Corps locaux/Introduction, nombres p-adiques
Nous allons ici donner la construction des nombres p-adiques. L’idée générale est fort simple : il s'agit tout simplement de donner un sens à une série du type .
Les nombres p-adiques ont été introduits à la fin du XIXe siècle par Kurt Hensel. Ils ont depuis trouvé une place cruciale au sein de la théorie des nombres. Nous donnons ici une construction algébrique élémentaire des nombres p-adiques.
Anneau des entiers p-adiques
[modifier | modifier le wikicode]On se donne un nombre premier .
On appelle entier p-adique toute suite de , vérifiant .
Par définition, nous dirons que deux entiers p-adiques et sont égaux si .
On note l’ensemble des entiers p-adiques.
Notons qu'en fait dans notre définition nous avons tout simplement quotienté un ensemble de suites par une relation d'équivalence.
Pour une définition plus moderne et plus compacte, mais nullement nécessaire ici, on peut remarquer que la famille d'anneaux munie des projections naturelles pour forme un système projectif. L'anneau est alors la limite projective .
Cette définition a le mérite de munir canoniquement d'une topologie, la topologie projective, induite par la topologie produit. Néanmoins nous munirons, « à la main », d'une topologie dite p-adique qui coïncide avec la topologie projective.
On définit sur les deux opérations suivantes :
- ;
- .
Muni de ces deux opérations, est un anneau commutatif d'élément unité .
L'application est un plongement d'anneau de dans ; on peut donc identifier au sous-anneau des suites constantes de . Pour éviter toute confusion, nous ferons référence aux entiers de sous le nom d'entiers rationnels.
Nous avons une représentation très utile des entiers p-adiques, qu’il ne faut pas hésiter à utiliser car « elle fait bien comprendre ce qui se passe ».
Pour tout entier p-adique , il existe une suite telle que
- .
C'est-à-dire que les suites et définissent le même entier p-adique.
Il suffit de considérer les restes des divisions euclidiennes .
Comme est strictement inférieur à , il admet une décomposition dans la base de la forme :.
Comme , on en déduit , ce qui donne par une simple récurrence, pour , . En posant pour n’importe quel , on a bien le résultat attendu.
On peut donc écrire tout entier p-adique comme , où , en gardant à l'esprit que cette série représente en fait la suite de ses sommes partielles. Néanmoins, il n'y a aucun danger à manipuler les entiers p-adiques comme des sommes infinies formelles. Nous verrons plus bas que tout nombre p-adique est la limite de la série qui le définit, la limite étant prise pour la norme p-adique.
Nous allons maintenant caractériser les unités de nous allons voir qu’il existe un critère extrêmement simple pour savoir si un entier p-adique est inversible dans .
Supposons que soit une unité, on a , soit son inverse, on a donc ; on ne saurait alors avoir .
Réciproquement supposons que n’est pas divisible par . Il s'ensuit qu’il existe tel que . Supposons avoir construit vérifiant et tel que . Comme , et sont premiers entre eux. Il existe donc tel que . On avait et ; il s'ensuit que et donc définit bien un entier p-adique qui est l'inverse de .
Notons que cette démonstration est l'analogue de la démonstration dans l'anneau des séries formelles de l'inversibilité d'une série formelle dont le terme constant est non nul. La différence notable entre l'anneau des séries formelles et celui des entiers p-adiques réside dans le fait « qu’il y a une retenue » dans .
Pour le lecteur familier avec la géométrie algébrique, cet analogue est le reflet de l'analogue entre corps de fonctions (c'est-à-dire courbe algébrique projective lisse) et corps de nombres.
Notons que l'arithmétique de est alors très simple, il n'y a qu'un seul nombre premier, à savoir . C’est une caractéristique d'un anneau local. De plus, comme tous les entiers rationnels premiers à sont inversibles dans , nous avons une injection du localisé de en , qui est l’ensemble des éléments de de la forme avec et ne divise pas . On note traditionnellement le localisé de en .
De plus, nous avons une simple conséquence du théorème précédent :
Soit un entier p-adique non nul. Il existe un unique inversible de et un unique entier naturel tels que .
L'entier naturel ainsi défini est appelé la valuation p-adique de ou l’ordre en de et est noté ou encore .
Existence.
Soit donc un entier p-adique non nul. On ne saurait avoir pour tous les . Soit donc le plus petit entier naturel tel que . Comme , il s'ensuit que pour tout . Posons alors , qui est donc dans , et l’on a bien sûr . On a alors, d’après la propriété précédente, est une unité de et .
Unicité.
Supposons et, sans perte de généralité, . Il est alors facile de constater que divise et que est une unité de donc est premier avec , ce qui implique que : on a le résultat voulu.
Nous en déduisons le corollaire important
Corps des nombres p-adiques
[modifier | modifier le wikicode]Ne pas le confondre avec un corps DE nombres p-adiques, qui sera précisément une extension finie du corps DES nombres p-adiques. |
Le théorème suivant est évident mais fondamental.
Nous avons simplement « rajouté » l'élément à . On étend la valuation p-adique à , en définissant comme l'entier relatif du théorème précédent. On pose par convention . La valuation p-adique sur est non archimédienne.
On peut donc à partir de cette valuation construire une norme :
Soit un réel quelconque de alors en posant , on définit une norme ultramétrique sur , appelée norme p-adique.
Notons que pour des raisons plus profondes (la formule du produit) il est habile de choisir la normalisation .
De plus, pour qu'une suite tende vers un certain , il faut et il suffit que , autrement dit : plus un nombre p-adique est divisible par p, plus il est petit.
Topologie p-adique
[modifier | modifier le wikicode]Nous avons donc défini une norme sur ce qui en fait un espace métrique. Examinons plus avant sa topologie.
- est ouvert : donc est image réciproque d'un ouvert par la norme , qui est continue.
- est compact : puisque c'est un espace métrique, il suffit de remarquer qu'il est séquentiellement compact, comme produit dénombrable d'espaces qui le sont : , d'après la représentation en série.
- Compacité locale : est un voisinage compact de .
- Complétude : toute suite de Cauchy dans est bornée, c'est-à-dire à valeurs dans un certain . Par compacité de ce dernier, la suite est donc convergente.
La notion de convergence p-adique est beaucoup plus simple que la convergence par exemple dans :
L'une des implications étant triviale, contentons-nous de prouver l'autre.
Remarquons tout d’abord que la convergence de la suite est équivalente la convergence de la série . Soit alors il existe tel que pour , on ait et par suite .
Ce qui prouve que converge et par suite la suite converge.
Autrement dit : une série p-adique converge si et seulement si son terme général tend vers 0.
Congruences p-adiques
[modifier | modifier le wikicode]Nous allons nous intéresser aux congruences dans l'anneau . La propriété suivante est quasi immédiate ; elle résulte en fait du développement en série que nous avons vu plus haut. Comme les seuls éléments non inversibles de sont les , il nous suffit de nous intéresser aux congruences modulo .
Tout entier p-adique est congru à un entier rationnel modulo . Autrement dit : , l'isomorphisme étant un isomorphisme d'anneaux.
Soit donc un entier p-adique, intéressons-nous aux congruences modulo , où . Posons qui est un entier rationnel. Nous savons que pour tout . De ce fait, si l’on pose , on a pour , ce qui signifie que soit et donc .
Au passage, nous avons démontré les résultats suivants.
- Soit , alors .
- Tout entier p-adique est limite de la suite d'entiers rationnels qui le définit ; ainsi, est dense dans .
Nous avons alors prouvé que la série converge bien au sens p-adique vers l'entier p-adique qu'elle définit.
Nous terminons par une (des nombreuses) versions du lemme de Hensel, qui nous permet de « relever une solution » d'une équation dans en solution de la même équation dans .
Soit un polynôme de . On suppose qu’il existe et des entiers p-adiques tels que :
- ;
- ;
- .
Alors, il existe , n entiers p-adiques, tels que .
On considère . On pose pour . Il nous suffit alors de trouver un certain tel que .
Cherchons une suite
- telle que
avec
- .
Pour , on choisit .
Supposons avoir trouvé .
On a
avec , c'est-à-dire qu’il existe tel que
- .
De plus, le fait que donne et donc . Il s'ensuit qu’il existe
- .
Prenons tel que où est un certain entier p-adique. On a alors
- .
Par suite, comme , il existe tel que
- .
On a donc bien construit une suite vérifiant les propriétés voulues.
Par ailleurs,
- ,
ce qui prouve que converge vers un certain .
De plus,
donc par continuité de
- .
Une construction analytique des nombres p-adiques
[modifier | modifier le wikicode]Il existe une façon beaucoup plus analytique de construire les nombres p-adiques, qui ressemble de beaucoup à la façon de construire les réels à partir de . Commençons par mentionner un résultat important (et intéressant en soi), le théorème d'Ostrowski, qui donne naissance à l'importante notion de place d'un corps de nombre, qui généralise la notion de nombre premier.
Soit une métrique (non triviale) sur .
Il est clair que l’on a et par suite
- .
Deux cas se présentent. Soit il existe un entier tel que .
Dans ce cas, posons où . Soit alors . L'écriture de en base donne
- .
On a donc . Le calcul de donne alors :
- .
Il existe donc une constante indépendante de telle que
- .
Mais alors donne
- .
En faisant tendre vers , on trouve
- .
Notons maintenant qu’il existe tel que . On a alors
donc il existe une constante telle que
- .
On montre comme précédemment que . Donc pour tout entier on a
- .
Il est alors facile d’en déduire que .
Supposons maintenant que pour tout entier naturel on ait , on supppose qu’il existe tel que , alors il existe un nombre premier tel que , sinon on aurait pour tout ,
- ,
ce qui a été écarté.
Ce nombre premier est alors unique puisque s'il existait un autre nombre premier tel que , on aurait pour des entiers bien choisis :
- .
Donc est unique. Posons . Il est clair que
où désigne la valuation p-adique, et le théorème est démontré.
Remarquons qu'en fait ce théorème dit qu’il y a exactement une valuation (à équivalence topologique près) pour chaque nombre premier, et une supplémentaire, pour le plongement de dans . Tout se passe comme si l’on « manquait » un nombre premier infini. Ce fait sera confirmé par la fait que l’on peut voir comme le complété -adique de et nous le noterons d'ailleurs souvent . Ce fait remarquable se généralise à un corps de nombres de la manière suivante.
Pour un corps de nombres , il existe exactement une valuation (à équivalence topologique près) pour chaque idéal premier de (l'anneau des entiers de ) et une valuation pour chaque plongement réel, et pour chaque paire de plongements complexes conjugués. Une place du corps sera donc une classe d'équivalence de valuations. Il existe donc une place par idéal premier qui sont dites finies, ces places correspondent à des valuations non archimédiennes, et nous avons en plus des places infinies, qui correspondent aux plongements de dans ou , les valuations correspondantes sont archimédiennes. Nous aurons l’occasion d'y revenir.
Nous pouvons alors définir le corps de la façon suivante.
Comme est complet et contient comme sous-corps dense, il résulte de théorèmes généraux (sur les complétés d'un corps pour une valuation) que les deux définitions coïncident.