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Argots à base française/Joual

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Joual
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Chapitre no 2
Leçon : Argots à base française
Chap. préc. :Jargon
Chap. suiv. :Camfranglais
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Facultés de Français et de Langues


Le joual est une forme du français, parlée au Québec et dans les régions francophones limitrophes (les spécialistes parlent de sociolecte). La prononciation et les règles de grammaire présentées sont les plus répandues dans les régions de Montréal et de Québec.


Les sons entre // et [] correspondent aux symboles de l'alphabet phonétique international (API).

Dois-je parler joual ?

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Les joualisants ne s'attendent pas à ce que les gens de l'extérieur du Canada parlent comme eux. La plupart comprennent très bien le français « standard », puisque c’est la langue des journaux, des bulletins de nouvelles, des films traduits de l'américain et de l'importante production culturelle française qui parvient en Amérique.

Il existe cependant plusieurs intermédiaires entre le joual le plus folklorisé et le français le plus internationalisé. Ainsi, plusieurs caractéristiques associées au joual ci-dessous sont courantes dans le français soutenu/familier québécois : les ts/dz sont la norme ; le [ɔ] final est courant mais souvent combattu ; le oi [we] peut être restreint à un petit nombre de mots et d'expressions, sans être vraiment aboli ; le [ʁ] final peut être omis seulement après une voyelle, ou jamais ; et ainsi de suite.

Lorsqu’il est suivi des voyelles «i» et «u», le «d» se prononce /d͡z/, comme dans le mot «pizza».

Joual Joual-API
dix [d͡zɪs]
dire [d͡ziːʁ]
dur [d͡zyːʁ]
réduire [ʁed͡zɥiːʁ]

Lorsqu’il est suivi des voyelles «i» et «u», le «t» se prononce /t͡s/, comme dans le mot «tsunami».

Joual Joual-API
tisse [t͡sɪs]
tire [t͡siːʁ]
tu [t͡sy]
étui [et͡sɥi]

/a/ ~ /ɑ/ → [ɔ]

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En position finale, les /a/ et /ɑ/ du français deviennent généralement [ɔ], comme dans «pomme» ou «porte».

bas

[bɔ]

cas

[kɔ]

ça

[sɔ] (objet)

gars

[ɡɔ]

[lɔ]

pas

[pɔ]

ras/rat

[ʁɔ]

va/vas

[vɔ]

Mais les mots suivants se prononcent toujours avec un [a] final, comme en français de France.

à

[a]

la

[la]

ma

[ma]

sa

[sa]

ta

[ta]

ça

[sa] (sujet)

papa

[papa]

caca

[kaka]

Dans le cas où le ça est doublé («ça, ça marche»), on prononce [sɔ sa maʁʃ]. On peut l'expliquer comme étant que la voyelle finale du pronom compte comme non-finale mais seulement quand il ne s'agit pas de la fin d'une proposition.

En syllabe fermée, les voyelles longues du français sont généralement diphtonguées. Les syllabes ouvertes ne sont diphtonguées que lorsqu'elles finissent par un /ʁ/, un /ʒ/ et un /z/ (ce qui n'arrive qu'en fin de mot).

pâte

[pɑo̯t]

tête

[taɛ̯t]

fort

[fɑɔ̯ʁ]

peur

[paœ̯ʁ]

autre

[ou̯tʁ]

neutre

[nøy̯tʁ]

Les accents peuvent varier en quantité de diphtongaison ([aɪ̯] pour [aɛ̯]), contenir plusieurs sortes d'une même voyelle ([ɛe̯] vs [aɛ̯] selon la situation), et pouvoir omettre certaines diphtongaisons (ne jamais diphtonguer /ɑː/ en [ɑo̯], mais faire le reste comme dans la table ci-dessus).

Français Joual Explication
je j' Le son «e» n'est jamais prononcé, même devant les consonnes. Ex.: j'pense, j'sais.
tu tu / t' Le son «u» est élidé (') devant les voyelles. Ex. : t'aimes, t'étais.
il y Ex. : y mange, y pense, y'était, y'avait.
elle a(l) On dit «a» devant les consonnes, «al» devant les voyelles. Ex. : a mange, a pense, al avait. Le pronom féminin semble disparaître devant le verbe être, mais il s'agit en fait d'une voyelle synthétiquement longue, construite en collant è+è ou en transformant è+é en é+é, ce qui fait une paire minimale avec le simple «est» ou «était». «Elle est belle» sonne èè. «Elle était belle» sonne éé. C'est aussi possible de dire «Al est/était belle».
nous on Le pronom «nous» n'est jamais utilisé à l'oral, en joual. On le remplace par «on». Ex. : «Nous mangions» = «On mangeait».
vous vous Hérité des formules de politesse françaises, ce pronom n'a subi aucune modification. Ex. : vous mangez, vous êtes.
ils y Ex. : y mangent, y pensent, y'étaient, y'avaient.
elles y Ex. : y mangent, y pensent, y'étaient, y'avaient. Il n'y a donc aucune distinction entre le masculin et le féminin, à la 3e personne du pluriel.


1. Le pronom «je» se prononce de trois façons différentes.

A. Devant une voyelle = /ʒ/ comme dans «je», comme en français.

Joual API-Joual Français API-Français
j'aime /ʒɛm/ j'aime /ʒɛm/
j'étudie /ʒet͡syd͡zi/ j'étudie /ʒetydi/
j'oublie /ʒubli/ j'oublie /ʒubli/

B. Devant les consonnes /f/, /k/, /p/, /s/, /t/ = /ʃ/ comme dans «chien».

Joual API-Joual Français API-Français
j'ferme /ʃfɛʁm/ je ferme /ʒǝ fɛʁm/
j'cogne /ʃkɔɲ/ je cogne /ʒǝ kɔɲ/
j'prie /ʃpʁi/ je prie /ʒǝ pʁi/
j'sue /ʃsy/ je sue /ʒǝ sy/
j'tiens /ʃt͡sjẽ/ je tiens /ʒǝ tjɛ̃/

Devant les autres consonnes, il est prononcé /ʒ/ comme dans «je», comme en français.

2. Le pronom «tu» est élidé devant les voyelles. Devant les consonnes, s'il est élidé, il peut être prononcé /t͡s/, comme dans le mot «tsunami».

Joual API-Joual Français API-Français
t'aimes /t‿ɛm/ tu aimes /ty ɛm/
tu fais /t͡sy fɛ/ tu fais /ty fɛ/
tu gardes /t͡sy ɡaʁd/ tu gardes /ty ɡaʁd/

Pronoms toniques

Français Joual Explication
moi moi/moé Les deux mots s'emploient fréquemment
toi toi/toé Les deux mots s'emploient fréquemment
lui lui
elle elle
nous nous aut' Version abrégée de «nous autres».
vous vous/vous aut' Si on s'adresse à une personne ou à un groupe dans un esprit de politesse, on utilise seulement «vous», mais pour s’adresser à un groupe de personnes qu'on aurait tutoyées individuellement, on utilise «vous aut'».
eux eux aut'
elles eux aut'

Nous avons choisi la conjugaison complète du verbe «tomber», puisqu’il permet de constater à la fois la conjugaison de l'auxiliaire «avoir» et de l'auxiliaire «être». En fonction de leur niveau d'éducation ou de leur souci de «bien parler», les joualisants utiliseront les deux auxiliaires, sans changement de sens. Aussi, la présence du «t» en début de mot permet de constater la transformation des pronoms.


INDICATIF SUBJONCTIF
Présent Passé composé Présent Passé
j'tombe ʃtõːb j'suis tombé ʃɥi tõbe qu'j'tombe kʃtõːb qu'j'soye tombé kʃswɛj tõbe
tu tombes t͡sy tõːb t'es tombé te tõbe qu'tu tombe kt͡sy tõːb que tu soyes tombé kt͡s swɛj tõbe
y tombe i tõːb y'est tombé je tõbe qu'y tombe k‿i tõːb qu'y soye tombé k‿i swɛj tõbe
a tombe a tõːb è tombé ɛː tõbe qu'a tombe ka tõːb qu'a soye tombée k‿a swɛj tõbe
on tombe õ tõːb on est tombés õn‿e tõbe qu'on tombe k‿õ tõːb qu'on soyent tombé(e)s k‿õ swɛj tõbe
vous tombez vu tõbe vous êtes tombé(s) vuz‿ɛt tõbe qu'vous tombiez kvu tõbje qu'vous soyez tombé(s) kvu ʃwaje tõbe
y tombent i tõːb y sont tombé(e)s i sõ tõbe qu'y tombent k‿i tõːb qu'y soyent tombé(e)s k‿i swɛj tõbe
Imparfait Plus-que-parfait Imparfait Plus-que-parfait
j'tomberais ʃtõbʁɛ j'tais tombé ʃtɛ tõbe
tu tomberais t͡sy tõbʁɛ t'étais tombé tetɛ tõbe
y tomberait i tõbəʁɛ y'était tombé jetɛ tõbe
a tomberait a tõbʁɛ était tombée ɛːtɛ tõbe
on tomberaient õ tõbʁɛ on étaient tombés õn‿etɛ tõbe
vous tomberiez vu tõbəʁje vous étiez tombé(e)(s) vuz‿et͡sje tõbe
y tomberaient i tõbʁɛ y'étaient tombé(e)(s) j‿etɛ tõbe
IMPÉRATIF
Passé simple Passé antérieur Présent Passé
tombe tõːb
«On tombe-tu?» õ tõb t͡sy
tombez tõbe
.
.
.
CONDITIONNEL
Futur simple (ALLER) Futur antérieur (2xAVOIR) Présent Passé 1re forme
j'vas tomber* ʒvɔ tõbe j'vas avoir tombé* ʒvɔ avwɑʁ tõbe j'tomberais ʃtõbʁɛ j'serais tombé ʃʁɛ tõbʁɛ
tu vas tomber t͡sy vɔ tõbe tu vas avoir tombé t͡sy vɔ avwɑʁ tõbe y tomberait i tõbʁɛ y serait tombé i sʁɛ tõbe
a va tomber a vɔ tõbe a va avoir tombé a vɔ avwɑʁ tõbe on tomberaient õ tõbʁɛ on seraient tombés õ sʁɛ tõbe
y va tomber i‿vɔ tõbe y va avoir tombé(e) i‿vɔ avwɑʁ tõbe j'tomberais ʃtõbʁɛ j'serais tombé ʃʁɛ tõbʁɛ
vous allez tomber vuz‿ale tõbe vous allez avoir tombé vu ale avwɑʁ tõbe j'tomberais ʃtõbʁɛ j'serais tombé ʃʁɛ tõbʁɛ
y vont tomber ʒvɔ tõbe y vont avoir tombé i vɔ avwɑʁ tõbe j'tomberais ʃtõbʁɛ j'serais tombé ʃʁɛ tõbʁɛ
  • Les deux formes suivantes existent aussi:
{

Le joual utilise la particule «tu» à toutes les personnes, pour poser une question. N'oubliez pas la prononciation: /t͡sy/, comme dans «tsunami» (/t͡synami/).


Français Joual
manges-tu ? tu manges-tu?
mange-t-il ? y mange-tu?
mange-t-elle ? a mange-tu?
mangeons-nous ? on mange-tu?
mangez-vous ? vous mangez-tu?*
mangent-ils ? y mangent-tu?
mangent-elles ? y/è mangent-tu?


  • Si le locuteur s'adresse à un groupe familier, il dira effectivement «Vous mangez-tu?», mais s'il s'adresse à une personne ou à un groupe à qui il veut marquer le respect, il optera plutôt pour la forme «polie»: «Mangez-vous?»
  • Il existe aussi la forme -ti, plus ancienne, qu'on peut écrire «y mangent-y» et «on mange-t-y» et ainsi de suite.

Chute du « r » final

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Le joual a tendance à laisser tomber la prononciation du «R» lorsqu’il se trouve placé à la fin d'un mot après une autre consonne.

Joual API-Joual Français API-Français
êt' /aɛ̯t/ être /ɛtʁ/
liv' /liːv/ livre /livʁ/
opprob' /ɔpʁɔb/ opprobre /ɔpʁɔbʁ/
arb' /aʁb/ arbre /aʁbʁ/
cid' /sɪd/ cidre /sidʁ/
aut' /ou̯t/ autre(s) /otʁ/

Dans la série de consonnes finales «STR», seul le «S» est maintenu.

Joual API-Joual Français API-Français
cadasse /kadas/ cadastre /kadastʁ/
piasse /pjas/ piastre /pjastʁ/
pédesse /pedɛs/ pédestre /pedɛstʁ/
terresse /tɛʁɛs/ terrestre /tɛʁɛstʁ/
monsse /mõːs/ monstre /mɔ̃stʁ/
orchesse /ɔʁkɛs/ orchestre /ɔʁkɛstʁ/

Consonnes maintenues

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Les Québécois joualisants continuent de prononcer nombre de consonnes disparues de la prononciation française standard d'aujourd'hui, mais leur prononciation est encore attestée par le maintien de ces consonnes à l'écrit.

Mot API-Joual API-Français
lit /lɪt/ /li/

Vocabulaire issu du français

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Voir l’article Lexique du français québécois pour une liste plus complète.


Joual API Explication Français
faque /fak/, /fɛk/ « ça fait que » donc
pasqu' /pask/, /pas/ parce que
kessé?

que c'est?

/kɛse/, /kəse/ « qu'est-ce ? » quoi ?
pis /pi/ et, puis

Vocabulaire issu de l'anglais

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Voir l’article Lexique du français québécois pour une liste plus complète.

Joual API Explication
twit /twɪt/ idiot(e)
parquer /paʁke/ stationner
watcher /watʃe/ surveiller
checker /tʃɛke/ surveiller

Vocabulaire relationnel

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La désignation des types de relations entre les gens peut poser problème pour les non-joualisants. Les non-joualisants devraient s’en tenir à une utilisation strictement « passive » de ce système (comprendre, sans utiliser), car la prononciation de ces termes avec un accent non canadien risque d’entraîner de la confusion dans un système déjà confus. En joual, l’interprétation du mot « chum » en particulier dépend souvent d’une minuscule intonation ou d’une subtile gestuelle. Même les joualisants doivent souvent s’enquérir entre eux de la signification qu’ils accordent au mot « chum » dans différents contextes.

Personne désignée Homme Femme
Homme - Ami mon chum (de gars)[1]

/tʃɔm (də ɡɔ)/

mon ami (de gars)¹

/ami(dɡɔ)/

mon chum (de gars)

/tʃɔm (də ɡɔ)/

mon ami (de gars)¹

/ami(dɡɔ)/

Homme - Conjoint mon chum

/tʃɔm/

mon copain[2]

/kɔpẽ/

mon chum

/tʃɔm/

mon copain

/kɔpẽ/

Homme - Époux mon mari

/maʁi/

mon mari

/maʁi/

Femme - Amie ma chum (de fille)¹

/tʃɔm (də fɪj)/

mon amie (de fille)¹

/ami (dfɪj)/

Femme - Conjointe ma blonde

/blõːd/

ma blonde

/blõːd/

Femme - Épouse ma femme

/fam/

ma femme

/fam/

Notes
  1. Les termes « chum de gars » et « chum de fille » servent à éliminer l’ambiguité propre au mot « chum ». L’ajout de ces termes permet d’indiquer à l’interlocuteur que la relation est strictement amicale. Contrairement aux apparences, le choix de « … de gars » ou de « … de fille » dépend du sexe de la personne tierce ainsi désignée, et non de celui du locuteur ou du sujet de la phrase.
  2. Les mots « copain » et « copine » servent au contraire à préciser le statut de « conjoint de fait », là où le contexte d’utilisation des mots « ami(e) » ou « chum » est ambigu. Ainsi, un homosexuel désignera son conjoint de fait par le terme « chum » auprès de ceux qui connaissent la nature de la relation, mais recourra au mot « copain » lorsqu’il s’adresse à des gens qui pourraient l’ignorer. De même, une femme recourra au mot « copain », lorsqu’elle désire soulever toute ambiguïté. Les non-joualisants devraient éviter l’utilisation des mots « copain » et « copine » pour désigner un « ami » ou une « amie », même s’ils les intègrent dans une prononciation en français standard, vu la signification que les joualisants risquent forcément d’y accoler.

La monnaie ayant cours légal au Canada est le «dollar canadien». Les Canadiens de langue française la désignent le plus souvent sous le nom de «piasse» ou parfois «piastre»

La plupart des francophones provenant de l'extérieur du Canada font l'erreur de prononcer «pièce», croyant qu’il s'agit là de la prononciation locale du mot «pièce», comme dans «pièce (de monnaie)». Pourtant, le mot «pièce» est prononcé conformément au français international, au Canada français.

Le mot «piasse» renvoie plutôt à la «piastre», une des devises utilisées au Canada lors de pénuries de pièces de monnaie (1 dollar = 1 piastre = ¼ de livre). Le nom de cette monnaie s'est maintenu. Il s'agit simplement d'une prononciation différente de ce nom. Les anciens billets de banque traduisaient «dollar» par «piastre», et malgré les tentatives d'uniformisation à «dollar», le terme est bien ancré, jusque dans le choix du genre lorsqu'on omet le terme : pour 1,50 $ on vous dira toujours «une et cinquante», jamais «un et cinquante».

Les Canadiens prononcent «cenne», au lieu de «cent» (/sɛnt/). Cette fois, il s'agit bien d'une déformation du mot «cent» anglais.

Le sou est synonyme de cent, sauf dans les très vieilles expressions où il signifie ⅚ cent : 30 sous = 30 cents, mais un 30 sous = une pièce de 30 sous = 25 cents.