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Psychologie positive/Economie et Société

Leçons de niveau 17
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Economie et Société
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Chapitre no 10
Leçon : Psychologie positive
Chap. préc. :Performance
Chap. suiv. :Psychologie positive et neurosciences
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L’objectif de cette section est de présenter les différents champs d’application de la psychologie positive dans la sphère économique en général et dans la sphère sociétale. En effet, des applications toujours plus nombreuses des recherches menées par psychologues et économistes autour de ce qui nous rend heureux, se retrouvent dans différentes sphères par essence collectives : la finance, la richesse, la gouvernance démocratique, la responsabilité sociale et environnementale, le travail… (Larabi, 2019)[1]

Économie du bonheur

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Le premier sujet d’exploration des liens entre psychologie positive et économie s’incarne dans l’économie du bonheur. Même si on en trouve des précurseurs dans le Survey Research Center dirigé par George Katona de l’Université du Michigan dès les années 1950, l’article fondateur de ce courant revient à Richard Easterlin en 1974 (Easterlin, 1974)[2]. Cet économiste américain a étudié empiriquement le lien entre richesse et bonheur, montrant l’intérêt d’aller questionner les individus sur leur satisfaction de vie et leur bonheur subjectif au-delà de leurs seuls revenus financiers (voir paragraphe suivant Richesse et bonheur.)

L’économie du bonheur est donc une branche récente de l’économie, en plein essor depuis les années 1990-2000. Erigée au rang de véritable discipline académique, elle vise à comprendre et recréer les conditions du bonheur pour le plus grand nombre, reposant sur la notion de bonheur subjectif qu’elle s’efforce de définir et de mesurer. Pour ce faire, elle observe et analyse les déterminants économiques du bien-être subjectif des individus tel qu’il est déclaré dans les enquêtes. Elle se distingue de l’économie du bien-être qui, elle, fonde ses analyses sur des considérations objectives et générales (santé, éducation, environnement…).

Aussi afin de relever ce défi de l’identification des circonstances dans lesquelles les gens tendent à être heureux et leur re-création pour tous, les sciences économiques s’intéressent depuis les années 1970, (mais plus encore depuis les années 1990), à de nouveaux paramètres. Elles sortent ainsi du paradigme de l’intérêt individuel comme unique déterminant rationnel du comportement économique et envisagent le comportement « non rationnel » des individus dans leur recherche du bonheur. Les variables psycho-socio-démographiques s’intègrent aux modèles d’analyse et les corrélations entre bonheur subjectif et âge, genre, argent, mariage, chômage, soutien social, démocratie, etc… sont étudiées. La question de la richesse d’un pays et des revenus des individus est au cœur de la réflexion de l’économie du bonheur qui vient préciser les liens identifiés entre les 2.

Par ailleurs les différentes initiatives relatives à l’institution de nouveaux indicateurs de progrès socio-économiques et de bonheur relèvent directement de l’interaction entre psychologie positive et économie, allant jusqu’à redéfinir le terme de richesse. Ces initiatives replacent l’aspiration au bonheur individuel et collectif au cœur du projet de la société.

Richesse et bonheur

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Un premier champ d’application de la psychologie positive sur l’économie s’incarne donc dans l’exploration des relations entre bonheur et richesse. Ainsi l’adage dit que « L’argent ne fait pas le bonheur… » «… mais qu’il y contribue ! » . Les travaux d’Easterlin (1974) ont permis d’explorer expérimentalement ce qui se cachait derrière ce proverbe populaire. Il a établi que la richesse d’une nation contribue de moins en moins à la satisfaction de vie de ses citoyens au fur et à mesure que le PIB augmente (Larabi, 2019)[3].

Le paradoxe d’Easterlin tel qu’il a alors été nommé désigne le fait qu’au-delà d’un certain seuil, la poursuite de la hausse du revenu ou du PIB par habitant ne résulte pas nécessairement en une augmentation du niveau de bonheur individuel déclaré par les individus. Par exemple, en France, de 1973 à 2008, le PIB a augmenté de 113% et la satisfaction de vie des Français est (paradoxalement) restée constante (Larabi, 2019)[4].

Comment expliquer ce paradoxe ? Easterlin pointe l’éternelle insatisfaction que génère la société de consommation. Une autre explication réside dans le phénomène d’habituation hédonique tel que défini par Diener, (2000[5]) où à chaque augmentation de salaire, correspond une augmentation du niveau de vie et de ses aspirations de sorte que de nouveaux besoins à satisfaire apparaissent en continu.

Bonheur et matérialisme

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Dans la continuité d’une meilleure compréhension du concept de richesse et de son lien avec le bonheur, une autre application de la psychologie positive dans l’économie et la société se retrouve dans l’éclairage qu’elle apporte à la question du lien entre bonheur et matérialisme. Les milliards dépensés en campagnes publicitaires chaque année dans le monde laissent penser qu’une vie heureuse est une vie de consommation. Alors existe-il une corrélation entre bonheur et consommation, bonheur et accumulation de biens ?

C’est une question à laquelle le psychologue Tim Kasser (Kasser & Kanner, 2004[6]) s’est particulièrement intéressé. Ses recherches démontrent que plus les gens valorisent le matérialisme, moins ils se déclarent heureux et satisfaits de leurs vies. Ils se révèlent également moins empathiques et moins soucieux de leur impact sur la planète. Ces travaux mettent en lumière un effet qualifié de balançoire entre les valeurs matérialistes et les valeurs sociales (Larabi, 2019)[7], c’est-à-dire que plus les unes augmentent, plus les autres diminuent. Le matérialisme représenterait une entrave au développement de valeurs prosociales telles que la valorisation de relations familiales, amicales, la participation communautaire, ce qui impacterait à son tour négativement le bien-être des individus et de la société. Ces résultats ont été retrouvés pour différents groupes d’âge et de populations à travers le monde, montrant que la corrélation entre bonheur et matérialisme serait en réalité négative.

Indicateurs de progrès socio-économiques et bonheur

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Les recherches d’Easterlin, pionnières en économie du bonheur ont également initié les réflexions des Etats sur leur modèle de développement. Easterlin avait en effet conclu ses travaux par la nécessité de créer de nouveaux paramètres pour développer nos sociétés tant sur le plan social qu’en termes de croissance économique.

Ainsi, l’émergence d’une autre forme de mesure du progrès permettant de doter les Etats de nouveaux outils de pilotage pour guider les politiques publiques sont un autre exemple de l’application de la psychologie positive dans l’économie.

En France, cette application gouvernementale de la psychologie positive s’est matérialisée par la création, le 8 février 2008, de la Commission pour la Mesure des Performances Economiques et du Progrès Social (CMPEPS) ou Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi réunissant 27 membres experts en économie et en sciences sociales dont 5 prix Nobel d’Economie. La Commission avait pour mission de « déterminer les limites du PIB en tant qu’indicateur des performances économiques et du progrès social, de réexaminer les problèmes relatifs à sa mesure, d’identifier les informations complémentaires qui pourraient être nécessaires pour aboutir à des indicateurs du progrès social plus pertinents, d’évaluer la faisabilité de nouveaux instruments de mesure et de débattre de la présentation appropriée des informations statistiques. » (Stiglitz et al., 2009)[8]

Le rapport final a préconisé l’élaboration d’un tableau de bord regroupant plusieurs indices autour de 3 grands axes :

1. L’axe économie avec une amélioration de la façon de calculer le PIB.

2. L’axe bien-être avec une évaluation tant au niveau subjectif qu’objectif avec la prise en compte de la consommation, de la répartition des revenus et du patrimoine (et non plus seulement de la production)

3. L’axe soutenabilité du développement avec 2 grands angles d’approche : un indicateur monétaire synthétique de soutenabilité et des indicateurs physiques (comme la mesure du réchauffement climatique par exemple)

Ainsi en France, depuis la loi du 13 avril 2015, le PIB n’est plus le seul indicateur de la richesse. 10 indicateurs de référence sont utilisés comme outils de pilotage des politiques publiques permettant de prendre en compte des données sociales et environnementales en plus des données économiques. Il s’agit du taux d’emploi, de l’effort de recherche, de l’endettement, de l’espérance de vie sans incapacité, de la satisfaction de vie, des inégalités de revenus, de la pauvreté en condition de vie, des sorties précoces du système scolaire, de l’empreinte carbone et de l’artificialisation des sols.

Bonheur et travail

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Un autre exemple de l’application de la psychologie positive dans la sphère économique et sociétale se retrouve dans le monde du travail. Les fonctionnements positifs au travail s’analysent à des niveaux distincts mais qui interagissent entre eux : individuel, interindividuel et enfin institutionnel. Ainsi le bonheur au travail est un véritable enjeu économique. Démontré comme source de plus grande productivité, il est synonyme de croissance et de performance. L’étude de Lyubomirsky et al., (2005[9]) révèle ainsi qu’un collaborateur heureux est moins absent, plus productif, plus créatif (+55%) et innovant (+31%).

La création du fonds d’investissement Happy@work de Sycomore et ses résultats illustrent la valorisation économique du bonheur au travail. Sycomore a créé un fonds d’investissement dans lequel les valeurs boursières sont sélectionnées sur la base de l’épanouissement des collaborateurs. Happy@work investit ainsi dans les sociétés européennes qui accordent une importance particulière à 5 axes stratégiques de la valorisation du capital humain et du bonheur au travail : le sens, l’autonomie, les compétences, les relations et l’équité. Après 3 ans, la performance du fonds a augmenté de 34% , confirmant que « la création de valeur durable des entreprises passe par l’engagement et l’épanouissement des collaborateurs » (Larabi, 2019)[10]

De même que les indicateurs du PIB se sont élargis, la raison d’être des entreprises ne peut plus se résumer à la seule recherche de profit. Les propositions de la loi Pacte, (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des entreprises) en débat à l’Assemblée Nationale à l’automne 2018 sont une illustration de l’injonction faite aux entreprises de considérer les enjeux sociaux et environnementaux et non seulement économiques. Cette loi vise à refondre l’objet social de l’entreprise en intégrant au cœur de sa définition au sein de l’article 1833 du Code civil, la prise en compte des intérêts sociaux et environnementaux. Dans le même sens, le projet de loi propose une modification de l’article 1835 du Code civil afin d’intégrer au statut de l’entreprise la définition d’une raison d’être.

Ainsi, la création de valeur d’une société dépasse les exigences de rendement à court terme et se préoccupe de l’ensemble des parties prenantes : investisseurs, fournisseurs, clients, mais également les collaborateurs et l’environnement.

Psychologie positive et responsabilité environnementale

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En plus des impacts économiques et sociétaux précédemment évoqués, la psychologie positive a également son rôle à jouer dans la résolution de graves problèmes environnementaux.

L’étude du cas de la reconstruction de la couche d’Ozone illustre comment des attitudes et des comportements tels que l’empathie ou la coopération permettent d’inverser des tendances délétères pour notre société.

Mostafa Tolba, directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP) a engagé toutes les parties concernées à joindre leurs efforts pour travailler en concertation et coopération pour parvenir à résoudre le problème, chacune avec des tâches et responsabilités spécifiques. « La signature du protocole de Montréal en 1987 a été le point de départ de la plus remarquable collaboration internationale en faveur de l’environnement : les 191 parties impliquées (communauté scientifique, ONU, Etats membres, ONG et industriels) dans le protocole ont réduit de 95% leur consommation de substances néfastes pour la couche d’ozone. (Lecomte, 2019)[11].

Le cas de la dépollution de la Vallée du Rhin qualifié dans les années 1980 de « plus gros égout du monde » est un autre exemple des formidables résultats obtenus en favorisant la prise de conscience de la responsabilité environnementale des entreprises et des bienfaits de l’engagement dans cette voie. Le Rhin a été qualifié en 1996 de cours d’eau le plus propre d’Europe grâce à l’implication de Neelie Kroes, ministre néerlandaise des Transports qui a incité les industriels, militants écologistes et ministres de l’environnement à travailler ensemble pour trouver des solutions collégiales. Ces exemples montrent que certaines attitudes et valeurs issues de la psychologie positive (confiance en l’autre, coopération, bienveillance…) peuvent avoir un impact positif, non seulement au niveau organisationnel mais aussi à un niveau sociétal et international.


Les contributions de la psychologie positive à l’économie sont transversales. Ces recherches amènent à la création de nouveaux outils politiques, à de nouvelles réglementations, établissant le paradigme du bonheur subjectif au centre des considérations économiques.

  1. Saphia Larabi et Alexandre Jost, « Chapitre 5. Économie et psychologie positive: », dans Psychologie positive, Dunod, (ISBN 978-2-10-079407-2, DOI 10.3917/dunod.marti.2019.01.0087, lire en ligne), p. 87–110
  2. (en) Richard A. Easterlin, « Does Economic Growth Improve the Human Lot? Some Empirical Evidence », dans Nations and Households in Economic Growth, Elsevier, (ISBN 978-0-12-205050-3, DOI 10.1016/b978-0-12-205050-3.50008-7, lire en ligne), p. 89–125
  3. Saphia Larabi et Alexandre Jost, « Chapitre 5. Économie et psychologie positive: », dans Psychologie positive, Dunod, (ISBN 978-2-10-079407-2, DOI 10.3917/dunod.marti.2019.01.0087, lire en ligne), p. 87–110
  4. Kasser, T., & Kanner, A. D. (2004). Psychology and consumer culture : The struggle for a good life in a materialistic world (p. xi, 297). American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/10658-000
  5. Diener, E. (2000). Subjective well-being : The science of happiness and a proposal for a national index. American Psychologist, 55, 34‑43. https://doi.org/10.1037/0003-066X.55.1.34
  6. Kasser, T., & Kanner, A. D. (2004). Psychology and consumer culture : The struggle for a good life in a materialistic world (p. xi, 297). American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/10658-000
  7. Kasser, T., & Kanner, A. D. (2004). Psychology and consumer culture : The struggle for a good life in a materialistic world (p. xi, 297). American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/10658-000
  8. Stiglitz, J. E., SEN, A., & FITOUSSI, J.-P. (2009, septembre 15). Rapport de la Commission Stiglitz sur la mesure des performances économiques et du progrès social. Socioeco.org. https://www.socioeco.org/bdf_fiche-document-55_fr.html
  9. Lyubomirsky, S., King, L., & Diener, E. (2005). The Benefits of Frequent Positive Affect : Does Happiness Lead to Success? Psychological Bulletin, 131, 803‑855. https://doi.org/10.1037/0033-2909.131.6.803
  10. Lyubomirsky, S., King, L., & Diener, E. (2005). The Benefits of Frequent Positive Affect : Does Happiness Lead to Success? Psychological Bulletin, 131, 803‑855. https://doi.org/10.1037/0033-2909.131.6.803
  11. Lecomte, J. (2019). Chapitre 6. La psychologie positive au travail. In Psychologie positive (p. 111‑129). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.marti.2019.01.0111