Fondements et application du socio-cognitivisme/Introduction
Malgré trois colloques franco-soviétiques d’enseignement programmé et l’effort des chercheurs qui s’y référèrent au cours des années 1970 (Feuerstein, Rey, Le Ny, Savoyant, Hameline ...) le socio-cognitivisme, dit aussi psychologie culturelle, a été long à s’imposer dans la littérature francophone. Après l’abandon des colloques franco-soviétiques d’enseignement programmé initiés par Jean-François Le Ny à partir de 1973, une timide percée s’amorce certes au milieu des années 1980 avec la publication d'un ouvrage de Jean-Paul Bronckart et la traduction de Pensée et Langage par Françoise Sève mais il faut attendre les célébrations conjointes du centenaire des naissances de Piaget et Vygotsky en 1996 pour qu’il trouve enfin la place qu’il mérite. Bien reconnu aujourd’hui par les sciences de l’éducation, il commence à mobiliser l’ensemble de la réflexion pédagogique francophone. Le 13 octobre 2016 un colloque international placé dans le cadre de la fête de la science et la célébration des 120 ans de la naissance de Vygotski a réuni au Centre de Russie pour la Science et la Culture de Paris un panel franco-russe de chercheurs. En attendant les actes à paraître, nous proposons de faire le point sur l’application à la pédagogie de cet important courant de la recherche fondamentale en psychologie. Celui-ci se réfère à la fois à la psychologie génétique et à la psychologie cognitive. Nous soulignerons plus loin comment il se différentie au sein de la première mais il nous semble nécessaire d’effectuer dès maintenant un bref rappel sur l’histoire de la seconde.
Le psycho-cognitivisme américain, qualifié parfois de computoriel pour ses emprunts à l’intelligence artificielle, succède à l’effort psycho-pédagogique développé par les behavioristes qui présente deux courants :
- celui de l’enseignement programmé avec Skinner, Crowder, Gilbert ....
- celui de la programmation par objectif avec Tyler, Kearney, Mager ....
Cette réflexion, qualifiée de révolution technique de l’enseignement, a beaucoup apporté. Mais appliquée sans discernement par des apôtres rigoristes, elle a aussi fait l’objet de beaucoup de critiques. Et suscité la révolution cognitive où Chomsky remet en cause les fondements mêmes du behaviorisme. Gagné puis Merril se libèrent du couple stimulus-réponse et ouvrent la fameuse boîte noire. Leur mode de programmation, fondé sur des tâches, prend en compte le fonctionnement psychique et non plus le seul découpage cartésien de l’objet à enseigner. Et Jérome Brunner, reconnaissant le rôle de l’imprégnation culturelle dans tout développement humain, se référe très clairement au début des années 1980 à certains travaux initiés avant la guerre en URSS où ils se développent dès la fin des années 1950.
On peut attribuer la paternité de ceux-ci à Vygotsky qui constitua avec Luria et Leontiev la Troïka de Kharpov avant 1930. Mais, condamnés par le régime soviétique, leurs travaux ne se développèrent véritablement qu’après le décès de Staline et l’arrivée de Khrouchtchev au pouvoir. Galperine, Talyzina, Morgoun, Zaporojetz ... les rendirent alors plus fonctionnels en intégrant les apports de Landa qui avait développé entre temps une réflexion particulière sur les algorithmes. Cette dernière rejoint celle des psycho-pédagogues américains sur bien des points comme nous pourrons le constater en fin de ce cours.