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Méthodes d'éducation physique en Europe aux XIX° et XX° siècles/Le turnen prussien

Leçons de niveau 14
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Le turnen prussien
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Chapitre no 1
Leçon : Méthodes d'éducation physique en Europe aux XIX° et XX° siècles
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Quand les philosophes libéraux ( Kant …) et les écrivains romantiques ( Goethe| …) émettent leurs idées nouvelles sur l'éducation celles-ci prennent d’abord corps dans les académies militaires. Puis des éducateurs qui en sont issus fondent des instituts civils accordant une large part aux pratiques physiques attachées à la formation des officiers : escrime, équitation, danse de salon. Une initiative originale apparait cependant déjà avec Basedow (1723-1790) qui fait pratiquer dans son "philanthropinum" de Dessau cinq exercices primitifs : courir, sauter, porter, lancer, grimper. Ses successeurs les plus marquants sont Gutsmuths et Jahn.

Gutsmuths (1759-1839), aumônier d'un institut fondé par un disciple de Basedöw, Salzmann, pour qui l'enseignement de la gymnastique est irremplaçable dans la formation de la personnalité. En effet seul l'exercice corporel permet de rétablir l'harmonie corps-esprit dissociée par le dualisme des derniers siècles passés. Féru d’une tradition germanique médiévale, il place sa gymnastique qui devient préparation au tournoi - ou turnen - sous le sceau de la chevalerie. Il publie en 1793 le premier ouvrage d'éducation physique moderne, Gymnastique pour la jeunesse. Celui-ci, rapidement traduit dans toute l'Europe, l’est en France par Armar et Durivier en 1805. L'ouvrage présente des exercices corporels simples naturels et libres destinés à être pratiqués au grand air, en pleine nature comme le préconise Salzmann et qui se répartissent en quatre groupes :

  • les exercices gymniques localisés des membres,
  • les huit familles d'exercices d'application : exercices d'ordre, de marche, de saut, de lancer, de lutte, de lever, d'équilibrisme et de grimper privilégiant l'usage des cordes et échelles,
  • les jeux de course, de balle, de ballons, de quilles, de boules mais aussi les grands jeux de jour et de nuit, les jeux sensitifs tels que Kim,
  • les travaux manuels et artisanaux.

Cette pratique des exercices physiques, déjà bien assise en Prusse lorsque Napoléon envahit l'Europe (1805 : Austerlitz - 1806 : Iena), sert de catalyseur de la résistance à l'occupant quant Jahn (1772-1852), un professeur de philosophie berlinois, quitte ses fonctions en 1810 pour organiser l'armée clandestine. Le turnen humaniste de Guthsmuths devient alors un mouvement populaire et patriotique d'instruction civique qui reste bien ancré dans la culture allemande après la défaite de Napoléon. Faisant suite à Deutsches Volkstum paru en 1810 Jahn publie six ans plus tard Die deutsche Turnkunst. La recherche de l'endurance y prime celle de la virtuosité technique et le principe de l'alternance permet d'augmenter considérablement la durée et la quantité de travail. Les exercices d'application privilégient les agrès de franchissement et d'escalade, le cheval (Buck), les parallèles (Barren), la barre fixe (Reck).

Les jeux et les grandes randonnées sac au dos de Salzmann contribuent au développement du goût de la lutte et de la victoire, en liaison avec une morale du turner et un véritable folklore avec uniforme, devise, insignes et grands rassemblements nationaux. Les pratiquants sont des turner, leurs lieux d'évolution des turnplatz. Si Guthsmuths est bien le fondateur du turnen, pour l’histoire allemande Jahn reste le Vaterturn. Devenu ainsi l’incarnation du libéralisme et du pangermanisme le turnen subit les persécutions qui visent les libéraux et les pangermanistes.

Le turnen est interdit après l'assassinat de Kotzebue auquel Jahn est impliqué et emprisonné en 1819. Beaucoup de ses membres émigrent alors aux U.S.A., Australie, Afrique du Sud où ils essaiment la tradition gymnique. Mais il se développe aussi en Suisse où l’union des sociétés de gymnastique précède la confédération de 1848 et dans l’ empire austro-hongrois où il devient l’expression des minorités opprimées. En 1862, Tyrs fonde sur le territoire de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie le mouvement Sokol pour assainir les forces du peuple et le garantir contre ses ennemis. En Bulgarie Levski l'imite deux ans plus tard en réaction à l’oppression ottoman. Après 1918 et l'effondrement de l’empire, ces nations nouvelles cultivent une puissante tradition gymnique qui évolue au fil de l'histoire et de la politique.

Les évolutions du turnen

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Après 1819 les turners qui n’émigrent pas se réunissent en secret dans des lieux clandestins couverts autour d'agrès où ils s'ingénient à inventer des formes de geste nouvelles et esthétiques. L'organisation initiale d'endurance populaire et de plein air devient alors un nouvel art gestuel qui reçoit l’adhésion des Suisses. Ceux-ci organisent dès 1832 des Fêtes fédérales qui préfigurent les compétitions modernes et fixent des conventions esthétiques pour apprécier les productions. Quand Jahn est réhabilité et célébré en 1842 comme un héros national après l'unification de l'Allemagne la métamorphose est irréversible.

De cette date à 1914, le turnen investit l'école allemande pour lutter contre le mauvais état physique des élèves. Il y est confronté alors de façon inégale à l'influence des autres grands courants européens. La gymnastique suédoise et le sport anglais, non conformes à l'esprit germanique sont rejetés. En revanche l’empreinte du suisse Pestalozzi, pédagogue germanophone, se manifeste à travers les travaux d'Eiselen qui classe les exercices en quatre degrés croissants puis de Spiess qui reprend ce travail selon les régions mobilisées. Le plan de la leçon devient le suivant :

  • exercices d'ordre,
  • exercices sans engins,
  • exercices d'appuis et de suspension.

Cependant une ligue des jeux se développe face au turnen qui doit développer une véritable recherche scientifique (ou guerre des barres parallèles) pour démontrer la supériorité de ses agrès sur la technique suédoise. Alors que le turnen se dégage ainsi de l'empirisme pour assurer son autorité à la fin du XIX°, il est aussi marqué par un retour vers la nature qui renvoie aux doctrines originelles de Jahn et de Salzmann. Entre les deux guerres, l'Allemagne se tourne dès la défaite vers l'activité physique pour camoufler une préparation militaire prohibée par le traité de Versailles et construire son redressement. Turnen, sport et gymnastik font tous les trois l'objet de travaux importants pour assurer leur propagation dans la population.

Turnen et nazisme

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L'arrivée d' Hitler au pouvoir réaffirme la prééminence du turnen qui prononce son serment d’allégeance dès 1933 lors de la Turnfest de Stuttgart. Voici le final du discours de clôture prononcé la nuit tombante par Edmond Neuendorff, président de la Deutsche Turner Schaft (DT), face à des milliers de jeunes gens et de jeunes filles réunis sur un stade illuminé de torches :

Nous, gymnastes, sommes attachés avec tout notre cœur au sport gymnique que Jahn a créé, à cette discipline que les meilleurs Allemands ont construit avec amour et dans laquelle nous avons été élevés, oeuvrant avec efficacité à la promotion des citoyens allemands. C'est avec joie que nous incorporons cette discipline dans le Nouvel Etat National. Nous croyons que cette discipline, avec son identité née du peuple allemand, issue de son sang et de son sol, avec l'originalité de son travail qui commence par la maîtrise du corps et vise la communauté toute entière, aura à remplir sa mission providentielle dans notre nouvel Etat National. Le sport gymnique est notre joie, le peuple est notre but. Gymnastes, garçons et filles, si vous partagez ces sentiments et si vous êtes animés de cette volonté, levez votre bras vers le ciel et hurlez après moi dans la nuit, pour que votre voix porte à travers toute l'Allemagne et résonne dans son Histoire : nous le jurons.

Le développement foncier prime la souplesse, la force et l'adresse. Les agrès sont alors complétés par les engins légers (massues, medecine-ball...) et le travail avec partenaire. Le goût du combat est cultivé à travers les sports : athlétisme, handball à 11, football, boxe, activités alpines et nautiques, sports mécaniques. Ce turnen nazi voit son couronnement en 1936 aux jeux de Berlin dirigés par Carl Diem. Après 1945, les structures de la Sporthochschule de Leipzig, responsables du sport de haut niveau avant-guerre, se remettent très vite en fonction en R.D.A. assurant le remarquable développement sportif de ce petit pays et celui du bloc socialiste.

En R.F.A. le turnen reste interdit jusqu'aux débuts des années 1950 alors que le sport se réorganise de suite. Mais confiée alors à Carl Diem la Deutscher Turner Bund compte en 1960 8 000 associations et 1 500 000 membres. Outre la gymnastique de haut-niveau, elle assure avec la Sporthochschule de Cologne, responsable du sport populaire sous le nazisme, la pratique familiale des activités physiques sous forme d'activités d'entretien et de sport de masse. Cette organisation a fait l'objet d'une importante campagne promotionnelle en Allemagne (Trimm dich) puis dans les pays nordiques, au Canada et au Japon. La France n'a été touchée qu'en 1970 (Sport pour tous).

L’impact indirect du turnen sur l’éducation physique française reste cependant important : c’est à la supériorité du fantassin prussien, entraîné à la gymnastique dès l’école, que l’on attribue la défaite de 1870. La III° République s’empresse alors de plagier l’ennemi en introduisant dans son école une gymnastique française déjà élaborée par Amoros et ses élèves à partir des travaux de Guthsmuths et de Pestalozzi pour les pompiers, les militaires et la bourgeoisie adulte. Et quelques années plus tard, la gymnastique naturelle du capitaine Georges Hébert n’est pas sans rappeler curieusement les exercices primitifs du pentathlon de Dessau de Basedöw ou les familles d’exercices d’application de Gymnastique pour la jeunesse.