L'écoumène numérique/La métaphore de la cité électronumérique
Dans le but d'aider les gens à mieux comprendre l'espace numérique, il est possible de comparer le fonctionnement du système informatique mondial en réseau à une « cité électro-numérique ». De cette comparaison ressort certaines similitudes dans l'organisation des deux types d'espace. Une première est de constater que ces deux espaces sont entièrement issus de l’imagination humaine. Une seconde apparait du fait que les deux mondes sont sujets à une compression du temps et de l'espace qui permet un accès, quasi instantané dans le cas du numérique, aux différents lieux et services disponibles. Alors qu'une troisième tient au fait que les deux espaces ne connaissent pas réellement d'autres frontières que celle qui distingue l'espace privé de l'espace public.
Dans l'écoumène numérique, une infrastructure informatique modeste connectée à un réseau privé, ou interne à une entreprise, peut ainsi se comparer à un village. Dans celui-ci se retrouve un petit nombre de maisons ou bâtiments (ordinateurs) reliés par un réseau routier (réseaux intranet) fait de routes, chemins, sentiers, etc. (câble Ethernet, Wi-Fi, Bluetooth, etc). Quand certains accès routiers permettent une connexion avec un réseau mondial extérieur au village (Internet pour le plus connu), il est alors fréquent d'installer un poste de contrôle, qui permet de contrôler et de limiter les entrées et sorties du village aux visiteurs de confiance (pare-feu informatique).
À l'intérieur d'un village (infrastructure informatique d'un foyer, d'une entreprise ou autre), tout le monde se connaît et se fait confiance. Toutefois, il est toujours possible de fermer à clef sa maison (protéger l'accès à son ordinateur par un mot de passe) et même de rendre illisible tout ce qui s'y trouve (chiffrer le contenu du disque dur). Sans quoi, si quelqu'un venait à forcer la porte d’entrée (forçage d’un mot de passe), il pourrait alors découvrir tout votre intérieur (contenu du disque dur) et éventuellement en prendre des photos (copie des fichiers informatiques). Une fois rentré dans un bâtiment, une personne mal intentionnée peut ensuite y détruire ce qui s'y trouve, le rendre inaccessible, ou inutilisable, de telle sorte à pouvoir demander une rançon en échange d'une restitution (Rançongiciel ou ransomware en anglais).
Une personne malveillante peut aussi installer discrètement certains systèmes dans le but de détruire vos biens ou d’espionner vos activités (Virus informatique). Il arrive même parfois que ces systèmes se trouvent cachés dans de nouveaux mobiliers (Cheval de Troie) ou qu'ils s'installent grâce à d'autres systèmes qui paralyseront votre système d'alarme (Bombe de décompression). Dans d'autres cas enfin, un système malveillant préalablement mis en place peut aussi ouvrir les portes de chez vous (porte dérobée) pour permettre l'entrée de nouveaux intrus ou d'autres systèmes malveillants.
C'est pour cela que dans les maisons dont les portes sont moins fréquemment munies de serrures (Windows en comparaison à GNU/Linux), il faut prendre le soin de détecter l'arrivée ou la présence de systèmes malveillants afin de les mettre en quarantaine avant les éliminer (antivirus). Et si par malheur, on est victime d'un de ces systèmes malveillants et que l'on ne respecte pas certaines pratiques élémentaires de sécurité (Nétiquette), il est alors possible de transmettre ceux-ci lors de nos communications avec des voisins de confiance, soit au sein du village soit en communiquant avec un village voisin via le réseau mondial.
Utiliser la métaphore du « village planétaire », comme d'autres l'ont fait en référence à une certaine « Utopie de la communication »[1], permet donc de mieux comprendre le fonctionnement d'un réseau informatique privé. Une comparaison qui reste toujours fructueuse lorsque l'on change d'échelle pour s'intéresser au système informatique mondial, sauf que, dans ce cas, la ville en tant que métaphore devient plus adéquate.
À la place du village, on peut alors parler d'une ville électronumérique (Infrastructure informatique mondiale interconnectée), dont l’accès, ne l’oublions pas, doit être négocié au niveau de ceux qui en ouvrent les portes (fournisseur d’accès à Internet). Tandis que dans cet espace citadin, il est bien sûr impossible de connaître tout le monde, pas plus que de savoir tout ce qui s’y passe.
Comme au village électronumérique, mais cette fois à une plus grande échelle, on trouve dans cette ville toute une série d’objets qui communiquent entre eux (Internet des objets). Et lorsque ces objets fonctionnent avec des systèmes propriétaires (logiciels propriétaires), il est bien souvent difficile, voire impossible, de connaître les informations qu'ils s'échangent. Heureusement, il existe aussi d'autres objets qui fonctionnent avec des systèmes transparents (logiciels libres), dont les citadins les plus prudents font usage.
Parmi toutes les infrastructures existantes au sein de la ville électro-numérique (application d'Internet tels que les serveurs et clients de messageries ou de visiophonie, les jeux en ligne, les serveurs ou les clients de partage de fichiers, etc.) la plus connue et la plus fréquentée est l'espace Web. Dans cet espace, on retrouve principalement ce que l'on peut considérer comme des bâtiments publics (sites Web), composé de locaux (pages Web) que l’on peut répartir par étages (répertoires). À l'exception de constructions isolées (serveur de fichier domestique), les bâtiments de la grande ville électromagnétique (serveurs informatiques) sont regroupés par quartiers (hébergeur web).
Les bâtiments de l'espace public de la ville sont fabriqués grâce à des engins de construction (éditeur HTML). Tous ces travaux doivent être réalisés dans le respect de normes et d'une réglementation (hypertext Transfer Protocol) pour permettre une insertion urbaine harmonieuse et la constitution d'adresses postales, soit en chiffre (adresse IP), soit en lettre (Uniform Resource Locator ou URL). Dans ce second cas de figure, cette adresse (URL absolue) indique la zone de la ville dans laquelle se situe le lieu (nom de domaine de premier niveau), ainsi que le nom du bâtiment (domaine de deuxième niveau). Elle indique ensuite le chemin à suivre (URL relative) pour rejoindre les différentes pièces (page web), en sachant que, parfois, celles-ci peuvent être regroupées par étage (espaces de noms).
Pour circuler d'un quartier à l'autre au sein de l'espace web, on utilise un « réseau routier » (Internet) et un « véhicule » (navigateur Web) que l'on peut associer avec un assistant de navigation GPS (moteur de recherche). Lorsqu’un bâtiment est inconnu par les GPS, c’est qu’il se situe alors dans un quartier sombre ou profond de la ville (dark Web ou deep Web). Pour le joindre sans l'aide d'un GPS, il faut alors impérativement connaître son adresse exacte (IP ou URL).
Les GPS (moteurs de recherche) nous proposent différentes adresses (nom de domaine) de lieux ou locaux (sites web ou pages Web) qui pourrait correspondre à nos recherches. Ils sont comparables à des taxis dont certains dépendent de grandes firmes commerciales (Google, Yahoo !, Microsoft Bing, etc.). Quand c'est le cas, le GPS peut orienter les voyageurs vers des lieux appartenant à des personnes qui ont rétribué les compagnies de GPS (moteur de recherche) pour qu'elles dirigent les voyageurs vers les locaux et les bâtiments (pages et site web).
Tant qu’à faire, les sociétés de GPS les moins scrupuleuses n’hésitent pas non plus à enregistrer la provenance, la destination et d’autres types d’informations personnelles pouvant être récoltées chez les voyageurs. À la suite de quoi celles-ci pourront être vendues à des personnes ou organismes désireux d'en faire usage à des fins de marketing commerciales ou politiques.
En pensant l'espace numérique au travers de la métaphore d'une ville informatique, on peut ensuite mieux comprendre comment certains changements urbanistiques peuvent directement affecter la vie des voyageurs (internautes). C'est ce qui se passe par exemple lorsque l'on restreint certains accès, à des personnes munies d'une carte d'identité et d'une clef (login et mot de passe), ou lorsque l'on crée un tunnel opaque entre deux bâtiments ou espaces (VPN pour réseau privé virtuel), ou encore lorsque l'on installe des systèmes de type mosquito pour interdire des accès aux jeunes (contrôle parental).
Cela sans compter que tout changement d'architecture dans l'espace numérique peut se faire en quelques instants et sous l'action d'une seule personne. Alors que dans l'écoumène terrestre, tout changement urbanistique demande des jours, des mois, si pas des années de planification, pour ensuite demander l'implication de plusieurs travailleurs, ou entreprise, durant la réalisation des travaux qui, elle aussi, peut prendre un temps considérable.
Dans l'espace numérique, il est par exemple très facile et peu couteux en temps et en ressources de placer les caméras de surveillance qui profiteront aux entreprises commerciales, ou aux États, grâce à l'enregistrement de ce qui se passe dans la ville électro-numérique (Économie de la surveillance). D'ailleurs, il n'est pas nécessaire de se rendre dans une boite de nuit (site de rencontres) ou de fréquenter d'autres espaces de sociabilisation (réseaux sociaux) pour être filmé et enregistré. Les caméras sont partout là où la récolte d'informations est autorisée dans le but d'exploiter ou revendre ce qu'elles enregistrent. Sans compter que dans l'écoumène numérique, tout comme dans son homologue terrestre, il existe du terrorisme (cyberterrorisme) et des guerres (cyberguerre)[2] qui justifient la mise en place, par les autorités, de mesures et d'organisations spécifiques à l'image d'une cyber-armée créée en France[3].
Et pendant que la surveillance s'organise, ce sont les systèmes d'échanges de pair à pair entre citadins qui sont pointés du doigt (Partage de fichiers en pair-à-pair) par ceux qui se sont appropriés le pouvoir économique et politique à leur avantage. Échanger des choses entre voisins devient alors mal vu et même condamnable lorsque les objets d'échanges sont soumis à un copyright ou un droit d'auteur. Pour contrer ces pratiques de partage, de nouveaux systèmes empêchent alors le partage de biens pour ceux qui n'ont pas payé les droits d'accès (Gestion des droits numériques).
Viennent ensuite les nombreux services d'entreposage (cloud computing) de biens et objets divers (fichiers informatiques) et les services de boites postales (adresse électronique), tous deux gratuitement proposés par les grandes entreprises commerciales de la ville (géants du web). Toutefois, cette gratuité a un prix puisque que tout ce qui est transmis ou stocké dans les quartiers et les immeubles de ces entreprises commerciales (serveurs informatiques) est susceptible d'être inspecté selon les conditions générales d'utilisation en usage.
Cela concerne donc les objets entreposés (fichiers variés), mais aussi toutes les cartes postales (courrier électronique non cryptés) stockées ou circulant dans les boites postales. Tout ce qui est capté lors de ces inspections (traces numériques) peut ensuite être traité de manière « synchronisée »[4] par des robots (algorithmes) ou des humains, dans le but d'en tirer un profit économique ou politique.
À l'image du monde géographique, le monde numérique est donc loin d'être parfait. Mais il est rassurant toutefois de savoir que l'on peut y distinguer certaines zones grâce à des indicateurs routiers (domaine de premier niveau) qui permettent, plus ou moins, de savoir à quel type de bâtiment on a affaire. L’indication «.com » nous informera, par exemple, que l'on se trouve dans une zone plutôt réservée aux bâtiments commerciaux, «.org » réservée aux organisations, «.info » aux services d’informations, alors que «.net » ne différencie aucun type de constructions (domaine générique ouvert).
D'autres zones sont ensuite soumises à des restrictions d’installation plus strictes, mais toujours sans faire l'objet d'une validation d'identité (domaine générique restreint). Parmi celles-ci, on retrouve la «.biz » réservée au business, la «.name » réservée aux particuliers et la «.pro » réservée aux professionnels. Tandis que d'autres encore, font l'objet d'un contrôle, comme c'est le cas pour la zone «.edu » réservée à l'éducation, «.gov » aux gouvernements, et «.mil » aux activités militaires.
Tout ceci sans oublier finalement les zones les plus connues, qui rattachent un bâtiment (site web) à un pays (domaine de premier niveau national), mais sans obligation que celui-ci se situe dans le pays géographique concerné. Par exemple, la zones «.fr » se rattache à la France, «.ch » à la Suisse, etc. mais un site en .fr peut très bien être hébergé en Allemagne ou dans un autre pays. Tous ces derniers indicateurs de type géographique sont donc finalement les seuls qui font référence, mais sans certitude de corrélation, aux frontières étatiques présentes dans l’écoumène terrestre. Alors qu'en revanche, ce qui est sûr, c'est que certaines zones, quartiers ou bâtiments de la ville électro-numérique peuvent être bloqués au niveau des infrastructures terrestres qui en permettent l'accès (Censure d'Internet).
Suite à la présentation de toutes ces analogies, la ville électro-numérique apparait donc comme un lieu extrêmement cosmopolite et intrinsèquement transnational. Raisons pour lesquelles, il n’est pas si aisé de savoir où se trouve, dans l'espace terrestre, le serveur informatique, ou le siège social de la personne ou de l'entreprise qui en est le propriétaire. De nombreuses personnes confient ainsi leurs courriers électroniques, carnet d'adresses, identifiants, mots de passe et fichiers informatiques divers, à des entreprises étrangères utilisant des serveurs délocalisés sans trop en mesurer les conséquences. Car en cas de litige, il devient en effet difficile de savoir à quelle juridiction nationale faut-il s'adresser pour porter plainte. Une plainte qui d'ailleurs, sera traitée différemment selon le pays où se trouve le fournisseur de service, mais aussi les serveurs informatiques dans lesquels se trouvent les informations stockées.
Au terme de ce chapitre, l'usage de la métaphore d'une ville pour décrire l'espace numérique et le système informatique mondial, aura donc permis à certains lecteurs de prendre conscience de certains enjeux sociétaux cachés dans un monde faussement qualifié de virtuel. Suite à quoi, il est bon de garder à l'esprit que cette métaphore a ces limites. Car en réalité par exemple, ce n'est pas l'internaute qui va vers un site web (le bâtiment numérique), mais c'est bien le contenu et l'organisation des pages de ce site, qui sont envoyés vers l'ordinateur de l'internaute, avant d'être configurés, puis affichés par un navigateur. Ce qui explique notamment pourquoi un site web peut fonctionner et apparaitre différemment en fonction du navigateur que l'on utilise pour y accéder.
Une compréhension plus profonde et détaillée du réseau Internet et de son espace web demande donc plus de temps qu'une lecture de ce chapitre. De ce fait, plusieurs associations peuvent venir en aide tel que Framasoft, un réseau d'éducation populaire qui s'est spécialisé dans le travail de vulgarisation et de sensibilisation aux enjeux liés au développement de l'espace numérique. Cette association a pour vitrine un site web sur lequel on retrouve de très nombreux supports d'information, à l'exemple cet enregistrement audio repris ci-contre (audio 5.1) qui permet de compléter efficacement ce qui a déjà été dit dans ce présent chapitre.
Mots clefs : Métaphore artéfact - compression espace temps - public/privé - village intranet - ville Internet - code is low - adresse IP - Nom de domaine URL
- ↑ Philippe Breton, L'utopie de la communication, Paris, La Découverte, 2020 (ISBN 978-2-348-06559-0) (OCLC 1191840220)
- ↑ Nicolas Arpagian, La Cyberguerre : la guerre numérique a commencé, Vuibert, 2009 (ISBN 978-2-7117-6893-6) (OCLC 778345664)
- ↑ Hassan Meddah, « Pourquoi la France se dote d'une cyber-armée », sur L'Usine Nouvelle,
- ↑ Boris Beaude, « Les virtualités de la synchronisation », Géo-Regards, no 7, 2014, p. 121–141 [texte intégral]