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De la propriété au commandement/Version imprimable

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De la propriété au commandement

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Note d'introduction concernant les sciences humaines et sociales

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Chapitre no 1
Leçon : De la propriété au commandement
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Chap. suiv. :Qu'est-ce que l'anthropologie ?
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Parmi les soucis majeurs des sciences humaines et sociales, réside le fait que l'expérience humaine ou sociale restera toujours une expérience unique et non reproductible à l'identique. L'étude de ces phénomènes demande de plus une approche systémique dans le sens où chaque phénomène est étroitement lié et influencé par un environnement qui ne cesse de se modifier avec le temps et dans lequel se déroule un ensemble complexe d'interactions.

Pour cette raison, Jean-Claude Passeron parle des sciences historiques et d'historicité[1], afin de démarquer les sciences sociales du concept de réfutabilité avancé par Karl Popper[2]. Car pour ce dernier, ce qui fait science, c'est la possibilité de réfuter toute affirmation, hypothèse ou théorie suite à ré-expérimentation empirique. Or, à l'exception de certaines interactions sociales bien spécifiques, comme celles pouvant être soumises à un archivage tout aussi spécifique[3], on ne peut jamais expérimenter une seconde fois l'observation d'un phénomène social d'une manière tout à fait identique.

L'analyse de ce que Émile Durkheim appelait un « fait social »[4], est effectivement toujours influencé par le contexte historique et culturel dans lequel se trouve l'observateur. Il est fort à parier en effet que deux personnes qui assistent à un fait social à des siècles différents, dans des régions et cultures différentes, ou étant soumises à des relations de pouvoir différentes, interprèteront différemment ce qu'ils observent. Ceci contrairement à l'observation d'une pomme qui tombe d'un arbre. C'est là aussi la raison pour laquelle Donna Haraway parle de connaissance située[5], une expression qui, par ailleurs, concerne tout aussi bien les sciences dures que les sciences humaines et sociales.

À cela s'ajoute ensuite la difficulté d'isoler les phénomènes sociaux et culturels les uns des autres, dans le but de réduire la quantité d'informations à traiter lors de leurs analyses. Car c'est là en effet l'une des principales faiblesses du cerveau humain que de ne pouvoir disposer d'une mémoire de travail très limitée en comparaison aux mémoires vives aujourd'hui utilisées par les ordinateurs. La mémoire à court terme d'un être humain décroit en effet de façon exponentielle avec le temps[6] et semblerait ne pas pouvoir dépasser une durée d'une minute tout en étant incapable de traiter plus de dix informations en même temps.

Grâce à la mémoire dite opérationnelle cependant, la mémoire à court terme peut être mise en relation avec le contenu de la mémoire à long terme, qui chez l'homme est considérable, mais sans pour autant être infaillible[6]. Dans le cadre de certaines pratiques assidues, il serait alors possible de construire ce que certains appellent une mémoire de travail à long terme. Cette dernière n'aurait rien de comparable toutefois, en termes de durée et de quantité d'informations en temps réel, à ce qui se passe dans les traitements informatiques aujourd'hui capables de prédire, de manière toujours plus fiable, la météo de nombreux jours à l'avance.

Pour penser la complexité du culturel et du social, l'humain a donc besoin de simplifier arbitrairement les faits réels à l'aide de différents outils méthodologiques parmi lesquels on peut citer : la catégorisation, la classification, la typologie, l'idéal-type, l'analogie, la métaphore et l'échantillonnage. Ce à quoi on peut encore ajouter dans certaines disciplines des sciences humaines et sociales, un goût prononcé pour les analyses quantitatives reposant sur des calculs et représentations statistiques et probabilistes, dans le but d’atteindre une plus grande objectivité dans l'analyse des faits sociaux et culturels. Cependant, lorsque ces analyses n'ont pas eu la chance d'être recoupées avec d'autres analyses qualitatives, de type ethnographique par exemple, celles-ci peuvent alors souffrir d'une certaine décontextualisation et déshumanisation nuisible à la production de bonnes théories.

Voici sans doute pourquoi les sciences humaines et sociales ont beaucoup de peine à produire des théories inébranlables. Tandis que les rares lois existantes ne sont en réalité que des abus de langage offrant un surcroît d'importance à une théorie qui n'a rien d'universel en soi, mais dont le succès et l'adhésion est souvent lié à un contexte idéologique particulier. La loi d'airain de l'oligarchie par exemple, selon laquelle toute organisation sociale tend vers une oligarchie, n'a effectivement rien d'un principe universel puisqu'elle ne pourrait s'appliquer, ni chez les alcooliques anonymes, ni dans de nombreuses peuplades de chasseurs-cueilleurs.

Un autre souci majeur des sciences humaines et sociales réside ensuite dans cette obligation de travailler, non pas avec des concepts aussi précis que des chiffres, des vecteurs ou des quantités de matière (mole), ni encore avec des matériaux aussi palpables qu'une pierre, un burin ou un marteau, mais bien avec des mots issus de l'imaginaire humain et dont certains souffrent d'ambivalence. Le mot « travail » est un bel exemple, puisqu'il substitue bien souvent l'usage des termes plus appropriés que sont : l'emploi, l'activité, l'étude, la pratique, etc. Lorsqu'un discours ou un débat s'établit autour de ce genre de termes polysémiques, survient alors généralement une grande incompréhension entre les interlocuteurs, lorsque ceux-ci partagent des représentations différentes d'un même concept.

Le mot « pouvoir », en tant que substantif, est un autre exemple, puisqu'il n'aura pas non plus le même sens selon qu'il se situe dans un discours philosophe (une capacité au sens large), sociologique (la faculté d'imposer sa volonté) et politique (une assemblée investie d'un pouvoir sociologique). De plus la notion de pouvoir est fréquemment confondue avec celle d'autorité, alors que la politologue et philosophe Hannah Arendt distingue les deux concepts. En effet, pour elle, et contrairement au pouvoir, l'autorité s'établit sans coercition ni persuasion, mais repose sur une reconnaissance inconditionnelle envers la personne ou l'entité qui commande[7]. Une opinion qui bien sûr lui est propre et qui de fait ne fait pas l'unanimité. Sans compter qu'en sciences humaines et sociales certains auteurs établissent leurs propres définitions sur des termes définis autrement par d'autres ou dans d'autres contextes. La définition du terme habitus utilisé par Bourdieu en sociologie est en effet différente de celle utilisée par d'autres en minéralogie, en biologie ou en médecine.

Voici donc pourquoi, dans le cadre d'une leçon produite en sciences humaines et sociales, il est toujours bon de définir préalablement les principaux termes que l'on compte employer. Alors qu'avant cela, il est aussi toujours bon de définir précisément la science ou la discipline dans laquelle s'inscrit le discours que l'on souhaite transmettre.


Mot clefs : systémique - historicité - connaissance située - mémoire de travail & méthodes - abus de langage - absence de signifié & polysémie - pouvoir & autorité.



Qu'est-ce que l'anthropologie ?

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Le mot anthropologie, comme de nombreux mots et concepts utilisés en sciences humaines et sociales, est polysémique. Ce qui veut dire qu'on peut le définir de manières différentes, s’il n'est pas associé à un adjectif ou tout autre complément d’information.

Étymologiquement, le mot anthropologie se décompose en deux parties. La première, « anthropo- » est un préfixe issu du mot en grec ancien « ánthrôpos » qui se traduit par le mot « humain », tandis que la seconde : « -logie » est un suffixe qui fait référence au mot « lógos », toujours issu du grec ancien, et qui se traduit communément cette fois par le mot « discours ». D'une manière générique et lorsqu'il est utilisé de manière isolée, la définition du mot anthropologie la plus proche de ses racines étymologiques peut donc correspondre à un « discours sur l'être humain ».

Or, il faut bien reconnaître que l'on peut développer un discours sur l'humanité de nombreuses manières et en adoptant de nombreux points de vue. On peut le faire en se concentrant sur l'évolution physique et biologique du genre Homo à travers les âges, comme on le fait en anthropologie physique. On peut ensuite le faire d'une façon plus actuelle comme le fait la médecine, ou encore en se focalisant sur le psychisme à la manière des psychologues. Ceci alors que les sociologues préféreront quant à eux axer leurs discours sur l'organisation sociale des groupes humains contemporains, les économistes sur leurs organisations économiques, les politologues, sur les aspects politiques, etc.

Cependant, dans le milieu universitaire, il est très courant que le simple terme « anthropologie » soit utilisé pour parler d'anthropologie sociale et culturelle, ou autrement dit d'une discipline qui s'intéresse à l'humain sous le prisme de la culture et du social et pas seulement, précisons-le, dans une perspective contemporaine.

Afin d'étudier les aspects culturels et sociétaux des peuples humains, le chercheur en anthropologie sociale et culturelle, le socio-anthropologue comme diront certains, a pour habitude de recourir à l'ethnographie. Il s'agit là d'une pratique dont le but est de produire des observations et des analyses dans le cadre d'une participation active à la vie quotidienne des communautés étudiées. Cette méthode d'acquisition du savoir, est de fait très prisée en anthropologie et se désigne couramment par l'expression « observation participante ». Ceci alors que la discipline qui consiste à analyser et comparer les travaux ethnographiques s'appelle l'ethnologie. Elle a pour objectif de produire des théories plus générales sur l'être humain, selon une approche qui se veut plus englobante et souvent pluridisciplinaire.

Car il faut en effet tenir compte que l'ethnographie et l'observation participante sont des pratiques relativement récentes au regard du temps d'existence des êtres humains sur terre. Le terme ethnographie fut conçu en 1767 par Johann Friedrich Schöpperlin[8], alors que l'observation participante, en tant que méthode scientifique, n'aurait été expérimentée pour la première fois que lors d'un séjour de 1879 à 1884 fait par Frank Hamilton Cushing (1857-1900) au sein du peuple amérindien zuñi de Nouveau-Mexique. Suite à quoi le chercheur publia dans la revue Popular Science de l'année 1882, un article intitulé The Zuni Social, Mythic, and Religious Systems[9].

Bien avant cela et au cours de l'année 1800, Joseph-Marie de Gérando (1772-1842), un philosophe reconnu à ce jour comme l'un des précurseurs de l'anthropologie moderne, avait déjà publié au sein du journal de la société des observateurs de l'homme un article qui semblait déjà faire les éloges de l'observation participante. Son texte avait pour titre : Considération à suivre dans l'observation des Peuples sauvages et dans cet écrit tout à fait remarquable pour l'époque, on pouvait y lire que : « le premier moyen pour bien connaître les Sauvages, est de devenir en quelque sorte comme l'un d'entr'eux[10] ; et c'est en apprenant leur langue qu'on deviendra leur concitoyen »[11].

Cela dit, il fallut toutefois attendre le début du 20ᵉ siècle pour que la pratique de l'observation participante devienne populaire en anthropologie sociale et culturelle. À l'origine de cet engouement, il y eut sans aucun doute le succès d'un ouvrage écrit par Bronislaw Malinowski (1884-1942) et intitulé : Les Argonautes du Pacifique Occidental[12]. Dans ce livre publié en 1922, l'anthropologue polonais expliquait en effet comment il avait, des années durant, observé et partagé le quotidien des Trobriandais de Nouvelle-Guinée dans le cadre de ses recherches anthropologiques.

Environ trois cents ans de pratique de l'ethnographie et de l'observation participante ont ainsi permis de récolter une importante quantité d'informations sur la vie sociale et culturelle des communautés humaines. Cependant, 300 ans d'analyses représentent bien peu de choses. Les plus anciens fossiles de l'espèce Homo sapiens retrouvés sur le site de Djebel Irhoud datent d'environ 300 000 ans avant notre ère[13], ce qui explique donc pourquoi certains anthropologues se sont intéressés aux travaux d'historiens, dans le but de traiter des faits qui remontent bien au-delà de la période étudiée par l'ethnographie.

Les nombreux récits d'explorateurs, de conquérants, de colonisateurs, et autres aventuriers qui auront pris la peine de décrire la vie des peuples qu'ils ont rencontrés servent alors de documents historiques très précieux dans le cadre de l'étude sociale et culturelle de l'humain en des temps plus reculés. Ce à quoi on peut aussi ajouter tous les documents produits par d'autres personnes lettrées, qui ont pris le soin de décrire leurs propres cultures. Grâce à tous ces textes et selon les sujets qu'ils traitent, on peut alors confronter les données ethnographiques contemporaines à des observations plus anciennes. Cela permet ainsi de développer une argumentation plus solide durant la création de nouvelles théories, ou même dans certain cas, remettre en question les théories existantes.

Mais à nouveau, les plus anciens écrits déchiffrés à ce jour furent retrouvés en Mésopotamie sur des tablettes en argiles datées de 3 500 ans av. J. -C[14].. Ce qui signifie donc que l'histoire, en tant que science, ne s'intéresse finalement qu'à 1 % seulement du temps d'existence de l'humain sur terre. Les 99 % restant font en effet partie de ce que l'on appelle couramment la préhistoire, soit une époque qui se termine avec l'invention de l'écriture et qui commence avec l'apparition des premières traces humaines retrouvées lors de fouilles ou suite à l'exploration de zones peu accessibles.

Ces traces sont des os, des dents ou autres restes humains ayant résisté à la dégradation par le temps, ainsi qu'un ensemble d'objets fabriqués par l'homme, que l'on appelle artefacts. Parmi ceux-ci, on retrouve une diversité pouvant aller du simple éclat de pierre à des édifices de grandes complexités, en passant par tout un ensemble d'outils fabriqués dans des matières imputrescibles.

Et c'est alors à l'archéologie que revient la tâche d'en faire la récolte, l'inventaire et l'analyse, avec pour objectif de produire des affirmations et théories sur le passé des êtres humains et sans que ce passé ne se limite à la préhistoire. Sauf qu'en absence d'observation directe et de documents écrits, on court le risque de certains biais d'interprétation en « exagérant grossièrement l'importance de l'outil et minimisant celle du savoir-faire »[15].

Puis, lorsqu'il s'agit de temps plus reculés encore, où les traces de l’existence humaine se limitent à la présence de fossiles, c'est alors à la paléoanthropologie que revient la tâche d'étudier le passé des êtres humains. Ceci avec une aide précieuse apportée par la paléogénétique au même titre que l'archéogénétique viendra secourir les archéologues.

En 2014 par exemple, un séquençage complet du génome de l'homme de Ust-Ishim, un Homo sapiens décédé il y a 45 000 ans dans une vallée de Sibérie, a permis de découvrir que cet homme était physiquement très proche de notre apparence actuelle. À tel point que selon les estimations de Jean-Jacques Hublin, paléoanthropologue à la Société Max-Planck pour le développement des sciences⁣⁣, son « visage est celui d'une personne que vous pourriez aisément croiser dans le métro ou dans la rue »[16].

Une telle découverte permet dès lors de supposer que les changements sociaux et culturels qu'a connu notre humanité depuis 45 000 ans ne sont probablement pas tant dû à des changements génétiques, mais plutôt à des changements sociaux et culturels issus de variations dans les comportements, habitudes, coutumes et du savoir transmis de générations en générations. Car il est vrai que, chez les humains, ce transfert intergénérationnel que l'on désigne communément par le mot « culture » est extrêmement développé par rapport aux autres êtres vivants.

Cette faculté serait particulièrement développée chez l'humain en raison du caractère altriciale de son cerveau, dont le développement des capacités cognitives s'effectue en grande partie après la naissance[17]. Selon les recherches sur la stabilisation sélective des neurones[18], une compétence cognitive génétiquement présente chez le nouveau né, mais qui n'est pas stimulée durant sa croissance, disparaît à jamais. Un phénomène qu'illustrent parfaitement certains enfants sauvages ou séquestrés dont les retards cognitifs sont irrécupérables[19].

Tout ceci justifie donc l'importance qu'il faut accorder à la culture et aux évolutions culturelles dans le cadre de l'étude des êtres humains. Malheureusement, si les récoltes minutieuses et abondantes d'informations produites par les ethnographes permettent d'étudier en détails les variations sociales et culturelles des peuples, on ne peut pas dire autant des textes anciens et encore moins des informations récoltées par les archéologues et paléoanthropologues.

Plus on remonte dans le temps, plus l'information devient lacunaire et insuffisante pour établir des théories inébranlables sur les changements sociaux et culturels apparus chez l'homme. Il devient alors tentant d'utiliser les travaux contemporains produits par les ethnographes et ethnologues au sujet des communautés de chasseurs-cueilleurs pour établir des analogies avec les organisations sociales et culturelles des peuples préhistoriques vivant à l'époque paléolithique, du mésolithique et du néolithique.

Une pluridisciplinarité doit alors se mettre en place pour pouvoir apporter des significations sociales et culturelles aux objets et traces récoltées par l'archéologie et la paléoanthropologie. Ceci alors qu'en contrepartie, les informations récoltées par ces disciplines ainsi que celles produites par les généticiens sont généralement plus fiables et objectives que celles obtenues par le biais d'interviews ou de comptes rendus d'observation. Les traces laissées par l'humain, y compris dans son code génétique, resteront toujours plus objectives qu'un discours rapporté, qui toujours, sera sujet à une interprétation subjective.

Produire un discours complet sur l'être humain implique donc de faire un recoupement entre de nombreux savoirs récoltés au sein de nombreuses disciplines. Ceci notamment pour éviter toute spéculation, fabulation ou falsification d'un passé dans le but de défendre ou promouvoir certaines idéologies. D'ailleurs, grâce aux nouvelles informations fournies suite au progrès de la génétique, des techniques de datation, de télédétection et autres, de nombreuses croyances sur le passé des êtres humains doivent êtres revues.

En anthropologie, comme dans toutes sciences, il faut donc toujours garder un regard critique sur les arguments et théories produites, puisque de surcroît, il ne s'agit pas d'une science exacte. Pour bien l'accomplir, il faut donc s'efforcer de produire des logiques sans faille, basées sur des observations et analyses aussi minutieuses qu'objectives, destinées à fournir les arguments qui seront mobilisés dans la production de nouvelles théories.


Mots clefs : éthymologie - diversité des approches - anthropologie sociale et culturelle - période ethnographique, historique préhistorique - pluridisciplinarité par intérêts et époques - pièges heuristiques



Que faut-il entendre par anarchiste ?

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Chapitre no 3
Leçon : De la propriété au commandement
Chap. préc. :Qu'est-ce que l'anthropologie ?
Chap. suiv. :Critique du concept de propriété
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Tout comme le mot anthropologie, le terme « anarchie » demande que l'on s'y attarde dans le but d'en choisir une définition précise avant de poursuivre cette leçon. Car si l'on s'en réfère au Wikitionnaire en français, le mot « anarchie » désigne à la fois : une forme d'organisation politique, l'absence de hiérarchie, de pouvoir et d'autorité, la confusion et la discorde politique, le désordre, le manque d'organisation et l'absence de règle ou de loi.

Cette profusion de définitions indique clairement la confusion qui règne autour du terme anarchie, avec une demi-douzaine de définitions dont certaines sont incompatibles avec d'autres. En effet, l'absence de hiérarchie, de pouvoir et d'autorité au sein d'une organisation politique, requièrent précisément la présence de règles choisies et assimilées par tous, sans quoi on ne pourrait plus parler d'organisation. Dans le champ de la politique, il est donc très important de ne pas associer le terme anarchie à celui de chaos ou d'absence d'organisation, de règle ou de loi.

On peut ensuite s'intéresser aux origines étymologiques du terme[20]. Celui-ci est composé du préfixe privatif « an » qui indique une absence et du suffixe « -archie » provenant du mot en grec ancien « árkhô » qui peut se traduire en français par le mot « commander ». Tandis que le terme hiérarchie, possède un suffixe tiré du grec « ἱεράρχης », traduit en français par le mot « hiérarque » que l'on peut substituer par le mot « chef » dans un contexte religieux. Ceci alors que le mot hétérarchie, pour sa part, désigne un commandement venant des autres dans le cadre d'une « organisation décentrée, transformable par ceux qui en sont les acteurs »[21]. Sur base de ces informations, on peut donc déduire que le sens premier du terme anarchie est une absence de commandement, que l'on pourrait assimiler à d'autres concepts tel que le libre arbitre et l'autodétermination.

Cette définition étant retenue, il reste à présent à situer l'expression « anthropologie anarchiste » telle qu'elle est utilisée dans le cadre de cette leçon. Si l'on se réfère à Wikipédia en français, l'anthropologie anarchiste peut se définir comme «  un champ de recherches anthropologiques s'intéressant aux sociétés qui ont constitué des mécanismes de résistance au pouvoir, ou qui se sont employées à limiter le risque de voir apparaître des institutions autoritaires »[22]. Et pour ne pas faire concurrence au contenu de cet article, cette leçon s'efforcera alors à développer un discours sur l'apparition du pouvoir de commandement entre les êtres humains. Une première étape sans laquelle la naissance des états en tant que structure centrale du pouvoir de commandement, remise en cause par les anarchistes, n'aurait jamais pu exister.

Suite à quoi, il est donc important d'indiquer aux personnes qui espéraient trouver dans cette leçon plus de détails sur les écoles, auteurs et courants de pensée anarchiste en anthropologie, qu'il existe sur ce sujet une conférence donnée en 2019 par l'archéologue Jean-Paul Demoule[23]. À cette première source d'informations s'ajoute ensuite, la liste des articles de l'encyclopédie Wikipédia en français repris dans la catégorie « Anthropologie anarchiste »[24]. On y retrouve, entre autres, des liens qui redirigent vers les articles encyclopédiques qui présentent les anthropologues anarchistes les plus connus, ainsi que d'autres pointant vers la présentation de certains ouvrages. Quant aux ouvrages qui aborde le sujet, on retrouve parmi ceux-ci : Pour une anthropologie anarchiste[25] de David Graeber, L'ordre contre l'harmonie[26] de Charles Macdonald, Zomia ou l'Art de ne pas être gouverné de James C. Scott[27] et parmi les parutions les plus récentes, Anthropologie et anarchie dans les sociétés polycéphales de Thom Holterman[28].

  1. Jean-Claude Passeron, Le raisonnement sociologique: un espace non poppérien de l'argumentaton, Albin Michel, 2006 (ISBN 978-2-226-15889-5) 
  2. Karl R Popper, Conjectures and refutations the growth of scientific knowledge., Routledge & Kegan Paul, 1963 (OCLC 1070438148) 
  3. Lionel Scheepmans, « Imagine un monde : quand le mouvement Wikimédia nous aide à penser de manière prospective la société globale et numérique de demain », Dial, UCL - Université Catholique de Louvain, 2022, p. 332 [texte intégral] Voir spécifiquement la section intitulée « Une écriture authentifiable au service d'une lecture immersive ».
  4. Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, F. Alcan, 1895 [lire en ligne], p. 181 
  5. Donna Haraway, « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective », Feminist Studies, vol. 14, no  3, 1988, p. 575–599 (ISSN 0046-3663) [lien DOI]
  6. 6,0 et 6,1 Nadia Auriat, Les défaillances de la mémoire humaine: aspects cognitifs des enquêtes rétrospectives, INED, 1996 (ISBN 978-2-7332-0136-7) [lire en ligne] 
  7. Yves Sintomer, « Pouvoir et autorité chez Hannah Arendt », L'Homme et la société, vol. 113, no  3, 1994, p. 117–131 [texte intégral lien DOI]
  8. Hans Vermeulen, Early History of Ethnograph and Ethnolog in the German Enlightenment: Anthropological Discourse in Europe and Asia, 1710–1808, Leiden, Privately published, 2008 
  9. Frank Hamilton Cushing, « The Zuni Social, Mythic, and Religious Systems », dans Popular Science Monthly Volume 21 June 1882 (lire en ligne)
  10. Mot retranscrit tel-quel dans son orthographe ancienne.
  11. Joseph-Marie de Gérando, Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l'observation des peuples sauvages, 1800 [lire en ligne] 
  12. Malinowski, Bronislaw, Les argonautes du Pacifique occidental, Gallimard, 1963 (OCLC 954049132) 
  13. Jean-Jacques Hublin, Abdelouahed Ben-Ncer et al., New fossils from Jebel Irhoud, Morocco and the pan-African origin of Homo sapiens, Nature, juin 2017
  14. Jean-Jacques Glassner, Écrire à Sumer, l'invention du cunéiforme, Paris, Éditions du Seuil, 2000, 304 p. (ISBN 2-02-038506-6), p. 65 
  15. Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d'abondance. L'économie des sociétés primitives, Editions Gallimard, 2017-03-16 (ISBN 978-2-07-271180-0) 
  16. Jean-Jacques Hublin, « Une nouvelle découverte remet en cause l'évolution de l’Homo sapiens », sur National Geographic, (consulté le 6 octobre 2022)
  17. Joel Candau, « Altricialité », Anthropen, 2018-09-08 (ISSN 2561-5807) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2022-12-02)]
  18. Jean-Pierre Changeux, Philippe Courrége et Antoine Danchin, « A Theory of the Epigenesis of Neuronal Networks by Selective Stabilization of Synapses », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 70, no  10, 1973-10, p. 2974–2978 (ISSN 0027-8424 et ISSN 1091-6490) [lien PMID lien DOI]
  19. Lucienne Strivay, Enfants sauvages: approches anthropologiques, Gallimard, 2006 (ISBN 978-2-07-076762-5) 
  20. Pour plus de détails, voir : « Étymologie du terme anarchie », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  21. Serge Moscovici, « Nos sociétés biuniques », Communications, no  91, 2012, p. 93–112 (ISSN 0588-8018) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2018-03-09)]
  22. « Anthropologie anarchiste », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  23. « L'anthropologie anarchiste », sur www.quaibranly.fr (consulté le 20 décembre 2022)
  24. « Catégorie:Anthropologie anarchiste », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  25. David Graeber, Pour une anthropologie anarchiste, Lux Éditeur, 2018-01-25 (ISBN 978-2-89596-736-1) 
  26. Charles Macdonald, L'ordre contre l'harmonie: anthropologie de l'anarchie, Pétra, 2018 (ISBN 978-2-84743-204-6) 
  27. James C. Scott, Petit éloge de l'anarchisme, Lux Éditeur, 2019-02-07 (ISBN 978-2-89596-766-8) 
  28. Thom Holterman, Anthropologie et anarchie dans les sociétés polycéphales, Atelier de création libertaire, 2021 (ISBN 978-2-35104-162-8) 



Considérations sur la notion de propriété

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En 1840, Pierre-Joseph Proudhon débutait le premier chapitre de son premier ouvrage intitulé : Qu'est-ce que la propriété ? avec le paragraphe suivant :

Si j’avais à répondre à la question suivante : Qu’est-ce que l’esclavage ? et que d’un seul mot je répondisse, C’est l’assassinat, ma pensée serait d’abord comprise. Je n’aurais pas besoin d’un long discours pour montrer que le pouvoir d’ôter à l’homme la pensée, la volonté, la personnalité, est un pouvoir de vie et de mort, et que faire un homme esclave, c’est l’assassiner. Pourquoi donc à cette autre demande, Qu’est-ce que la propriété ? ne puis-je répondre de même, C’est le vol, sans avoir la certitude de n’être pas entendu, bien que cette seconde proposition ne soit que la première transformée ?

Vingt-six an plus tard, en 1966, ce même auteur, dans le neuvième chapitre d'un ouvrage intitulé Théorie de la propriété, n'identifiait plus de la propriété comme un vol, mais bien d'un don gratuit offert aux humains pour les protéger des atteintes de leurs semblables, tout en continuant à exprimer son dégout de l'expropriation et de la privatisation.

La propriété ne se mesure pas sur le mérite, puisqu’elle n’est ni salaire, ni récompense, ni décoration, ni titre honorifique ; elle ne se mesure pas sur la puissance de l’individu, puisque le travail, la production, le crédit, l’échange ne la requièrent point. Elle est un don gratuit, accordé à l’homme, en vue de le protéger contre les atteintes du pouvoir et les incursions de ses semblables. C’est la cuirasse de sa personnalité et de l’égalité, indépendamment des différences de talent, génie, force, industrie, etc.

[...]

Quand je vois toutes ces clôtures, aux environs de Paris, qui enlèvent la vue de la campagne et la jouissance du sol au pauvre piéton, je sens une irritation violente. Je me demande si la propriété qui parque ainsi chacun chez soi n’est pas plutôt l’expropriation, l’expulsion de la terre. Propriété particulière ! Je rencontre parfois ce mot écrit en gros caractères à l’entrée d’un passage ouvert, et qui semble une sentinelle vous défendant de passer. J’avoue que ma dignité d’homme se hérisse de dégoût.

L'évolution de la pensée de Proudhon, réputé précurseur de l'anarchisme, illustre la difficulté de situer la propriété dans le contexte d'une philosophie politique[1]. Peut-être est-ce dû au fait que la propriété ne découle par d'une observation de la nature où d'un quelconque constat empirique, mais bien comme un droit que l'on nomme explicitement : droit de propriété.

Or le droit est une idéologie[2], et ceci d'autant plus que l'on se situe dans le domaine de droit positif, réputé plus proche de la contingence, voir de l'arbitraire, et que l'on oppose droit naturel, plus soucieux de la nature humaine et de ses nécessités. En ce sens, la propriété est une idée humaine, apparure au sein d'une certaine forme d'idéologie qu'est le droit, et qui s'est vue petit à petit rénforcée dans le temps, suite à l'usage de l'écriture et l'apparition d'actes notariés.

Aujourd'hui et selon le code civil des Français[3], la propriété est ce droit de « jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Une définitiont qui, contrairement à certaines idée reçues, n'a pas été formulée de manière aussi absolutiste par le droit romain, mais plutôt par les glossateurs du moyen âge[4].

De l'idée de propriété en tant que droit découle ensuite la notion de propriété privée, qui précise que toute personne, autre que le propriétaire ou ses clients, peut se voir légalement privé de l'usage d'un bien, peut importe que celui-ci soit abandonné. Une notion que l'on peut opposer à celle de bien commun, qui pour les romains était une chose inappropriable par essence (res communis), mais qui par la suite, et grâce au progrès technologique a pu parfois le devenir. Tel est le cas de la musique par exemple, qui peut aujourd'hui constituer une propriété privée, suite à l'apparition de son écriture et des techniques d'enregistrement.

Une propriété privée peut ensuite être gérée de manière collective, dans le cadre de ce que l'on nomme propriétés collectives. Tout comme on parle aussi de propriété publiques au Canada, pour désigner des choses libres d'accès et d'usage par la public, telles que les parcs, alors qu'il sont reconnus la propriété d'un organisme, ou encore de bien publique, réputé non rival et non excluable, à l'image d'une émition de radio FM, puisque que son usage par un auditeur ne diminue ou ne modifie en rien l'usage d'un autre auditeur, pendant qu'il apparait techniquement impossible d'interdir quelqu'un de capté les ondes radio pour en jouir. On parle aussi de bien publique pur dans le cas de l'air libre que tout le monde respire sans aucune interdiction possible et sans que cela réduise la capacité des autres de respirer.

Suite à ces considérations, l'expression « appropriation exclusive » peut alors désigner l'accaparement d'une chose en vue d'un usage ou d'un profit strictement personnel, basée sur un processus d'exclusion. Les propriétaires d'un objet, d'une chose ou d'un être, ont en effet le pouvoir d'en déterminer la condition d'existence, jusqu'à sa vente, son échange, sa destruction, ou sa séquestration.

Les animaux, autres que les humains, s'approprient aussi certaines choses, mais jamais semble-t-il de manière ) ce que l'on puisse réellement d'un droit de propriété au sens où cela vient d'être décrit. C'est pourquoi, il est plus juste de parler dans ce cas, de droit d'usage, à l'image du territoire dont l'accès est interdit à d'autres membres de la même espèce, ou de certaines autres espèces concurrentes, tout au long de son usage.

Les animaux peuvent ainsi s'approprier de la nourriture, un territoire ou un partenaire sexuel en se combattant. Ils peuvent aussi cacher leur nourriture comme le font certains rongeurs qui oublient parfois l'existence ou l'emplacement de leurs cachettes. Ceci alors que d'autres marqueront leurs proies d'une empreinte, grâce à son urine par exemple, comme le fait une jaguar dans le roman intitulé Le vieux qui lisait des romans d'amour[5].

Mais en dehors du monde des humains, les animaux ne sont généralement pas en mesure d'interdire l'usage d'une chose durant leur absence ni de manière indéterminée, sauf peut-être en cachant cette chose comme déjà dit précédemment.

Les êtres humain en revanche sont capablement de tels faits, à l'image de ces terrains et bâtiments abandonnés par spéculation ou suite au décès du propriétaire et à la complexité de la succession, de tous ces objets contenus dans les maisons et les terrains dont on n'en fait pas l'usage, de la nourriture que l'on stocke jusqu'à péremption avant de la jeter, ceci alors qu'ils existent, au sein de notre espèce humaine, des sans-abris, des gens démunis de toute chose ou presque et même d'autres qui meurent de faim.

Les êtres vivant, bactéries incluses, défendent donc des territoires en interdisant l'accès à leurs congénères ou aux espèces qui leur sont proches dans leurs habitudes alimentaires. Selon leurs capacités, ils peuvent manifester leurs présences par des signaux visuelles (postures d'agression), gestuelles (agression), chimiques (glandes, urines, excréments, composant toxiques ...), auditifs (chants et cris).

Cependant, lorsqu'ils quittent, de manière définitive ou prolongée, la dépouille d'une proie, un territoire, un nid, terrier ou tout autres choses appropriées par l'usage, celles-ci ont vite fait d'être récupérées par un ou plusieurs membres de leurs espèces ou d'espèces voisines susceptibles d'en faire usage.

Enfin, il arrive aussi que des animaux de la même espèce, ou même d'espèces différentes, partagent un même lieu de vie et les mêmes choses, tout en s'aidant mutuellement. On parle alors de symbiose, soit mutualiste, parasitaire ou de commensalisme selon qu'il existe respectivement un profit mutuel, un profit unique, ou ni l'un ni l'autre. Ceci alors que l'on parle aussi d'animaux sociaux lorsque ceux-ci interagissent beaucoup avec les autres membres de son espèce et de son groupe en vue d'une cohésion globale. Ce qui est bien sûr aussi le cas des êtres humains.

D'une manière plus fondamentale encore, se pose ensuite la question de la propriété du corps chez les humains. Un corps humain est en effet composé de plus de 50 % d'eau et une grande part des cellules qui le compose exception faite de celles situées dans le cœur, le cerveau et d'autres organes du type, se renouvellent plusieurs fois au cours d'une espérance de vie moyenne.

Quant aux molécules et atomes qui composent les corps, elles ne cessent de circuler dans la nature suite à leur entrée et sortie du corps, au travers du système respiratoire et nutritif. Toutes ces particules sont cependant majoritairement agencées au sein du corps selon une architecture prédéfinie par un code génétique qui, paradoxalement ne fait l'objet d'aucun droit de propriété jusqu'à ce jour. Personne à ce jour en effet, est propriétaire de son code génétique, alors qu'il représente par nature la chose la plus unique et indissociable au corps des personnes.

Ensuite, le test du miroir nous informe que les enfants de moins de 18 mois, tout comme de nombreuses espèces animales adultes, ne semble pas percevoir leur corps comme une entité personnelle ou privée. Une situation qui évolue ensuite chez l'humain avec le développement d'une conscience de l'existence d'une mémoire qui lui est propre[6].

On sait enfin que ce qui compose un corps humains existe avant son développement et sa naissance et qu'aucune particules qui le compose ne disparait après la mort. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » disait Antoine Lavoisier et avant lui Anaxagore de Clazomènes.

Suite à ces considérations, proclamer être propriétaire de son corps, comme cela a été clamé à bon escient par les mouvements féministes, devient ambigu. Parler de droit d'usage, serait sans doute plus approprié. Car que dire de la propriété du corps en pensant à ces soldats qui encore aujourd'hui n'ont d'autre choix que de sacrifier à la guerre ? Lorsque ces corps au combat sont soumis aux ordres impératifs d'autres personnes, peut encore dire que les soldats sont propriétaires de leurs corps ? Qu'il en a le droit de propriété et donc le droit d'en faire ce qu'il en veut de manière la plus absolue ?

Il semblerait donc qu'il serait plus juste finalement de parler des corps humains et non humain, en termes d’usage que de propriété. Car le soldat est au service de l'armée sans pour autant lui appartenir, tout comme l'ouvrier ou la prostituée transfère le droit d'usage de leurs corps à une entreprise ou un client. Car s'il y avait transfert de propriété, on ne parlerait alors plus de sévices, mais bien d'esclavage que nome aussi par l'expression servitude involontaire.

Le droit d'usage sous-entend aussi souvent des limitations dans le temps et dans l'espace, alors le droit de propriété n'en aura pas tant que le propriétaire est en vie. Même après la mort, dans nombreuses sociétés humaines le droit de propriété ne disparait pas, mais se voit transmis aux descendants, à moins que le droit de propriété disparaisse avec la destruction des propriétés du défunt, comme cela se pratique chez les Roms[7] et dans le cadre des morts d'accompagnement dont il sera question prochainement.

Au-delà de l'appropriation d'autres espèces vivant dans le cadre de sa nutrition, l'idée d'être propriétaire de son propre corps en tant qu'être humain n'est donc pas idée qui coule de source. Sans compter que de ce sentiment de propriété du corps finit par se transposer sur d'autre corps humains. Celui des enfants, puis des femmes qui les produises[8], parfois dans des contextes extrêmes de domination masculine[9], probablement en lien avec le dimorphisme sexuel[10], et aussi finalement du corps de tout être humain réduite à la condition d'esclave.

Heureusement, de nos jours l'application du concept de propriété sur d'autres êtres humains continue à disparaitre et avec lui toutes les inégalités sociales qu'il engendre. Des inégalités qui précisément, on fait l'objet d'une étude anthropologique quant à leur apparition. Comme expliquer dans le prochain chapitre, l'apparition des techniques de conservation de la nourriture, semblerait apporter certaines explications.

  1. Anne-Sophie Chambost, « À propos de Proudhon : de la propriété-vol à la propriété-liberté », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, no  20, 2022-12-15, p. 13–21 (ISSN 1634-8842) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2024-03-11)]
  2. Olivier Corten et Annemie Schaus, Le droit comme idéologie : introduction critique au droit belge, Éd. de l'Université de Bruxelles, 2009 (ISBN 978-2-8004-1458-4) 
  3. Article 544 du Code civil
  4. Jean-Pierre Coriat, « La notion romaine de propriété : une vue d'ensemble », dans Le Sol et l'immeuble : Les formes dissociées de propriété immobilière dans les villes de France et d'Italie (xiie-xixe siècle), Presses universitaires de Lyon, coll. « Collection d’histoire et d’archéologie médiévales », (ISBN 978-2-7297-1045-3, lire en ligne), p. 17–26
  5. Luis Sepúlveda, Le vieux qui lisait des romans d'amour, Audiolib, 2014 (ISBN 978-2-35641-714-5 et 2-35641-714-1) (OCLC 905905468) 
  6. Joël Candau, Anthropologie de la mémoire, Armand Colin, 2005 (ISBN 978-2-200-26761-2), p. 17-18 
  7. Patrick Williams, Tsiganes, ou ces inconnus qu’on appelle aussi Gitans, Bohémiens, Roms, Gypsies, Manouches, Rabouins, Gens du voyage..., Humensis, 2022-08-24 (ISBN 978-2-13-083554-7) 
  8. Agnès Fine, « Françoise Héritier, Masculin, Féminin. La pensée de la différence. Paris, O. Jacob, 1996. », Clio, Histoire‚ femmes et sociétés, no  8, 1998 [texte intégral (page consultée le 14/11/2017)].
  9. Kevin Védie, « Et l’évolution créa la femme », sur CLARA, (consulté le 9 novembre 2022)
  10. Priscille Touraille, « Dimorphismes sexuels de taille corporelle : des adaptations meurtrières? : les modèles de la biologie évolutive et les silences de l'écologie comportementale humaine », These.fr, Paris, EHESS, 2005-01-01 [texte intégral (page consultée le 2022-09-29)]



De la propriété aux inégalités sociales suite aux techniques de conservation de la nourriture

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Chapitre no 6
Leçon : De la propriété au commandement
Chap. préc. :Considérations sur la notion de propriété
Chap. suiv. :Les origines de l'État
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Dans son ouvrage intitulée Les chasseurs-cueilleurs ou l'origine des inégalités[1], Alain Testart soutient cette thèse selon laquelle ce n'est pas tant la sédentarisation, l'adoption de l'agriculture et de l'élevage, ou autrement dit la révolution du néolithique⁣⁣, qui serait à l'origine des inégalités sociales entre les êtres humains, mais bien l'invention des techniques de conservation de la nourriture.

Il est vrai que sans moyens de conservation, l'accumulation de moyen de subsistance est fortement limitée dans le temps, et ce, particulièrement dans les régions du monde ou la température et l'humidité ambiante provoque la putréfaction rapide des matières organiques.

Dans de telles conditions, les personnes revenant de la chasse, de la pêche ou de la cueillette avec une certaine quantité de nourriture ont tout intérêt à partager celle-ci pour ne pas gaspiller un surplus qui pourrait profiter au reste de la communauté. Dans de telle société de chasseurs-cueilleurs, le partage de ce qui est comestible semble donc une chose naturelle et peu propice au développement d'un sentiment de propriété privée ou privative en ce qui concerne la nourriture pour le moins.

Avec l'arrivée des techniques de conservation des aliments, il en devient tout autrement, puisque l'on peut conserver et stoker la nourriture à des fins strictement personnelle. Cette évolution majeur dans l'organisation des sociétés humaines permis ainsi l'apparition d'inégalités en faveur de ceux qui réussissent prendre possession et à stocker le plus de nourriture.

Dans ce nouveau contexte, on peut alors imaginer que les plus démunis, pour ne pas mourir ou souffrir de la faim, sollicitent les propriétaires de stock alimentaires suffisant pour en permettre le partage. Une situation qui fait apparaitre un endettement favorable aux détenteurs de nourriture et défavorable aux à ceux qui ne parviennent pas à s'en procurer. Selon l'organisation sociale du groupe ou de la société, dans laquelle ils vivent, les personnes qui ne peuvent subvenir à leur existence pour des raisons diverse (incompétence liée à l'âge, tabou, etc.) peuvent se retrouver littéralement à la merci des propriétaires.

D'un système supposé originellement basé sur le partage et la solidarité, les techniques de conservation des aliments, auraient ainsi permis la mise en place d'un système basé sur le don et l’endettement. Un sujet traité en détail par l'anthropologue anarchiste David Graeber dans son ouvrage intitulé Dette : 5000 ans d'histoire[2].

Ce changement de paradigme au sein de notre humanité aura ensuite entrainé certaine forme de compétitivité qui n'existaient pas au par avant. Comme exemple des plus spectaculaires, il y a certainement les cérémonies du potlach qui consistent à entretenir une guerre de rivalité au travers des démonstrations ostentatoires de distribution et la destruction de nourriture, d'artéfacts et autres types de richesse.

Ce type de cérémonie, ainsi que la notion du don, furent longuement discutés en anthropologie depuis la publication du célèbre ouvrage de Marcel Mauss, anthropologue français et sympathisant socialisme révolutionnaire, intitulé Essais sur le don[3]. Car contrairement au partage, que l'on observe communément dans la nature au niveau de l'eau et de l'air, qui sont pourtant les éléments les plus indispensables à la survie de toutes espèces vivantes, le don apparait comme un phénomène à la fois plus complexe et plus ambigu. Car lorsque que quelque chose est donné, il y a en effet un transfert de propriété, alors que la propriété, comme vu précédemment, est un concept précisément peu naturel en soi et dont la pertinence peut être remise en cause au départ d'une argumentation relativement simple.

Ensuite, qui dit don, dit bien souvent réciprocité, au travers d'un endettement explicite ou implicite, économique ou morale, selon la célèbre formule de Marcel Mauss qui spécifie que le don appel le « contre-don ». Un contre-don ou autrement dit une dette dans le chef du receveur, qui devra s'acquitter un jour ou l'autre.

Lorsque les dettes s'accumulent, il peut alors devenir difficile, pour soi-même et pour les membres de sa famille dont on assure la subsistance, de ne pas rentrer dans un rapport de servitude, ou plus exactement de péonage, au profit de ses créanciers et au déficit de sa propre autonomie alimentaire. Puis, si la dette devient récurrente ou trop élevée pour prétendre à un quelconque remboursement, le péonage peut alors se transformer en servitude involontaire, dans les sociétés qui autorise l'esclavage.

Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), un des pères de l'anarchisme, écrivait en 1840 dans son premier ouvrage majeur titré : Qu'est-ce que la propriété ? que « le travailleur n'est pas même propriétaire du prix de son travail, et n'en a pas l'absolue disposition. [...] ce qui est accordé au travailleur en échange de son produit ne lui est pas donné comme récompense d'un travail fait, mais comme fourniture et avance d'un travail à faire. »[4].

Si l'on replace cette affirmation à l'époque à laquelle elle fut formulée, la condition de prolétaire s'assimilait donc à celle des péons. Des travailleurs agricole dépossédé de terre et entièrement tributaire d'un patron propriétaire pour garantir sa subsistance et celle de sa famille au sein des anciennes haciendas et latifundium[5].

Dans son ouvrage portant le titre L’esclave, la dette et le pouvoir[6], Alain Testart aborde en détails ce qu'il vient d'être dit, tout en mettant en évidence que certaines sociétés humaines, en Afrique subsaharienne notamment, pratiquaient l'esclavage interne. C'est-à-dire qu'elles autorisaient à mettre en esclavage des membres de leur propre communauté en raison suite à un meurtre par exemple, ou une dette insolvable. Autant de cas de figure ou la personne, sa femme ou son enfant servait de compensation dans une sorte de transfert de propriété. Une chose qui resta tabou dans les sociétés qui pratiquent l'esclavage externe et qui veille à ce que l'esclave soit toujours une personne extérieur à la communauté qu'elle soit étatique ou religieuse.

Une telle conjoncture explique sans doute pourquoi les peuples d'Afrique subsaharienne furent particulièrement touchés par la traite des esclaves. Une véritable marchandisation d'être humains qui s'établit aux bénéfices des peuples adeptes de l'esclavage externe, qu'ils soient musulmans ou chrétiens, avec peu de sentiment de culpabilité. La pratique de l'esclavage interne dans les sociétés panafricaines, apparaissait en effet comme un trait de sauvagerie propice à la déshumanisation et la mise en servitudes forcées de millier d'hommes, de femmes et enfants.

Devenir esclave, c'est enfin perdre tous liens familiaux et donc toute appartenance à un clan, un lignage, une nation ou tout type de regroupement identitaire. Un esclave devient ainsi la propriété d'un maître qui détient, dans les cadres fixés par les lois ou règles de sa communauté, un droit de vie ou de mort sur la personne asservie. Ce qui représente donc une position hiérarchique absolue et extrême.

Pourtant, dans les faits, les esclaves n'étaient pas forcément moins bien traités que les ouvriers. L'esclave est plus précieux que l'employé dans le sens où il représente une part du capital de son maitre. Lorsqu'un esclave meurt pour cause de maltraitance, il faut remplacer sa force de travail par un nouvel achat. Si un ouvrier meurt, il suffit d'en engager un autre sans que cela provoque une perte financière.

En revanche, la mort du maître peut entraîner celle de l'esclave, au sein des sociétés dans lesquelles se pratiquait la mort d'accompagnement. Ce principe macabre avait ainsi pour conséquence radicale de fidéliser les esclaves à leurs maitres dans une posture de bienveillance afin qui meurt le plus tard possible. Un maitre pouvait ainsi avoir plus de confiance en son esclave qu'à un membre de sa famille qui pourrait convoiter sa fortune ou son statut au travers l'héritage. De l'institution de l'esclavage et des morts d'accompagnement, Alain Testart en est donc venu à théoriser sur les origines de l'état.

  1. Alain Testart, Les chasseurs-cueilleurs, ou, L'origine des inégalités, Société d'ethnographie, 1982 (ISBN 978-2-901161-21-9) 
  2. David Graeber, Dette: 5000 ans d'histoire, Éditions les Liens qui libèrent, 2013 (ISBN 979-10-209-0059-3) 
  3. Marcel Mauss, Essai sur le don: forme et raison de l'echange dans les sociétés archaiques, L'annee sociologique, 1923 
  4. Pierre-Joseph Proudhon, Qu'est-ce que la propriété?: ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement, A la librairie de Prévot, 1841, p. 158 
  5. Encyclopædia Universalis, « PÉONAGE », sur Encyclopædia Universalis (consulté le 28 septembre 2023)
  6. Alain Testart, L'esclave, la dette et le pouvoir: études de sociologie comparative, Errance, 2001 (ISBN 978-2-87772-213-1) 



Les origines de l'État

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Dans la conclusion de son livre La société contre l'État, Pierre Clastre anthropologue et anarchiste, se posait la question de savoir :

« Quel est le moteur de cette transformation majeure qui culminerait dans l’installation de l’État ? Son émergence sanctionnerait la légitimité d’une propriété privée préalablement apparue, l’État serait le représentant et le protecteur des propriétaires. Fort bien. Mais pourquoi y aurait-il apparition de la propriété privée en un type de société qui ignore, parce qu’il la refuse, la propriété ? Pourquoi quelques-uns désirèrent-ils proclamer un jour : ceci est à moi, et comment les autres laissèrent-ils ainsi s’établir le germe de ce que la société primitive ignore, l’autorité, l’oppression, l’État ? »[1].

Voici une question à laquelle Alain Testart a tenté de répondre. Tout d'abord en affirmant qu'à la sortie de l'état de nature, ce sont les techniques de conservation de la nourriture qui permirent le développement des premières inégalités sociales. Suite à quoi l'appropriation des moyens de subsistance par certains permis le développement du péonage, de l'esclavage puis d'autres formes d'aliénation des êtres humains au travers du prolétariat et du marché de l'emploi.

Testart précisa ensuite que « Sous un régime d'égalité, toute épargne qui n'a pas pour objet une reproduction ultérieure ou une jouissance est impossible : Pourquoi ? parce que cette épargne ne pouvant être capitalisée, se trouve dès ce moment sans but et n'a plus de cause finale. »[2]. Selon cette logique, la conservation de la nourriture peut en conséquence être perçue comme une première expression originelle d'un capitalisme reposant sur la privatisation et le stockage d'un travail produit au sein de la nature pour permettre ensuite, lorsque la société l'autorise, d'asservir le démunis par la pratique du don et de l'endettement.

Les esclaves réputés plus fidèles et fiables que les personnes de sa propre famille ou de son propre groupe social en raison du droit de vie et de mort exercé par le maitre ainsi que par la pratique du mort d'accompagnement, deviennent ainsi les plus grands protecteurs de leur maitre. Parmi ces esclaves, prêts à sacrifier leur vie pour leur maitre et d'autant plus nombreux que ce dernier est riche, se trouveront ainsi les meilleurs guerriers, qui auront tôt fait de constituer des milices, puis des armées propices à l'instauration des premières forme d'organisation étatique, grâce à leur monopole exercé sur la violence.

Selon la thèse de l'anthropologue anarchiste James C. Scott publiée dans le livre intitulé Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États[3], la culture céréalière fut promue ou imposée pour en faciliter le prélèvement d'impôt. Ceci alors que parallèlement, David Graeber nous explique comment l'usage de la monnaie permettra aux armées de s'approvisionner lors de campagnes qui permettront de repousser toujours un peu plus loin des frontières d'un état ou d'un empire.

Notes et références

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  1. Pierre Clastres, La Société contre l'Etat, Minuit, 2011-10-06 (ISBN 978-2-7073-2231-9) [lire en ligne] 
  2. Ibid. p. 159
  3. James C. Scott, Homo Domesticus: Une histoire profonde des premiers États, La Découverte, 2021-01-07 (ISBN 978-2-348-06751-8) 



Apports de l'anthropologie à la pensée anarchiste

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Chapitre no 8
Leçon : De la propriété au commandement
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En guise de clôture de cette leçon d'anthropologie, voici donc une dernière section consacrée à des anthropologues qui n'ont pas été cités précédemment alors qu'ils ont pris part à ce que l'anthropologie aura apporté à la pensée anarchiste.

En 1902 par exemple, l'anthropologue, géographe et anarchiste russe Pierre Kropotkine (1842-1921) publia un livre intitulé : L'Entraide, un facteur de l'évolution[1], dans lequel il contestait l'idée selon laquelle l'évolution du vivant reposait uniquement sur la compétition entre les individus, entre espèces et au sein des espèces. Ce qui reste encore de nos jours une croyance assez courante basée sur l'interprétation du principe de la sélection naturelle présenté par Charles Darwin dans son ouvrage intitulé L'origine des espèces.

Septante an plus tard, en 1972, l'anthropologue Marshall Sahlins publiait un ouvrage remarqué qui avait pour titre : Âge de pierre, âge d'abondance. Dans celui-ci, l'anthropologue américain remit en cause l'idée selon laquelle la vie de l'homme était faite de souffrances et de recherches incessantes de nourriture avant l'arrivée de la révolution néolithique. Or, ce que l'on découvre dans cet ouvrage, c'est que les humains qui vivaient avant la domestication du vivant et la sédentarisation qu'elle engendre, profitait d'une abondance et d'une quantité de temps libre supérieure à celle que dispose les travailleurs et travailleuses de nos jours.

Trois ans plus tard et dans une démarche quelque peu similaire, l'anthropologue français Pierre Clastres, spécialiste des peuples amérindiens, publiait : La Société contre l’État, sous-titré Recherches d'anthropologie politique, un livre qui argumenta cette fois en faveur d'une organisation anarchiste originelle des sociétés humaines au travers un « effort permanent pour empêcher les chefs d’être des chefs »[2].

Comme autre publication reprise dans le champ de l'anthropologie anarchiste, il y eut ensuite l'ouvrage de Charles Macdonald qui a pour le titre : L’Ordre contre l’harmonie : anthropologie de l’anarchisme, dans lequel l'anthropologue franco-américain fait référence à sa propre expérience au sein du peuple non hiérarchisé vivant sur l'ile de Palawan tout en faisant référence à de nombreux travaux d'historiens dans le but de documenter le bienfondé de l'anarchisme.

Parallèlement à ceci, Alain Testart bien qu'il ne soit pas tant reconnu comme auteurs repris dans le courant de l'anthropologie anarchiste, réussit à décrire brillamment la déconstruction d'une anarchie originel aux détours de nombreux ouvrages théorique sur l'évolution de l'espèce humaine.

Au-delà du discours politique simplificateur qui opposant la gauche à la droite, l'anarchie s'oppose au deux tendances illustrée par ce dessin. Celle d'un capitalisme tel que défendu par la droite et d'un étatisme défendu par la gauche.

Et enfin parmi les plus reconnus si pas le plus connu, il a l'anthropologue anarchiste David Graeber qui fut coauteur, avec l'archéologue David Wengrow, du livre The Dawn of Everything (Au commencement était... ⁣). Un travail remarquable suite auquel l'archéologue, en s'appuyant sur le travail de son collègue anthropologue récemment décédé, n'hésita pas à affirmer que « Les sociétés premières avaient une imagination politique beaucoup plus grande que la nôtre »[3].

Tous ces travaux anthropologiques auront donc permis de décrire les fondements de l'anarchisme en se basant sur de nombreuses réflexions argumentées portant sur l'origine et le manque de pertinence de nombreux principes et concepts auxquels s'opposent la pensée anarchiste. En retenant principalement l'émergence d'un pouvoir de commandement, rendu possible par la notion de propriété, de droit de propriété et d'appropriation, qui aura permis au travers l'évolution d'un asservissement entre être humains, de produire des organisations étatiques basées sur une monopolisation de la violence.

Au terme de ce discours, une expérience de pensée reste donc encore possible. Celle d'imaginer l'abolition de la propriété et du droit de propriété au bénéfice du droit d'usage, dans un monde où la tyrannie des propriétaires ferait place une solidarité entre utilisateurs, dans une société humaine où le partage remplacerait le commerce et l'argent qui le fait vivre, dans un monde où les êtres humains serait libre de leurs occupations, réalisée sur une base volontaire et bienveillante. N'est par là le rêve de tout anarchiste ?

Notes et références

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  1. Pierre Kropotkine, « L’Entr’aide, un facteur de l’évolution », dans L'entr'aide, un facteur de l'évolution, Hachette, (ISBN 978-1-5301-3196-9, lire en ligne)
  2. Pierre Clastres, La Société contre l'Etat, Minuit, 2011-10-06 (ISBN 978-2-7073-2231-9) [lire en ligne] 
  3. « Les sociétés premières avaient une imagination politique beaucoup plus grande que la nôtre », sur Alternatives Economiques, (consulté le 29 septembre 2022)
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