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Le langage (programme français de 2019)/Langage, existence humaine et culture

Leçons de niveau 13
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Langage, existence humaine et culture
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Chapitre no 2
Leçon : Le langage (programme français de 2019)
Chap. préc. :Langage et connaissance
Chap. suiv. :Langage, morale et politique
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Bien qu'il existe une communication animale, le langage en tant que système de signes est un propre de l'homme. Dans ses problèmes de linguistique générale, Benveniste oppose le langage à la communication animale, en se fondant sur l'exemple de la danse des abeilles étudiée par Frisch. La syntaxe, en particulier, n'est observée dans aucune communication animale. On abordera ici les aspects culturels et métaphysiques du langage conformément au programme de 2019, les paragraphes sont indépendants.

Leibnitz est un philosophe de la fin du dix-septième siècle (vous l'avez peut-être rencontré au lycée, en parlant de Candide : Leibnitz est connu pour son optimisme). Dans L'Harmonie des langues, les mots sont à la fois les signes des pensées et des choses. Leibnitz évoque la double fonction du langage, communicationnelle et cognitive. Le signe revêt une valeur pratique : Leibnitz opère une analogie entre un jeton rappelant la monnaie et un mot rappelant une chose. C'est parce que l'on pose un nom sur une chose que l’on peut parler et penser vite, voire que l'on peut parler et penser. Sans cet aspect pratique, la pensée serait impossible. Leibnitz pose ensuite plusieurs conditions : des mots distincts entre eux, faciles à prononcer… afin d'être "utilisables". L'algèbre et, plus généralement, les mathématiques, usent de signes qui ont permis plus de découvertes que les Anciens.

Pourtant, le propos de ce texte rencontre une limite : l'univocité du "langage" mathématique n'est pas celle du langage naturel (langues humaines autres que construites). Un signe univoque a une seule signification et ce qu'il désigne ne peut être désigné que par ce signe (la somme n'est indiquée que par + et + n'indique rien d'autre que la somme). Or, des cas de synonymie (une chose désignée par plusieurs mots ou expressions) et de polysémie (un mot ou expression désignant plusieurs choses) vont à l'encontre de cette univocité. Elle est impossible, mais est-elle seulement souhaitable ? Serait-il heureux de simplifier le langage à l'extrême ?

Le langage : inné ou acquis ?

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Le philosophe du dix-huitième siècle Condillac a notamment écrit sur l'origine du langage. Dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines, Condillac va à l'encontre du rationaliste Descartes, qui pose l'existence d'idées innées. Dans ce texte, un enfant acquiert le langage avant l'âge de raison, et comprend les mots avec difficulté : le sens est souvent trop complexe, variable selon la situation, et certains mots n'ont même pas de sens ! Par exemple, comment définir "alors" (qui sert à ponctuer un discours) ? Une fois adultes, ou mûrs sur le plan du langage, on eut l'impression que l'association entre mots et concepts est naturelle, et qu'il y a des idées innées : c’est une erreur.

L'étymologie d'enfant est in-fans, dépourvu de parole en latin. L'acquisition du langage, branche de la linguistique, s'intéresse à la manière dont l'enfant acquiert sa langue maternelle. Par exemple, quels sont les biais lors de l'association d'une expression à son sens ? Il existe aujourd'hui des approches innéistes (notamment défendues par le linguiste Noam Chomsky) et d'autres empiristes (qui pensent que c’est l’expérience qui apporte le langage. Dans les cas les plus extrêmes, l'esprit de l'enfant est une table rase (tabula rasa) qui sera remplie d'idées quand il grandira). Le débat innéiste/empiriste, présent non seulement pour le langage, mais aussi pour les connaissances, est une discussion importante en philosophie.

Le langage est métaphore

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La métaphore, figure de style que vous avez sans doute apprise, a pour étymologie le grec "transport" (au sens littéral comme non littéral). Nietzsche, philosophe allemand du dix-neuvième siècle, définit le mot comme une excitation nerveuse traduite en son. En cela, le mot est double métaphore : on transpose une excitation nerveuse en image, puis une image en mot. Chacun de ces passages "saute" d'une chose à l’autre, et les mots ne transcrivent pas fidèlement le monde. Les métaphores que sont le lexique de la nature ou des couleurs nous éloignent énormément des "entités originelles". La multiplicité des langues et les genres donnés aux choses asexuées (comme les plantes) sont autant d'argument pour le caractère arbitraire du langage.

Les mots ne parviennent donc pas à la vérité, mais devraient-ils seulement le faire ? Nietzsche a un rapport assez complexe à la notion de vérité. Quoi qu'il en soit, il désapprouve la recherche de certitude et la quête de vérité.

Le terme "ineffable" renvoie à ce qui ne peut être exprimé par le langage. Pour Bergson, dans le Rire (1899), le mot s'intercale entre la chose et nous : il ne relève de la chose que l'aspect général. Il en va de même pour nos états d'âme, les mots ne dégageant que l'aspect le plus général, au détriment du particulier. "Jusque dans notre propre individu, l'individualité nous échappe." Si nos états d'âmes nous parvenaient avec toutes ses nuances, nous serions tous artistes (il résulte de cette argumentation par l'absurde une certaine conception de l'art). Les mots (à l'exception des noms propres) fonctionnent comme des étiquettes collées sur les choses : ils nous permettent de les distinguer, mais pas de rendre toute leur subtilité.

L'opinion de Hegel est contraire : l'ineffable n'est qu'une pensée imprécise, éclaircie par le langage qui a le pouvoir de dire la vérité sur les choses.

Dans l'Interprétation du rêve (1900), Freud revient sur l'idée que les symboles, comme des signes sténographiques, ont une signification fixe. Les symboles, que l'on rencontre dans le rêve, mais surtout dans le folklore, doivent être étudiés de manière plus large. Le symbole est une présentation indirecte. Le symbole est par ailleurs transmis à travers le temps. Freud écrit que la communauté de symbole va au-delà de la communauté de langage. Ainsi, il est possible de mener une étude d'ordre intersubjective.

La notion d'expression

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Dans son éloge de la philosophie (1951), Merleau-Ponty travaille sur l'expression. Cette dernière a une visée cognitive, en plus d'être communicationnelle : elle est donc, en plus d'être intersubjective (relevant de la communication), subjective (permettant à un sujet de clarifier sa propre pensée). On utilise pour s'exprimer des matériaux disponibles (qu'ils soient morphologiques, lexicaux, syntaxiques…), on leur fait dire ce qu'ils n'ont jamais dit. Lire de la philosophie ou de la littérature est une expérience témoignant du pouvoir créateur du langage.

Langage rythmé et langage moderne

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Dans l'Homme et le divin, la philosophe du vingtième siècle Maria Zambrano évoque le langage ancien, de l'être humain quand il n'était pas rationnel, et ne cherchait pas à bavarder sur tous les sujets. Le langage revêtait alors une fonction d'invocation, de charme (dans le sens de magie) et il se caractérisait par son rythme, contrairement au langage contemporain, jugé monotone. Ce dernier traite des sentiments personnels, subjectifs, là où le langage de la tribu ou de la communauté permet d'invoquer, de déclencher un conflit…

Le philosophe du vingtième siècle Paul Ricoeur s'intéresse beaucoup au texte et à l'écriture. Postérieure à la parole, l’écriture la conserve et la fige, mais ne lui apporte rien (ainsi, l'écriture phonétique peut donner toutes les informations de la parole, mais elle n'en apportera pas de nouvelles). L'avènement du texte bouleverse notre rapport au langage. Le texte ne devrait alors pas se contenter d'être une transcription d'un oral, mais de ce que veut dire le discours. Peut-on dire que le rapport entre lecteur et texte est une partie du rapport entre auditeur et parole ? Non, selon Ricoeur : on ne peut pas dire que l'auteur dialogue avec le lecteur. (La question du dialogue, bien que le contexte soit très différent, peut rappeler Platon, dans "oral et écrit" (chapitre 1)). Le texte occulte ainsi l'auteur comme le lecteur.

Dans Jacques le Fataliste, roman de Diderot, la narration est moderne car le narrateur semble dialoguer avec le lecteur. Il l'interpelle, lui reprochant même de le traiter comme un automate, ce qui n'est pas poli : il simule alors les questions du lecteur. On pourrait voir en cette œuvre un contre-exemple, ou dire au contraire que c'est justement parce que le lecteur et l'auteur sont occultés que la narration présente comme un décalage, ce qui ajoute du comique à ce faux dialogue.