Recherche:Vichy, Pétain et les catholiques

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Vichy, Pétain et les catholiques

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Le 22 juin 1940, le maréchal Pétain, occupant alors le poste de Président du Conseil, signait l’Armistice dans le wagon de Rethondes, reconnaissant ainsi la défaite française face à la campagne éclair menée par l’Allemagne nazie. Trois jours plus tard, Pétain se trouvait à Bordeaux, devenue capitale du pays, en compagnie du président de la République Albert Lebrun. Au matin du 25 juin, les représentants de la France vaincue se rendent à la Cathédrale Saint-André, située non loin de l’hôtel de Nesmond où ils tiennent leur résidence officielle, pour y entendre le sermon de monseigneur Feltin, archevêque de Bordeaux : « Si nous avons été vaincus, c’est peut-être que nous n’étions plus suffisamment soutenus, au fond de nos âmes par ce triple idéal que sont trois grandes réalités : Dieu, la Patrie, la famille » affirme-t-il devant l’assistance. Le même jour, Pétain s’adresse aux Français depuis Bordeaux en des termes qui ne sont pas sans rappeler les mots employés par Maurice Feltin : « Notre défaite est venue de nos relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. C'est à un redressement intellectuel et moral que je vous convie. Convaincu que l'Église peut aider au redressement moral qu'il envisage, le chef de l'État est bien disposé à accueillir toutes les demandes qu'elle lui présentera .. ». Cette vision de la défaite, attribuée à une décadence de la société, est un point de rencontre idéologique entre le haut clergé français et Pétain, qui souhaite œuvrer pour le redressement du pays à travers une « révolution nationale ». L’Assemblée nationale lui donne l’opportunité de réaliser ce projet en lui conférant les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940. Cet acte marque le début du régime de Vichy qui prend le nom officiel d’État français. Comme tous les nouveaux régimes, celui de Vichy est en quête de légitimité et de reconnaissance ; la figure glorieuse maréchal constitue un argument premier, auquel s’ajoute l’adhésion de l’Église et de ses fidèles qui doit permettre la pérennité du régime. La population française en 1940 est encore catholique dans son écrasante majorité, cependant il convient de s’intéresser en particulier aux catholiques fervents, attachés au discours de l’Église et aux valeurs qu’elle porte, notamment aux catholiques intransigeants qui souhaitent que la France redevienne « la Fille aînée de l’Église »  ; cette frange de la population se distingue nettement des indifférents, baptisés à leur naissance mais distants des pratiques et des discours religieux, une catégorie à laquelle appartient Philippe Pétain.

Il s’agit alors de se demander dans quelle mesure l’alliance entre le régime de Vichy et l’Église lui a permis d’acquérir le soutien de l’opinion catholique majoritaire.

Pour cela il faudra tout d’abord s’intéresser aux modalités et aux leviers de l’alliance entre Vichy et l’Église, puis il conviendra de se pencher sur l’adhésion des clergé et des fidèles au régime de Pétain, et enfin de s’interroger sur les limites des relations entre les catholiques et Vichy en abordant la question de la condamnation et même de la résistance au régime.

Une alliance de circonstance[modifier | modifier le wikicode]

Pétain et le catholicisme : Vichy vaut bien une messe[modifier | modifier le wikicode]

Philippe Pétain est né le 24 avril 1856 à Cauchy-la-Tour, dans le Nord de la France, une région caractérisée par une vitalité religieuse forte à cette époque. La famille Pétain est marquée par le catholicisme, Philippe sert comme enfant de chœur dans sa jeunesse, un de ses oncles et deux de ses grands-oncles sont abbés. En 1876 il intègre l’École militaire de Saint-Cyr, grâce à une préparation qui lui a été dispensée au sein du collège dominicain d’Arcueil. Malgré son éducation religieuse et le milieu familial dont il est issu, Philippe Pétain ne fut jamais réellement imprégné par le catholicisme ; à l’instar des militaires qu’il côtoie au cours de sa carrière, il demeure discret sur ses opinions et sur son for intérieur. Au moment des grandes affaires du début du XXe siècle, notamment de l’Affaire Dreyfus et de l’Affaire des Fiches, Pétain s’abstient de prendre parti, alors qu’un nombre important d’officiers s’étaient exprimés et engagés à ces occasions. Mais l’élément le plus significatif pour comprendre le rapport de Pétain à la religion est certainement sa situation matrimoniale. Il épouse en 1920, au cours d’un mariage civil Eugénie Dehérain, née Hardon, divorcée et de vingt ans sa cadette. Ce choix permet de classer Pétain parmi les catholiques indifférents, baptisés mais peu enclins à respecter les pratiques religieuses, témoignant d’un détachement religieux qui se développe en France et qui est vivement combattu par l’Église. Un mariage religieux n’est organisé qu’en 1941, par procuration, en l’absence du Maréchal, une pratique qui choque profondément son entourage ainsi que le haut clergé. Il s’agissait pour Pétain de ne pas attirer l’attention sur sa situation matrimoniale, et de l’adapter aux exigences de l’opinion publique, majoritairement catholique, et dont l’adhésion devait garantir la stabilité du régime. En dépit de son manque certain de piété, Pétain s’efforce de maintenir des liens étroits avec l’Église et les catholiques, il fait par exemple entrer un certain nombre de catholiques fervents dans son cabinet tels que le général Laure par exemple ou André Lavagne. Ces pratiques témoignent de la vision utilitariste que Pétain porte sur la religion ; même s’il manque de piété, il dispose d’une haute opinion de la foi, considérant qu’il s’agit d’un fondement essentiel de la nation et de la morale. En cela, les vues du Maréchal peuvent être rapprochées de celles de Charles Maurras, fervent défenseur de la religion en dépit de son agnosticisme. L’entente entre Pétain et l’Église n’est pas évidente à première vue, mais elle peut être expliquée par l’existence d’objectifs et de valeurs communs.   

Les points de rencontre idéologiques entre les catholiques et Vichy[modifier | modifier le wikicode]

« Travail, famille, patrie, ces trois mots sont les nôtres ! » déclare le cardinal Gerlier au congrès de la Ligue ouvrière chrétienne à l’été 1940. Cette formule témoigne de la proximité idéologique qui existe entre Pétain et l’Église, ils partagent en premier lieu une même vision de la défaite. Pour les catholiques, la recherche des causes de la défaite française aux lendemains de la débâcle aboutit à une évidence : il s’agit d’une punition divine qui met un terme à une période de décadence, cette vision mise en scène à travers ce que Jacques Duquesne nomme une « spiritualité de la souffrance et de l’échec ». A l’été 1940 par exemple, dans le Sud-Est de la France, un camp de la Jeunesse étudiante chrétienne propose aux jeunes gens un parcours de la rédemption à travers les ronces, destiné à racheter les erreurs des années passées. Mais si la défaite de 1940 est un châtiment divin, alors cela signifie que le régime nazi, pourtant condamné avec force par le Pape Pie XI dans son encyclique Mit brenneder Sorge, serait l’instrument de Dieu ; il s’agit là de la principale limite du raisonnement. Pour l’Église et pour Vichy les responsables de la défaite sont identiques, il s’agit des Juifs, des communistes et des francs-maçons. Le régime de Vichy place le rétablissement de l’ordre et de la morale au centre de son programme idéologique à travers la « révolution nationale », fondée sur des valeurs chrétiennes. Pourtant le triptyque Travail, Famille, Patrie, exclut la religion ; l’absence de référence religieuse dans cette devise fut conseillée à Pétain avant le vote de l’Assemblée nationale du 10 juillet, qui aurait été réticente à accorder les pleins pouvoir à un homme faisant ouvertement la promotion des valeurs chrétiennes. Le programme du régime de Vichy correspond néanmoins aux attentes des catholiques, avec par exemple la mise en place une politique nataliste, conforme à la morale chrétienne. Le divorce, honni des catholiques est mis à mal par la législation de Vichy qui interdit aux couples mariés depuis moins de trois ans de divorcer, par la loi du 2 avril 1941. L’adultère, condamné par l’Église est également condamné par la loi sous Vichy; sous la IIIe République l’adultère était en théorie pénalement répréhensible, mais cette condamnation est rapidement tombée en désuétude, elle renaît en 1940. Le régime de Vichy est un moment de rupture, il se présente d’ailleurs en tant que tel afin de rassurer l’opinion catholique, marquée par la laïcité et l’anticléricalisme de la IIIe République ; Pétain au contraire, met en œuvre un vaste programme clérical pour séduire la hiérarchie catholique et les fidèles.

Vichy : un régime clérical[modifier | modifier le wikicode]

Les congrégations religieuses furent soumises à autorisation par l’article 14 de la loi de 1901 sur les associations, en outre, elles furent interdites d’enseignement par la loi du 7 juillet 1904 portée par Émile Combes, qui déclarait que l’anticléricalisme était : « l'œuvre la plus considérable et la plus importante pour l'émancipation de l'esprit humain. » Le régime de Vichy, par la loi du 3 septembre 1940 et par celle du 8 avril 1942, permet aux congrégations d’enseigner à nouveau et de demander une reconnaissance légale. Les Frères des écoles chrétiennes par exemple, dont bon nombre de membres avaient décidé de se séculariser dans l’entre-deux guerres afin de continuer à enseigner, peuvent reprendre leur activité scolaire. Les écoles libres catholiques sont largement favorisées par Vichy, à cette époque elles regroupent environ 1,3 millions d’élèves ; à partir de l’avènement du régime de Vichy elles reçoivent d’importantes subventions de la part de l’état, environ 400 millions de francs pour l’année 1941. L’aide aux écoles privées s’exerce surtout à l’échelle des communes grâce à la loi du 15 octobre 1940 qui permet aux élèves des écoles privées de bénéficier des fonds de la caisse des écoles, et grâce à la loi du 6 janvier 1941 qui permet aux écoles privées de toucher les subventions des communes. Ces actions en faveur de la place de l’Église dans l’enseignement accentuent la rupture que marque Vichy avec la IIIe République puisque aucune politique cléricale n’avait été lancée depuis l’arrivée au pouvoir des républicains en 1878. L’action de Vichy ne se limite pas au domaine de l’école, étant donné que le clergé lui-même bénéficie de mesures exceptionnelles. La loi du 15 février 1941 par exemple permet aux églises de recouvrer les biens mis sous séquestre par la loi de 1905. Le cléricalisme du régime est en grande partie dû à l’influence d’un certain nombre de personnalités catholiques au sein du gouvernement. Il est possible de citer Jacques Chevalier, un philosophe catholique qui est entré au gouvernement de Vichy dès septembre 1940 au poste de secrétaire général de l’instruction publique, il devient par la suite secrétaire d’état. Il est l’auteur d’un décret ministériel, publié le 23 novembre 1940, qui vise à réintroduire dans l’enseignement secondaire des heures d’éducation religieuse à raison d’une heure et demie par semaine. Le gouvernement de Vichy comprend également Xavier Vallat, fervent catholique, placé à la tête du commissariat aux questions juives, et qui a notamment contribué à mettre en place le second statut des Juifs.

L’alliance entre Vichy et l’Église a bénéficié aux deux interlocuteurs, néanmoins ses fondements demeurent labiles. Il est possible d’interroger la sincérité du régime lorsqu’il prétend œuvrer pour le rétablissement des valeurs chrétiennes tout en sapant les institutions dévolues à ces questions (suppression du ministère de la famille le 6 septembre 1940, interdiction du Relèvement social, organe de la Ligue pour le redressement de la moralité publique, le 8 décembre 1940) et tout en ayant à sa tête un homme dont la piété fait défaut. L’œuvre cléricale de Vichy est par ailleurs limitée, puisque le régime ne va pas jusqu’à remettre en question les grandes lois laïques ; elle a néanmoins contribué à renforcer les liens entre Vichy et l’Église, stimulant ainsi l’adhésion des fidèles au régime.

L'adhésion du clergé et des fidèles au régime de Vichy[modifier | modifier le wikicode]

Les membres du clergé, vecteurs d'un troisième ralliement[modifier | modifier le wikicode]

En 1940, les évêques à la tête des différents diocèses de France constituent un groupe générationnel marqué par l’expérience de la Grande Guerre et par la figure de Pétain. Pour eux, le sacrifice des poilus a été compromis par les gouvernements de l’entre-deux guerres, la reprise en main du destin national leur incombait donc, et elle devait se faire aux côtés du Maréchal. Cette génération d’évêques, bouleversée par les horreurs de la guerre, avait développé en réaction un pacifisme au cours des années 1930, leur adhésion à la collaboration voulue par Pétain s’inscrit dans cette logique. Monseigneur Dutoit, dans la Semaine religieuse du diocèse d’Arras, du 26 décembre 1940 affirmait : « La collaboration est le signe sous lequel devra se conduire, pour être durable la paix de demain, ère nouvelle favorable au rapprochement et à la réconciliation des peuples. » Les membres du clergé français en général adhèrent massivement à la Ligue des combattants, fondée par Pétain, qui regroupe les différentes associations d’anciens combattants. L’adhésion des évêques au régime de Vichy est visible à travers leur participation à sa mise en scène. Pétain célèbre par exemple la cérémonie du 11 novembre 1940 à la cathédrale de Clermont-Ferrand où il est accueilli par Monseigneur Piguet, décoré de la croix de guerre. Les déclarations publiques de l’épiscopat au sujet du régime et de son chef sont toujours élogieuses; l’archevêque d’Aix par exemple, dès 1940 exhortait à l’union « autour de l’illustre Maréchal ». L’adhésion unanime de l’épiscopat est sensible à travers une lettre adressée au Pape et rédigée par les cardinaux et archevêques de zone occupée le 15 janvier 1941 : « Nous professons dans le domaine social et civique un loyalisme complet envers le pouvoir établi du gouvernement de la France ; nous demandons à nos fidèles d’entretenir cet esprit. » L’obéissance est pour le clergé une vertu essentielle qui doit garantir l’unité et l’ordre au sein de la nation, à travers les lettres pastorales ou les sermons le clergé s’efforce de transmettre cette valeur à ses fidèles.

La vitalité de l'action pastorale sous Vichy[modifier | modifier le wikicode]

Grâce au favoritisme dont ils bénéficient de la part du régime, les membres du clergé espèrent redonner à l’Église une place de premier ordre dans la société. Ils se lancent dans une entreprise de reconquête des masses face à l’essor de la déchristianisation. Des initiatives individuelles sont tout d’abord menées comme celle du père Michonneau par exemple qui institue des réunions à domicile,  réunissant les habitants d’un immeuble ou d’un quartier autour d’un prêtre; ainsi le renouveau liturgique passe par la formation de petites communautés, cette stratégie vise essentiellement les milieux urbains et ouvriers, où se développe la sécularisation. Au sein du clergé un renouveau de la ferveur religieuse est perceptible puisque la période de l’occupation correspond à une augmentation du taux d’ordinations, qui passe de 39 % entre 1934 et 1938 à 50 % entre 1940 et 1947. La presse catholique est un puissant relais de la propagande de Vichy. Le directeur du journal Demain, Jean de Fabrègues, affirme vouloir réunir dans la fidélité au Maréchal les catholiques de toutes tendances, cette mission est entreprise par un certain nombre d’autres journaux comme Voix françaises, fondé à Bordeaux. Malgré la condamnation du pape Pie XI, de nombreux catholiques étaient restés fidèles à l’Action française, leur attachement aux questions politiques les conduit tout naturellement à embrasser le régime de Vichy dès ses débuts. De façon générale, les catholiques ont massivement adhéré à Vichy et à la figure du Maréchal qui contamine rapidement le quotidien des fidèles, on le retrouve notamment au sein de nombreuses prières. Un Pater Noster écrit par un certain Georges Gérard remplace la figure de Dieu par celle du Maréchal. Cette pratique entre pourtant en contradiction avec la vision d’un certain nombre de membres du haut clergé, qui malgré leur fidélité envers Pétain renâclaient à l’ériger au rang de figure hiératique ; Maurice Feltin écrivait le 23 janvier 1941 : « le respect dû à l’autorité ne demande pas que nous déifiions celui qui la personnifie. » L’étroite association entre la figure de Pétain et la religion est un pilier de la propagande de Vichy, qui cible tout particulièrement la jeunesse.

La jeunesse catholique, un public réceptif à l'idéologie vichyssoise[modifier | modifier le wikicode]

Les élèves de l’école libre de Saint-Jean-Lavêtre récitaient chaque matin une invocation plaçant le Maréchal aux côtés du Père et de la Vierge Marie. Les jeunes sont en effet le premier public concerné par le ralliement au régime, car ils sont facilement influençables. Le scoutisme, mouvement de jeunesse inscrit dans la tradition catholique, adhère pleinement au régime de Vichy dans lequel il reconnaît ses valeurs fondatrices : l’obéissance, l’autorité, la hiérarchie. Le scoutisme devient d’ailleurs sous Vichy un modèle pour la fondation des Chantiers de Jeunesse. Les mouvements de jeunesse catholique connaissent un véritable essor sous Vichy, entre 1940 et 1944 près de la moitié des jeunes âgés de 14 à 21 ans, appartenait à un de ces mouvements. Le premier d’entre eux en termes d’effectifs est l’Association des coeurs vaillants et âmes vaillantes de France avec plus d’un million de membres, viennent ensuite les mouvements de l’Action catholique comme la Jeunesse Étudiante Chrétienne avec plus de 700,000 membres, et enfin les Scouts et les Compagnons de France. L’un des épisodes les plus illustratifs à la fois de l’embrigadement de la jeunesse catholique française et de l’association étroite voire de la confusion entre le régime de Vichy et l’Église, est le pèlerinage du Puy qui se déroule du 12 au 15 août 1942. Ce rassemblement est organisé à l’appel du père Doncoeur, particulièrement actif au sein des Scouts, il invite le Maréchal à assister au pèlerinage. Ce dernier refuse, sur conseil du représentant de l’épiscopat à Vichy, monseigneur Chappoulie, Pétain se contente d’adresser un message à la radio aux participants dans lequel il appelle à rebâtir une France nouvelle. Pour ses organisateurs, le pèlerinage du Puy doit racheter les fautes de la société décadente d’avant-guerre, on peut observer la communion des idées vichyssoises et catholiques au cours du pèlerinage, avec des deux côtés une volonté de convertir la jeunesse à leur idéal. Le lien entre les mouvements de jeunesse catholique et Vichy est également visible à travers des parcours individuels comme celui de François Valantin, dirigeant de l’Association Catholique de la jeunesse française en Lorraine, il devient l’un des principaux dirigeants de la Légion des combattants ; cette institution de Vichy obtient le concours unanime des catholiques en raison de la dimension religieuse dont elle dotée : des messes sont organisées au sein de l’espace public, les cloches des églises sont sonnées pour les principales cérémonies.

L’étroite alliance entre Vichy et l’Église a été poursuivie jusque dans le rapport avec les fidèles, les pratiques religieuses ont été très largement associés à l’image du régime et du maréchal, témoignant ainsi de la compromission du pouvoir spirituel avec le pouvoir temporel. Mais au-delà de son apparente stabilité l’étroite coopération entre les deux pouvoirs a connu de multiples cahots.

Le temps des désillusions : limites et déclin de l'alliance originelle[modifier | modifier le wikicode]

Les catholiques face à la persécution des Juifs[modifier | modifier le wikicode]

Le 3 octobre 1940 est publié le premier statut des Juifs, il concerne toutes les personnes ayant dans leur famille trois grands parents juifs. Les Juifs sont entre autres exclus du corps de officiers, de la haute fonction publique, de la magistrature, du corps enseignant, et d’un certain nombre d’autres métiers et notamment des emplois liés à la production culturelle comme l’imprimerie ou le cinéma. L’épiscopat dans son immense majorité demeure silencieux concernant le statut des Juifs même s’il est possible de relever quelques exceptions comme le cas de l’évêque de Périgueux, qui condamne la législation de Vichy dans sa lettre pastorale du carême 1941. Les catholiques proches de l’Action française quant à eux se réjouissent de l’adoption de ce statut, l’un d’entre eux, Xavier Vallat, est même à l’origine du second statut des Juifs du 2 juin 1941, qui élargit la liste des métiers interdits aux Juifs à ceux du commerce et de la finance et instaure un numerus closus à l’université pour les étudiants Juifs. La plupart de membres du clergé sont peu disposés à soutenir les Juifs face à la persécution dont ils sont victimes en raison de l’anti-judaïsme millénaire qui demeure au sein de l’Église catholique. L’intensification des persécutions antisémites auxquelles prennent part les autorités de Vichy provoque néanmoins la réaction d’une poignée de hauts responsables religieux. Si la plupart des évêques sont restés muets face aux rafles et à la déportation, certains décident de protester ouvertement comme monseigneur Saliège, évêque de Toulouse, qui fait circuler au sein de sa paroisse une lettre pastorale dans laquelle il dénonce la déportation des Juifs : « Tout n’est pas permis contre eux. » écrit-il. Monseigneur Théas à Montauban ou encore Monseigneur Gerlier à Lyon condamnent eux aussi les rafles de Juifs ; le Pape Pie XII luimême manifeste sa désapprobation en 1942 au maréchal Pétain, par l’intermédiaire de son nonce apostolique à Vichy, monseigneur Valerio Valeri. L’archevêque de Paris, le cardinal Suhard, fait preuve de prudence par rapport aux initiatives de ses confrères de zone libre ; face à la rafle du Vel d’Hiv il se prononce pas publiquement mais adresse une lettre de protestation au gouvernement de Vichy. Les quelques hauts dignitaires catholiques qui désapprouvent ouvertement la persécution des Juifs sont massivement rejoints par le clergé et les fidèles qui s’efforcent de protéger les populations juives comme ils peuvent. Certains curés délivrent de faux certificats de baptême aux Juifs. Les institutions religieuses comme les pensionnats catholiques hébergent les populations et notamment les enfants juifs. Certains membres du clergé sont particulièrement actifs dans le sauvetage des Juifs, comme le père Jacques de Jésus ou le père Chaillet par exemple. S’il a participé au sauvetage de centaines d’enfants juifs, Pierre Chaillet est aussi connu pour avoir fondé les Cahiers du Témoignage chrétien, un journal emblématique de la résistance catholique.

Les catholiques engagés dans le résistance[modifier | modifier le wikicode]

Si bon nombre de catholiques ont été attirés par le programme porté par Vichy, il est également possible de citer d’illustres figures de la résistance issus des milieux catholiques comme Honoré d’Estienne d’Orves. Des mouvements de résistance chrétiens naissent en France comme les Jeunes chrétiens combattants, fondé en 1943. Suite à la disparition de Jean Moulin en 1943, c’est un catholique fervent, Georges Bidault, qui prend la tête du Conseil National de la Résistance. L’année 1943 est une année de rupture qui incite de nombreux Français à rejoindre la résistance, elle correspond en effet à la mise en place du Service du travail obligatoire, qui prévoit le transfert de main d’oeuvre française vers l’Allemagne pour soutenir l’effort de guerre, il est généralisé par la loi du 16 septembre 1943 et concerne plus de 600.000 Français. La question de la désobéissance se pose alors aux catholiques attachés au régime de Vichy. L’Assemblée des cardinaux et archevêques de France se réunit le 6 et 7 avril 1943, elle adopte une position hostile à la désobéissance. L’évêque de Lille, le cardinal Liénart exhorte les jeunes gens à se soumettre, néanmoins nombre de jeunes catholiques s’éloignent de la ligne épiscopale. L’Association catholique de la jeunesse française et la Jeunesse étudiante chrétienne s’opposent ouvertement aux départs pour le STO, encourageant l’insoumission et l’action clandestine. Les réfractaires au STO constituent une part importante de la résistance ; mais les catholiques qui s’engagent dans la lutte armée sont victimes de la répression allemande qui s’intensifie à partir de 1943. Gilbert Dru, un résistant chrétien qui avait joué un rôle important dans la lutte contre l’occupant, est exécuté au mois de juillet 1944 à Lyon, en pleine rue. Dans les différents lieux d’incarcération, il est possible de lire des messages gravés sur les murs ou écrits au crayon, qui rappellent la présence de chrétiens dans la résistance. Sur une porte des geôles de la Gestapo du Bouscat, aujourd’hui conservée au Centre Jean Moulin de Bordeaux, il est possible de lire : « Toutes mes souffrances dans cette cellule, je les donne à Dieu. » Si des initiatives individuelles ont pu émerger au sein des milieux catholiques, l’Église en tant que corps ne prend pas position en faveur de la résistance à l’occupant, toutefois sa fidélité à Vichy est bouleversée par une série de déceptions face à l’œuvre du régime.

Ruptures et déceptions face à la ligne de Vichy[modifier | modifier le wikicode]

Le cléricalisme du gouvernement de Vichy est bouleversé par l’arrivée de l’amiral Darlan au poste de vice-président du Conseil, le 9 février 1941. François Darlan a été élevé dans un milieu républicain et franc-maçon, il est agnostique et fortement attaché à la laïcité. Sa vision de la religion est essentiellement utilitariste, selon lui : « La religion c’est bon pour le peuple parce que ça maintient l’ordre et l’autorité. » Son avènement marque une rupture étant donné qu’il se montre hostile au cléricalisme des gouvernements précédents. Jacques Chevalier, qui s’occupait jusque là de l’instruction publique est remplacé par l’historien Jérôme Carcopino, attaché, comme Darlan, aux valeurs laïques. Il réussit à faire adopter le 10 mars 1941 une loi qui sape l’oeuvre cléricale de Vichy et en particulier l’arrêté ministériel de son prédécesseur, puisqu’elle indique que l’instruction religieuse doit être donnée en dehors des édifices scolaires. L’Église réagit vivement à ce changement brutal de politique, à l’instar de l’évêque de Nancy, monseigneur Fleury, qui déclare à l’occasion de la conférence de carême de sa cathédrale : « Notre émotion est vive parce que ce reniement du nom de Dieu est une apostasie. » Les espoirs des catholiques intransigeants, qui espéraient voir disparaître le programme laïc, sont vivement déçus. L’impopularité de Darlan croît au fil du temps, chez les Allemands, chez la population et dans l’entourage du Maréchal, qui décide de le remplacer par Laval le 18 avril 1942. Toutefois ce changement ne signifie pas un changement de politique à l’égard des catholiques puisque Laval est lui aussi hostile au cléricalisme, de nombreux catholiques sont exclus du gouvernement dès son retour au pouvoir. À partir de 1942 les liens entre Pétain et les catholiques sont ébranlés à de multiples reprises ; il y a tout d’abord l’opération Torch, le débarquement allié en Afrique du Nord le 8 novembre 1942 et la constitution d’un Gouvernement provisoire de la république française qui poussent de nombreux catholiques à s’interroger sur leur fidélité au Maréchal, certains décident de rejoindre la résistance. En réaction à ce débarquement, les Allemands envahissent la zone libre brisant ainsi l’illusion de la souveraineté de Vichy. Les évêques maintiennent leur fidélité au Maréchal mais les catholiques prennent désormais leurs distances avec Vichy.

Les déconvenues successives qui vinrent entacher les relations entre l’Église et Vichy conduisent l’Assemblée des Cardinaux et archevêques de France, réunie le 25 juillet 1941 à encourager  « un loyalisme sans inféodation » au régime de Vichy. La déportation des Juifs, le STO, l’invasion de la zone libre, ont largement contribué à détacher l’opinion catholique de sa fidélité au Maréchal ; malgré ces multiples crises l’Église a choisi de maintenir sa fidélité au régime de Vichy jusqu’au bout, un choix qui oblige par la suite de nombreux membres du haut clergé à quitter leurs fonctions au moment de l’épuration.

Conclusion[modifier | modifier le wikicode]

En somme le régime de Vichy, par son œuvre cléricale, portée par des figures du catholicisme, a redonné une place au catholicisme en France tout en renforçant sa légitimité, au sein d’un échange réciproque résumé ainsi par Étienne Fouilloux : « Pétain relégitime l’Église qui légitime Pétain. » Les catholiques français étaient sans doute moins attachés au régime de Vichy qu’à sa personnification par le maréchal Pétain, qui incarnait à lui seul l’autorité et l’ordre auxquels ils aspiraient. La libération marque un retour à l’ordre laïc, il est toutefois intéressant de signaler l’exception des lois du 3 septembre 1940 et du 8 avril 1942 sur les congrégations, entérinées par la République française en 1945.

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

Ouvrages[modifier | modifier le wikicode]

  • BERNAY Sylvie, L’Église de France face à la persécution des Juifs 1940-1944, CNRS éditions, 2012
  • BONINCHI Marc, Vichy et l’ordre moral, PUF, 2005 [En ligne]
  • BOULARD Fernand, Essor ou déclin du clergé français, Éditions du Cerf, 1950
  • DUQUESNE Jacques, Les catholiques français sous l’occupation, Grasset, 1966
  • LE MOIGNE Frédéric, Les évêques français de Verdun à Vatican II, Presses universitaires de Rennes, 2005
  • MONTAGNON Pierre, La France dans la guerre de 39-45, Pygmalion, 2009
  • VERGEZ-CHAIGNON Bénédicte, Pétain, Perrin, 2014

Articles[modifier | modifier le wikicode]

  • AVON Dominique, « Le pèlerinage du Puy, 12-15 août 1942 », Revue d’histoire de l’Église de France, 1997 (volume 83/n°211) [En ligne]
  • FOUILLOUX Étienne, « Église catholique et Seconde Guerre mondiale », Vingtième Siècle, 2002/1 (n°73) p.111-124 [En ligne]
  • LE MOIGNE Frédéric, « L'épiscopat français contre Maurras et la Résistance », Histoire@Politique, 2012/3 (n° 18), p. 79-96 [En ligne]