Échelles de gouvernement/Exercices/Rôle de l'État en France
→ Rappel de la méthode de l'analyse de doc(s).
Sujet
[modifier | modifier le wikicode]Consigne :
montrez que ces deux documents témoignent de conceptions différentes du rôle et de l’action de l’État en France. En quoi le contexte de chacun de ces documents permet-il de comprendre ces conceptions ?
Dans ses mémoires Charles de Gaulle rappelle quelques grands traits du gouvernement de la France après la Seconde Guerre mondiale.
« On peut dire qu’un trait essentiel de la résistance française est la volonté de rénovation sociale. Mais il faut la traduire en actes. Or, en raison de mes pouvoirs et du crédit[1] que m’ouvre l’opinion, j’ai les moyens de le faire. [...] Étant donné que l’activité du pays dépend du charbon, du courant électrique, du gaz, du pétrole et dépendra un jour de la fission de l’atome, que pour porter l’économie française au niveau qu’exige le progrès ces sources doivent être développées, qu’il y faut des dépenses et des travaux que seule la collectivité est en mesure d’accomplir, la nationalisation s’impose.
Dans le même ordre d’idée, l’État se voit attribuer la direction du crédit. En effet, dès lors qu’il lui incombe de financer lui-même les investissements les plus lourds, il doit en recevoir directement les moyens. Ce sera fait par la nationalisation de la Banque de France et des grands établissements de crédit. [...]
Enfin, pour amener l’économie nouvelle à s’investir, c’est-à-dire à prélever sur le présent afin de bâtir l’avenir, le « Haut-commissariat au Plan d’équipement et de modernisation » sera créé pendant cette même année. Mais il n’y a pas de progrès véritable si ceux qui le font de leurs mains ne doivent pas y trouver leur compte. Le gouvernement de la Libération entend qu’il en soit ainsi, non seulement par des augmentations de salaires, mais surtout par des institutions qui modifient profondément la condition ouvrière. L’année 1945 voit refondre entièrement et étendre à des domaines multiples le régime des assurances sociales. Tout salarié en sera obligatoirement couvert. Ainsi disparaît l’angoisse, aussi ancienne que l’espèce humaine, que la maladie, l’accident, la vieillesse, le chômage faisaient peser sur les laborieux. [...] D’autre part, un système complet d’allocations familiales est alors mis en vigueur. »
Source : Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Le Salut, 1944-1946, Plon, 1959.
Le RPR, parti gaulliste, a remporté les élections législatives de 1986. Jacques Chirac, issu du RPR, est alors nommé premier ministre par le président François Mitterrand.
« Depuis des décennies – certains diront même des siècles -, la tentation française par excellence a été celle du dirigisme d’État. Qu’il s’agisse de l’économie ou de l’éducation, de la culture ou de la recherche, des technologies nouvelles ou de la défense de l’environnement, c’est toujours vers l’État que s’est tourné le citoyen pour demander idées et subsides[2]. Peu à peu, s’est ainsi construite une société administrée, et même collectivisée[3], où le pouvoir s’est concentré dans les mains d’experts formés à la gestion des grandes organisations. Ce système de gouvernement, qui est en même temps un modèle social, n’est pas dénué de qualités : il flatte notre goût national pour l’égalité ; il assure pérennité et stabilité au corps social ; il se concilie parfaitement avec le besoin de sécurité qui s’incarne dans l’État-Providence.
Mais il présente deux défauts rédhibitoires[4] : il se détruit lui-même, par obésité[5] ; et surtout, il menace d’amoindrir les libertés individuelles.
Les Français ont compris les dangers du dirigisme étatique et n’en veulent plus. Par un de ces paradoxes dont l’histoire a le secret, c’est précisément au moment où la socialisation semblait triompher que le besoin d’autonomie personnelle, nourri par l’élévation du niveau de culture et d’éducation, s’exprime avec le plus de force. Voilà d’où naissent sans aucun doute les tensions qui travaillent notre société depuis des années : collectivisation[3] accrue de la vie quotidienne mais, inversement, recherche d’un nouvel équilibre entre les exigences de la justice pour tous et l’aspiration à plus de liberté pour chacun. »
Source : Serge Bernstein, « Le gaullisme », documentation photographique, n° 8050, 2006.
- ↑ « ...crédit que m’ouvre l’opinion » : crédit a ici le sens de « confiance de l’opinion » et non le sens financier que le mot prend dans le reste du texte
- ↑ Subside : aide financière.
- ↑ 3,0 et 3,1 Collectivisée, collectivisation : références au modèle soviétique, utilisées comme argument dans le débat politique.
- ↑ Rédhibitoire : inacceptable.
- ↑ Idée que le dirigisme accroîtrait le poids de l’État et le rendrait moins efficace.
Pistes d'analyse
[modifier | modifier le wikicode]Introduction
[modifier | modifier le wikicode]L'intro doit présenter les deux documents (une autobiographie et un discours parlementaire), les auteurs (Charles de Gaulle et Jacques Chirac) et leurs contextes (1959 : début de la Ve ; 1986 : première cohabitation). Dangers :
- confusion sur la date des mémoires de De Gaulle : il y évoque ses souvenirs de l'après-guerre, mais le texte date des années 1950 (lors de sa « traversée du désert », retiré à Colombey-les-Deux-Églises de 1953 à 1958), avec publication en 1959 (après le début de la Ve République) ;
- confusion entre le titre de l'ouvrage (Mémoires de guerre) et le titre du volume (Le Salut, 1944-1946) ;
- notion à définir de « déclaration de politique générale » d'un premier ministre devant l'Assemblée ;
- confusion entre le titre du périodique (La Documentation photographique) et le titre du numéro (Le gaullisme).
Propositions de problématique :
- quel doit être le rôle de l'État ?
- Comment le contexte historique de ces documents permet-il de comprendre ces conceptions du rôle de l'État ?
- En quoi le contexte donne lieu à des conceptions du rôle et de l'action de l'État différentes ?
Texte de De Gaulle
[modifier | modifier le wikicode]Charles de Gaulle présente ici les actions des gouvernements de l'immédiate après-guerre, qu'il connaît bien pour avoir présidé le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) de 1944 à 1946. Il défend les principales réformes économiques et sociales réalisées, que sont la vague de nationalisations et la création de la sécurité sociale. Selon de Gaulle, ces mesures sont souhaitées par la résistance (une « volonté de rénovation sociale ») : il s'agit d'une référence au programme du Conseil national de la Résistance (le CNR), qu'il a en partie appliqué.
Sur le plan économique, l'effort de reconstruction après la guerre nécessite selon de Gaulle des mesures exceptionnelles : des nationalisations et une planification. Les sociétés privées ne sont pas prises au hasard, se sont celles qui gèrent les infrastructures énergétiques (notamment les mines de charbon et les installations électriques) ainsi que le secteur financier (banques et assurances). La Banque de France est mentionnée en bonne place, car elle avait le monopole de l'émission des billets et contrôlait le crédit ; de statut privé avant 1945, les actionnaires de la Banque de France furent indemnisés avec des obligations (à 3 % sur 20 ans). Ces moyens financiers (qui entraînèrent une forte inflation et une série de dévaluations), auxquels se rajoutent des sacrifices (le sens du passage « prélever sur le présent afin de bâtir l'avenir ») doivent permettre la reconstruction et la modernisation, organisée théoriquement par le « Haut-commissariat au Plan d'équipement et de modernisation » (le Commissariat général du Plan, dirigé par Jean Monnet).
Sur le plan social, de Gaulle présente la fondation de la sécurité sociale comme la contrepartie des sacrifices exigés des travailleurs. Si des mesures sociales existaient auparavant (sans parler du paternalisme), leur généralisation est un tournant, sur lequel insiste de Gaulle, protégeant désormais partiellement de « la maladie, l'accident, la vieillesse, le chômage ». C'est une date importante dans le développement d'un État-providence en France. Enfin, il évoque la mise en place des allocations familiales, pour aider à couvrir les charges de la maternité et de famille.
Charles de Gaulle défend donc ici un État fort, centralisé, avec lui à la tête, un État qui intervient dans tous les domaines. Ça correspond assez bien à la mode de l'époque, que ce soit le modèle marxiste ou celui keynésien.
Texte de Chirac
[modifier | modifier le wikicode]Lors de sa « déclaration de politique générale », Jacques Chirac explique les bases idéologiques du programme que va appliquer son gouvernement. Dans le contexte de mise en place de la première cohabitation (François Mitterrand, de gauche, est alors président de la République, avec Jacques Chirac, de droite, comme premier ministre), on sent son opposition à la politique des précédents gouvernements socialistes de Mauroy et de Fabius, les amalgamant ironiquement avec le modèle soviétique : Chirac parle de « dirigisme d’État », d'une « menace d’amoindrir les libertés individuelles » et fait même référence à la collectivisation. 1986 est une période de tensions au sein de la guerre froide, alors que le PCF apporte un soutien épisodique au PS.
Chirac en profite au passage pour critiquer les « experts formés à la gestion des grandes organisations » qui monopolisent le pouvoir, faisant ici référence aux énarques (les hauts fonctionnaires formés à l'École nationale d'administration, l'ENA). On peut dire qu'il s'agit là d'une posture politique, car Chirac est lui-même énarque (de la promotion 1959). Le dernier paragraphe légitime le programme, car selon Chirac « les Français ont compris les dangers du dirigisme étatique et n’en veulent plus », évoquant la victoire électorale de la droite trois semaines auparavant.
Jacques Chirac défend ici un État un peu moins interventionniste, laissant plus de libertés aux individus sur les plans économique et social, mais aussi dans l'enseignement (défense du privé), la culture, la recherche, etc. On y reconnaît l'influence du néo-libéralisme, qui triomphe alors aux États-Unis (sous Reagan) et au Royaume-Uni (avec Thatcher).
Conclusion
[modifier | modifier le wikicode]Les deux documents concernent le chapitre « gouverner la France depuis 1946 », illustrant assez bien d’une part le modèle économico-social construit après la Seconde Guerre mondiale en France autour d'un État tout-puissant, d’autre part sa remise en cause et ses mutations à partir des années 1970. Mais il ne faut peut-être pas trop prendre ces textes au pied de la lettre.
Car d'une part, les idées présentées par de Gaulle ne sont pas spécialement gaullistes : le programme du CNR est largement influencé par la gauche et l'extrême-gauche ; le PCF participait au GPRF (notamment Maurice Thorez) ; la SFIO a beaucoup participée aux gouvernements de la IVe République. Ne pas faire de De Gaulle un défenseur des nationalisations, de la planification et de l'interventionnisme : il n’est pas socialiste. Ne pas oublier qu'il s'agit là d'une autobiographie, l'auteur insiste sur son rôle et sa popularité (« mes pouvoirs et du crédit que m’ouvre l’opinion »).
D'autre part, les idées présentées par Chirac ne sont pas non plus particulièrement gaullistes (alors qu'il se présente alors avec le RPR comme l'héritier du gaullisme) : s'il est ici influencé par le néo-libéralisme, c’est par opposition à la politique des gouvernements socialistes antérieurs, mais surtout le RPR sont alors alliés avec les libéraux de centre-droit pour remporter les législatives de 1986. Il faut contenter ces alliés par un discours, en attendant les mesures (notamment une série de privatisations : Suez, Paribas, Société générale, TF1, etc.).