Approfondissement sur les suites numériques/Cycles et chaos
Dans ce chapitre, nous nous intéressons principalement aux suites qui ne convergent pas, ni ne divergent. Certaines d'entre elles « oscillent » entre plusieurs valeurs : on dit qu’elles décrivent des cycles. Parfois, l'étude de ces cycles révèle certains caractères surprenants des suites.
Cycles d'ordre p
[modifier | modifier le wikicode]On appelle cycle d'ordre p, ou p-cycle, avec p un entier positif supérieur à 1, la donnée de p points :
tels que :
Soit une suite définie par une récurrence de la forme :
Alors :
- les points x tels que ƒ(x) = x sont les points fixes de la suite ;
- les points x tels que ƒ(ƒ(x)) = x sont les points d'un 2-cycle de la suite ;
- les points x tels que ƒ(ƒ(ƒ(x))) = x sont les points d'un 3-cycle de la suite ;
Tout point fixe est solution de ƒ(ƒ(x)) = x, de ƒ(ƒ(ƒ(x))) = x, ... il faut en tenir compte lors de la recherche de cycles, cela permet souvent de simplifier leur étude.
Cycles limites
[modifier | modifier le wikicode]Lorsqu'une suite atteint un point d'un cycle, elle prend un nombre infini de fois les valeurs des points de ce cycle : on parle de cycle-limite ou cycle limite. Dans un tel cas, la suite ne diverge pas et ne converge pas, mais elle est bornée.
Exemple : l'équation logistique
[modifier | modifier le wikicode]Il existe une célèbre équation, appelée équation logistique, que nous allons étudier pour introduire les notions utiles à ce chapitre. On définit la suite logistique par la relation de récurrence :
et la donnée de deux nombres réels :
- 0 ≤ µ ≤ 4 ;
- x₀ dans l'intervalle [0, 1].
Selon ces deux valeurs, la suite aura un comportement très différent. Nous verrons également comment résumer l'étude que l’on va faire sous la forme d'un seul diagramme, appelé diagramme de bifurcation.
Premier cas : 0 ≤ µ ≤ 1
[modifier | modifier le wikicode]Étudions la suite pour 0 ≤ µ ≤ 1. On admet que le comportement de la suite est le même sur tout l'intervalle des valeurs possibles. On note ƒ la fonction telle que :
Cherchons les points fixes de ƒ, c'est-à-dire les points x tels que :
On trouve deux solutions à ce trinôme, mais la seule dans [0, 1] est x = 0. Ainsi, si la suite converge, elle tend vers 0. Étudions le signe de ƒ(x) - x :
Une étude rapide de la fonction montre qu'elle est de signe négatif sur l'intervalle des valeurs de x, donc, d’après le chapitre précédent, la suite est décroissante.
Décroissante et minorée par 0, elle converge — ƒ étant continue, la suite converge vers un point fixe.
Conclusion :
La suite tend vers .
Second cas : 1 ≤ µ ≤ 2
[modifier | modifier le wikicode]Il y a deux solutions à l'équation précédente :
et
- Supposons x₀ < (1 - 1/µ). En effet, A = [0; 1 - 1/µ] est un intervalle stable par ƒ. La fonction ƒ(x) - x est positive sur A, donc la suite est croissante. Croissante et majorée, elle converge — ƒ étant continue, la suite converge vers un point fixe. Si x₀ = 0, celle limite est nulle. Sinon, celle limite est (µ - 1)/µ.
- Supposons maintenant x₀ > 1/µ (µ/4 correspond au maximum de ƒ). Alors, par symétrie de ƒ, ou par calcul direct, on montre que x₁ < (1 - 1/µ), et on se retrouve dans le premier cas.
- Supposons enfin que x₀ est dans l'intervalle [1 - 1/µ; 1/µ], lequel est symétrique. On montre de même que la suite est décroissante sur cet intervalle, donc converge.
Conclusion :
La suite tend vers .
Troisième cas : 2 ≤ µ ≤ 3
[modifier | modifier le wikicode]On montre de même, quoique péniblement, la convergence de la suite, vers la même limite.
La suite tend vers .
Cas ultérieurs : µ > 3
[modifier | modifier le wikicode]À partir de µ = 3, il n'y a plus de points fixes, donc la suite ne peut plus converger. C’est là que les choses deviennent intéressantes. Il faut commencer à chercher les cycles d'ordre deux, c'est-à-dire les points x solutions de :
En développant, on obtient un polynôme du quatrième degré — mais on en connait déjà deux solutions : les deux points fixes de la suite. On peut donc la mettre sous une agréable forme (c'est-à-dire une équation du second degré), et la résoudre facilement. On obtient donc aisément la paire de solutions :
On remarque que :
Il y a donc un unique cycle d'ordre deux. On montre qu’il est présent tant que µ < 1+√6.
Au-delà de cette valeur, il faut chercher les solutions de ƒ(ƒ(ƒ(ƒ(x)))) = x, qui révèle un cycle d'ordre quatre. Et ainsi de suite... il faut chercher des cycles d'ordre de plus en plus grand.
Passé une certaine valeur — environ µ > 3,57 — le système devient clairement « chaotique » : une infime différence pour μ a des conséquences énormes (et imprévisibles) sur l'issue du système.
Diagramme de bifurcation
[modifier | modifier le wikicode]Pour résumer cette étude (qu'on peut aisément automatiser), il est possible de la représenter graphiquement. Cela s’appelle tracer un diagramme de bifurcation.
- On mesure sur l’axe des abscisses la valeur de μ.
- Pour chaque abscisse, on place en ordonnée le point vers lequel la suite converge, ou le cas échéant les points du cycle vers lesquels la suite converge.
On obtient une diagramme comme celui qui suit :
On vérifie les résultats établis précédemment : il y a une courbe (un point fixe), qui se divise en deux (un 2-cycle), lesquelles se divisent chacune en deux (un 4-cycle), etc.
Passé une valeur critique, la suite a un comportement surprenant, qui apparaît sur la zone droite du diagramme.
Caractère d'un point fixe
[modifier | modifier le wikicode]Il est parfois intéressant de définir ce que l’on appelle le caractère d'un point fixe, c'est-à-dire le comportement qu'aura la suite à proximité d'un tel point.
Soit x un point fixe pour la suite considérée, et soit ε un « petit paramètre », non nul.
- x est un point attracteur lorsque la suite de premier terme x ± ε tend vers x ;
- x est un point répulsif lorsque la suite de premier terme x ± ε s'éloigne de x ;
- x est un point indifférent lorsque la suite de premier terme x ± ε décrit un cycle autour de x ;
Parfois, la recherche des points indifférents permet d'obtenir des informations pertinentes (voir l'exercice 2 : la cardioïde principale), car il est courant qu’ils séparent l’ensemble des points attracteurs de celui des points répulsifs.