’ajouter à celles qui existent déjà au niveau de la commune, de la région ou de l’état. Il est primordial que cette fédération des peuples de la terre s’établisse sur une base d’égalité véritable. Il faudrait pour cela que nous prenions sincèrement en compte les intérêts et les points de vue de ceux qui sont actuellement trop faibles pour peser sur les décisions. De cette manière, le plus grand nombre pourrait y adhérer sans réticence et coopérer sans arrière-pensée.


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L’œuvre à accomplir est considérable. Certaines régions du monde sont sinistrées. Beaucoup ont dû subir le joug des colonisateurs ou ont été dévastées par la guerre civile ou des conflits régionaux. D’autres ont été ruinées par des choix économiques catastrophiques ou les longues période de dictature qu’elles ont subies. Dans bien des endroits, à cause des effets déstructurants de tous ces événements, une grande partie de la population a perdu confiance dans l’exercice naturel de sa créativité et constitue une proie facile pour les démagogues et les extrémistes. Lorsqu’un oiseau est resté longtemps en cage, il a de la peine à se réadapter à la liberté et à voler à nouveau de ses propres ailes. Il a tendance à endosser d’autres formes de servitude, pour lui synonymes de sécurité. Nous vivons dans un monde qui se transforme à un rythme sans précédent. De nombreux peuples doivent intégrer des changements auxquels ils n’étaient pas préparés. Les règles internationales ont été établies sans eux. Dans un certain nombre de cas, les jeunes nations n’ont participé ni au tracé de leurs frontières ni à la mise en place des structures de pouvoir. Et il en va parfois de même pour leur langue ou leur religion. D’autres peuples ont décidé pour eux. La plupart du temps, ces mesures étaient prises par des personnes qui vivaient loin de là, n’avaient qu’une connaissance réduite de la situation locale et ne tenaient pour ainsi dire pas compte des intérêts des habitants. Ceux-ci ont cependant dû se plier à ces exigences car ceux qui les imposaient avaient la suprématie sur le plan militaire ou disposaient d’importants moyens de pression. Le type de développement qui a été imposé a entraîné une régression de la qualité de la vie en maints endroits. Les situations varient beaucoup selon les pays. L’effort d’adaptation nécessaire n’est pas le même pour tous. Jusqu’à présent, l’Occident a bénéficié d’une situation favorable. Là, au début tout au moins l’évolution a pu s’opérer assez lentement, conjointement dans de nombreux secteurs, et dans une position de dominant et non de dominé.


Bien que sur le papier ce soit le contraire, le monde occidental a une dette envers un grand nombre de pays pauvres. Son savoir-faire n’est pas la seule cause de son enrichissement. Depuis des siècles, au moyen des armes et des lois promulguées en sa faveur, il s’est approprié les ressources matérielles et humaines de beaucoup de peuples. Rembourser en réparant généreusement serait la solution la plus honorable. Bien entendu : tout n’est pas noir du côté des blancs et tout n’est pas blanc chez les gens de couleur. Fondamentalement, l’être humain est le même partout. Ses caractères distinctifs reflètent simplement les conditions auxquelles il a dû s’adapter pour survivre et concrétiser ses aspirations. L’apport occidental doit être apprécié à sa juste valeur; en particulier ses institutions facilitant l’autonomie de la personne ou sa recherche de perfectionnement dans tous les domaines. Les autres peuples doivent cependant pouvoir accéder à un certain niveau sans être contraints de se couler dans le moule dominant et sans altérer leur génie propre. Les pays les plus démunis ont eux aussi des richesses à partager. Le retard économique ou technologique peut aller de pair avec un haut degré de civilisation. Cependant, comme le développement excessif du pôle économique perturbe en profondeur les relations sociales et la transmission des valeurs, la misère symbolique accompagne de plus en plus souvent les difficultés matérielles.

Chaque communauté a tendance à considérer que sa vision du monde et sa ligne de conduite sont globalement saines et trouve que les autres ont des conceptions et des comportements plutôt irrationnels, inconvenants ou étranges. La plupart de ceux qui sont nés dans les civilisations dominantes ont de la peine à comprendre qu’ils auraient beaucoup à apprendre des autres, même pour ce qui concerne les questions essentielles. C’est cependant indispensable si nous voulons établir un véritable dialogue et progresser ensemble. L’Occident a toujours le sentiment de pouvoir être la conscience éclairée du reste du monde. Une attitude nettement plus nuancée mériterait d’être adoptée, car cette partie du monde a très largement perdu confiance en l’avenir, ne sait pas où elle va et produit des innovations techniques qui ont une puissance extraordinaires, mais qui sont difficilement maîtrisables. Penser que certains pays sont développés tandis que d’autres souffrent d’un retard de développement témoigne d’une conception étroite et unilatérale des objectifs qu’il est souhaitable d’atteindre. En réalité, chacun a une ligne de développement qui lui est propre. Et comme tout est lié, les excès des uns entraînent des carences chez les autres. C’est l’ensemble qui est à revoir.


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Dans un monde où les conséquences de chaque événement se répercutent rapidement sur l’ensemble de la planète et où les effets sont amplifiés, la solidarité est plus que jamais une vertu majeure. Une société est un écosystème où tous les domaines sont interdépendants. Le soutien qui est parfois requis ne doit pas une fois de plus transformer certaines populations en assistées chroniques, les affaiblir, les humilier ou entraîner une diminution du sens des responsabilités. Dans la mesure du possible, il doit s’agir d’un apport sélectif qui stimule les initiatives locales. Cela peut prendre la forme d’une assistance matérielle ou culturelle qui comble les lacunes sans étouffer les richesses existantes. Aussi insignifiantes qu’elles puissent paraître, celles-ci ont des vertus incomparables. Bien dosées, de telles contributions peuvent aider chaque peuple à redevenir lui-même, à mieux faire fructifier ses ressources et enrichir ainsi l’ensemble de l’humanité. Il aura ainsi la possibilité de faire peau neuve, en s’appuyant sur ce qui en lui est essentiel. Il pourra également panser ses plaies et se libérer progressivement du carcan des habitudes et des coutumes qui persistent malgré la disparition du contexte particulier qui les rendait utiles ou inévitables. Faible ou puissant, chacun doit se remettre en question, regarder en face ses propres responsabilités et tirer les leçons du passé. Cela lui permettra de se tourner avec confiance vers l’avenir en abandonnant peu à peu le fardeau des regrets et des ressentiments.

Les différentes communautés ne s’harmonisent pas par le simple fait d’exister côte à côte : un effort de compréhension mutuelle est nécessaire. Lorsqu’on s’intéresse à ce que l’autre pense et ressent, on se rend compte de la cohérence interne de sa démarche. Il devient alors évident qu’au fond, il recherche la même chose que nous mais par d’autres voies. Celui qui est différent de nous a souvent quelque chose à nous apprendre et que nous n’aurions peut-être jamais pu découvrir sans lui. Le comportement collectif en tient très peu compte. La logique à laquelle il obéit est dramatiquement plus archaïque. Dans presque tous les pays, une partie de la population se trouve mise à l’écart. Ses perspectives d’intégration sociale ou d’insertion professionnelle sont très limitées. Elle jouit également d’une faible considération. Souvent, il s’agit de personnes venues d’autre pays, généralement pauvres. Dans bien des cas, on attend surtout de ces nouveaux venus et de leurs descendants, qu’ils se tiennent tranquilles sans se faire remarquer et qu’ils renoncent peu à peu à leurs caractères distinctifs. Autant leur demander d’exister le moins possible. C’est mal connaître la nature humaine, son besoin d’affirmation de soi, sa soif d’élargissement et de jouissance, ainsi que l’aspiration de chaque Homme à être reconnu en tant qu’individu singulier, libre de ses choix. Même les digues les plus solides finissent par se rompre. Pour échapper à la survie insignifiante qui lui est proposée, pour éviter d’être enseveli vivant, chacun saisit le premier point d’appui qui se trouve à sa portée. Ne soyons donc pas étonnés de voir des vents de folie s’emparer parfois des cœurs et des consciences. Si quelqu’un ne dispose pas d’un minimum de sécurité matérielle ou psychologique, il risque de mettre en péril celle des autres.

Dans cet enchaînement tragique, nous sommes tous partie prenante. En tous cas, à un degré ou à un autre, la recherche de solutions concerne chacun d’entre nous. La tolérance est une solution provisoire. Derrière ce paravent, les situations peuvent pourrir jusqu’à devenir intolérables. Qui dit tolérance dit seuil de tolérance – parfois explosif – de part et d’autre. Seul le dialogue est créateur et permet de dissiper la méfiance et les malentendus. Lorsqu’il existe une ouverture authentique, chaque culture s’enrichit et s’approfondit au contact des autres. Il existe suffisamment de points de convergence pour que nous puissions construire ensemble un avenir qui accorde une place honorable à chacun. Des réalisations de grande envergure pourraient alors voir le jour. Par-delà les préjugés, ce qui est commun à tous les Hommes est plus important que ce qui les sépare. Les identités nationales, religieuses et même ethniques sont provisoires. Après un certain nombre de générations, elles seront fondues l’une en l’autre et de nouvelles distinctions les remplaceront. Chacun d’entre nous se rattache d’ailleurs à plusieurs appartenances à travers le genre, la langue, la profession ou le tempérament. L’important est le sujet : celui qui les subit, les utilise ou en joue selon son état d’esprit. Si l’union mondiale était instituée, les nations abandonneraient une partie de leur souveraineté à une supra-nationalité qui sauvegarderait l’intérêt de chacune et la mettrait à l’abri d’éventuelles agressions. Dans le concert des nations, chaque peuple doit pouvoir faire entendre clairement sa voix. C’est d’ailleurs une condition indispensable pour qu’il puisse envisager avec un certain enthousiasme son intégration à un ensemble plus vaste. Pour ne pas se diluer dans l’universel, certains plus que d’autres ont besoin de se protéger. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit être totalement respecté. La seule exception étant l’ingérence de type humanitaire, et à condition qu’elle soit entreprise avec beaucoup de discernement. L’entrée dans l’Union mondiale se ferait progressivement, un peu comme si chaque nation, à son rythme, choisissait d’imprimer sur son drapeau un arc-en-ciel de plus en plus grand ou en diminuait l’importance si le besoin s’en faisait vraiment sentir.

Notre planète est assez vaste pour permettre la coexistence d’une grande variété de genres de vie. Toutes sortes de possibilités peuvent être expérimentées. Dans certains endroits, les Hommes ne seraient pas réunis par une origine commune ni pour des raisons économiques mais parce qu’ils auraient sensiblement le même idéal, un projet commun ou le désir de pratiquer un certain art de vivre. Parfois, ce serait plus simplement la volonté de vivre ensemble en se dotant d’institutions rendant possibles l’expression de multiples tendances dans le respect des différences. Dans ces espaces de vie, ce ne serait plus la naissance ou la nécessité qui déterminerait l’appartenance, mais le libre choix. Chacun participerait à l’un ou l’autre de ces projets en fonction de ses goûts et de sa sensibilité. Cette affiliation comporterait des droits et des devoirs et pourrait se substituer à la notion traditionnelle de nationalité. Ces expériences seraient ouvertes sur l’extérieur et devraient, à l’instar des nations, respecter les règles internationales. Les institutions communes permettraient d’harmoniser les différents espaces de citoyenneté. L’éducation serait conçue de telle façon que l’on puisse aisément passer de l’une à l’autre. Elle s’efforcerait de former des citoyens du monde solidaires et responsables, prenant soin dans la mesure du possible de l’ensemble de la vie.


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La guerre est sans doute l’événement qui heurte le plus notre sens de la fraternité humaine. Les souffrances et les dévastations qu’elle entraîne sont inouïes. Cependant, même si nous sommes sincèrement épris de paix, nous ne pouvons pas nous contenter de rester à l’écart des conflagrations et renvoyer dos à dos les victimes et les agresseurs en invoquant le fait qu’il existe des revendications légitimes et des torts de part et d’autre. Lorsque cela est nécessaire, il faut avoir le courage de prendre parti. Se défendre ou s’interposer par la force est parfois la meilleure façon de contribuer à l’harmonie générale. Ne rien faire peut être lourd de conséquences. Face à des conquérants sans scrupule, le recours aux armes fait souvent moins de victimes que le refus de la confrontation. Tuer ceux qui sont sous l’emprise d’une folie meurtrière est dans certains cas la seule solution pour sauver des vies innocentes en danger. Mais les moyens employés ont presque toujours une influence sur la qualité des résultats obtenus. La violence produit une atmosphère qui la rend contagieuse. Celui qui l’emploie entre dans un engrenage complexe où souvent, n’ayant plus le recul suffisant, il perd le sens des valeurs. Trahissant son intention de départ, le justicier qu’il voulait être se transforme alors en oppresseur. Comment éviter ce cycle infernal ?

Le premier pas consiste à sortir de l’isolement dans lequel chaque nation ou chaque coalition se trouve. Aujourd’hui encore, les conflits sont résolus dans bien des cas de façon arbitraire, en fonction des alliances ou des opinions et des intérêts des plus puissants. Si l’union des armées était réalisée, les forces militaires passeraient progressivement sous un unique commandement, devenant ainsi une sorte de police internationale. Celle-ci maintiendrait la paix sur des bases décidées de manière démocratique. Cela pourrait prendre la forme d’une fédération organisée de façon à éviter les conflits internes déstructurants. Il serait cependant nécessaire de maintenir une autonomie suffisante pour permettre une résistance efficace en cas de dérive du pouvoir central. À ce stade, il deviendrait possible de détruire la majorité, sinon la totalité des armes les plus difficiles à maîtriser : qu’elles soient nucléaires, chimiques ou bactériologiques. L’armement plus conventionnel serait réduit au minimum et remplacé à la longue par des dispositifs mettant hors d’état de nuire sans enlever la vie. En attendant mieux, des anesthésiants, des produits soporifiques ou des calmants seraient envoyés massivement aux plus belliqueux.

Lorsque surviendrait un conflit, tout se passerait comme si l’organisme social tout entier se mobilisait pour soigner une partie de lui-même. Une maladie se déclare à un endroit particulier mais ses causes sont de diverses provenances. Les forces d’interposition auraient pour première mission de faire cesser les combats et, à plus long terme ou à titre préventif, d’établir les conditions d’une coexistence pacifique. Elles s’efforceraient de créer des situations où les affrontements se trouveraient déplacés sur des terrains de plus en plus constructifs. Afin que les intéressés eux-mêmes puissent y remédier, elles tenteraient de déceler les causes, souvent inconscientes, des conflits. Le recours à la force serait réservé aux cas absolument désespérés. Avant de s’y résoudre, les Soldats de la Paix déploieraient tout un éventail d’autres moyens, parmi lesquels : l’action sociale, les travaux réalisés en commun, le sport, l’expression artistique … ou la méditation. L’humour aurait évidemment une place au sein de cet arsenal. Lui aussi est désarmant et a le pouvoir de faire tomber les barrières. – Rire ensemble de nos travers et de nos problèmes, n’est ce pas un des meilleurs moyens pour devenir amis ? En procédant ainsi, il n’y aurait ni vainqueurs ni vaincus mais une expérience fructueuse pour les uns et les autres.

C’est au niveau le plus élémentaire que la paix se prépare ou se construit : par le dialogue, le désir de comprendre le point de vue de l’autre et d’en tenir compte. Le sentiment d’une identité de nature peut nous aider à surmonter bien des obstacles. Tout commence même à l’intérieur de chacun d’entre nous. Tout déséquilibre intérieur crée des tensions qui s’exprimeront fréquemment à l’extérieur sous forme de conflits. Si l’on porte un regard attentionné sur soi-même et si l’on prend en considération tous les aspects de notre personnalité sans en opprimer aucun, une paix profonde s’installe dans l’être. Lorsqu’un tel état est atteint, la qualité des relation est grandement améliorée et les problèmes trouvent plus facilement une solution.

L’exercice de la démocratie[modifier | modifier le wikicode]

Les choix politiques permettent de définir sur quelles base nous allons vivre ensemble et quels objectifs seront poursuivis en priorité. Les situations actuelles n’ont rien d’inéluctable : elles sont la conséquence des décisions qui ont été prises à un moment donné. Si nous changeons de point de vue ou d’attitude, de nouvelles orientations pourront être prises.

Les institutions démocratiques sont un acquis précieux mais relativement récent : nous en sommes encore au temps des balbutiements. Pour l’heure, nous les utilisons d’une manière qui n’honore guère les idéaux qui les ont inspirées. La plupart des citoyens n’ont qu’un intérêt superficiel pour les questions de fond : leur attention est le plus souvent polarisée par les dossiers vedettes ressassés par certains médias. Leurs sources d’information sont peu diversifiées et concernent surtout les faits les plus spectaculaires de l’actualité immédiate. Ils aimeraient que les pouvoirs publics apportent des solutions rapides et satisfaisantes aux problèmes qui les préoccupent mais si, pour atteindre ces objectifs, les dirigeants leur demandent de faire un effort de participation ou de consentir à quelques sacrifices, ils protestent ou essaient de s’y soustraire. L’idéal républicain ne semble pas avoir été véritablement assimilé. Au lieu de se prononcer en faveur des orientations qui leur semblent aller dans le sens du bien commun, beaucoup d’électeurs trouvent tout naturel de voter pour les candidats qui leur promettent de prendre soin des catégories ou des groupes auxquelles ils appartiennent ou avec lesquels ils ont des affinités particulières.

De leur côté, les responsables politiques ont tendance à oublier qu’ils sont avant tout les représentants de ceux qui leur ont accordé leurs suffrages et parfois aussi leur confiance. Le pouvoir dont ils disposent ne leur appartient pas en propre : il est celui que l’ensemble de la population exerce à travers eux. Comme beaucoup d’intermédiaires, ils sont passés d’une fonction de service à une position de domination. Ce glissement n’est pas seulement dû à leur ambition personnelle : il s’est également produit à cause des pressions de l’opinion publique ou parce que cela les plaçait dans une situation qui leur permettait d’assurer plus aisément le maintien de l’ordre social. Les politiciens sont devenus une catégorie sociale de plus, qui se comporte comme n’importe quelle autre et qui est ballottée de ci de là par la logique de mécanismes sur lesquels elle a peu de prise. Pour ne pas être éliminé, chacun en est réduit à défendre âprement ses intérêts. Tous n’ont pas le même degré de sincérité. Profitant de leur position, certains s’attribuent des avantages ou des privilèges en contradiction totale avec les règles ou des idées qu’ils sont sensés défendre ou incarner. Dans les démocraties véritables, les élus restent cependant dépendants du choix des électeurs. Les citoyens ont ainsi la possibilité de faire valoir leur point de vue. Malheureusement, ce jugement du peuple n’a pas que des effets bénéfiques : il suscite aussi l’inhibition et la dissimulation.

Afin de ne pas courir le risque de voir leur parti rejeté aux prochaines élections, la plupart des gouvernants n’osent pas prendre les mesures réputées impopulaires, même s’ils sont absolument convaincus de leur utilité. Des réformes importantes sont ainsi tragiquement remises à plus tard. Forcés de suivre les fluctuations de l’opinion publique, les élus doivent également épouser les modes intellectuelles les plus en vue et sacrifier l’intérêt général aux exigences des groupes les plus influents. Par un phénomène d’empiétement et de confusion des genres, la logique économique s’est imposée dans le domaine politique. De nombreux candidats en arrivent à se comporter comme des chefs d’entreprise ou des représentants de commerce particulièrement soucieux de leur image de marque. Ils ont tendance à considérer les citoyens comme des clients qu’ils tentent de séduire par toutes sortes de moyens. Ils cherchent à recueillir leurs suffrages comme d’autres le font avec des parts de marché. Beaucoup d’élus privilégient donc les actions spectaculaires et celles qui produisent des effets à court terme. Comme les solutions discrètes et celles qui demandent beaucoup de patience pourraient être peu comprises ou mal acceptées par la majorité, elles sont le plus souvent laissées de côté. Heureusement, tous ne cèdent pas à la facilité. Malgré les effets pervers du système électoral, le courage politique existe. Et ceux qui en font preuve sont des acteurs irremplaçables du progrès humain.

Fichier:Affiches électorales 2012.JPG

Entre les candidats, la concurrence est sévère, et les états-majors des partis organisent périodiquement des campagnes grandioses dans l’espoir de recueillir ainsi un grand nombre de voix. Pour couvrir les frais d’une telle propagande, les élus sont parfois amenés à avoir recours à des pratiques illégales ou à des arrangements avec des personnes ou des organisations que pourtant ils désapprouvent. Cette politique spectacle rejette dans l’ombre les esprits intègres qui œuvrent consciencieusement en profondeur. Ceux qui ont le sens de la mise en scène et de la répartie se trouvent au contraire mis en valeur. À cause de cet assujettissement aux apparences et à ce qui procure une satisfaction immédiate demandant peu d’efforts, nous éliminons souvent les personnes dont nous aurions véritablement besoin. Ces mascarades représentent un gaspillage d’énergie considérable. Elles nuisent au respect des institutions, empêchent l’instauration d’un dialogue sincère et ne laissent que peu de temps pour une étude sérieuse des dossiers. Il n’est donc pas surprenant que les conditions sociales aient actuellement tendance à se dégrader ou en tout cas à évoluer peu, malgré le progrès des mentalités et l’étendue des moyens désormais à notre disposition. La bonne volonté et le sérieux des représentants n’est pas particulièrement en cause : les mêmes tendances sont présentes dans tous les domaines du champ social. Il y a partout des personnes dévouées et sincères et d’autres qui poursuivent avant tout leur intérêt. Néanmoins, bien que nous sachions que chacun est un cas particulier, nous nous laissons souvent aller à juger par catégorie.

Discréditer systématiquement le personnel politique est devenu une pratique courante, surtout dans les pays où elle ne comporte aucun risque[1]. Cette absence de nuances affaiblit l’état qui, à la longue, devient incapable de résister aux pressions des pouvoirs économiques et aux assauts des extrémismes de tous ordres. Le dénigrement des élus, des lois et des institutions empêche l’élaboration de critiques débouchant sur des propositions constructives. Il ne bénéficie pas au peuple mais à ceux qui cherchent à réduire l’importance de l’espace public.


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Si nous voulons améliorer la qualité de la vie démocratique, nous devons entreprendre un certain nombre de réformes grâce auxquelles la politique pourrait être à nouveau source d’espérance pour un grand nombre de personnes. Il serait tout d’abord souhaitable de créer des organismes indépendants qui observeraient le jeu politique sans complaisance mais sans acharnement inutile. Certains établiraient des bilans précis et publieraient des rapports où apparaîtraient clairement les éventuels décalages entre les promesses et les réalisations effectives. D’autres auraient pour fonction de présenter les situations et des événements d’une manière aussi distanciée que possible. Ils analyseraient les dossiers grâce à des apports et des grilles de lecture pluridisciplinaires. Ils recenseraient l’ensemble des solutions pouvant être envisagées et tenteraient d’évaluer les conséquences à plus ou moins long terme. Les responsables politiques et ceux qu’ils représentent seraient ainsi mieux informés et pourraient choisir en connaissance de cause. Ces instances ne seraient pas seulement composées de spécialistes et d’autorités de tous ordres : les simples citoyens qui feraient l’effort de s’impliquer auraient également voix au chapitre. Ces mesures ne garantiraient pas contre les erreurs et les abus mais elles permettraient l’élaboration et la mise en œuvre de politiques plus courageuses et plus responsables. Elles seraient sans doute source de progrès durables avec un minimum de retombées négatives.

Comme tous les modes de sélection, les consultations électorales éliminent une partie des possibilités. Dans certains cas, cela débouche même sur une sorte de « tyrannie de la majorité. » N’étant pas pris en considération, les courants minoritaires sont parfois tentés de faire régner la terreur ou d’avoir recours à des alliances dénaturantes. Pour éviter cette situation et réduire l’importance des luttes parfois impitoyables et absurdes pour le pouvoir, nous devons sortir de l’alternative du tout ou rien. Si un candidat n’a pas été élu mais a recueilli un nombre appréciable de voix, il devrait pouvoir accéder à une fonction de moindre importance, mais où il aurait néanmoins la possibilité de jouer un rôle non négligeable. Il pourrait notamment le faire en tant que diplomate, médiateur ou auxiliaire chargé de modéliser des solutions. Cela demanderait de sa part de profondes remises en question, car il devrait parfois aider ses adversaires à atteindre des objectifs qui sont aussi les siens, mais qui seraient alors poursuivis en utilisant des moyens très différents de ceux qu’il aurait mis en œuvre s’il avait été élu. Ces expériences de coopération seraient évidemment subtilement dosées. À la longue, elles déboucheraient peut-être sur de plus larges accords. Les contradictions ne disparaîtraient pas pour autant mais, au lieu de s’exprimer sous forme de ressentiments ou d’âpres conflits, leur dynamisme serait utilisé pour avancer sur une voie acceptable par les différents protagonistes. Comme les politiciens les plus représentatifs auraient l’assurance de ne pas se retrouver à l’écart, les débats seraient plus sereins, les positions moins caricaturales et les critiques plus constructives. N’ayant plus de ce fait à subir des pressions aussi importantes, les responsables pourraient gouverner avec davantage d’aisance et d’efficacité.

L’exercice du pouvoir isole, avec tous les risques que cela comporte. Afin de faciliter la compréhension entre la base et le sommet, des instances jouant le rôle d’intermédiaires pourraient être créées. Elles rendraient plus aisé les contacts et le va-et-vient des informations. Les simples citoyens auraient ainsi la possibilité d’être plus facilement partie prenante dans l’élaboration des projets. Le cas échéant, ces organismes accompagnateurs interviendraient pour que leurs demandes soient véritablement prises en considération. Il y aurait une délégation de pouvoirs partout où cela est possible, dès lors que cela ne mettrait pas en péril la cohérence des actions entreprises. À tous les échelons, il existerait ainsi des relais où, en accord avec l’état d’esprit général, des décisions pourraient être prises en fonction du contexte précis et une consultation fréquente des personnes impliquées ou directement concernées. Par respect envers le droit de vote et pour que tous soient des citoyens à part entière, chacun recevrait une instruction civique adaptée à ses capacités et à sa situation.

Mises à part des critiques qui ne nous engagent à rien, nous avons généralement tendance à n’être que de simples consommateurs de solutions proposées par les professionnels de la politique. Les élus ont rarement un pouvoir aussi étendu qu’on le croit. Certains sont animés par un réel idéalisme mais ils se heurtent souvent à une inertie et à des oppositions qui ne leur laissent qu’une faible marche de manœuvre. Au fond d’eux-mêmes, beaucoup de citoyens ne demanderaient pas mieux que de jouer un rôle plus constructif. Mais, pour sortir de la résignation et s’engager, il faut avoir la conviction que les efforts auxquels on consent ne seront pas vains. Les mesures précédemment évoquées, contribuerait sans doute à restaurer un climat de confiance. Le jeu politique en serait transformé. Il ne s’agirait plus d’un face à face, avec son alternance de fascination et de dénigrement ou ses oscillations entre séduction et autoritarisme : les simples citoyens et leurs représentants regarderaient dans la même direction.

Solon: un grand législateur et réformateur d'Athènes

Gouverner, c’est notamment être au service de ce qui relie tous les membres d’une communauté. Les idéaux triomphent plus facilement lorsqu’ils sont portés ou incarnés par des personnalités animées de fortes convictions. Si les pratiques démocratiques s’affinaient, les responsables ressembleraient de moins en moins à des chefs de clan : ils s’apparenteraient plutôt aux capitaines de ces équipes qui jouent pour la simple joie que procure le jeu. Si chacun cherche avant tout l’harmonie générale, un accord satisfaisant pour tous finit par être trouvé. Les antagonismes proviennent du fait que chacun privilégie certains objectifs et néglige les autres. Si personne n’est laissé de côté et si tous les domaines sont pris en considération, l’on s’aperçoit que les différentes tendances politiques sont complémentaires. Chacune représente une note, grave ou légère, qui, lorsqu’elle est correctement interprétée, concourt à l’expression pleine et entière de l’âme collective. Les prises de décision ne doivent d’ailleurs être monopolisées dans aucun secteur. L’esprit démocratique ne doit pas s’arrêter aux portes de l’entreprise ou rester inopérant au sein des administrations. Pour remédier à cette situation, des expériences pourraient être tentées, et étendues ensuite progressivement en fonction des résultats obtenus.

Créer des conditions supposées favorables est important mais ne doit pas être surestimé : tout dépend finalement de l’attitude des êtres humains qui en bénéficieront. Les institutions doivent comporter des protections contre l’aveuglement et les abus de pouvoir. Elles ne doivent cependant pas empêcher les possibilités d’initiative des précurseurs, de ceux qui voient haut et loin et qui sentent, parfois contre le sens commun et l’avis de la plupart de leurs contemporains, ce qu’il convient de faire. Même partagé et réglementé, l’exercice du pouvoir mérite de rester un acte solennel qui demande un engagement impliquant l’ensemble de la personne. Il convient de distinguer entre les désirs exprimés et les aspirations plus profondes. Souvent oubliées, celles-ci restent sans voix à force d’être considérées comme un luxe de nantis auxquels on se promet d’accorder une place lorsque tout le reste aura pu être satisfait. Les dirigeants véritablement respectueux du peuple ne se conforment pas strictement à la volonté du plus grand nombre. Ils ne se contentent pas non plus de prendre des orientations qui s’efforcent de concilier les désirs exprimés par chaque tendance. Pour trouver la voie à suivre, ils se mettent à l’écoute des besoins subtils qui se trouvent derrière les revendications qui tiennent le haut du pavé.

  1. À travers cette soupape de sécurité, nous exprimons tous les refus que, par ailleurs, nous n’osons pas formuler, par peur des représailles.