Genres et formes de l'argumentation : XVIIe et XVIIIe siècles/Fénelon, Lettre à Louis XIV
« Le peuple même (il faut tout dire), qui vous a tant aimé qui a eu tant de confiance commence à perdre l'amitié, la confiance et le respect. Vos victoires et vos conquêtes ne le réjouissent plus[texte 1] ; il est plein d'aigreur et de désespoir. La sédition s'allume peu à peu de toutes parts. Ils croient que vous n'avez aucune pitié de: leurs maux, que vous n'aimez que votre autorité votre gloire. Si le roi, dit-on, avait un cœur de père pour son peuple, ne mettrait-il pas plutôt sa gloire à leur donner du pain et à les faire respirer après tant de maux, qu'à garder quelques places de la frontière qui causent la guerre ? Quelle réponse à cela, Sire ? Les émotions populaires, qui étaient inconnues depuis si longtemps, deviennent fréquentes. Paris même, si près de vous, n'en est pas exempt. Les magistrats sont contraints de tolérer l'insolence des mutins et de faire couler sous main quelque monnaie pour les apaiser ; ainsi on paye ceux qu'il faudrait punir. Vous êtes réduit à la honteuse et déplorable extrémité ou de laisser la sédition impunie et de l'accroître par cette impunité, ou de faire massacrer avec inhumanité des peuples que vous mettez au désespoir en leur arrachant, par vos impôts pour cette guerre, le pain qu'ils tâchent de gagner à la sueur de leurs visages. »
— Fénelon, Lettre de Fénelon à Louis XIV (1694)[texte 2]
- ↑ Au moment de l’écriture de cette lettre, les difficultés s’étaient accumulées sur le royaume : mauvaises récoltes, famines, épidémies de typhus, révoltes populaires, entrée en guerre contre la France d’une grande partie de l’Europe dans ce que l’on a appelé « La guerre de Ligue d’Augsbourg » (1688-1697) – la deuxième grande guerre de Louis XIV qui aura des conséquences désastreuses sur le plan économique (montrée des prix), fiscal (relèvement de la taille), social (révoltes) ; reprise du conflit religieux entre les Protestants et les Catholiques après la révocation de l’Edit de Nantes (1685).
- ↑ Cette lettre fut adressée de manière anonyme au Roi entre 1693 et 1695.
Analyse du texte
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La discrétion apparente de Fénelon, simple porte-parole du peuple de son époque, quand il s’adresse au Roi. | |
« (il faut tout dire) » | Ce passage est entre parenthèses, ils permettent de s’expliquer tournure d’une part, il promet qu’il va dire la vérité. « il faut » est impersonnel ; éviter de dire « je » |
« dit-on » | « on » est un pronom indéfini et représente le peuple et Fénelon. La reprise des « paroles » (porte-parole) du peuple par l’auteur. |
« Quelle réponse à cela, Sire ? » | C’est une phrase interrogative qui s’adresse directement au Roi. C’est un question rhétorique. Fénelon ne sait pas la réponse, mais il porte les paroles du peuple. |
« vous a tant aimé, qui a eu tant de confiance en vous » | Le passé composé, au passé accompli. La situation a changé, le peuple voit le Roi comme un mauvais Roi, c’est une attaque personnelle. |
« vos victoires et vos conquêtes » | On peut souligner « vos », il désigne le Roi. « victoires » et « conquêtes » indiquent les guerres offensives pour la gloire du Roi. |
« Sire » | La politesse |
« Paris même, si près de vous » | Fait référence à Versailles, risque mettre le Roi au danger |
Pourtant, on peut remarquer que le point de départ de l’auteur est un constat apitoyé sur la situation contemporaine du peuple. | |
« en leur arrachant […] le pain qu’ils tâchent de gagner à la sueur de leurs visages. » | « arrachant » souligne l'agression, la violence et la brutalité. « le pain » est un métonymie/figure de style de vie puisque c’est l’alimentation de base du peuple. « sueur » est une métonymie, cela signifie la conséquence en force intense ; le travail. La brutalité de l’Etat qui prive le peuple de les fruits de leur travail, donc le peuple aura faim. |
« Des peuples que vous mettez au désespoir » ; « il est plein d’aigreur et de désespoir » | « désespoir » est répété pour être accentué et souligné. « plus désespoir » rend les gens de croire plus à rien. « aigreur » est l'amertume/la colère. Ce sont les conséquences des actions du Roi |
« les faire respirer après tant de maux » | « respirer » est métaphorique pour faire vivre : baisser les impôts, etc. « maux » fait référence au climat (le Grand Froid) : les récoltes désastreux créent les famines et donc les épidémies. |
Or, ce peuple, qui, par le passé, était le plus fervent soutien du Roi, est en train de se lever contre lui. | |
« qui vous a tant aimé, qui a eu tant de confiance en vous » | C’est conjugué au passé. Le peuple a eu confiance mais le Roi les a trahi. Le Roi a frappé ce qui le plus d’amour de lui ; cela souligne l’ingratitude du Roi. |
« a… aimé… a eu… » | C’est à l’ordi, c’est un rythme binaire, c’est pour accentuer le fait que le peuple n’a plus confiance au Roi |
« Vos victoires et vos conquêtes ne le réjouissent plus » | « ne le réjouissent plus » est conjugué au passé. Le peuple partage le même sentiment que le Roi, ils ne partagent plus la joi/la plaisir pour la guerre, cette guerre est fabriquée par le Roi et pour le Roi. Le peuple ne soutient plus le Roi à cause de ces guerres inutiles. |
« Le peuple… commence à perdre l’amitié, la confiance, et même le respect. » | « commence à » accentue la situation présente et le futur proche. Fénelon annonce l’avenir : l’amour et la confiance pour le Roi. Le peuple perd le respect et la confiance, donc ils ne sont plus contents, ils se rebellent, ils mettent en danger le pouvoir du Roi et son prestige, ce fait/menace/alerte/mise-en-garde risque le trône |
« Les émotions populaires, qui étaient inconnues depuis si longtemps, deviennent fréquentes. » | « émotions populaires » sont des sentiments/émeutes qui créent des révolutions. Au passé, les cris du peuple était minuscules ; maintenant, ils sont nombreux. Il fait référence aux émeutes/révoltes populaires. |
« La sédition s’allume peu à peu de toutes parts. » | « sédition » est une révolte. « s’allume peu à peu » est un métaphore pour des révoltes et qu’un peuple mécontent brûlent ses alentours. |
« Paris même… n’en est pas exempt. » | La capitale est aussi menacée. Cela souligne la gravité de la situation. |
Les raisons de ce « désamour » sont indiquées et sonnent comme autant de reproches faits au Roi. | |
« Vos victoires et vos conquêtes » ; « garder quelques places de la frontière, qui causent la guerre » | C’est une guerre pour rien. Cela souligne le désintéressement et l’inutilité de cette guerre, elle n’existe que pour le prestige et la gloire du Roi. |
« Vous n’aimez que votre autorité et votre gloire » | C’est une guerre d’argueil pour la prétension, le prestige et l’apparence du Roi. |
« vous n’avez aucune pitié de leurs maux » | Le Roi est impitoyable, cruel et insensible. |
« Si le Roi […] avait un cœur de père… ne mettrait-il pas toute sa gloire à leur donner du pain » | « le Roi » est un métaphor pour un père, un mauvais père qui ne protège pas ses enfants |
« par vos impôts pour cette guerre » | Il y a une augmentation des impôts pour cette guerre. |
Les conséquences sont déjà perceptibles : un affaiblissement moral de la figure du Roi et de ses représentant (injustices, corruptions, violences…). | |
« Les magistrats sont contraints… » | C’est une phrase dans la voix passive. Le mot « magistrats » sont dans la position sujet. Ils sont subis par la pression du peuple, ils n’ont plus de pouvoir, c’est une révolution de pouvoir. |
« Vous êtes réduits à la honteuse et déplorable extrémité » | C’est une phrase dans la voix passive. Le sujet est le Roi. Il est subis/constraint d’obliger de faire un mauvais choix, même s’il est un monarque absolu. Ce qu’il va faire est honteux et déplorable (péjoratif) |
« tolérer l’insolence des mutins » ; « laisser la sédition impunie et l’accroitre par cette impunité » | Il doit accepter la faiblesse des mutins. Le Roi ne punit pas les mutins, il est donc injuste. C’est une solution inefficace et encourage des autres de revolter. |
« faire couler sous la main quelque monnaie pour les apaiser » ; « on paye ceux qu’il faudrait punir » | On donne l’argent pour arrêter la révolte. C’est donc la corruption/inefficacité de justice. On encourage les mutins, c’est un moyen honteux. |
« massacrer avec inhumanité des peuples » | Massacrer avec inhumanité, « inhumanité » souligne l’injustice, c’est le meurtre |
« arracher… le pain qu’ils tâchent de gagner » | « arracher » est une forme de violence ; en augmentant les impôts, les gens meurent |
Plan d'un paragraph argumenté
[modifier | modifier le wikicode]Introduction
[modifier | modifier le wikicode]- nature du texte
- contexte
- intentions de l’auteur
Une lettre qui critique la politique royale
[modifier | modifier le wikicode]- dénonciation de la politique étrangère
- reprise de la guerre
- guerre sans intérêt, vaine
- dénonciation de la politique économique
- le Roi augmente les impôts pour cette guerre
- dénonciation des violences faites au peuple
- augmentation brutale des impôts
- possibilité de massacrer les mutins
- dénonciation de la justice du Roi
- le Roi doit exercer sa justice et donc punir les mutins ; compensation des mutins est l’injustice
Critique de la personne royale
[modifier | modifier le wikicode]- Le Roi est « glorieux »/argileux
- Le sueur de sa gloire
- Il fait la guerre pour lui-même
- Le Roi est insensible (égoïste)
- Il ne prend pas en compte les malheurs de son peuple
- Il est violent/cruel
- Risque de massacrer le peuple (répression)
- Cruauté d'augmentation des impôts en pleine aise
- Ingratitude/injustice du Roi
- Le peuple était le soutien du Roi, plus encore, il l’aimait. C'est donc une forme de trahison/d'injustice du Roi qu'il le maltraite.
- Le Roi est aveugle
- Il ne voit pas l'inutilité de ces guerres qui appauvrissent son royaume et affaiblissent son pouvoir.
- Il est tout puissant mais ces guerres éclairent le fait qu'il est aveugle.