Aller au contenu

Témoignage au procès du siècle de Valérie Masson-Delmotte 9 octobre 2050

Une page de Wikiversité, la communauté pédagogique libre.
Bibliothèque wikiversitaire
Intitulé : Témoignage au procès du siècle de Valérie Masson-Delmotte 9 octobre 2050

Toutes les discussions sur ce sujet doivent avoir lieu sur cette page.
Cet élément de bibliothèque est rattaché au département Géographie humaine.


Merci, Madame la Présidente de me donner la parole.

J’ai aujourd’hui en 2050 presque 79 ans, et je suis contente d’être de retour à Nancy, où j’ai grandi, au siècle dernier, avant de partir en région parisienne.

A cause de mon âge, j’ai parfois du mal à entendre, et ma mémoire me joue des tours. C’est pour cela que j’ai écrit ce témoignage que je vais vous lire.

Pour bien comprendre comment on en est arrivés à la situation d’aujourd’hui, il faut remonter aux années 2015-2025, parce que beaucoup de choses se sont jouées à ce moment là.

A l’époque, j’étais toujours chercheuse en sciences du climat à Paris Saclay, et j’avais été élue par les délégués de tous les pays du monde comme co-­‐présidente d’un des groupes de travail du GIEC, un groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, chargé d’évaluer l’état des connaissances scientifiques vis à vis du changement climatique.

En 2018, le GIEC avait fêté ses 30 ans, puisqu’il avait été mis en place en 1988, avant la mise en place de la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique. 30 ans de connaissances nouvelles, 30 ans de réchauffement, 30 ans d’émissions de gaz à effet de serre en hausse. En 2018, on voyait déjà se produire ce qui avait été anticipé depuis plusieurs décennies par la communauté scientifique, et je parlais parfois de « tragédie grecque ».

Il faut bien comprendre que les connaissances par rapport au fonctionnement du climat, aux risques liés au rejet croissant de gaz à effet de serre étaient déjà clairement établis. A la fin du 20ème siècle, malgré ces connaissances scientifiques, il y avait beaucoup d’indifférence. Certains groupes industriels, parfois aussi des scientifiques d’autres disciplines se sont fait marchands de doute, alimentant le déni et l’indifférence d’une large partie des décideurs et de l’ensemble de la population.

Beaucoup de gens, même de bonne volonté, en France, pensaient que cela ne les concernait pas : après tout, la France qui avait construit au 20ème siècle des ouvrages pour la production d’hydroélectricité puis dans les années 1970 un parc de réacteurs nucléaires, le tout motivé par son indépendance énergétique, avait l’électricité quasiment la moins émettrice de gaz à effet de serre du monde, et puis grâce à l’isolation des logements, à des moteurs plus performants, et à une meilleure efficacité de certaines pratiques agricoles, les émissions de gaz à effet de serre de la France baissent régulièrement depuis les années 1990.

On ne prenait pas tellement au sérieux les questions de qualité de l’air, d’alimentation, d’absence d’activité physique, et de santé publique, alors que cela aurait pu motiver une action plus ambitieuse. Et puis, la France, avec ses façades océaniques, son climat globalement tempéré, ne semblait pas aux premières loges des impacts d’un climat qui se réchauffe. On pensait que cela concernait les ours polaires, et peut-­‐être d’hypothétiques générations futures. A l’époque, on a continué de construire dans les zones inondables, sur les sols argileux, et au ras de la mer, on a subventionné les pratiques agricoles qui reposaient sur une irrigation importante ou l’enneigement artificiel en moyenne montagne, ce qui a augmenté en fait notre exposition aux aléas climatiques et notre vulnérabilité.

On a aussi continué un aménagement du territoire qui détruisait des milieux naturels, des sols agricoles (à l’époque, on perdait un département de terres agricoles tous les 10 ans), poussait les gens à s’éloigner des centres villes, les rendait dépendants de la voiture individuelle. On a aussi complètement laissé faire un marketing agressif qui a poussé les particuliers à acheter des voitures de plus en plus grosses, de plus en plus lourdes, ce qui fait que les voitures neuves vendues ne permettaient plus de faire des progrès en économie de carburants et en émissions de gaz à effet de serre, malgré les progrès sur les performances des moteurs.

Les importations de gaz et de pétroles nous rendaient très dépendant d’autres pays pas franchement attachés aux droits humains, ce qui donnait lieu à toutes sortes de compromissions avec les valeurs historiques de la République française.

Petit à petit, notre pays s’est désindustrialisé. C’est bizarre, parce qu’on avait un mix électrique vraiment performant. A l’époque, on ne se rendait pas non plus compte de toutes les émissions de gaz à effet de serre liées aux importations : importations de produits agricoles comme le soja d’Amérique du Sud ou l’huile de palme indonésienne participant à la destruction des tourbières et des forêts ; importations de tous les biens manufacturés produits en utilisant du charbon dans de nombreux pays avec des niveaux de vie et des salaires très bas. Ces émissions importées n’ont fait qu’augmenter, et autour des années 2020 étaient quasiment aussi importantes que les émissions de gaz à effet de serre en France. Mais on ne voulait rien changer à nos modes de vie, et, souvent, on cherchait à relancer l’activité économique en développant encore davantage le commerce.

Au même moment, la réalité du changement climatique et de ses effets, sur les milieux naturels comme sur chacun d’entre nous s’est imposée. La vague de chaleur de 2003 a marqué les esprits, on a mis en place des plans d’action canicule pour protéger les personnes âgées vulnérables, et puis on a continué comme avant. Ce sont les assureurs qui ont été parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme, en montrant une augmentation non soutenable des coûts des catastrophes dites naturelles, pour les inondations, les sécheresses, ou les dégâts considérables de l’ouragan Irma dans les Antilles. En 2017, c’était l’ouragan le plus puissant observé dans l’Atlantique nord. Les enjeux liés à la montée du niveau des mers ont aussi été clairement identifiés pour notre immense littoral. En 2018 et en 2019, des sécheresses très sévères ont montré qu’on n’était pas adapté au climat de l’époque, et que nos forêts y étaient déjà très vulnérables. L’examen du brevet en 2019 avait dû être reporté, parce que les établissements scolaires ne permettaient pas de le tenir dans des conditions correctes, face à une canicule record on avait atteint plus de 45°C – et ce n’était que le début.

On avait déjà bien compris à l’époque qu’en France, 2 personnes sur 3 sont exposées aux aléas climatiques sévères, que ce soit en montagne, en plaine, sur le littoral ou dans les outre-­‐mer. La France avait commencé à mettre en place un plan d’action pour l’adaptation, avec très peu de moyens, et une stratégie nationale bas carbone, ambitieuse, mais qui a peiné à être réellement mise en œuvre.

En 2015, la France avait fait le choix risqué d’accueillir la COP21, la 21ème réunion annuelle de la convention cadre des nations unies sur le changement climatique. Et avait réussi, dans un contexte marqué par des attentats terribles, à construire le premier accord universel visant à renforcer l’action internationale, coordonnée, pour maîtriser le changement climatique, cet accord de Paris sur le climat. L’objectif principal de cet accord était d’atteindre un pic et une diminution des rejets mondiaux de gaz à effet de serre, pour contenir le réchauffement largement en-­‐dessous de 2°C, voire autour de 1,5°C par rapport au climat pré-­‐industriel.

Beaucoup de personnes se sont sentis rassurées et pleines d’espoir : les responsables de tous les pays avaient digéré l’information scientifique, et une action coordonnée était en place, les villes, les entreprises, les acteurs de la finance étaient présents, et prenaient des engagements. Pourtant, les plans climat mis sur la table par les différents pays, lorsqu’on les compilait, montraient déjà que le compte d’y était pas : s’il n’y avait pas un renforcement de l’ambition et une action plus efficace, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continueraient à augmenter, moins vite, mais à augmenter jusqu’en 2030. A ce rythme là d’action, ce serait un réchauffement de l’ordre de 3°C en 2100, avec des conséquences très sérieuses partout, y compris pour le développement économique, la sécurité humaine, la préservation de la biodiversité marine et terrestre. Les pays les plus directement exposés aux conséquences du réchauffement climatique, les petits états insulaires en développement, les pays les moins avancés avaient exprimé leurs préoccupations.

Toujours en 2015, l’ONU avait défini trois grands cadres d’action pour son agenda 2030 : réduire les risques de catastrophes naturelles, dans l’accord de Sendai ; agir pour le climat, dans l’accord de Paris, avec un mécanisme de révision tous les 5 ans des engagements, donc en 2020, avec un inventaire global prévu en 2023 ; et enfin 17 objectifs du développement durable, avec en première ligne l’action pour éliminer l’extrême pauvreté.

C’est à ce moment là que j’ai été élue co-présidente d’un des groupes de travail du GIEC. On avait reçu plus de 30 propositions de thématiques pour élaborer des rapports spéciaux, et on a fait un travail herculéen, avec 300 auteurs, des milliers de relecteurs, qui ont passé en revue près de 20 000 publications scientifiques, pour rendre, en 2018 et 2019, trois rapports spéciaux.

Le premier a été rendu en octobre 2018, et portait sur un réchauffement climatique d’1,5°C. Il nous avait été demandé par la COP21 pour mieux comprendre ce que cela permettrait d’éviter comme impacts et ce que cela impliquerait en termes de trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre, dans le contexte du développement soutenable et de la lutte contre l’extrême pauvreté. Nous avions montré à quel point chaque demi-­‐degré de réchauffement compte, à quel point chaque année d’action ou d’inaction compte, et à quel point chaque choix compte.

Par exemple, nous avions identifié que maîtriser le réchauffement à 1,5°C permettrait d’éviter à des centaines de millions de personnes exposées à des risques climatiques croisés de basculer dans la pauvreté. Ou que cela permettrait de limiter les sécheresses et pénuries d’eau, en particulier autour de la Méditerranée et dans les régions semi-­arides. Que cela limiterait les effets négatifs sur les rendements agricoles, en particulier dans les tropiques et les régions tempérées, ainsi que pour le tonnage des pêcheries, et donc que cela limiterait l’augmentation d’une insécurité alimentaire. Ou bien que le risque de perte de biodiversité terrestre serait deux fois moindre que pour 2°C de réchauffement.

A l’époque, les émissions mondiales des principaux gaz à effet de serre continuaient à augmenter fortement, année après année, pour le CO2, le méthane et l’oxyde nitreux, via une exploitation croissance d’énergies fossiles conventionnelles et non conventionnelles, et par une évolution du système alimentaire mondial, qui représentait environ 30% de toutes ces émissions.

Notre rapport sur 1,5°C montrait clairement que pour contenir le réchauffement climatique, il fallait d’une part atteindre la neutralité CO2 le plus vite possible, et d’autre part réduire fortement l’effet sur le climat de tous les autres composés émis par les activités humaines (les autres gaz à effet de serre et les particules de pollution). Le CO2 a vraiment un rôle particulier : en plus de son impact sur la chimie de l’eau de mer, nos rejets de ce gaz ont un effet cumulatif sur le climat, et on savait que le niveau futur du réchauffement dépendrait de la somme des émissions passées, et à venir de ce gaz. Donc, pour que le réchauffement se stabilise, les rejets de ce gaz auraient du diminuer fortement, et même qu’on soit capables d’en retirer de l’atmosphère et le stocker.

Cela a donné lieu à des politiques publiques déclinées en budgets carbone : on se donne une quantité maximale à émettre, sur une période donnée, à l’échelle d’un pays, d’une ville, d’une entreprise. Et des propositions de méthodes pour intégrer le coût des impacts du changement climatique (le coût social du carbone) dans les pratiques économiques courantes, pour guider la prise de décision. C’est difficile maintenant de comprendre pourquoi c’était gratuit de mettre dans l’atmosphère des substances qui provoquent aujourd’hui de telles conséquences.

Je digresse. On avait donc montré en 2018 qu’au rythme actuel on atteindrait 1,5°C de réchauffement au sens climat (c’est-à-dire sur une trentaine d’années) autour de 2040.

On avait aussi montré que pour contenir le réchauffement à un tel niveau il aurait fallu réduire de moitié les émissions mondiales de CO2 entre 2018 et 2030 et atteindre le net zéro en 2050. Chaque année comptait. On avait aussi montré toutes les solutions déjà disponibles pour transformer les systèmes énergétiques, la gestion des terres, les villes, l’industrie, les grandes infrastructures, et quelles réorientations des financements étaient nécessaire, au service des solutions.

On avait aussi montré que pour contenir le réchauffement à un niveau aussi bas il ne fallait pas se contenter de jouer sur l’offre mais aussi sur la demande, en favorisant la sobriété en énergie, en matériaux non renouvelables, et avec une alimentation saine et respectueuse de l’environnement. Beaucoup de connaissances en sciences humaines et sociales étaient déjà disponibles pour imaginer comment construire des transformations de nos sociétés, pour que leur développement ne laisse personne derrière, soit résilient par rapport à un climat qui change, et aille vers la neutralité carbone, en protégeant les plus vulnérables, en protégeant les écosystèmes et la biodiversité.

C’est en ce sens que nous disions que chaque choix compte, pour inscrire l’action climat plus largement dans cette transformation de nos sociétés, et pour permettre de combiner innovation technologique, innovation sociale, et innovation frugale.

Juste après la sortie de notre rapport, l’augmentation de la taxe carbone en France a coïncidé avec une hausse du prix du pétrole sur les marchés mondiaux, et provoqué une grave crise sociale, avec des enjeux de redistribution et de justice sociale. Comment construire une transition qui soit éthique et juste ? Le gouvernement a confié à 150 citoyens tirés au sort pour représenter toute la diversité de la société française le choix d’y trouver des réponses, à l’automne 2019. Il aurait ensuite été nécessaire que leurs recommandations, pleines de bon sens, soient mises en place rapidement.

Par la suite, des pays producteurs d’énergies fossiles comme l’Arabie Saoudite, avec l’appui de la Russie ou des USA, ont tout fait pour que ce rapport sur 1,5°C ne soit plus référencé dans les négociations internationales sur le climat.

Encore une fois, la machine du déni était à l’œuvre. En 2019, toujours, le Haut conseil pour le climat, mis en place pour fournir une analyse approfondie des politiques publiques pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre, avait souligné l’urgence à agir en cohérence avec les ambitions affichées. Le premier budget carbone de la France, pour 2015-2018, n’avait pas été respecté. La baisse réelle des émissions d’environ 1% par an était 2 fois plus faible que prévu, et aurait dû tripler à horizon 2025 pour respecter les engagements de neutralité carbone. A l’époque, les émissions des transports ne baissent plus, celles du bâtiment 3 fois moins vite que l’objectif (avec des enjeux de précarité énergétique aussi), et celles de l’agriculture stagnaient. Les objectifs n’étaient pas déclinés dans les lois, les investissements publics, dans la fiscalité. Il manquait une cohérence aux politiques climatiques à tous les niveaux, des métropoles aux régions, et dans les politiques européennes et les budgets associés. Le haut conseil avait recommandé d’inscrire les budgets carbone dans la loi, d’augmenter l’ambition pour 2019-2023 (plutôt que d’acter un échec), d’intégrer les transports internationaux aériens et maritimes, et de construire une stratégie pour maîtriser les émissions importées.

2018 et 2019 avaient aussi été marqués par la mobilisation d’une partie de la jeunesse, sans précédent, dans le monde entier, mettant en avant le constat scientifique et appelant à l’action. L’engagement d’une jeune suédoise avait été un révélateur de l’égoïsme et du cynisme de beaucoup de décideurs, peut être parce qu’elle ne se conformait pas au « soit belle et tais-toi » que certains attendaient d’une jeune femme, et exprimait son impatience et son absence de résignation.

Je me souviens par exemple d’un ancien président de la République française qui la présentait comme « sympathique, souriante et originale dans sa pensée », d’un président américain qui la décrivait comme « une jeune fille très heureuse qui regarde vers un avenir brillant », ou d’un président russe qui la présentait comme « gentille mais mal informée, à protéger des émotions excessives » alors que devant le parlement français, elle décortiquait le calcul des budgets carbones du rapport sur 1,5°C, un concept qu’aucun parlementaire présent ne semblait avoir pris le temps de comprendre. On l’accusait de promouvoir l’école buissonnière, alors qu’elle expliquait qu’on ne lui apprenait ni les enjeux ni comment agir dans le cadre scolaire. Je me souviens m’être demandée à l’époque ce qu’aurait fait quelqu’un comme le général de Gaulle devant une telle situation, lui qui, au début de la seconde guerre mondiale, avait aussi désobéi.

Si on avait pris la question au sérieux au début du 21ème siècle, on aurait mis en place un grand plan de formation, des élus, des décideurs, à l’école nationale de l’administration, dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, en commençant par la formation des enseignants. Pourtant, ce n’était pas le cas. Malgré de multiples mentions dans leurs préambules, les programmes de collège et de lycée de 2018 reculaient sur l’enseignement de compétences solides, permettant aux plus jeunes de comprendre les éléments scientifiques, les enjeux sociétaux, et de développer leur esprit critique sur les enjeux climat, développement durable, et biodiversité. Le conseil supérieur des programmes, en 2019, choisissait d’entendre un climato-­‐sceptique revendiqué, au nom du pluralisme des points de vue et de la vitalité de l’esprit.

Toujours à cette époque, beaucoup d’adultes se dédouanaient de leur propre responsabilité en exprimant le fait que l’éducation des jeunes étaient la clé de ces transformations, tout en les laissant exposés à des injonctions complètement contradictoires par la publicité dont ils étaient submergés et qui continuaient à promouvoir la malbouffe, les voyages à l’autre bout du monde, les voitures lourdes et généralement la surconsommation. Comment aurait-­‐on voulu que ces jeunes générations passent à l’action, quand ils voyaient des personnalités influentes revendiquer un mode de vie absolument insoutenable, valorisé dans la sphère publique?

Comment en sommes-­‐nous en sommes arrivés à un tel niveau de réchauffement et d’impacts en 2050 ? Cela avait déjà été anticipé, dans le rapport spécial du GIEC de 2018, comme l’un des scénarios explorés, et aussi dans les rapports spéciaux de 2019 sur le climat et les terres, et sur les océans et la cryosphère dans un climat qui se réchauffe.

En 2020, malgré les engagements pris par le passé, le soutien international à l'Accord de Paris a commencé à diminuer. Dans les années qui ont suivi, les émissions de CO2 ont été réduites aux niveaux local et national, mais les efforts ont été limités et pas toujours fructueux.

La perturbation du bilan d’énergie de la Terre s’est intensifiée. Les événements les plus extrêmes, pluies torrentielles, sécheresses intenses, vagues de chaleur, submersions ont commencé à se répéter dans des régions peu peuplées, lointaines, et n’ont pas renforcé le niveau de préoccupation ailleurs.

Néanmoins, les vagues de chaleur sont devenues de plus en plus fréquentes dans les villes et l’enneigement a diminué dans les stations de montagne des Alpes, des Rocheuses et des Andes.

Vers 2030, malgré le fait que le réchauffement planétaire ait déjà atteint 1,5°C, aucun changement majeur n'est intervenu dans les politiques publiques. À partir d'une phase El Niño-La Niña intense dans les années 2030, plusieurs années catastrophiques se sont produites alors que la température à la surface de la Terre commençait à approcher les 2°C. De grandes vagues de chaleur sur tous les continents ont eu des conséquences mortelles dans les régions tropicales et les mégalopoles asiatiques, en particulier pour ceux mal équipés pour se protéger et protéger leurs communautés des effets des températures extrêmes. Des sécheresses intenses se sont succédé dans les régions bordant la mer Méditerranée, le centre de l'Amérique du Nord, la région amazonienne et le sud de l'Australie. A cause de l’augmentation des pluies torrentielles, de terribles inondations se sont produites dans les hautes latitudes et les régions tropicales, en particulier en Asie.

Des écosystèmes majeurs comme les récifs coralliens, les zones humides, les forêts ont été détruits au cours de cette période, ce qui a perturbé considérablement les moyens de subsistance locaux. Les systèmes de gestion des feux de forêt ont été débordés, et c’est maintenant quasiment la moitié de la surface du pourtour de la Méditerranée qui est touchée.

Une sécheresse sans précédent a eu d'importantes répercussions sur la forêt amazonienne, qui est également touchée par une déforestation croissante.

Une grande partie de Miami a été détruite par un ouragan avec des pluies intenses et associées à de fortes ondes de tempête.

Une sécheresse de deux ans a touché à la fois les grandes plaines des Etats-­‐Unis, l’Europe de l'Est et la Russie, diminuent la production agricole mondiale, ce qui entraîne d'importantes augmentations des prix des denrées alimentaires et compromet la sécurité alimentaire.

Aujourd’hui, en 2050, pendant les saisons sèches, le débit de nombreux cours d’eau a diminué à cause de la disparition de la neige et des petits glaciers de montagne. La fonte des glaciers a effacé la mémoire du climat dans les carottes de glace – ce qui était la matière première de mon activité de recherche pour connaître les climats passés.

En Arctique, la surface des sols gelés a reculé de près d’un tiers, provoquant des dégâts considérables sur la plupart des infrastructures et les écosystèmes, avec des incendies de toundra de plus en plus fréquents, et le dégel du permafrost rejette année après année toujours plus de CO2 et de méthane dans l’atmosphère.

On observe de plus en plus de blooms d’algues toxiques sur les côtes. Les pêcheries tropicales ont beaucoup souffert également, à cause de l’acidification des océans, de la baisse de leur teneur en oxygène, et de vagues de chaleur marines toujours plus intenses. Les tensions géopolitiques autour de l’Arctique ne font que croître maintenant que la banquise disparaît régulièrement à la fin de l’été, pour la navigation et pour la pêche. La circulation de l’océan atlantique continue à ralentir, ce qui a terme sera très préoccupant pour la répartition des pluies dans les régions tropicales.

Les évènements de très haut niveau marin, qui arrivaient une fois par siècle au 20ème siècle, se produisent tous les ans dans beaucoup de régions. Certaines grandes villes ont eu les moyens de se protéger ou de planifier leur déplacement, mais la situation est très tendue dans de grandes zones de deltas, pour les activités agricoles, et les dommages sont considérables pour les zones de basses terres des petites îles, dont les populations cherchent l’aide d’une communauté internationale de plus en plus divisée.

Les niveaux de pauvreté augmentent à une très grande échelle, et le risque et l'incidence de la famine augmentent considérablement à mesure que les réserves alimentaires diminuent dans la plupart des pays ; la santé humaine en souffre.

En plus des effets sanitaires des déplacements de vecteurs de maladies et de ces vagues de chaleur intenses qui sont à la limite des capacités physiologiques pour travailler dans de nombreuses régions, beaucoup d’adultes souffrent maintenant de solastalgie, ce sentiment de deuil lorsqu’on a perdu un environnement auquel on était attaché, les modes de vie et les traditions culturelles qui y étaient associés, de manière irréversible.

Il y a des niveaux élevés d'agitation publique et de déstabilisation politique en raison des pressions climatiques croissantes, ce qui fait que certains pays deviennent dysfonctionnels.

Les principaux pays responsables des émissions de CO2 veulent maintenant déployer dans l’urgence des plans d’action pour tenter de faire baisser les émissions, et tentent d'installer des usines de captage et de stockage du carbone, dans certains cas sans essais préalables suffisants, ou en ajoutant à la destruction des milieux naturels.

Les investissements massifs dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables arrivent trop tard et ne sont pas coordonnés ; les prix de l'énergie montent en flèche en raison de la forte demande et du manque d'infrastructures. Dans certains cas, la demande ne peut être satisfaite, ce qui entraîne des retards supplémentaires.

Certains pays proposent d'envisager une modification du rayonnement solaire basée sur les sulfates et les aérosols ; cependant, les négociations internationales intensives sur le sujet prennent beaucoup de temps et ne sont pas concluantes en raison des préoccupations majeures concernant les impacts potentiels sur les précipitations de mousson et les risques en cas d'interruption.

Les températures mondiales et régionales continuent d'augmenter fortement tandis que des solutions tardives pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre sont maintenant mises en œuvre, en ce milieu de siècle, alors que c’est maintenant qu’il aurait fallu atteindre la neutralité carbone.

Les perspectives pour les décennies à venir et la fin de ce siècle sont maintenant très préoccupantes. Plusieurs secteurs de l’Antarctique sont en train d’être déstabilisés, et cela impliquera une accélération encore plus forte du rythme de la montée du niveau des mers. On parle maintenant de plus d’un mètre 10 à la fin de ce siècle, et plusieurs mètres sur les siècles suivants. Il y a aujourd’hui, en 2050, un milliard de personnes qui vivent au ras de la mer.

Le monde tel qu'il était en 2020 n'est plus reconnaissable, avec de grandes difficultés à maintenir l’espérance de vie, la productivité de la main-d'œuvre extérieure, et la qualité de vie s’est réduite dans de nombreuses régions en raison des vagues de chaleur trop fréquentes et d'autres extrêmes climatiques. La sécheresse et le stress sur les ressources en eau rendent l'agriculture économiquement non viable dans certaines régions et contribuent à l'augmentation de la pauvreté. Les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable sont en grande partie annulés et les taux de pauvreté augmentent, en particulier à cause de l’accroissement de conflits. Presque tous les écosystèmes subissent des impacts irréversibles, les taux d'extinction des espèces augmentent dans toutes les régions, les incendies de forêt s'intensifient et la biodiversité diminue fortement, entraînant des pertes considérables pour les services écosystémiques. Ces pertes aggravent la pauvreté et réduisent la qualité de vie.

La vie de nombreux groupes autochtones et ruraux devient intenable sur leurs terres ancestrales. Les dommages économiques globaux sont considérables, en raison des effets combinés des changements climatiques, de l'instabilité politique et de la perte de services écosystémiques.

L'état de santé et le bien-être général de la population sont considérablement réduits maintenant, en 2050, par rapport aux conditions de 2020 et nous savons qu’ils continueront de se dégrader au cours des décennies suivantes.

Je m’interroge, Madame la Présidente, sur ce que j’aurais pu faire de plus, en 2019, dans mon rôle de scientifique, ce que la communauté scientifique aurait pu faire pour être mieux entendue. Est-­ce que nos rapports étaient vraiment trop techniques, trop difficiles à lire ? Est-ce que nous aurions dû arrêter de produire des connaissances pour ne faire que les partager, alors que cela n’était pas notre métier ? Vous savez, à l’époque, on nous disait que nous étions anxiogènes, alors que nos rapports montraient aussi bien les risques que les solutions, et tous les leviers permettant d’agir au service du bien-être de tous. Je me souviens à quel point j’étais reconnaissance au mouvement des jeunes pour le climat, à l’époque, qui demandait aux décideurs de lire les rapports du GIEC.

Je crois que le temps qui m’étais imparti est terminé, Madame la Présidente. Je suis désolée si j’ai été trop longue

Rapport du Haut Conseil pour le Climat de 2019 (www.hautconseilclimat.fr), dont une version longue et une version grand public

Rapport spécial du GIEC sur 1,5°C de 2018 (www.ipcc.ch/report/SR15), chapitre 3 (impacts), encadré « cross-­‐chapter box 8, Table 2 ». Mon témoignage a été inspiré des narratifs de mondes possibles résultant de différents choix en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Ces narratifs s’appuient sur les différents chapitres de ce rapport et sont présentés à titre d’illustration. Le 1er scénario (exemple de situation la plus favorable vis-­‐à-­‐vis des conséquences du changement climatique) reflète une action ambitieuse, coordonnée et rapide des nations du monde vers la neutralité carbone, avec également la maîtrise de la pression sur les terres. Le 2nd scénario (exemple de situation intermédiaire) décrit les implications d’une action plus tardive et sans efforts pour maîtriser les risques associés à la production de biomasse pour l’énergie, avec des conséquences plus lourdes). Le 3ème scénario (exemple de scénario le plus préoccupant par rapport aux conséquences du changement climatique) reflète les conséquences d’actions non coordonnées et tardives, après 2050, conduisant à 3°C en 2100. Compte-­‐tenu du choix des étudiants qui ont organisé ce procès de l’inaction en 2050, j’ai donc présenté le 3ème scénario, complété par des informations issues des deux autres rapports du GIEC ci-­‐ dessous.

Traduction citoyenne en français du résumé pour décideurs : https://fr.wikisource.org/wiki/Rapport_du_GIEC_:_Réchauffement_climatique_de _1,5°C

Rapport spécial du GIEC sur climat et utilisation des terres de 2019 (www.ipcc.ch/report/SRCCL), en particulier sur les risques pour les forêts, les incendies de forêt, le manque d’eau dans les régions semi-­‐arides, la production agricole, la sécurité alimentaire.

Traduction citoyenne en français du résumé pour décideurs : https://fr.wikisource.org/wiki/Rapport_spécial_du_GIEC_sur_le_changement_cli matique_et_les_terres_émergées

Rapport spécial du GIEC sur océan et cryosphère dans un climat qui change de 2019 (www.ipcc.ch/report/SROCC) en particulier pour la montée du niveau des mers, le dégel des sols gelés, la circulation océanique, le risque d’instabilité de secteurs de l’Antarctique.

Observations et projections de l’évolution du climat pour la France métropolitaine, région par région (Météo France): http://www.meteofrance.fr/climat‐passe‐et‐futur/climathd

Les enjeux de l’adaptation au changement climatique pour la France: ‐ Plan national d’adaptation : https://www.ecologique‐solidaire.gouv.fr/adaptation‐france‐au‐changement-climatique

Indicateurs des impacts pour la France (voir ONERC, onglet : « impacts ») https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/observatoire-national-sur-effets-du-rechauffement-climatique-onerc#e2

Rapport sénatorial, « "Adapter la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050 : urgence déclarée" https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201905/adaptation_de_la_france_aux_changements_climatiques_a_lhorizon_2050.html