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Méthodologie de la fiche d'arrêt/Arrêt FORMINDEP, CE, 2011

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Arrêt FORMINDEP, CE, 2011
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Chapitre no 4
Leçon : Méthodologie de la fiche d'arrêt
Chap. préc. :Arrêt Poussin I, C. Cass, 1978
Chap. suiv. :Arrêt Communauté de Martigues, CE, 2013
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Méthodologie de la fiche d'arrêt/Arrêt FORMINDEP, CE, 2011
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           L’Étude annuelle du Conseil d’État de l’année 2013 avait pour objet le droit souple. Son ancien vice-président, Jean-Marc Sauvé, soutient dans celle-ci qu’« il n’existe aucune contradiction entre la reconnaissance du droit souple et une meilleure qualité du droit. Par un emploi raisonné, il peut pleinement contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation. »

Cette reconnaissance du droit souple est l’objet de l’arrêt du Conseil d’État du 27 avril 2011.

L’association requérante, FORMINDEP, a demandé à la Haute Autorité de Santé (HAS) d’abroger une recommandation professionnelle relative au traitement médicamenteux du diabète de type 2 diffusée par cette dernière en novembre 2006. La HAS n’a pas accueilli la demande de FORMINDEP soutenant que la recommandation litigieuse est un acte insusceptible de recours. Ce refus lui a été notifié par une lettre du 7 septembre 2009.

Par suite, l’association requérante a saisi le Conseil d’État le 7 décembre 2009 contestant le refus de l’abrogation de la recommandation de la HAS , laquelle ferait grief et serait susceptible de recours.

           Il convient ainsi de s’interroger sur la question de la recevabilité contentieuse des recommandations émises par la HAS.

           Cet arrêt admet de manière inédite le contrôle des actes de droit souple des autorités indépendantes par la juridiction administrative (I). Cette reconnaissance permet de garantir au justiciable un recours contre les actes de ces autorités toujours plus nombreuses aux compétences toujours plus larges. Ce contrôle a ici permis à la juridiction administrative de contrôler le respect du principe d’impartialité dans l’élaboration de la recommandation émise par la HAS (II).

          

L’admission inédite du contrôle des actes de droit souple des autorités indépendantes par la juridiction administrative

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La jurisprudence associant les notions exécutoires et faisant grief (A) est rompue par cet arrêt qui dissocie explicitement ces deux notions pour la première fois (B).

Le rapprochement initial des notions exécutoires et faisant grief

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Afin de saisir pleinement le caractère inédit de cet arrêt, il est nécessaire de faire état de la jurisprudence qui le précède. En effet, la troisième partie du considérant premier retranscrit un raisonnement novateur pour apprécier le caractère d’« une décision faisant grief » qu’il n’est pas possible d’appréhender sans rappeler les solutions passées adoptées par le Conseil d’État.

Avant cet arrêt, le Conseil d’État n’admettait pas la contestation au contentieux de mesures « n’atteignant pas le seuil de décision administrative alors qu’elles avaient en fait des conséquences importantes »[1]. Cela veut dire que l’ensemble des mesures des autorités administratives pouvant être contestées au contentieux devait réunir deux caractères : être exécutoire et faire grief. Une mesure qui est exécutoire est une mesure qui modifie l’ordonnancement juridique, c’est-à-dire qu’elle crée des obligations. Une telle mesure fait grief si elle produit des effets juridiques sur le requérant. En somme, seuls les actes administratifs ayant un caractère normatif et impératif pouvaient être attaqués. C’est la raison pour laquelle les avis de la commission de sécurité des consommateurs préconisant l’interdiction de certains produits n’ont pu faire l’objet d’une contestation contentieuse : ses avis n’ont qu’une fonction « exclusivement consultative » (CE 27 mai 1987, Société Laboratoires Goupil). De même, les recommandations de la commission des clauses abusives ne sont pas susceptibles de recours puisque l’autorité les formulant « n’édicte pas des règles qui s’imposerait aux particuliers ou aux autorités publiques, mais se borne à invite les professionnels concernés » à effectuer des modifications (CE 16 janvier 2006, Fédération du Crédit Mutuel du Centre Est Europe). Similairement, « les prises de positions et recommandations » de l’Autorité de la concurrence ne sont pas vues comme des décisions administratives puisqu’elles n’emportent en elle-même, aucun effet de droit[2] . Les actes préparatoires, c’est-à-dire ceux qui n’ont pour seul but la préparation de la décision finale ne produisent également aucun effet de droit et ne sont donc pas décisoires (CE, 1998, Association d’éducation populaire Louis Flodrobs). Le même raisonnement est à l’œuvre pour les lignes directrices qui n’ont pas de caractère réglementaire et ne produisent pas d’effet direct et immédiat à l’égard des administrés (CE, 26 juin 1973, Société Générale) : elles peuvent faire grief a posteriori et indirectement, mais elles ne sont pas décisoires.

Ainsi, un principe était explicitement posé : une mesure n’est susceptible de recours que si celle-ci modifie l’ordonnancement juridique en créant des obligations qui produisent des effets de droit sur le requérant. Elle devait ainsi faire grief et être décisoire.

Pourtant, dans l’arrêt du 27 avril 2011, le Conseil d’État accueille la contestation par l’association FORMINDEP des recommandations de bonnes pratiques formulées par la HAS, lesquelles peuvent faire grief[3] mais ne sont pas exécutoire puisqu’elles ne modifient pas l’ordonnancement juridique.[NT4]

          

La dissociation inédite des notions exécutoires et faisant grief

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La première partie du considérant premier de l’arrêt rappelle les dispositions de l’article L. 161-37, lesquelles prévoient les missions de la HAS. L’une d’elles est l’élaboration de recommandations de bonne pratique, notamment sur les pathologies de longue durée. Celles-ci sont diffusées aux professionnels de santé et au public. Ce rappel textuel précise que de telles recommandations sont « sans préjudice des mesures prises par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (ANSM) dans le cadre de ses missions de sécurité sanitaire ». Cette reproduction des textes législatifs par l’arrêt souligne la différence entre les « recommandations » de la HAS et les « mesures » de l’ANSM. À supposer que les recommandations de la HAS possèdent un caractère normatif, elles n’ont pas un caractère impératif comme certaines mesures de l’ANSM : les recommandations ne créent pas d’obligations.

De ce caractère normatif, l’arrêt en déduit dans la deuxième partie de son premier considérant la cause de telles « recommandations » : elles ont pour objectif « de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de soins (…) sur la base des connaissances médicales avérées ». Par suite, la troisième partie du considérant premier rappelle l’obligation déontologique, « incombant aux professionnels de santé », prévue par le code de la santé publique « d’assurer au patient des soins fondés sur les données acquises de la science ».

De cette obligation et du but similaire poursuivi par les recommandations de la HAS, l’arrêt en déduit que les « recommandations de bonnes pratiques » « doivent être regardées comme des décisions faisant griefs susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ». Ce raisonnement montre que l’arrêt assimile les données acquises de la science aux recommandations.

Il est intéressant de remarquer que dans cet arrêt le Conseil d’État ne cherche pas à examiner le caractère décisoire des recommandations de la HAS pour en déduire qu’il puisse être considéré comme faisant grief. Son appréciation du caractère faisant grief se dissocie ainsi du caractère décisoire : la recommandation n’a pas à modifier l’ordonnancement juridique pour faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, il suffit qu’elle fasse grief, c’est-à-dire qu’elle produise des effets sur les administrés.

C’est un raisonnement similaire qui avait permis d’admettre que des circulaires impératives non réglementaires puissent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, Sect., 18 décembre 2002, Duvignères). Un tel raisonnement conduit à regarder de telles circulaires comme appartenant « au droit dur »4. La même logique était à l’œuvre lorsque l’Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) avait émis une recommandation rédigée de manière impérative (CE 12 févr. 2007, Sté Laboratoires Jolly-Jatel ).

Toutefois, ici, contrairement aux deux arrêts précités, le Conseil d’État ne cherche pas à examiner sémantiquement le caractère impératif de la recommandation. Au contraire, ici le Conseil d’État se fonde sur la « prise en compte potentielle » des recommandations de la HAS dans « l’appréciation déontologique des professionnels de santé »[4] : c’est donc une prise en compte du « droit souple », qui n’est pas impératif. Le Conseil d’État admet donc ici la contestation contentieuse d’une norme, non pas parce qu’elle est impérative mais parce qu’elle susceptible d’influer significativement les comportements de ses destinataires.

Ce raisonnement diverge de la position du Conseil d’État vis-à-vis des lignes directrices. Bien que celles-ci influent sur le comportement de ses destinataires, le caractère faisant grief ne leurs est pas reconnu : elles sont invocables par les administrés que si un acte viole l’une d’elles. Cette contradiction apparente du régime applicable aux actes n’en est pas une. Il faut distinguer les actes non décisoires pris en des termes généraux et ceux pris en des termes précis. En effet, le caractère faisant grief de la recommandation est ici reconnu aussi parce qu’elle est extrêmement technique et ainsi intrinsèquement précise. La précision contribue ainsi à pallier dans une certaine mesure son potentiel défaut d’impérativité. Cet élément de précision est d’autant plus crucial pour la détermination du régime applicable à la recommandation que celle-ci s’insère dans un environnement juridique particulier.

En effet, « si les conséquences d’une recommandation ne sont pas appréciées au seul regard de la modification de l’ordonnancement juridique »4, elles le sont en fonction « d’un contexte juridique précis qui rend tangible son effet sur les sanctions encourues par les administrés »[5]. En effet, les recommandations de la HAS sont susceptibles d’être prises en comptes par de « multiples acteurs : professionnels de santé libéraux ou hospitaliers, des ordres professionnels ou de l’assurance-maladie »[6]. L’obligation déontologique « qui impose aux médecins de prodiguer à leurs patients des soins fondés sur les données acquises de la science » donne aux recommandations de la HAS un caractère normatif. Sans être toutefois contraignantes juridiquement, ces recommandations ont un effet majeur sur les administrés : l’obligation déontologique, et donc réglementaire, qui incombe aux médecins influe sur leurs perceptions normative et impérative des recommandations de la HAS. C’est l’impérativité subjective qui dans cet arrêt contribue à l’accueil des recommandations de la HAS comme des actes faisant grief.

En d’autres termes, une interprétation large de l’arrêt retiendra que si des mesures administratives faisant grief sont vues et appliquées par un certain nombre d’acteurs comme ayant un caractère contraignant, alors la mesure administrative à l’origine de ces comportements, bien qu’elle ne soit pas exécutoire, ni formulée impérativement, et ne fasse pas partie du droit dur, est susceptible de recours, puisqu’en modifiant l’ordonnancement juridique subjectif, il emporte des conséquences objectives suffisamment importantes pour faire l’objet d’un examen de sa légalité.

Cela explique pourquoi des recommandations similaires de l’ANAES avaient été considérées comme juridiquement opposables au praticien qui ne les respectait pas : la responsabilité d’un médecin avait alors été retenue (CE, 12 janvier 2005, Kerkerian). Si cette recommandation avait été perçue comme ayant un caractère contraignant c’est parce que l’objet de la recommandation s’y prête particulièrement : « la recommandation avait pour objet de formaliser une norme technique devant guider les praticiens dans la mise en œuvre d'une stratégie de soins au regard des connaissances médicales avérées »6. La force contraignante de la recommandation repose ici sur « la nature intrinsèquement technique de la recommandation » 6 puisque l’objectif qu’elle poursuit est le même que celui que le praticien doit atteindre (Art. R. 4127-32 CSP). C’est pourquoi de telles recommandations sont « généralement considérées par les médecins comme des paroles d'évangile » 6.

Ainsi, au vu du pouvoir effectif développé par les recommandations de la HAS, il apparait opportun que le juge administratif n’ignore pas leurs régulations au motif qu’elle ne modifie pas l’ordonnancement juridique et qu’elles ne soient pas nécessairement impératives. La recevabilité des recours dirigés contre les instruments de droit souple permet au juge administratif d’adopter une position de « censeur » 4 ce qui fait de lui un « garant » 4 contre les risques d’arbitraire que des décisions administratives à « l’abri de tout contrôle juridictionnel » 4 sont susceptibles de créer. Il ne faudrait toutefois pas que le prétoire du juge soit excessivement ouvert au point où des « recommandations dont l’annulation ne serait pas susceptible de se traduire par un changement effectif »[7] serait contrôlé par le juge. Ainsi, s’il est possible de « discuter des limites de l’exception, il ne paraît pas envisageable de remettre en cause le principe » 4 : l’examen du fond de la demande du requérant par l’arrêt illustre l’intérêt d’un tel contrôle juridictionnel.

La soumission des Autorités administratives indépendantes au principe d’impartialité par la juridiction administrative

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           L’admission de la recevabilité de la contestation du refus d’abrogation des recommandations de la HAS permet à l’arrêt d’apprécier la méconnaissance manifeste de la HAS aux principes du contradictoire et d’impartialité (A) : le juge administratif en tire donc toutes les conséquences pour prévenir un conflit d’intérêts (B).

La méconnaissance manifeste de la HAS aux principes du contradictoire et d’impartialité

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           À partir du moment où la recommandation de la HAS peut faire grief puisqu’elle est considérée par ses destinataires comme étant « dotées d’un caractère réglementaire » 6, il est impératif de garantir leurs objectivités. C’est pourquoi le troisième considérant de l’arrêt effectue un rappel textuel des obligations des agents de la HAS en visant l’article L. 161-44 du code de la sécurité sociale et L. 5323-4 du code la santé publique. Ces derniers ne peuvent pas avoir un « intérêt » direct ou indirect « de nature à compromettre leur indépendance ». La même exigence s’applique aux personnes collaborant occasionnellement aux travaux de l’agence. Il est rappelé que ces individus sont ainsi dans l’obligation de mentionner « leurs liens, directs ou indirects, avec les entreprises », les entreprises de conseils ou « établissement dont les produits entrent dans le champ de leurs travaux ».

Le quatrième considérant de l’arrêt déduit des rappels textuels du troisième considérant un principe d’impartialité que la HAS aurait méconnu selon l’association requérante. La HAS aurait permis la présence d’individu détenant « des liens de nature à caractériser des situations prohibées de conflits d’intérêts » dans le groupe de travail chargé de la rédaction de la recommandation litigieuse. L’association a été en mesure de fournir des éléments susceptibles d’établir l’existence d’un tel conflit d’intérêts. La HAS n’a pas au terme des « échanges contradictoires entre les parties » fourni les déclarations d’intérêts des membres ayant participé à la commission ayant rédigé la recommandation litigieuse. Ces déclarations d'intérêts doivent permettre de vérifier « si un biais ne se serait pas glissé dans la confection de la norme » 6. Par suite, lorsque le Conseil d’État a exigé de la HAS les déclarations d’intérêt précitées, elle n’en a pas obtenu la totalité. En ce sens, elle a méconnu le principe du contradictoire. Cela permet à l’arrêt dans la dernière partie de son quatrième considérant d’accueillir le moyen selon lequel la recommandation litigieuse a été « élaborée dans des conditions irrégulières ».

Si ce moyen a été accueilli, c’est parce que l’exigence d’impartialité possède également une dimension objective. L’association requérante reprochait à la HAS de ne pas l’avoir raisonnablement convaincu que l’élaboration de la recommandation n’avait pas été influencée « par des intérêts autres que l'intérêt public » 6. C’est une application directe de la théorie des apparences que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a développée : l’interprétation extensive du principe d’impartialité doit mener à donner l’impression au public que la recommandation a été « élaborée objectivement par des experts, en toute impartialité » 6.

La question de l’applicabilité du principe d’impartialité dans toute son étendue lors de l’élaboration d’une norme peut légitimement se poser. Il convient alors de rappeler que le principe d’impartialité (CE sect., 1949 Bourdeau) a été dégagé comme principe général du droit (CE, 1999, Didier). Ce principe « et les règles déontologiques qui en découlent » concernent tous les « organismes administratifs »[8] (TPICE, 9 juillet 2002, Zavvos c/ Commission) : il s’applique donc aussi aux recommandations émissent par la HAS.

L’office du juge dans la prévention des conflits d’intérêts

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           Le juge administratif dispose de plusieurs outils dans la lutte et la prévention des conflits d’intérêts. Le quatrième considérant mentionne le pouvoir du Conseil d’État d’exiger de « l’administration compétente la production de tous documents susceptibles d’établir la conviction du juge et de permettre la vérification des allégations des parties ». Cette mesure d’instruction ordonnée par section du contentieux du Conseil d’État n’a pourtant pas été suivie par la HAS. C’est la raison pour laquelle dans son considérant cinquième, l’arrêt annule la décision de la HAS refusant d’abroger la recommandation litigieuse.

L’office du juge dans la prévention des conflits d’intérêts comprend également le pouvoir d’injonction. L’arrêt rappel dans son considérant sixième les conditions de sa mise en application : la décision du juge administratif doit nécessairement impliqué qu’« une personne morale de droit public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé ». Ici, l’annulation du refus d’abrogation de la HAS a bien pour conséquence que la HAS doit abroger la recommandation litigieuse. C’est pour ça que le juge administratif fait usage de son pouvoir d’injonction dans son considérant septième. Il assortit son injonction d’un « délai de quinze jours » lequel est très bref. Il n’assortit toutefois pas son injonction d’une astreinte. Néanmoins, cette faculté qu’il possède est très efficace dans la prévention des conflits d’intérêts.

Il est également possible d’interroger l’office du juge dans les conséquences du contrôle qu’il met en œuvre pour prévenir et apprécier des conflits d’intérêts. Si l’annulation du refus d’abrogation de l’acte est prononcée, c’est parce que le principe jurisprudentiel d’impartialité « est moins conçu comme une obligation déontologique des agents que comme une condition de légalité des actes » 8: un acte faisant grief doit avoir été élaboré dans des conditions ne permettant pas de douter raisonnablement sur l’absence de conflit d’intérêts. L’élaboration par un groupe d’expert de normes technico-réglementaires ne doit pas donner l’impression d’une partialité de ses membres.

Le bien-fondé de cette exigence et de la sanction qui s’y rattache s’illustre particulièrement bien avec le contexte durant lequel l’arrêt a été rendu : l’affaire du Médiator a laissé planer un « soupçon généralisé de collusion entre les autorités et les industries de santé » 6. Les auditions parlementaires de cette affaire avaient alors révélé que « l'omission de déclarations d'intérêts est une pratique assez endémique » 6.

L’arrêt vient alors ici poser une présomption de conflit d’intérêts lorsque les déclarations d’intérêt des individus ayant participé à l’élaboration de la norme ne sont pas produites au débat. Cette présomption a pour but de contribuer à l’instauration d’« un système de prévention des conflits efficace afin de rétablir la confiance envers les autorités intervenant dans le champ de la qualité et de la sécurité des produits de santé »6.

L’objectif poursuivi par cet arrêt à constituer une partie du fondement de la loi du 29 décembre de la même année de l’arrêt sur la sécurité du médicament et celle du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte. Celles-ci ont renforcé les exigences de publication « des liens d’intérêt dans les instances travaillant auprès des agences sanitaires » 4.

La prévision du professeur Gérard Timsit selon laquelle « le contrôle juridictionnel des nouvelles formes de normativité » 6 résultant de la production des AAI donnerait une importance cruciale au respect des exigences procédurales « de transparence, d’équité, etc. destinées à garantir l’existence et la qualité du dialogue qui doit précéder et accompagner l’édiction de la norme »[9] est alors vérifiée.

Toutefois, cet arrêt interroge sur l’étendue de l’office du juge dans la prévention des conflits d’intérêts. Si le juge administratif va jusqu’à rechercher un potentiel conflit d’intérêts dans le contenu même de la norme, son contrôle risque de s’étendre jusqu’à la vérification du bien fondée de la norme technique. Un tel contrôle est à redouter dans un souci de séparation des pouvoirs. C’est un écueil auquel, nul ne doute, le Conseil d’État ne saurait tomber.


[1] Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 22e édition, Prosper Weil, Guy Braibant, Bruno Genevois, Marceau Long, Pierre Delvolvé

[2] CE, 11 octobre 2012, Société ITM Entreprises

[3] La notion faisant grief est ici employée dans le sens que lui donne le Conseil d’État dans l’arrêt étudié, c’est-à-dire produire des effets sur le requérant.

[4] Etude du Conseil d’Etat, Le droit souple, EDCE 2013

[5] Conclusions de Mme Claire Legras sur l’arrêt du Conseil d’État Société Casino Guichard-Perrachon du 11 octobre 2012

[6] L'annulation d'une recommandation de la Haute Autorité de santé pour conflits d'intérêts – Jérôme Peigné – RDSS 2011. 483

[7] Conclusions de Mme Claire Legras sur l’arrêt du Conseil d’État Société Casino Guichard-Perrachon du 11 octobre 2012

[8] Rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, remis au Président de la République le 26 janvier 2011

[9] G. Timsit, « Normativité et régulation », in Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 21 (Dossier : la normativité), janvier 2007