Recherche:Sur l’extension des genres grammaticaux en français/fluide
Le terme de genre fluide trouve assurément des emplois dans la littérature, mais ces emplois se rapportent essentiellement à des cas extra-grammaticaux, comme l’analyse littéraire[3] ou la musicologie[4][5] . Il en est notamment fait usage dans le cadre d’analyses sociologiques[6][7][8][9][10][11] et de débats de société sur le genre comme attribut d’identité civique, comme dans les propos de Bernadette Renauld publiés en 2018 dans l’Annuaire international de justice constitutionnelle[12] :
Par rapport à cela, se pose la question des personnes qui ont une identité de genre fluide, c’est-à-dire une identité de genre qui évolue au cours de la vie.
De manière générique, ce qui caractérise le genre fluide, c’est donc une ouverture à la variance, notamment par des changements de statut ou d’état à travers le temps. Ou de façon un brin plus abstraite, une variance laissant explicitement liberté d’interprétation au grès du contexte d’emploi. Ainsi défini, le genre fluide pourrait de toute évidence servir dans l’analyse grammaticale.
Il importe ici de noter qu’un genre grammatical fluide ne saurait convenablement décrire les cas où l’usage hésite sur le genre d’un mot, car la fluidité n’implique aucunement une quelconque incertitude et que la variation dans les usages indique uniquement un dissensus au sein d’une communauté linguistique là où un genre fluide annonce une détermination variable dans le temps mais ponctuellement déterminable.
Il en va de même pour le terme de genre mouvant, qui trouve par exemple déjà emploi dans l’analyse littéraire[13][14][15] et la sociologie[16] dans des considérations sémantiques similaires à celles décrites précédemment.
La même notion, ou tout au moins une notion largement similaire, est également abordée sous l’appellation de tiers inclus, et cette fois en prise direct avec la notion grammaticale. Véronique Perry, en s’appuyant sur l’exemple de l’anglais synthétise comme suit en 2015[17] :
Le « tiers inclus » en anglais constitue un potentiel sémiotique qui dépasse le neutre : il peut stratégiquement alterner avec le masculin et le féminin pour devenir effectivement parfois neutre pour les non-animés (it/ they) mais également épicène (commun) ou « autre » pour les animés (one/they) en fonction des situations d’énonciation.
Il convient de faire remarquer qu’une telle sémantique n’est pas congruente avec le concept de tiers inclus tel que développé par Stéphane Lupasco, ou même comme le rejet du tiers exclus du constructivisme qui dans son courant intuitionniste en fait l’économie en même temps que de la notion d’infinie et d’axiome du choix, approche dont découlent les démonstrations mathématiques associables à un algorithme. Dans ces perspectives épistémologiques, le tiers n’est pas une possibilité d’alternabilité catégorique, mais une catégorie à part entière. Toujours est-il que les propos de Véronique Perry peuvent être mis en parallèle de ceux de Jean Dubois sur la désignation des animaux en 1989[18] :
Dans les laboratoires, on utilise davantage de chimpanzés femelles, pour des raisons de meilleure résistance, et il arrive qu'on dise la chimpanzé.
Ce qui tendrait à faire de chimpanzé un terme fluide : féminin ou masculin, convoyant respectivement les traits femelle et mâle, en plus du générique qui est mêlé de façon plus prégnante, si ce n’est exclusive, au masculin. Il faut aussi noter, comme il n’avait pas échappé à Jean Dubois, l’existence du terme guenon qui induit nécessairement le trait femelle et singe, mais sans désigner spécifiquement un homonyme à Homininae Homini Panina Pan, comme le désigne une des classifications phylogénétique contemporaine. Le TLFi indique que le féminin se rencontre dans la documentation[19], et le Wiktionnaire indique pour la femelle, on dit : chimpanzée[20], avec suffixation purement écrite d’un -e. De fait les deux graphies sont en usage dans la presse contemporaine pour la variante féminine désignant une femelle[21][22]. L’emploi d’un féminin générique pour au moins une de ces deux graphies resterait à démontrer par quelques attestations. Ce qui ne signifie pas qu’un terme réputé féminin soit forcément moins générique qu’un masculin. Au contraire, girafe est lexicographiquement décrit seulement comme féminin, aussi pour un mâle la seule expression jugé ordinaire au prisme dictionnairique sera une girafe mâle. Aussi si une chimpanzé femelle sera vraisemblablement perçu comme pléonastique, ça ne sera pas le cas en général d’une girafe femelle. Et pour sa part, un girafe, femelle, générique ou mâle, semblera vraisemblablement agrammatical à la plupart des francophones contemporains. Ce qui n’empêche évidemment pas d’en trouver des attestations[23][24][25], que ce soit par erreur de dactylographie, médiocre traduction automatisée ou volonté délibérée de déroger à l’usage implicitement admis par le locuteur qui l’énonce. À défaut de pouvoir directement en démêler les ressorts cognitifs, il convient donc de constater qu’il y a bien des noms communs en français qui bénéficient d’une certaine fluidité entre féminin, générique et masculin, mais elle n’est pas uniformément répartie.
Pour aller plus loin sur les notions connexes à celles présentées dans cette section, il sera utile de consulter les références afférentes[26][27][28][29][30][31][32].
Références
[modifier | modifier le wikicode]- ↑ (en) « Michel Serres book excerpt: Percolation and multiple temporalities », sur Christopher Watkin, (consulté le 19 décembre 2021)
- ↑ Bernadette Bensaude-Vincent, Temps-paysage : pour une écologie des crises, DL 2021 (ISBN 978-2-7465-2203-9 et 2-7465-2203-9) (OCLC 1240421290) [lire en ligne]
- ↑ Lucille Guilbert, « Médiation culturelle et résilience : la pratique du dit de vie en groupe interculturel », Frontières, vol. 22, no 1-2, 2009, p. 108–119 (ISSN 1180-3479 et ISSN 1916-0976) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-04)]
- ↑ (en) William Echard, « Expecting Surprise Again: Neil Young and the Dialogic Theory of Genre », Canadian University Music Review / Revue de musique des universités canadiennes, vol. 22, no 2, 2002, p. 30–47 (ISSN 0710-0353 et ISSN 2291-2436) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-04)]
- ↑ Maxime McKinley, « Commencer (divagations festives pour les 30 ans de Circuit) », Circuit : musiques contemporaines, vol. 30, no 1, 2020, p. 85–89 (ISSN 1183-1693 et ISSN 1488-9692) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-04)]
- ↑ Julie Richard, « Des praxis queer qui décolonisent les espaces publics », Espace : art actuel, no 127, 2021, p. 32–39 (ISSN 0821-9222 et ISSN 1923-2551) [texte intégral (page consultée le 2021-12-04)]
- ↑ Denise Medico, « Développer la résilience chez les jeunes trans et non binaires : un modèle basé sur l’éthique de la reconnaissance d’Axel Honneth », International Journal of Child and Adolescent Resilience, vol. 8, no 1, 2021-09-14 (ISSN 2292-1761) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-04)]
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