Recherche:Pastech/242-2 Moteur a reaction

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Dans le cadre de nos P2I (Parcours pluridisciplinaire d'initiation à l'ingénierie) Energie sous toutes ses formes, à l'INSA de Lyon, nous nous intéressons à une relation entre la société et un convertisseur d'énergie. L’objet de notre étude est le moteur à réaction. Au fil de votre lecture, vous verrez comment la société, et plus particulièrement les gouvernements, peuvent influencer la recherche d’une technologie. Ce sont avant tout les besoins de la société qui façonnent la manière dont une technologie est utilisée. Cela se voit particulièrement avec le moteur à réaction.

Introduction[modifier | modifier le wikicode]

schéma du moteur à réaction

Les secteurs de l’aéronautique, de l’aérospatial et des missiles ont des points en commun et parmi eux, le moteur à réaction. Il est omniprésent dans ces engins à la pointe de la technologie. Basé sur un concept simple, son développement ne l’est pas tout autant.

Tout comme un moteur normal, ce système converti de l’énergie chimique en énergie cinétique. La grande différence est dans son fonctionnement.

Lorsqu'un corps A exerce une force sur un corps B, le corps B exercera une force sur le corps A de même grandeur, mais dans le sens opposé. Voici l’énoncé de la 3e loi de Newton. Dans le cas du moteur, l’air expulsé vers l’arrière va entraîner un déplacement du moteur vers l’avant. Pour ce faire, le moteur va aspirer de l’air grâce à la chambre de compression, air qui va être transmis à la chambre de combustion. Dans cette dernière, en plus de l’air on y injecte du carburant et on allume ce mélange. Les gaz se dilatent sous l’effet de la chaleur et sont expulsés du moteur, provoquant un déplacement.

Il existe à ce jour 3 types de moteurs. Le moteur aérobie fonctionne comme précédemment décrit. Il utilise le dioxygène de l’air comme carburant. Ce type est le plus rependu mais ne peut fonctionner que dans l’atmosphère. Pour résoudre ce problème, le moteur anaérobie emporte son propre comburant en plus de son carburant. Cela a le désavantage d’augmenter fortement son poids. Le troisième type n’utilise pas de réaction chimique et ont une puissance très faible. Le moteur non chimique ne convient pas à la propulsion de fusée ou d’avions. Il a cependant la qualité de très peu consommer par rapport à la puissance fournie donc d’avoir une très longue autonomie. Son utilisation se limite donc à l’espace, hors de portée de toute attraction terrestre.

Avion de Coanda au Salon de l'aéronautique de 1910

L’idée d’exploiter le principe d’action-réaction ne date pas du siècle dernier. Le premier prototype a été conçu en 1731 par le britannique John Barber[1] . Cet inventeur a déposé des brevets sur une turbine à gaz à combustion interne qui s’avère être un précurseur du turboréacteur. Sa turbine et le moteur à réaction actuel n’ont pas tellement de différence. En effet, il est constitué d’un compresseur, d’une chambre à combustion, d’une turbine et alimenté par une substance inflammable. Cependant, en raison des faibles capacités des technologies de production de l’époque, John Barber n’a pas réussi à le faire fonctionner. Deux siècles plus tard, en 1910, l’ingénieur Henri Coanda présente son prototype d’avion à réaction au Salon de l’aéronautique. Le moteur fonctionne comme un moteur aérobie. La démonstration de l’avion ne se déroula pas comme prévu. Le moteur s’enflamme et l’accident de l’avion contre un mur laisse Henri Coanda avec quelques blessures. Il abandonnera par la suite ses travaux sur le moteur à réaction[2].

Entre les prémices de la propulsion à réaction et Henri Coanda, le monde ne s’intéresse guère au moteur à réaction. De plus, le vol du premier avion à réaction n’a pas changé énormément à cet intérêt global. Le moteur à réaction est plus présenté comme une alternative à l’hélice. Cependant, de nos jours, cette technologie initialement de rupture est totalement adoptée par l’industrie aéronautique, aérospatiale et militaire. Les travaux des ingénieurs menant à cette adoption et ces différents usages ont fortement été influencés par les gouvernements.

On peut alors se questionner de la manière suivante. Dans quelles mesures les États ont-ils utilisé le moteur à réaction pour affirmer leur puissance ?

On s’intéressera au passage d’objet de curiosité à objet de convoitise de cette technologie pour les états voulant peser sur la scène internationale. Cela mène aux différentes mises en scènes des avancées de chaque pays pour se montrer meilleur que son voisin et ensuite à l’utilisation de cette technologie comme objet de prestige et de prospérité.

Trajectoire[modifier | modifier le wikicode]

Nombre d'objets envoyés dans l'espace par pays et par an depuis le lancement de Spoutnik 1

L’objet technique traité présentant plusieurs réalisations, qu’elles soient aériennes ou spatiales, nous avons préféré nous concentrer sur une application particulière. L’exemple canonique d’une démonstration de puissance est trouvé dans la course à l’espace, qui débute avec la première mise en orbite d’un satellite par l’Union Soviétique : Spoutnik-1 en 1957. Dès lors, une compétition opposera les deux grands rivaux de l’hémisphère nord avec des opérations de plus en plus extravagantes qui culmineront sur un alunissage habité. Malgré un désintérêt progressif du public après ce dernier exploit, l’espace reste un indicateur majeur des capacités d’un État. En plus d’une course à la gloire, le spatial représente une quatrième dimension du champ de bataille ainsi qu'un appui aux opérations terrestres. En effet, la majorité des objets lancés de ce graphique sont des satellites aux missions différentes, mais aux usages principalement militaires. Par une mise en scène habile, les deux puissances ont siphonné des budgets de recherche dans le militaire en partant de technologies balistiques conventionnelles. C’est ainsi que ce graphique nous permet de retracer une histoire géopolitique, humaine et culturelle du moteur à réaction par le prisme des lancements spatiaux.

On en distingue deux grandes phases. D’abord le choc et l’engouement que suscite la nouvelle technologie, on croit à son infini et l’on repousse constamment ses limites, on parle d’une ère spatiale. On retrouve ceci sur le bornage 1957-1970 des premiers satellites aux dernières missions Apollo. Par la suite, après avoir poussé tout azimut, une limite du système est atteinte, son usage se stabilise chez certains, l’Union Soviétique, ou décline chez d’autres par rationalité économique, les États-Unis. Durant cette phase, des petits acteurs arrivent à rattraper le train de l’innovation alors que les premiers sillons sont creusés, c’est le cas de la France. On pourrait identifier une troisième phase, perturbée par le contexte d’effondrement de l’U.R.S.S., de regain d’intérêt suite à une compréhension plus fine de la technologie menant à une maîtrise des coûts d’opération et de développement. On l’observe dans le courant des années 1980 avec l’apparition de lancements pour le secteur purement privé, télévision et téléphone par satellite, et des fusées dimensionnées pour un usage commercial. Ce dernier élément indique une séparation de l’ancrage purement étatique de la technologie au moment où elle devient plus globalement maîtrisée. Elle est vue comme acquise et passe pour une banalité dans l’œil d'un public de plus en plus habitué à sa fiabilité et à son ubiquité.

Ces étapes se retrouvent aussi dans l’histoire de l’avion à réaction, d’une ère du jet devant franchir le mur du son, on ressort plus mitigé avec les chocs pétroliers. Après des évolutions incrémentales de la technologie, l’usage ne fait que croître, poussé par les forces du marché, confirmant une compétence privée sur l’objet.

Mise au pas dans la militarisation[modifier | modifier le wikicode]

Une naissance comme rupture asymétrique[modifier | modifier le wikicode]

Frank Whittle, ingénieur et officier anglais

En 1926, un jeune mécanicien anglais entre dans l’école d’officier de Cranwell. Ce mécanicien est Frank Whittle et est déjà repéré pendant sa formation pour ses aptitudes de pilotage et de mécanique impressionnantes. Lors de sa formation, il dû rédiger un mémoire qu’il dédiera aux futurs développements dans l’aéronautique. Il y critique la lenteur des progrès du moteur à hélice et décrit un autre système de propulsion qui sera l’ancêtre du moteur à réaction. A la sortie de sa formation, il se mit donc à travailler sur un prototype. Ayant acquis assez peu de connaissance sur le sujet de la propulsion à réaction, il demanda de l’aide à Arnold Griffith. Il espérait pouvoir ainsi avoir le soutien du ministère de l’Air. Cependant, Griffith fut convaincu que le modèle de Whittle était trop volumineux et lourd pour pouvoir être utilisé dans l’aviation. Il ajouta que la poussée fournie ne sera jamais suffisante pour le vol d’un avion. Le prototype de Whittle ne sera donc pas breveté et par manque de moyen, il sera mis en attente. Whittle repris donc ses études et devient officier ingénieur de la Royal Air Force (RAF) et obtient son diplôme de mécanique avec la meilleure note en 1936. Il reprend alors doucement ses recherches grâce à sa paie d’officier. Il crée la société Power Jet et en 1937, il réussit son premier essai concluant d’un moteur à réaction, le WU. La RAF commence à s’intéresser à son moteur et lui accorde des fonds[3]. Lorsque la guerre est déclarée, sa société n’a plus assez d’employés et la recherche perd en rapidité. Il faut donc attendre 1941 pour que le premier avion à réaction britannique soit réalisé. Le Gloster E 28-39 volera 17 minutes. Après ce vol, il est invité au États-Unis pour développer un moteur avec l’aide de l’entreprise General Electrics. Fin 1942, les Américains font voler leur premier jet avec les moteurs issus de cette collaboration[4].

Hans Von Ohain, ingénieur allemand

Entre temps, de l’autre côté de la Manche, l’allemand Hans von Ohain a commencé ses recherches sur la propulsion par réaction. En 1936, il pose son premier brevet sur sa version du moteur. Contrairement à Whittle qui n’a pas eu l’aide espérée, Von Ohain a été engagé par la société Heinkel, qui a repéré les avantages de son prototype. Il fut dès lors entouré d’une équipe d’ingénieurs et de professeurs qualifiés pour l’aider dans ses travaux. Il disposa aussi de fonds presque illimités pour mener à bien son projet. Cela aboutit au premier moteur à réaction fonctionnant sur le banc, le Heinkel HeS1, en 1937. Les prochains modèles n’ont cessé de dépasser les attentes. En 1939, le premier avion à réaction, le Heinkel He178 s’envole avec un moteur Heinkel HeS3[5]. Cette prouesse technique impressionna mais aucun investisseurs ne se manifestèrent. Le manque de moyen ralenti alors la recherche. En 1942, le 3e Reich se mit à investir lourdement dans le développement d’un nouveau moteur plus puissant pour pouvoir équiper des avions de chasse. Cela donna naissance au premier avion de chasse à réaction, le Heinkel He162 suivit par le Messerschmitt Me262 en 1944[6].

En plus de cela, le Reich veut utiliser cette technologie pour alimenter une autre stratégie : celle d’amener la guerre chez l’autre. De l’idée de lancer un missile guidé sort le V1. Avec son réacteur Argus, c’est le premier missile de croisière de l’aéronautique. Dès que les alliés en entendirent parler, un de leur objectif fut de récupérer les plans du V1 afin de mieux s’en protéger. De part son faible coût et de sa facilité de construction, il devint une arme redoutable. En effet, le concept du moteur Argus est plus simple que celui du moteur Heinkel et l’acétylène, peu coûteux, est utilisé comme carburant. Son impact fut avant tout psychologique.  Avant le déploiement du V1 en 1944, puis du V2, 4 mois plus tard, il a fallu détourner de grands moyens militaires pour les arrêter[7]. De plus, une logistique d’évacuation des populations dans le rayon d’action des missiles a dû être mise en place en Angleterre.

Cette technologie de rupture n’a donc pas été accueillie de la même manière par l’Angleterre et l’Allemagne. L’argent a toujours été le nerf de la guerre et on le voit bien ici. De par le manque de financement accordé à Whittle, l’Angleterre fit voler son premier jet 4 ans après le Heinkel He178. Le 3e Reich misa beaucoup sur le développement des chasseurs à réaction vers la fin de la guerre, d’où la rapidité du développement du Me 262.

On peut résumer ces différences d’accueil ainsi : les Anglais se sont bloqués sur la complexité du moteur à réaction tandis que les Allemands ont vu les grands avantages que pouvaient proposer cette technologie.

Les deux approches sont justifiables. En effet, en théorie, la propulsion à réaction est bien plus performante que la propulsion à hélice. Tout d’abord, à haute altitude, les moteurs à piston ne peuvent pas fonctionner correctement à cause du manque d’oxygène. Le moteur à réaction souffre moins de ce problème et permet d’avoir des vitesses largement supérieures en haute altitude. Un avion à réaction peut donc voler bien plus haut qu’un avion à hélice.

Cependant, pour atteindre ces performances, il faut investir grandement et faire face à des problèmes complexes. Tout d’abord, le moteur est fragile. Le premier vol du He 178 a dû être écourté car un oiseau a été avalé par le moteur, entraînant une perte de puissance[6]. De plus, comme Griffith l’a souligné, ce type de moteur est lourd et volumineux. Il faut donc adapter les avions aux moteurs, ce qui fait revoir le procédé de fabrication des avions. Au final, pour bénéficier des avantages promis, il faut dépenser énormément. Cela mène au fait que le coût de production d’un avion à réaction est bien plus élevé que celui d’un avion à hélice. À cela, il faut ajouter le prix du carburant. De par leur consommation excessive en kérosène, les premiers jets ont un rayon d’action limité.

Messerschmitt Me 262, premier avion de chasse à réaction opérationnel de l'Histoire

Le premier chasseur à réaction est donc le Messerschmitt Me 262. Il réalise le rêve de vitesse des ingénieurs. Sa vitesse de pointe est de 878 km/h contre 650 km/h pour son adversaire anglais, le Spitfire à hélice. Cependant, il ne peut voler qu'un kilomètre plus haut que le Spitfire et de nombreux problèmes de maniabilité lui ont fait défaut. De par sa grande vitesse, le rayon de virage du Me 262 est trop grand pour les combats rapprochés. Ces avions ont été mis en service avec assez peu d’entrainement pour mettre en valeur les qualités du moteur à réaction. Cependant, leur vitesse leur permettait de fuir le combat si nécessaire en semant leurs adversaires. Ce même atout leur a permis de briller face aux bombardiers alliés, lents et peu maniables. Pour atterrir, ils avaient besoin d’une longue phase de décélération dont les chasseurs alliés profitaient pour les abattre. Du côté du pilote, la grande vitesse lors des manœuvres les empêchait d’avoir un contrôle total sur leur appareil à cause du phénomène du voile noir. Les missions réalisables par ces machines étaient forcément limitées[8].

Cet avion revient dans les mémoires grâce aux jeux vidéo. A partir des années 2000, de nombreux simulateur de vol le mettent à disposition du joueur dans les conditions de l’époque, comme dans Combat Flight simulator 3, sorti en 2002, ou le mondialement connu War Thunder de 2013.

La Seconde Guerre mondiale a donc vu apparaître le moteur à réaction comme une technologie de rupture. Cependant la situation mondiale a poussé les pays à faire des choix différents pour pouvoir s’assurer la victoire tout en développant leur moteur.

L'avènement d'une aviation nouvelle[modifier | modifier le wikicode]

Gloster Meteor, propulsé par un moteur Rolls-Royce

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, seule l’Allemagne a réussi à développer un avion à réaction à usage offensif. L’Angleterre a bien développé son premier avion de chasse, le Gloster Meteor, mais son moteur Rolls-Royce ne pouvait égaler le moteur Jumo de son homologue allemand. Cependant, on peut dire que c’est bien le Meteor qui lance l’ère du jet après le record de vitesse (975,875 km/h) établit avec le colonel Wilson à son bord. Ce vol, auquel plus de personnalités assistent que pour le vol du Me 262, développe un véritable intérêt pour cette technologie. Elle passe d’une curiosité, une envie, à un besoin pour pouvoir affirmer sa puissance[9]. De plus, avec l’occupation de l’Allemagne, les vainqueurs du conflit se rendent compte de leur retard sur cette technologie en découvrant les travaux d’ingénieurs allemands. La France, États-Unis et l’Angleterre entreprennent alors de tout mettre en œuvre pour développer le meilleur moteur à réaction. De son côté, l’URSS ne voit pas cette technologie comme une priorité. En effet, le pays a perdu 12% de sa population pendant cette guerre qui l’a ravagé. On peut comprendre que les Soviétiques avaient d’autres préoccupations à l'époque.

La France, les États-Unis et le Royaume-Uni se lancent alors dans une course à la perfection. Le développement de ce moteur étant à but purement militaire, il n’y a presque plus de communication à ce sujet entre les trois pays. Les chercheurs sont confinés au secret militaire et personne n’est vraiment au courant des avancées des autres. De plus, l’état de ces pays au sortir de la guerre est très différent et chacun adopte sa propre stratégie de recherche.

Moteur Snecma Atar, grand accomplissement de la stratégie française

En 1944, la France est libérée de l’occupant. Le pays est laissé dans un état de retard industriel conséquent. En effet, les Allemands avaient pris le contrôle de centaines d’usines françaises pour alimenter la production de guerre, avant de les abandonner, avec leur matériel usagé, lorsqu’ils se sont repliés. De plus, les occupants nazis ont pillé des wagons entiers de machines et d’outils, les expédiant en Allemagne au même titre que des milliers de « volontaires » au travail forcé, souvent des ouvriers qualifiés dont très peu sont finalement revenu en 1945. La République n’a donc pas pu débuter de travaux sur le moteur à réaction pendant la guerre, la plaçant très en retard sur la maîtrise de cette technologie. Le manque de ressources, de fonds et un contexte politique en ruine mènent le gouvernement à faire preuve d’un maximum de précautions dans cette course[10]. Avant de démarrer les travaux, la Mission d’information scientifique et technique française va récupérer pas moins de 2000 documents techniques et quelques Me 262 qui leur permettront d’avoir une base solide. Cette connaissance acquise, le gouvernement va acquérir des ingénieurs allemands dont Hermann OEstrich. De plus, de nombreuses entreprises vont être nationalisées pour pouvoir leur donner des objectifs de production et davantage d’aide. L’investissement financier de l’État est alors très important. Ces efforts finissent par payer. En 1950, le premier moteur français est opérationnel. Le Atar est mis au point par OEstrich, engagé par la société Snecma qui a été créée par l’État français en mai 1945. Cependant, la France ne possède pas encore de véritables avions à réaction car les tests se déroulent sur des avions à hélice dont la trappe à bombe est transformée en support de réacteur[11].

Par-delà la Manche, l’effort de guerre a épuisé physiquement, émotionnellement et financièrement le Royaume-Uni. Cependant, les Anglais ont une base technique solide avec leur Meteor. De plus, ce pays dispose d’un début d’industrie du moteur à réaction avec Rolls-Royce et Siddeley. Le problème auquel a dû faire face cette industrie est le manque de main d’œuvre. Le choix a donc été de créer un plan d’embauche des anciens combattants, alors chômeurs, dans le secteur de l'aéronautique. Ensuite, le gouvernement « pilote » les industries privées[10]. Le Royaume-Uni, partant en tête de cette course, conserve l’avantage avec le Rolls-Royce Avon mis au point en 1946 dont les évolutions successives continuent à propulser des avions jusqu’en 1970. En 1951, le pays se dote du Hunter F.Mk.6, propulsé par un Avon, qui devient vite une référence.

Quant aux États-Unis, ils débutent cette course avec un avantage considérable. Ils n’ont en effet pas subi de dégâts matériels pendant la guerre. Leur stratégie a donc totalement reposé sur leur portefeuille et leurs entreprises privées. Un grand nombre de projets de moteur est financé par l’État, qui dépense sans compter. Ils achètent des licences de moteurs anglais et décident d’apprendre par l’erreur. Presque toutes les entreprises ayant participé à l’effort de guerre se voient offrir un contrat de construction de moteur. Cela mène à une amélioration continue des moteurs américains et à une refonte de l’industrie pour s’adapter à la demande de l’État. De 1945 à 1950, on voit apparaître presque tous les ans un nouvel avion à réaction américain emportant à son bord un moteur d’une marque différente[10].

L’URSS se lance dans la course plus tardivement, en début 1946, à la demande des avionneurs soviétiques qui exposent la situation critique de l’industrie aéronautique. Les dirigeants donnent donc un coup de fouet à l’industrie et relancent les usines allemandes capturées. En effet, vers la fin de la guerre, les Allemands ont déplacé leurs usines vers l’Est, où elles y seront capturées par les Soviétiques. L’URSS dispose donc d’une réserve considérable de Me 262 et d’usines équipées pour effectuer leurs essais. De plus, des ingénieurs allemands résidant dans l’Est ont été « invités » à coopérer avec leurs homologues soviétiques. Sous le point de fer de Staline, la course au chasseur à réaction débute et leur premier avion purement soviétique est le Yak-15, propulsé par un Toumanski RD-10.  Cependant, les soviétiques préféreront engager le MIG-9, propulsé par un moteur dérivé du moteur allemand BMW 003 qui s’avère plus performant[12].

Cette course a donc permis de démontrer la puissance de l’industrie de ces pays et leur capacité suivre une course à la technologie au sortir d’un conflit mondial. Pour ces pays, le développement d’un avion à réaction pouvant être produit chez eux est à la fois un signe de puissance technologique, industrielle mais également un signe d’indépendance. Le Royaume-Uni et les États-Unis sont les premiers à bénéficier de cette indépendance. Ils en profitent pour lancer leur marché de l’avion de chasse. Ils commercent avec tous les Alliés du bloc de l’Est. Ils deviennent ainsi des puissances économiques dans le marché de l’armement aérien dès 1950. La France produit son avion purement français en 1953, le trident. Il ne reste cependant qu’un unique prototype. Ce n’est qu’en 1955 que le véritable avion de chasse français est mis en service. Le Mystère II C propulsé par un moteur Atar est vite remplacé par le Mystère IV propulsé par un moteur britannique. On voit que la France n’atteint pas l’indépendance voulue et doit être cliente de ses alliés pour se munir d’avions à réaction. A l’Est, l’URSS développe des moteurs en s’appuyant toujours sur ceux récupérés. En 1952, le MIG-17F vole avec un Klimov VK-1F, copie conforme du Rolls-Royce Nene. Seul le Yak-25 sorti la même année, descendant du Yak-15, vole avec un moteur soviétique. Seulement, il subit le même sort que son grand frère et le MIG-17F devient l’avion de chasse à réaction du régime. Avec cet avion, l’URSS a pu établir son commerce aéronautique dans le bloc communiste[13].

Les Aventures de Buck Danny
"Whaam!" de Roy Lichtenstein (1967)


La Seconde Guerre mondiale et la Guerre Froide ont également contribué à la naissance d'une dimension culturelle et artistique autour des avions à réaction. Elles sont présentes sur tous types de format, que ce soient dans les bandes dessinées, les films, les jeux ou encore sous forme d'œuvres d'art. En effet, ces œuvres permettent aux auteurs d’exprimer leur ressenti vis-à-vis de ces engins et elles laissent le public avoir leur propre interprétation. Par exemple, l’artiste américain, maître du pop art, Roy Lichtenstein, a connu un grand succès avec son œuvre « Whaam !»[14], sortie en 1963, dont la composition s’inspire d’une bande dessinée. Le choix de ce style de dessin pour représenter l’acte militaire rend la scène infantile, en quelque sorte il transforme la scène de guerre. A travers cette œuvre, Lichtenstein cherche à faire s’interroger son public sur la guerre et sur ces engins de destructions que sont les avions à réaction de manière décalée. Ces avions sont perçus pour certaines personnes comme des armes insensées et cela implique que la recherche dans le moteur à réaction à but militaire et elle aussi insensée.

D’autres œuvres, en revanche, vantent les exploits de ces avions, notamment les victoires aériennes durant ces périodes de guerres. Par exemple, Les Aventures de Buck Danny raconte les péripéties de trois aviateurs militaires américains. Cette série de bandes dessinées franco-belge a paru peu après le commencement de la Guerre Froide (en 1947), elle retrace en grande partie la participation des armées américaines dans les conflits depuis la Seconde Guerre mondiale et la Guerre Froide. De nombreux autres bandes dessinées ont pour sujet les exploits des avions à réactions et permettent de développer une certaine admiration pour ces bijoux de technologie.

Vers une spécialisation de l'aviation et une multiplication des techniques[modifier | modifier le wikicode]

C'est au cours de cette même période, dans un contexte de course à l'armement et d'espionnage, que les moteurs évoluent afin de répondre aux besoins des pays. On assiste ainsi à une spécialisation progressive des avions. Tandis que l’URSS et les États-Unis vont se munir d’avions en solitaires, les pays européens s’allient lors de développement de futurs avions. Ces alliances montrent une volonté des pays européens d’apparaître soudés et organisés. Les missions accordées aux forces aériennes vont évoluer en fonctions des avancées en termes de moteur et de missiles.

Le type d’avion le plus répandu et développé reste le chasseur. Son objectif et d’intercepter les avions adverses. On va adapter son moteur pour avoir une vitesse de frappe impressionnante. Du côté soviétique, les MIG sont toujours dominants. Le MIG-21, entré en service en 1955, est le plus produit (14000 unités) et est toujours en service. Son moteur Toumanski R-25 lui permet d’atteindre Mach 2. Cependant, la grande consommation et le manque de fiabilité du moteur restreint la mission des chasseurs soviétiques à de la défense de territoire. En Amérique, le F-4 Phantom II atteint la même vitesse avec le General Electric J79, qui n’était pourtant pas destiné à cette utilisation. Ces moteurs sont ensuite dérivés dans des formes plus légères et plus rapides pour être montés sur des avions d’interception, pouvant aller détruire un adversaire le plus rapidement après sa détection. Les soviétiques atteindront Mach 3 avec leur MIG-25.

Convair B-58 propulsé par ses 4 J79

L’URSS et les USA se lancèrent aussi dans la modernisation de leurs bombardiers. Le principal objectif du moteur est l’autonomie. En plus de cela, les Américains voulaient absolument pouvoir atteindre Mach 2 avec leurs bombardiers. C’est donc de ce besoin que fut créé le J79, monté sur les B-58. En 1960, les B-58 entrent en service avec une vitesse de croisière de 1000 km/h et un rayon d’action de 7100km. Ce moteur a pu être monté sur le F-4 et rester performant grâce à quelques modifications et le poids moins élevé du chasseur. Les soviétiques vont se concentrer sur l’autonomie et se munissent de turbopropulseurs, alliant hélices et turbine. Leurs bombardiers sont donc moins rapides (700 km/h en moyenne) mais ont un rayon d’action plus élevé, allant jusqu’à 8000km et le Tu-95 peut voler pendant 12h. Au total, ce type d'avion est produit des années cinquante jusqu'en 1991, cela montre bien qu'il répond de manière efficace aux besoins de l'URSS. Ces forteresses volantes sont avant tout des engins impressionnant le public. En effet, avec le développement des missiles, ces avions sont rendus obsolètes. Ils restent néanmoins des machines marquant les esprits de par leur taille, leur bruit, et leur capacité de destruction.

Les turbopropulseurs sont aussi utilisés sur les avions de transport. Ces avions n’ont pas de besoin de vitesse mais leur principal objectif est le rayon d’action. Ce type de moteur est donc adapté. Il est plus économe qu’un turboréacteur tout en gardant des vitesses de croisières acceptables (Mach 0.6).

Lockheed SR-71, avion espion américain

La Guerre Froide voit surtout le développement de l’espionnage. En 1945, après l'abaissement du rideau de fer et au début de la Guerre Froide, les États-Unis n'ont que très peu de connaissances sur le potentiel industriel et militaire de l'URSS. C'est dans ce nouveau contexte de tensions entre les deux Blocs que le Lockheed SR-71 Blackbird est développé[15]. Sa mission est de photographier les sites sensibles ennemis. Pour rester au-delà de la portée des missiles anti-aériens de l'URSS, l'avion peut atteindre 20 kilomètres d'altitude avec une vitesse supérieure à Mach 3. Il est équipé des turboréacteurs américains Pratt & Whitney J58, le premier réacteur permettant de faire de la postcombustion pendant une longue période. Ils supportent des températures très élevées allant jusqu'à 400°C[16]. Les soviétiques, par manque de moyen, vont juste adapter le MIG-25 en lui installant le matériel d’espionnage nécessaire. Ces avions posent cependant problème, en effet, leur survol est plus polémique pour les gouvernements que les bombardiers car les informations volées sont précieuses. Quand les soviétiques abattirent un avion U2 en 1960 et se rendirent compte que c’était un avion espion plutôt qu’un bombardier, cela détériora fortement les relations entre les deux puissances et les soviétiques annulèrent le sommet de Paris de 1960[17]. Ces avions furent peu produits et petit à petit délaissés car les satellites commencent à les remplacer, moins onéreux sur la durée, plus précis et disponibles.

Enfin, il est pertinent de mentionner le Mirage IV, construit par l'entreprise française Dassault Aviation. Cet avion répond au besoin de la France à s’affirmer sur la scène internationale et de renforcer la force de dissuasion du pays. Les recherches ont débuté dans les années 1950 et en 1964, le Mirage IV entre en service. Son moteur, le SNECMA Atar 9K lui permet d’avoir une vitesse de croisière de Mach 2. Il fait partie de la "triade" de dissuasion nucléaire de la France et est considéré comme un "avion de représailles" par le pays. En 1967, il est équipé de la bombe nucléaire de type A. Cet avion peut être considéré comme une réussite, il est le fruit des avancées dans le domaine des avions de reconnaissance, des chasseurs et des bombardiers. Les moteurs des versions plus récentes seront produits sur la même base, avec quelques améliorations pour augmenter encore sa capacité et la sécurité globale. Cet avion sera adapté en chasseur, intercepteur, bombardier et même avion de reconnaissance. Il a été pensé pour être performant dans chaque mission et montrera la puissance de la France dans le domaine aéronautique, capable de produire un avion 100% français performant, contrastant avec les Mystère.

Le choix de spécialiser sa force aérienne force à produire et adapter différents type de moteurs avec des caractéristiques différentes. Cependant, l’alternative de créer un avion multitâche permet de réduire les coûts. Quel que soit le choix réalisé, le besoin de spécialisation de l'aviation a mené à de grandes améliorations dans le domaine des moteurs à réaction. A partir des années 1970, le moteur n'est plus le facteur limitant des avions. Ils sont déjà très performants et les gouvernements vont pousser les recherches sur les systèmes embarqués la fiabilité de ses avions.

L'apparition du missile guidé[modifier | modifier le wikicode]

Tir d'un missile de croisière Tomahawk depuis un destroyer états-unien pendant la guerre du Golfe

La fin des années 1950 voient l'apparition opérationnel de nouveaux types d'armes : les missiles guidées. Les embryons allemands permettent aux soviétiques et états-uniens de se lancer en terre connue avec la récupération de scientifiques des programmes V1 & V2. En 1956 est tirée la premier missile balistique intercontinental R-7 Semiorka, en 1957 est satellisé le premier objet humain avec ce dernier et en 1958 une première victoire air-air est obtenue avec un missile AIM-9. Tout ces éléments ouvrent de nouveau horizons.

AIM-9L

D’abord le côté balistique né d’une nécessité d’assurer une dissuasion nucléaire crédible pendant la guerre froide. L’allonge relativement courte de bombardiers nécessitant d’être ravitaillés et pouvant être interceptés pousse les États, en particulier une Union Soviétique enclavée, à lancer des recherches en missiles. Les premières tentatives sont primitives : quatre fusées d’appoint et un propulseur envoient un véhicule de réentrée à la limite de l’orbite basse, ce dernier, après repositionnement, retombe sur terre en libérant des têtes nucléaires. La Semiorka donnera à l’Union Soviétique une portée de 8000 km soit un peu plus d’un Moscou-Washington à vol d’oiseau[18]. Après une décennie de recherche, menant à l’affirmation des combustibles solides en occident (programme Minuteman) et liquides dans le pacte de Varsovie (programme R26), la propulsion devient un objet d’étude secondaire alors que l’électronique de guidage s’impose comme enjeu majeur. Les missiles sont fournis de plus en plus d’ogives avec plusieurs véhicules de réentrée tandis que les bombes atomiques sont miniaturisées.

Ensuite, la compréhension plus fine des techniques de propulsion mène les armées du monde à concevoir des missiles de portées variables pour différentes plateformes. Appuyés par des moteurs simples ils font leur apparition sur les avions et les chars au même moment dans le courant des années 1950. Le missile air/air peine à convaincre au début, son problème étant sa portée mais surtout sa précision. Tandis qu’on travail sur des combustibles plus denses en énergie, une grande partie du problème s’avère être la fusion des capteurs et dispositifs de guidage. Il faudra attendre les années 1970 et le retour d’expérience du Vietnam pour obtenir un AIM-9 et plus généralement des missiles air/air fiables[19]. Comme exemple de généralisation de la technologie on peut remarquer qu’une Afrique du Sud sous embargo complet arrivera à développer son propre missile air/air moyenne porté R-Darter à la fin des années 1980[20]. En parallèle, les missiles anti-chars, qu’ils soient portés à l’épaule ou sur un véhicule de transport de troupe, surprennent le monde et en particulier Israël pendant la guerre du Kippour. Les AT-3 Sagger soviétiques, qui coûtent quelques milliers de dollar permettent à une escouade de fantassins de faire sauter des colonnes de chars de plusieurs millions de dollar tout en restant embusqué. Acculé, Israël adaptera une doctrine plus conservatrice sur l’avancé du char d’abord couverte par un tir d’artillerie de barrage ce qui mobilise encore plus de moyens et empêche toute guerre urbaine[21].

Enfin, le missile s’affirme comme le vecteur de frappe universel dans le courant de la guerre froide. Son installation se révèle de plus en plus aisée avec l’avènement de l’électronique et on le monte sur toutes les plateformes pour tout types de mission. Le missile devient une plateforme interchangeable sur lequel on combine charge utile, électronique de mission et moteur pour remplir un cahier des charges. On note ainsi l’usage de statoréacteur sur les missiles de croisière, sans pièces mobiles, en particulier la soufflante, ils sont particulièrement fiables et léger pour des régimes supersoniques en expulsant les gaz par un cône de combustion. On les retrouve notamment sur les missiles air-sol longue porté ou le missile de croisière nucléaire français ASMP, propulsant près d’une tonne sur 300 km[22]. Pour toutes les applications plus courtes comme les missiles air/air ou tirés depuis blindés, voire depuis l’épaule, le choix technique se porte sur des moteurs à carburants solides, des petites fusées en somme. Ils présentent l'avantage d’avoir une très faible dégradation du combustible et donc une excellent fiabilité. Malgré cela, leur combustion est difficilement contrôlable une fois démarrés, ils ont donc des profiles de vols en deux phases : celle de mise à feux jusqu’à épuisement du combustible et un vol planant contrôlé par ailerons.

Les missiles seront peut être l’emblème de la guerre froide, imposant la terreur par la vitesse de leur réponse et l’absence d’un opérateur humain une fois lancés, une machine à tuer rien de plus. Que ce soit à Cuba en 1962 ou en Europe de 1977 à 1987, ils seront la ponctuation des confrontations est-ouest. En tant qu’armes conventionnels ils marqueront un redoutable revers face à un adversaire impréparé et se construisent en réponse constante aux blindages de chars ou navires ou contre les leurres des avions.

Du tout avion au tout missile : des doctrines d'utilisations variées[modifier | modifier le wikicode]

Alors que la Guerre Froide progresse vont se dessiner deux stratégies d’usages des moteurs à réaction. L’équilibre du monde est régi par le principe de destruction mutuellement assurée qui nécessite un dispositif de dissuasion crédible. Tout l’enjeu est de porter une frappe, de décapitation ou d’annihilation, chez l’autre, rendant une riposte tant impossible que futile. Dans une autre mesure, il est question de projeter sa puissance aux nations non nucléaires par des interventions et un armement cohérents avec ses ambitions. Ainsi émergent deux rapports différents au développement du moteur à réaction, influencés par la géographie, la politique mais aussi les capacités industrielles des pays. Cet ordre se voit maintenu par la signature de traités internationaux tel que celui des ABM (anti-balistic missiles) qui limite le déploiement de boucliers anti-missiles pour ainsi maintenir une dissuasion stable entre les deux camps. De même, des accords comme SALT I et II des années 1970 ou encore INF de 1987 vont réduire en partie les développements et déploiements de missiles sur le sol européen. Mais il faut bien remarquer que plusieurs impasses de ces négociations se trouvent dans les doctrines d'emploi différentes des deux camps.

Levée en masse : conception rustique comme russe[modifier | modifier le wikicode]

Comme vu précédemment l’Union Soviétique traîne en matière d’avion à réaction. Le pays développe le premier missile balistique intercontinental en la R-7 Semiorka et sera dès lors un meneur en fait de missiles. Faits qui leur donneront une avance considérable en matière spatiale, mettant à la suite en orbite le premier satellite, les premiers animaux mais aussi les humains avec cette même Semiorka. Ce choix se comprend par l’organisation des forces armées soviétiques, qui découpent la branche aérienne en deux avec la force de défense aérienne et la branche offensive. De même, les missiles balistiques, d'habitude rattachés aux armées de terre occidentales, forment une branche à part nommée les forces de missiles stratégiques. Cette organisation, aux abords politiques, vient en réalité traduire une forme de déterminisme géographique. Bloquée à l’ouest par l’O.T.A.N., prise dans des océans gelés au nord et à l’est dont les parties chaudes sont des baignoires états-uniennes, bornée par des mers intérieures et déserts rocailleux au sud avec des États instables ou alliés des occidentaux, on peut considérer l'Union Soviétique comme enclavée. Cette vaste géographie lui confère toutes les ressources minérales et énergétiques dont elle a besoin, elle n’a donc pas d’impératifs particuliers de s’étendre en plus de sa propre entrave géographique.

Parade militaire avec exhibition de missiles intercontinentaux à Moscou, 1964

Ainsi, pour porter le combat chez l’adversaire et imposer sa volonté au monde, l’U.R.S.S. développe une capacité balistique de masse. L’objectif est ici de submerger ses adversaires sous un déluge de missiles pour paralyser ses centres industriels. Cette politique de défense prévoit initialement un déploiement de missiles au delà des mers, mais la crise des missiles de Cuba en 1962 montrera une maîtrise ferme des États-Unis sur leur voisinage proche. On peut remarquer que ces derniers avaient déjà positionné des missiles nucléaires en Turquie. Le reste de la stratégie soviétique porte sur l’arme terrestre qui doit submerger le front européen par ses colonnes de chars, pendant que l’Amérique du Nord est paralysée sous les missiles. C’est ainsi que l’Union développe toute une série de missiles aux portées et applications variables, allant du fameux SCUD comme arme de théâtre à la famille des SS-18 Satan ou missiles tirés de SNLE comme armes de terreur. La saturation de l’adversaire suppose une production en masse de missiles; ce choix doctrinaire imposera une direction technique vers les moteurs à carburants liquides. Sur le papier un brin plus complexes avec la combinaison de turbopompes et d’injecteurs, ils restent plus légers en électronique et miniaturisation, mais surtout plus puissants que les missiles à carburants solides. Ce dernier argument est important au pays de la gigantesque Tsar bomba. La recette soviétique utilisera alors toujours des carburants particulièrement volatiles comme du kérosène, de l’acide nitrique voir de l’hydrazine, extrêmement toxique.

Ces missiles sont plus fiables à la mise à feux et en opération mais présentent un grand danger pour les équipages. Que ce soit le K-219[23]ou potentiellement le K-119, cette politique cachant un retard technologique aura pour cause la fin tragique de plusieurs équipages de sous-marins. En effet, les carburants étant très volatiles sous forme fluide, une fuite en devient beaucoup plus facile et dangereuse. Ces pertes coûteuses en hommes et matériel sont compensées par l'immense réserve de l'Union Soviétique, qui affiche les premiers effectifs militaires au monde. Morale de l’histoire, après 60 ans de missiles à carburant liquide et d'accidents allant jusqu'au Kursk, la Russie fait entrer en service son premier missile longue porté, tiré depuis sous marin, à carburant solide en 2018 avec le RSM-56, signe d'une armée plus petite.

Un autre élément de la doctrine soviétique se trouve dans sa défense aérienne très avancée comparée aux pays occidentaux. Dès le début de la Guerre Froide, un jeu du chat et de la souris régira les développements soviétiques. Suite à une série de survols, en avion espion, du territoire soviétique par les États-Unis, le pays produira des missiles sol-air de plus en plus performants pouvant atteindre l’altitude stratosphérique des U-2[24]. L’antagonisme est lancé entre l’avion occidental et la batterie soviétique, on le retrouvera de la guerre du Vietnam avec les redoutés SA-2, jusqu'à nos jour avec les systèmes S-400 verrouillant jusqu'à 400 kilomètres de rayon. Cette technologie donne à l’Union soviétique une capacité crédible de déni de l’espace aérien au dessus d’une zone de guerre. La présence d’une batterie peut modifier le plan de vol d’une escadrille, nécessiter le survol d’avions de guerre électroniques ou l’intervention de forces spéciales, mobilisant une quantité considérable de forces pour un site relativement peu coûteux.

Avec tous ces éléments, il est normal de remarquer la place des missiles dans la culture populaire de l’ancien bloc de l’Est et de la Chine. Les parades militaires sont une débauche de batteries de missiles dans lesquelles on projette une sensation de protection vengeresse.

Héritage colonial : la projection atlantiste[modifier | modifier le wikicode]

Pour résumer la politique otanesque, elle se situe à l’opposée de la pensée soviétique. Il faut noter qu’elle comporte, à sa création, les deux plus grands empires ainsi que des États-Unis de plus en plus interventionnistes et que, par définition, elle se construit autour d’un océan chaud. Si ce n’est pas le cas pour les pays nord-américains, les membres de l’alliance ont une dépendance totale sur les importations en matière d’hydrocarbures ou ressources minérales. La maîtrise des routes commerciales pour ces pays au centre du commerce mondial est donc cruciale. Ceci va naturellement les amener à choisir un développement plus équilibré entre missile et avion.

Avec une avance en électronique et mécanique de précision, les Occidentaux progressent sur la miniaturisation des charges nucléaires mais aussi sur des missiles balistiques à carburants solides. Ces derniers ont l’inconvénient de ne pas avoir une combustion aussi maîtrisable que des liquides. Cependant, plusieurs solutions électromécaniques sont élaborées pour surmonter le problème de précision[25]. On a alors le double avantage d’avoir des missiles à très faible dégradation de combustible, qui peuvent être chargés en permanence, et la précision d’un missile à carburant liquide, mais ils restent un peu plus courts en allonge. De ce fait, les Occidentaux n’ont jamais perdu de sous-marin à cause d’une fuite de carburant. Si les missiles balistiques servent à un maintien de l’équilibre de la Terreur, les forces de l’O.T.A.N misent aussi sur l’avion comme partie intégrale du dispositif de dissuasion. On peut recenser une multitude de bombardiers nucléaires à longs rayons d’actions (supérieurs à 4 000 kilomètres), entre le géant B-52 ou les plus modérés Vulcan britanniques et Mirage IV français. Encore une fois, une électronique de contrôle plus avancée et miniaturisée pilote plus habilement le flux de combustible. En parallèle l’armement est miniaturisé, réduisant la capacité d’emport nécessaire.

Super Etendard catapulté du porte avion Foch (R99) avec un missile Exocet, illustrant toute la politique occidentale de projection des forces et d'équilibre des technologies

Autrement, que ce soit lors de la crise de Suez en 1956, tout au long de la guerre du Vietnam, aux Malouines voire en Libye en 1986, l’avion à réaction est aussi un objet de puissance permettant d’imposer sa volonté à un acteur dans un cadre conventionnel. Cette doctrine est liée à un déploiement plus global de forces expéditionnaires. Entre les bases étrangères, les porte-avions ou les ravitailleurs en vol, l’avion représente le fer de lance d’une armée combinée. Il soutient les opérations terrestres en paralysant l’infrastructure adverse et ses positions fortifiées. Cette stratégie marque une nette coupure avec celle soviétique, trop terrestre, et présente une dichotomie entre quantité et qualité. L’accent est mis sur la précision des frappes, guidées par l’électronique, et limite ainsi la quantité de munitions nécessaire. On peut l’illustrer par le développement du coûteux bombardier furtif F-117 : il ne transporte que deux bombes mais elles sont guidées laser, quasiment sûres de faire mouche. Ce développement s’effectue en réponse à la stratégie de forteresse élaborée par l’Union Soviétique, en plus d’une évolution des capacités de brouillage et de chasse au radar.

En parallèle, avec le retour d’expérience catastrophique du Vietnam, les pays occidentaux misent gros sur les missiles guidés à toutes portées et pour toutes plateformes. Que ce soit le célèbre Tomahawk, le redouté Exocet, ou encore l’omniprésent Sparrow, les usages se multiplient en réponse à une portée croissante des batteries de missiles soviétiques. Un exemple : le pont de Tanh Hoa qui mobilisera des centaines de bombardiers à larguer des centaines de tonnes d'explosif non guidés. Sept ans seront passés à tenter de le détruire, pendant que le Nord Vietnam le verrouille de batteries de missiles et canons courte portée. Finalement des munitions guidées laser auront raison du pont, en 1972[26]. On comprend alors que le but de ces nouveaux missiles est de mener le combat de plus loin et avec une précision accrue. On remarquera ici que le moteur à réaction est miniaturisé et combiné avec des systèmes de guidage. Il n’est donc plus le seul facteur limitant et fait l’objet d’une certaine maîtrise. En effet, le Sparrow, à l'origine air/air, sera tiré depuis les mers ou terres mais fera aussi l’objet d’une conversion en missile en antiradar. Le moteur devient alors un composant standard et conditionne de moins en moins la conception des missiles. Ces conceptions planchent pour des moteurs à carburants solides de plus en plus apprivoisés par les pays de l'O.T.A.N.. Le tandem avion/missile ne fera qu'une bouchée des acteurs plus retranchés, permettant un blocus total de Cuba en 1962 avec 8 porte avions et une projection de force tout au long de la Guerre Froide.

On peut malgré tout noter un échec notoire du côté occidental : le papier blanc de la défense britannique de 1957. Dans un contexte de généralisation et d’amélioration des missiles anti-aériens, Westminster croit que le futur se trouve dans le missile, notamment son propre Bloodhound, et que l’avion doit être abandonné. Cette pensée est accélérée par l’idée ambiante de décadence après Suez, le Royaume-Uni pense se désengager de la politique internationale. A la suite de cette déclaration sont annulées des pages de projets de moteurs et d'avions à réaction[27]. Ce désordre aura pour conséquence de déstructurer l’industrie de propulsion et d’aérodynamique militaire du pays, le rendant par la suite dépendant de coopérations internationales.

Ce n’est donc pas un secret que les occidentaux se passionnent plus pour leurs patrouilles de voltiges et les avions de chasse que sur la guerre des missiles.

Missiles SS-20 (à gauche) et Pershing II (à droite) exposés au National Air and Space Museum.

Le film Docteur Folamour de Stanley Kubrick permet d’illustrer ces différends doctrinaires, avec un Strategic Air Command aux patrouilles de B-52 devant frapper des silos de missiles intercontinentaux en plein territoire soviétique. Cependant, cette confrontation marque aussi les esprits de manière moins subtile. Le film Top Gun, mettant en scène une Navy faisant la police aux confins d’un océan loin des États-Unis, montre toute la fascination des Occidentaux pour leurs forces expéditionnaires. Les deux turbo-réacteurs à postcombustion des F-14 obèses étouffent le bruit des petits F-5 jouant les agresseurs. On a alors une glorification du moteur à réaction par la puissance qu’il dégage, son image est associée à celui des pilotes : caricatures d'états-uniens qui se veulent guerriers et virils. La propagande soviétique jouera, quant à elle, sur ses capacités spatiales en reprenant la R-7 pour en faire l’indémodable Soyuz, qui continue à opérer des vols habités réguliers vers l’I.S.S.. Les vestiges de toutes ces courses se trouvent conservés dans une série de musées de l'air et de l'espace, avec une dominante aérienne chez les Occidentaux et une dominante spatiale dans l'ancien bloc soviétique.

Sur une note plus informelle, ces confrontations laissent des marques dans la chanson, même si elle ne traite pas explicitement de missiles ou d'avion. Cette période d'affrontement verra l'émergence d'hymnes pacifistes comme le très célèbre 99 Luftballons de Nena ou le plus épique Who Will Save The World de Modern Talking. Tous deux provenant d'une Allemagne aux familles séparées par les deux adversaires idéologiques, prêts à vitrifier la première ligne de front du conflit, loin de leurs capitales. Autrement, le classique de l'italo-disco Vamos a la Playa décrit des océans évaporés sous les retombées radioactives. Si l'on se bat contre la guerre et on en montre l'horreur, c'est qu'avec les nouveaux vecteurs aériens et spatiaux elle devient omniprésente et peut s'étendre à tous les territoires. Le moteur à réaction marque donc l'esprit de chacun, non pas en son propre nom mais rapprochant la notion de conflit à tous, idée des plus glaçantes.

Mise en scène du progrès technique[modifier | modifier le wikicode]

L'outrance du supersonique[modifier | modifier le wikicode]

Origines & embryons[modifier | modifier le wikicode]

Après une décennie ayant vu la naissance puis la maîtrise de l’aviation civile à réaction, les différents industriels du secteur vont chacun lancer des études préliminaires dans la direction du vol supersonique. En effet, le premier vol supersonique est effectué en 1946 mais dès 1953, à la suite de la guerre de Corée, des chasseurs de série sortent d’usine avec une capacité de vol supersonique. C’est alors vu à l’époque comme la suite des avancées technologiques, dans la continuité de l’accélération qu’a permis le réacteur. Ce nouveau régime commence à être documenté de près. A ce moment les industriels sont soit possédés par les États (Sud-Aviation, Bristol Aircraft Corporation, Tupolev) soit soigneusement protégés et guidés (Boeing, Lockheed). Tandis que des appels d’offres et des ordonnances ministérielles circulent pour la prochaine génération d’avion à réaction devant aller plus loin et transporter plus de passagers, les ingénieurs commencent à envisager l’avenir. Dès le début des années 1950, les premiers avions de ligne supersoniques sont envisagés, notamment chez Boeing dès 1952[28]. Bien que jugés faisables, les prototypes se révèlent coûteux et supposeraient des investissements considérables dans une nouvelle génération d’équipements. En particulier, les moteurs deviennent plus performants par le biais de l'électronique. En attendant, l’évolution classique de l’avion de ligne bi- et quadriréacteur satisfait les compagnies aériennes, dont les enjeux principaux sont et restent aujourd’hui d’améliorer la fiabilité de l’avion et sa capacité d’emport. Par ailleurs, l’échec du transsonique Convair 880/990 ne pousse pas à plus de vitesse : il consomme trop pour des gains marginaux en vitesse et un nombre de passagers amoindri[29].

Cependant, vers la fin des années cinquante, plusieurs directives ministérielles circulent et des comités se créent pour étudier et pousser à la réalisation industrielle d’une génération d’avions de ligne supersoniques. Les Britanniques ouvrent le bal avec le Supersonic Transport Aircraft Comittee de 1956[30], qui guidera Bristol vers les embryons du Concorde, un avion à long rayon d’action (5 500 kilomètres). En France, il est décidé entre le gouvernement, son porte-étendard et son constructeur que le successeur de la Caravelle sera supersonique[31]. L’ambition est modeste sur l’allonge, moins de 3 000 kilomètres dans une optique de routes européennes et africaines, on pense encore aux colonies[32]. Le projet prend de la vitesse au tournant de la décennie. Cette ambition est à l’époque bornée par les capacités françaises en matière de propulsion, la SNECMA (Société Nationale d'Étude et de Construction de Moteurs d'Aviation, aujourd'hui société du groupe Safran) n’est pas encore très performante, son prototype consomme beaucoup et pousse moins que celui des Britanniques. Présentant tous deux leur projet au Bourget de 1961, les avionneurs finiront par les faire fusionner, après un an de discussion. Il faut remarquer qu’à ce stade, les États-Unis ont pris une avance nette sur l’Europe en matière d’aviation. En effet, tous les avions français sont motorisés par General Electric ou Pratt & Whitney tandis que Rolls-Royce traîne sur des projets à piston et des avions à réaction de petites séries. Ces deux projets sont en réalité des initiatives gouvernementales pour contrer une domination aérienne et ne résultent que d’une volonté politique d’effectuer un grand bond en avant. Cependant, les percées requises pour mener à bien ces projets se font à des coûts exorbitants sur deniers publics. C’est ainsi que les gouvernements négocieront des traités commerciaux et technologiques pour mettre en commun infrastructures et cerveaux. La complémentarité des compétences fera le succès technique du projet : les Français, n’ayant pas de moteurs décents pour la Super-Caravelle, accepteront naturellement l’aide de Rolls-Royce tandis que les Britanniques, manquant d’électronique embarquée, feront confiance à la Thomson-CSF. Se sont au total 2 milliards d’euros de coûts de développement à la veille de sa certification en 1975[33] qui parachèveront presque 15 ans de mise au point. En parallèle, le Boeing 747, dont l’étude commence en 1963 et dont le premier vol commercial est réalisé en 1970, coûtera 5 milliards de dollars en prenant en compte la construction d’une nouvelle usine.

Rendu d'artiste du Boeing 2707 dans sa version finale, un avion bien trop massif pour la vitesse attendue

Aux États-Unis, c’est après l’annonce des projets français et britannique en 1961 que le président Kennedy, récemment élu, engage le gouvernement à financer le développement d’avions supersoniques à l’aide d’un appel offre entre Boeing et Lockheed[34]. Des rapports de commissions du congrès ainsi que des conseillers présidentiels avertissent de la concurrence, d’un possible retard technologique et du danger pour l’industrie états-unienne : il pourrait y avoir un marché pour 500 supersoniques d’ici à 1990. L’administrateur du corps régulateur, la FAA, Najeeb Halaby préviennent Kennedy : 50 000 emplois et 4 milliards de dollars seraient perdus si le pays ne se lançait pas dans l’aventure industrielle. Pire encore, le prestige de la nation pourrait en prendre un coup. En effet, le président risquerait de se déplacer dans des machines européennes. C’est alors que faire plus vite et plus fort que les Européens devient une priorité nationale : le Concorde va à Mach 2, le SST ira à Mach 3; s'ils transportent 100 passagers, on en transportera 270[35].

En réponse directe au Concorde et aux soubresauts outre-Atlantique, l’Union Soviétique publie son propre concept dans une revue technique nationale en 1962. L’O.K.B. Tupolev sera à la manœuvre, déjà décoré pour ses projets militaires et civils comme le Tu-95. Le but de l’U.R.S.S. est simple : faire plus vite que tout le monde. Á titre d'exemple, pour arriver à faire décoller leur Tu-144 deux mois avant le Concorde, ils vont précipiter tout le développement du prototype. Pris dans des problèmes abyssaux dès sa conception, le Tu-144 bénéficiera de plans volés chez les équipes du Concorde[36]. Malgré cela, le retard technologique de l’U.R.S.S. est apparent, notamment en électronique de contrôle commande moteur qui est l'une des grandes réussites du Concorde. Aucun moteur n’est prêt pour le projet qui changera de motorisation en cours de route suite à une allonge médiocre, due à la nécessité d’utiliser la post-combustion en permanence. Des choix techniques trop peu développés par rapport à l’ambition pousseront à une fiabilité médiocre, menant à la perte d’un modèle de présérie au salon du Bourget de 1973[37].

Dès la naissance de ces projets, on comprend que le réacteur en est la clef de voûte. Derrière l’artifice du civil vient se refléter une fois de plus la puissance d’un État dans l’application de ses technologies de recherches fondamentales et militaires. On en vient à légitimer la propulsion d’un bombardier nucléaire dans une réalisation aux abords futuristes. Cette approche scientiste du progrès technique est aussi une mise en scène de programmes gouvernementaux autrement moins aguicheurs, dont les retombées concrètes ne seront perçues que bien plus tard. Par cette image aseptisée, on communique une façade pacifiste alors même que les premières retombées du programme bénéficieront aux militaires. Cette course à la vitesse permet aussi de remarquer les fossés technologiques - et par extension militaires, en matière de propulsion entre les pays. Les états-uniens partent avec des systèmes bien trop complexes pour le temps, leur armée n’ayant aucune limite de budget. Les Européens restent sur des évolutions incrémentales, ne pouvant pas se permettre d’imprudences qui les bloqueraient dans un sillon déjà tracé aux États-Unis. Les Soviétiques prouvent leur retard en industrie de précision et dans les projets de bombardiers à réaction, n’ayant produit qu’un seul M-50 de propagande et se focalisant sur une stratégie dépendante du missile, après s’être ruinés en programme spatial.

Le mur (du son), jusque-boutisme & chocs pétroliers[modifier | modifier le wikicode]

Tandis que les projets avancent vers la fin des années 1960, la confiance dans cette génération supersonique vacille. Malgré des carnets de commande de 100 appareils pour 18 compagnies chez Concorde[38] et 122 appareils pour Boeing, on se désengage progressivement. Premièrement, ces commandes restent avant tout des déclarations d’intentions, un symbole de prestige mais surtout une course entre concurrents pour ne pas se faire dépasser. Cependant, ce sera bien la motorisation qui déclassera le supersonique et illustrera sa suprématie technologique. Alors que l’on s’éloigne de l’embryon partagé du moteur à réaction des années 1950 et que les applications se diversifient, les techniques évoluent par secteur. Le civil n’a plus grand-chose en commun avec le militaire, l’un ouvre une voie d’efficacité tandis que l’autre poursuit une performance débridée pour gagner un avantage sur son adversaire. L’état de l’art que représente le régime supersonique impose des moteurs hors du commun, plus proches d’une conception militaire. Au brut défi de la vitesse, il faut ajouter les exigences en termes de quantité de passagers et de qualité du voyage, faisant exploser les masses en vol. De ce fait, aucun industriel, ni privé ni d’État, ne peut engager d’étude en temps raisonnable et à budget raisonnable. C’est ainsi que seront récupérées presque sur étagère des conceptions de bombardiers et d’avions espions dans le but d’accélérer le développement.

Du côté états-unien, chaque appel d’offre propose une motorisation différente, chacune issue de programmes militaires expérimentaux tels que SR-71 pour Lockheed et XB-70 pour Boeing. Cependant, ces deux systèmes restent incroyablement coûteux tant en développement qu'en fabrication et en entretien, ce qui les rend difficilement exploitables dans un contexte commercial. À cela il faut ajouter les combustibles militaires, particulièrement volatils et coûteux. La consommation en carburant de ces moteurs nécessite des ravitaillements en cours de vol chez les militaires, ce qui est impensable dans le civil.

Une paire de Rolls-Royce-Snecma Olympus avec le mécanisme d'œil de tuyère mobile, s'adaptant au régime de vol

En Europe, une alliance se forme entre la SNECMA et Rolls-Royce pour reprendre les moteurs du bombardier subsonique anglais Avro Vulcan. La conception date des années 1950, ce qui la rend plus primitive mais aussi plus concrète et prouvée que les turbines états-uniennes. Lui seront incorporé par évolutions incrémentales une post-combustion militaire (issue du bombardier expérimental TSR 2) ainsi que des tuyères et des rampes d’admission à géométrie variable, permettant d’adapter les profils d’introduction et d’éjection de gaz aux différents régimes de vol. Ces systèmes mécaniques économisent une ingénierie complexe sur le moteur ainsi que des problèmes de surconsommation, contribuant à une augmentation considérable de la poussée en croisière et donc de la vitesse ainsi que de l'allonge.

L’Union soviétique a une étude radicale; en partant de zéro elle conçoit ses propres turboréacteurs, aux performances médiocres, dans la précipitation et le manque de compétences. Un changement sera opéré au cours du développement de l’avion, augmentant son endurance de 3000 à 5300 kilomètres à l’aide de différents mécanismes à géométrie variable, inspirés du Concorde. Les performances réelles de ces moteurs restent aujourd’hui nébuleuses à cause de la politique d’opacité des communications de l’Union soviétique et de leur faible utilisation.

Le défi technique du développement de ces nouveaux moteurs et de leur utilisation fut assez vite effacé par les premières considérations environnementales de l’histoire de l’aviation. Fruits des contre-cultures Hippies et des premiers partis écologistes modernes, des études d’impact menées sur différents projets viennent ternir l’opulence idyllique, techno-positiviste, reflétée par leurs soutiens. Un conseiller de la Maison Blanche, Russell Train, pointe le doigt sur un doublement des contenus en vapeur d’eau des couches supérieures de l’atmosphère pouvant mener jusqu'à des cas de cancers pour ne rien exagérer[39]. À cela, il faut ajouter une prise de conscience autour des effets nocifs des CFC (chlorofluorocarbures, gaz fluorés dérivés des alcanes) et des NOx (les oxydes d'azote) sur la couche d’ozone. Ainsi circuleront plusieurs rapports et articles, aux qualités plus alarmistes que scientifiques, pour discréditer ces projets[40]. Sur fond de Guerre du Vietnam, mouvement des droits civiques, course à l’armement et Guerre Froide, les projets supersoniques crispent une partie du public plus concernée par son propre bien-être. De même, les Trente Glorieuses touchent à leur fin et donc le progrès tout azimut fait de moins en moins briller les yeux. Ces rapports aux dimensions politiques seront instrumentalisés pour discréditer en priorité le projet européen aux États-Unis, qui peinent à dépasser les maquettes en soufflerie. Il faudra ajouter à cela l’expérience sur le bang supersonique d’Oklahoma City de 1964 qui sera ressortie maintes et maintes fois en commissions sénatoriales à la fin des années 1960[41]. Face à une montée des coûts comparable à ceux du Concorde sans aucun prototype disponible, le Sénat coupera les fonds du SST de Boeing alors que l’administration Nixon soutient cœurs et âme le projet. Ce sera la majorité démocrate qui s’emparera des problèmes de politique domestique après le triomphe d’Apollo et l’impasse du Vietnam pour étouffer le projet. Sans l'appui insistant d’un État derrière, le programme se voit annulé. Il faut bien remarquer que les réacteurs de pointe ne font aucun sens économiquement, alors qu'ils sont nés de projets gouvernementaux.

C’est alors avec le quadriréacteur du Boeing 747, ses plus de 400 passagers (un record à l’époque) et ses 900 km/h de vitesse de pointe, que les États-Unis se consoleront et aborderont avec une longueur d’avance l’aviation grand public. Il contribuera en partie à la chute de l’aviation supersonique qui reposait sur un pari simple : sur le même laps de temps, on peut faire voler deux fois plus l’avion, ce qui permet une optimisation des coûts. Le calcul pouvait paraître juste au début des années 1960, où le long courrier Boeing 707 n’emportait que 190 passagers avec 4 turboréacteurs de faible poussée, donnant un légère avantage à un supersonique de 100 passagers. Cependant, en quinze ans, les recherches tant publiques que privées en matière de motorisation civile vont détruire une équation déjà douteuse à la base.

Cette dernière supposait par ailleurs un coût du carburant constant bloqué en dessous de 3$ (1970) / 30$ (2022) du baril. Cet axiome, hérité de l’optimisme et de l'impression d’infini des ressources naturelles de l’époque, sera à lui seul le facteur contribuant à la mort d’espoir d’une seconde génération d’avions supersoniques. Malgré l’avertissement qu’avait été la crise de Suez pour l’alliance franco-britannique, la ressource pétrole reste une constante considérée comme acquise. Elf et British Petroleum, sponsors de coups d'Etats, donnent encore un sentiment de toute puissance. Or se maintenir en régime supersonique, où l’évolution des frottements n’est pas linéaire, requiert 13,2 kg/km[42] de combustible sur un Concorde de 100 passagers. À titre de comparaison, un Boeing 747 en consomme 10,77 kg/km[43] pour un minimum de 400 passagers. Ce sera donc avant la fin de l’année 1973, à la suite du premier choc pétrolier, que les dernière compagnies aériennes intéressées retireront leurs intentions de commandes - certaines avaient déjà fuit le projet après ses délais et ses surcoûts successifs.

À cela, il faut ajouter les différentes interdictions de survols implémentées à cause du bruit des chocs supersoniques de l’appareil. Pendant sa campagne d’inauguration, le Concorde fait parler de lui autour de JFK comme étant l’avion le plus bruyant jamais créé. Derrière l’image sereine et calme de l’appareil se cache quatre turboréacteurs à post-combustion, soit l’équivalent de quatre avions de chasse collés les uns aux autres à pleine puissance. De plus, le retour d’expérience des essais d’Oklahoma City s’ajoute à la controverse. C’est ainsi que les États-Unis et une poignée d’autre pays interdisent le survol supersonique de leurs territoires, coupant nettes des lignes aériennes comme New-York – Los Angeles. En rétrospective, ces mouvements ont été plus protectionnistes qu’avisés, puisque des routes supersoniques au-dessus de l’Europe, l’Afrique et l’Asie montreront qu’aux altitudes de croisière, le bruit reste perceptible mais n'est pas assez puissant pour nuire à l’Homme ou pour détruire des vitres.

Evolution des fronts d'ondes sonores avec notamment le cône de bang supersonique qui concentre l'intensité acoustique

Tout ces éléments sensés culminer sur l’abandon des programmes supersoniques n’y arriveront pas. Ceci est encore une fois dû à des manœuvres d’ordre politique. La rationalité économique mènerait à l’abandon du Concorde et c’est dans un premier temps ce que souhaitent les P.D.G. d'Air France et de British Airways. En effet, à chaque décollage de l’appareil, la compagnie britannique perdra dans ses premières années d’exploitation jusqu’à 100 000$ avec des vols à moitié vides et un carburant beaucoup trop cher pour son modèle économique[44]. L’avion doit être mis hors service au début des années 1980, ses campagnes de communications initiales autour de la fierté ne convainquent pas pendant la décennie qui voit naitre les contre-cultures punk. Derrière les coulisses, les accords signés à la naissance du programme en 1962 étaient tels qu’aucun des deux gouvernements ne pouvait se retirer du traité sans rembourser à l’autre sa part. Alors, avec ou sans les forces du marché, le Concorde volera jusqu’au bout. Dans un premier temps, les deux gouvernements ont dû absorber les coûts de développement, faisant prix comptant à leurs porte-étendards (le programme avait besoin de 150 commandes pour être rentable). Ensuite, une subvention a été mise sur pied pour soutenir la forme de transport la plus chère de l’Histoire[45]. L'enjeu est de rendre le billet du Concorde compétitif avec un subsonique classique. Mais, même avec ces mécanismes en place, les compagnies n’arrivent pas à combler leurs pertes. En outre, la volonté de puissance des États reste implacable et ils sont forcés de trouver des solutions avec l’appareil existant, reflétant bien le jusque-boutisme qu’a représenté le projet de sa création à sa fin.

De l’autre côté du rideau de fer, peu de choses sont connues, mais le Tu-144 doit arrêter le service de passagers un an après son introduction en exploitation. Si la propagande parle du futur de l'aviation soviétique, il est en fait d'abord envisagé comme avion cargo ou postal à cause d'une cabine spartiate : les réacteurs sont tellement bruyants qu'il faut se passer des notes pour parler à son voisin[46]. Un second accident survient, causé par une fuite de carburant sur l'aile droite et d'une panne des moteurs gauche peu fiables qui finiront d'achever une carrière civil comptant pour moitié de vols annulés. Il servira tout de même à réaliser quelques images de propagande, s’inscrivant comme anecdote historique avec son premier vol supersonique, avant le Concorde. Les avions seront ensuite maintenus en état de vol pour chasser des records, servir de laboratoire volant et former les cosmonautes de la Buran, qui ne volera jamais avec des hommes à bord.

Une marque indélébile au service du prestige[modifier | modifier le wikicode]

Le but initial de mener l’industrie aéronautique dans une ère nouvelle avec le projet Concorde échouera avant même son premier vol, en se plaçant dans un cul-de-sac technologique. Il faut remarquer qu’en réalité, si cet objectif était espéré, il n’a jamais été moteur. Le Royaume-Uni et la France, sur le déclin, anciens empires humiliés à Suez, doivent se redéfinir et se reconstruire après le triomphe des Soviétiques et des États-Unis dans le spatial. Alors que l’industrie aérienne, tant en motorisation qu’en cellules ou systèmes, prend un fort tropisme outre-Atlantique, il devient question de se démontrer comme acteur capable. L’outrance technique que représente ce projet permet ainsi d’organiser les meilleurs éléments de l’aviation européenne. Le e dans Concorde, d’abord orthographié à l’anglaise, cause un débat qui se conclut sur l’exclamation des ambitions du projet. Chez les Britanniques, il signifie : Excellence, England, Europe[47]. C’est un objet de fierté nationale, une pierre angulaire de la coopération européenne et surtout une mesure de l’orfèvrerie possible sur le vieux continent. Pour rester sur son propulseur, d’une conception initialement rustique, la mise en commun de ressources comme des calculateurs et centres d’essais français et de l’électronique anglaise, permettent des percées telles qu’il a été la machine thermique, en son genre, la plus efficace au monde à 43 % dans une industrie où la moyenne se situe à 35%.

Concorde British Airways au décollage

Pendant les 15 ans de retards et de surcoûts, des compétences inestimables vont être développées des deux côtés de la Manche. En premier lieu, le financement des instituts de recherche, de l’enseignement supérieur, des centres d’essais et des industriels va permettre de repousser les limites et de développer de nouvelles technologies. On peut nommer la post-combustion ou la super-croisière, qui continuent à nourrir les industries du pays aujourd’hui. Ensuite, le succès opérationnel de l’appareil d’un point de vue purement technique, va imposer Rolls-Royce comme motoriste de renom et Aérospatiale comme concepteur de qualité. Enfin, le plus gros retour d’expérience est établi dans le domaine de la coopération inter-gouvernementale et entre industriels aux cultures de conception différentes. En apprenant à se comprendre et à formuler des méthodes communes, le Concorde sera la fondation de la coopération aérienne européenne. Ainsi Rolls-Royce formera un pôle d’excellence à partir de ce projet et motorisera des futurs projets Airbus avec notamment le Trent, le plus puissant réacteur civil à fort taux de dilution, pour l’A380. Aérospatiale est de son côté propulsée au centre du dispositif européen pour prendre les rênes d’Airbus, faisant de la France, et en particulier de Toulouse, un territoire clef pour l’avionneur. Plus qu’une volonté de deux États, le Concorde, dont le concept repose autour de sa propulsion légendaire, sera un élément narratif clef dans la définition d’une nouvelle Europe plus unie et toujours à la pointe de la technique.[48]

Enfin, si malgré des débuts difficiles le Concorde est resté dans les esprits, c’est bien par son immortalisation dans la culture populaire. Dans le courant des années 1980, British Airways lance une campagne de communication de génie, la compagnie le transforme en symbole de luxe. D’abord ils tourneront une série de plans extérieurs silencieux, se focalisant sur la tranquillité et le calme depuis l’appareil, en tentant d'effacer son bruit à faire passer une usine pour une symphonie. Deuxièmement, il sera affiché avec plusieurs, marques de luxe : des horlogers, constructeurs automobiles, grandes cuvées, en bref tout ce qui se rapproche de près ou de loin à l’opulence et à la richesse. Enfin, une campagne publicitaire, aujourd’hui mythique, le remettra dans le radar du grand public, le hissant au rang d’engin extraordinaire. On le voit se faire un tour autour de la lune dans le reflet d'une visière d'un astronaute, les stylos Mont-Blanc en apesanteur, avant de revenir à vitesse lumière sur Terre, inspiré par la Guerre des Etoiles. Ces publicités tourneront aux heures de grande écoute sur les télévisions tant anglaises qu'états-uniennes. Tout cela est suivi d’une augmentation drastique des prix du billet, en transformant le vol non plus en service mais en expérience, changeant l’appareil au moteur trop gourmand en net bénéfice dans ses comptes. Ainsi, l'avion se focalise sur les routes les plus demandées et fait des apparitions pour des événements au service des gouvernements français et britannique. George Pompidou s’en servira dès 1971, il sera souvent loué au président congolais Mobutu Se Seko, servira à suivre des éclipses solaires ou encore à passer la torche olympique. Par la suite quand un président, premier ministre ou membre de la famille royale souhaite affirmer la présence de sa nation, il se fera transporter en Concorde.

D’un avion d’abord haït outre-Atlantique, méprisé par ses opérateurs européen et copié en U.R.S.S., il ressort admiré aux États-Unis, adoré par ses gouvernements et triomphant d’un mauvais prototype. Ce phénomène est tel qu’au moment de son retrait se formeront plusieurs associations, qui existent encore aujourd’hui, en sa défense et pour la continuation de l’initiative. Il continue donc à nourrir l’imaginaire aérien et le rêve d’un nouveau supersonique malgré tout les obstacles cités précédemment. Il sera nommé objet anglais le plus emblématique du XXème par la BBC au Royaume-Uni, face à des conceptions purement britanniques comme la marque Mini, le Sptifire ou le World Wide Web lui même[49]. On peut en conclure que si son propulseur lui a causé tant de tort, c’est bien ce qui l’a démarqué des autres pour en faire un symbole de fierté, une icône culturelle et scientifique intemporelle; le tout contribuant à son statut d’instrument du pouvoir étatique, rôle qu’il accomplira avec succès.

Une course à la gloire avec les projets spatiaux[modifier | modifier le wikicode]

La Guerre Froide engendre une véritable compétition entre les différentes grandes puissances mondiales dans la conquête de l'espace. Par ce biais, ils affirment leur supériorité technique au monde. Les États-Unis et l’URSS sont, dans la période d’après-guerre, les deux pays les plus avancés et les plus impliqués dans cette course à la gloire. Ils mettent en place de nouveaux programmes spatiaux en développant par conséquent les techniques des moteurs à réaction, aussi bien dans le domaine militaire avec la course aux armements que dans le domaine civil afin d’acquérir un ascendant idéologique.

On assiste en effet à une démonstration de puissance dans la conquête spatiale. Alors que l’envoi de satellites ou d’Hommes dans l’espace n’est pas forcément une priorité pour les gouvernements des deux camps, les ingénieurs dans l’aéronautique se consacrent pleinement à ces nouveaux projets en travaillant sur le développement de moteurs aux puissances jamais atteintes auparavant. Les moteurs à poudre et à ergols liquides par exemple sont alors mis au point pour de meilleures performances.

Même si, au début des années 1950, voyager sur la Lune n’était pour le moment qu’un fantasme, le développement des fusées et des missiles va permettre de nombreuses avancées historiques dans la conquête de l’espace. Toutes ces recherches attisent la fascination du grand public et inspirent même Walt Disney, qui collabore avec l’ingénieur allemand Wernher von Braun et qui produit un grand nombre de films éducatifs ayant pour thème le programme spatial américain. Cela vise à sensibiliser le public américain pendant la Guerre Froide et à populariser le rêve de l’aventure spatiale. La première émission, intitulée Man in Space et diffusée en 1955, a eu une audience de plus de 42 millions de personnes auxquelles on inculque alors une « culture de l’espace »[50].

Spoutnik 1 : premier satellite artificiel de la Terre

Les Soviétiques parviennent à avancer leur technologie et lancent le programme Vostok à partir de 1957. Ils réalisent leur premier envoi de satellite artificiel, Spoutnik 1, en octobre 1957 autour de la Terre après de nombreuses tentatives et plusieurs échecs, dus notamment à des fuites de carburants ou à des allumages tardifs ou prématurés d’un moteur. Les fonctionnements de ces nouvelles fusées s’inspirent souvent des missiles V1 et V2 créés par l’Allemagne nazie en 1944 et 1945 pendant la guerre; Wernher von Braun fut l'un des ingénieurs principaux à travailler sur leur production. L’URSS continue ses progrès et lance, en novembre de la même année, Spoutnik 2 avec la chienne Laïka à son bord[51]. Ces évènements attisent la fascination de l’opinion internationale et présage un nouvel élan dans le progrès technique. Le grand public mais également les scientifiques s'étonnent de cet exploit car les difficultés techniques à surmonter paraissaient très compliquées à résoudre. Ces prouesses de la part des Soviétiques montrent par ailleurs une nouvelle fois le grand potentiel technologique de l’URSS qui a favorisé le développement des missiles. La conquête de l’espace est alors officiellement lancée.

En réponse à Vostok, les Américains débutent leur programme nommé « Apollo », qui a pour but d’envoyer des Hommes sur la Lune. En 1958, ils lancent leur premier satellite, Explorer-1, notamment grâce à Wernher von Braun, qui a été récupéré par les Américains et qui a pris la tête d’une équipe dans ce projet[52]. Dans les années 1960, la compétition continue de plus belle avec la multiplication des satellites d’observation, qui permettent aux deux principales puissances d’espionner leurs adversaires. Par la suite, l’exploitation du système solaire suscite l’intérêt de nombreux autres pays dans un imaginaire collectif hérité du colonialisme.

Toutes ces avancés détournent également le regard des drames et scandales qui peuvent se dérouler dans le monde pendant la Guerre Froide. On se concentre essentiellement sur tous ces exploits spatiaux et on en oublierait presque les évènements historiques qui ont lieu dans le monde, comme les chutes de napalm au Vietnam ou l’abolition de la ségrégation aux États-Unis. Les Américains parviennent à envoyer le premier Homme sur la Lune, Neil Armstrong, en 1969.

Les nouveaux projets spatiaux sont effectivement un moyen de se comparer aux autres et de vanter ses exploits auprès des puissances concurrentes, et non pas seulement de progresser technologiquement parlant pour le pays. Ces programmes ont eu un fort impact dans la démonstration de la supériorité et ont parfois été stoppés ou abandonnés lorsque cette mission était remplie. Par exemple, le programme « Apollo » des États-Unis, qui avait pour but d’envoyer des Hommes sur la Lune, devait prendre fin en 1975 avec Apollo 20, mais s’est véritablement achevé après Apollo 17 lorsque leur objectif d’asseoir leur supériorité a été achevé.

Ainsi, le développement de tous ces programmes spatiaux et de ces lancers dans l'espace est nécessaire pour accéder au statut de puissance. Il y a là tout d’abord un enjeu idéologique, mais toutes ces avancés ont également pris une place importante dans les domaines économique et géopolitique et elles constituent une aide militaire essentielle. On peut remarquer effectivement que les domaines spatiaux et militaires se développent en parallèle, chaque avancée dans un secteur peut contribuer aux progrès de l’autre. Il suffit de voir les similitudes entre les moteurs des missiles utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale et ceux utilisés ensuite pour les fusées spatiales, quelques années après.

La course à l'espace est également devenue un élément qui permet l’affirmation de la puissance car chaque pays possède son propre programme spatial, et par conséquent si un pays n’en a pas, il est vu comme inférieur technologiquement, mais aussi économiquement et géopolitiquement car il sera incapable de s’imposer dans cette course et ses enjeux qui en découlent.

En second plan, après l’URSS et les États-Unis qui dominent clairement cette course à l’espace, certains pays tentent tout de même de se faire une place. La France, par exemple, a tenté de s’intégrer et de développer ses programmes spatiaux. A partir de 1959, après la venue au pouvoir du général de Gaulle, le pays approfondit ses études et fonde le Comité des recherches spatiales ainsi que la première politique spatiale française. Cependant, on se rend vite compte que la capacité de développement des recherches de la France, seule, ne pourrait pas suffire. C’est pourquoi une collaboration entre plusieurs pays d’Europe pour arriver à la hauteur des recherches spatiales des États-Unis ou de l’URSS et s’affirmer en tant qu'acteur dans cette course est alors créée en 1963. On assiste ainsi aux débuts de la formation du Centre Européen pour la Construction de Lanceurs d’Engins Spatiaux (CECLES) en 1963 et du Conseil Européen de Recherches Spatiales (CERS) en 1964[53].

Nouvelle expression de la puissance dans les projets appliqués[modifier | modifier le wikicode]

Avec l’arrivée du moteur à réaction, les États ont rapidement su utiliser cette nouvelle technologie comme un outil servant à affirmer leur puissance. Même si, dans un premier temps, cette démonstration de force se fait majoritairement ressentir dans le domaine militaire par l’arrivée de l’avion à réaction ou encore le développement de missiles, celle-ci s’est rapidement étendue dans le domaine du civil. Ainsi, chacun tente de mettre à profit les nouvelles connaissances militaires de son pays pour les réinjecter dans des projets civils.

En effet, la puissance d’un État est le résultat de différents facteurs. Bien que la puissance militaire soit l’un d’entre eux, il existe bien d’autres manières pour un État d’afficher son pouvoir, et cela passe notamment par une démonstration de ses connaissances scientifiques et de ses capacités techniques. Dans le cas du moteur à réaction, celui-ci a été une technologie clé, que ce soit dans le développement de l’aviation, de technologies de guerre ou dans la course à l’espace, ce qui a permis le développement de divers projets civils. Notamment grâce au développement de l’exploration spatiale, les fusées sont pour la première fois utilisées pour l’envoi de satellites en orbite.

Toutefois, au moment où cet exploit scientifique a lieu pour la première fois avec Spoutnik-1, le monde est plongé dans le contexte de la Guerre Froide. Ainsi, au-delà des progrès techniques que cela représente pour l’humanité - Spoutnik-1 étant le premier satellite à pouvoir récolter des données directement depuis l’espace[54], il s’agit alors plutôt d’une démonstration de puissance pour l’URSS. Ainsi, durant cette période, bien qu’utilisé dans des projets civils, le moteur à réaction reste largement employé comme un instrument de pouvoir par les États. En effet, c’est alors encore un moyen de démontrer sa supériorité technologique mais aussi de la développer avec l’espoir de pouvoir réutiliser ces connaissances comme atout lors de la guerre, si des affrontements devaient avoir lieu.

Le satellite de télécommunication Telstar 1 en cours de montage

Toujours dans ce contexte de Guerre Froide, les États-Unis, galvanisés par la réussite des Soviétiques avec leur satellite Spoutnik, cherchent à redonner à leur pays un prestige scientifique et technique et à regagner leur position de leader sur la scène internationale. Afin d'atteindre cet objectif, ils développent un projet de système global de communication par satellite. Cela se concrétise en 1962 avec l’envoi du satellite Telstar 1, qui permet la réalisation de la première transmission d’images de télévision transatlantique[55]. Encore une fois, une nouvelle technologie, ici le satellite de télécommunication, est utilisée dans ce contexte comme instrument d’une politique de prestige menées par les États-Unis.

Toutefois, cela s’avère efficace et la mondialisation des communications débute dès 1969 avec les satellites internationaux Intelsat. L’exploitation commerciale de ces satellites confère alors un immense pouvoir aux États-Unis, ce qui se traduit à l’époque par l’attribution à leur industrie spatiale de quasiment tous les contrats de fabrication de satellites.[56] Les satellites de communications représentent alors un atout majeur pour les États qui en possèdent, et cela particulièrement car il s’agit d’une des seules applications spatiales rentable, générant des revenus conséquents par rapport aux dépenses réalisées[57].

Quelques années plus tard, on assiste à de nouveaux exploits grâce à l’envoi de satellites en orbite. Notamment aux États-Unis se développe le tout premier système de positionnement par satellites, connu aujourd’hui sous le nom de GPS. Ce système nommé "Transit" est développé en laboratoire dès les années 1958 mais ne devient opérationnel qu'en 1964[58]. Bien qu’à sa création, son usage soit uniquement militaire, il sera plus tard utilisé dans le domaine du civil. A son arrivée, cette nouvelle technologie va conférer une puissance militaire supplémentaire non négligeable aux États-Unis. Elle leur permet d’obtenir une précision encore jamais atteinte sur l’envoi de leurs missiles, de guider précisément leur forces aériennes, marines et terrestres. Rapidement, toute nation désirant augmenter sa puissance militaire souhaite posséder l’un de ces systèmes. C’est notamment ce que cherchera à faire l’URSS en développant son propre système de positionnement par satellites “GLONASS”.

Les progrès réalisés sur le moteur à réaction, et par conséquent sur la propulsion de fusée, permettent donc une augmentation quasi continuelle de la puissance de certains États, qui utilisent ces technologies pour progresser dans tous les domaines : scientifique, militaire ou économique. De plus, la mise en place de ces systèmes offre un nouveau terrain sur lequel se battre. En effet, être capable d’usurper, dégrader ou bloquer les informations conférées par ces services de positionnement peut être un atout crucial dans un conflit. Posséder ces services n'est alors plus suffisant pour augmenter sa puissance militaire, il faut également être capable de les manipuler.

Timbre soviétique de 1975 représentant l'équipage de la mission spatiale Soyouz 16

Ainsi, entre 1957 et 1980, près de 3 000 satellites artificiels et sondes spatiales ont été lancés depuis la Terre[59]. Bien que toutes ces opérations ne finissent pas toutes sur un succès, elles démontrent que les satellites, technologies inexistantes avant l’invention et les progrès sur le moteur à réaction, sont rapidement devenus des instruments de puissance pour les États. À présent, les satellites jouent un rôle important dans la progression dans celui-ci, que ce soit sur le plan économique, militaire ou scientifique.

L'ensemble de ces nouveaux projets spatiaux a également eu un impact culturel très important. La motivation principale des Etats étant d'affirmer leur prestige, ces évènements ont été très médiatisés et ont fait l'objet d'une forte propagande. C'est ce que l'on peut constater à travers les nombreuses affiches soviétiques de l'époque mais aussi au sein des films, notamment aux États-Unis. Ces évènements sont une véritable fierté pour les pays concernés, chacun de leurs accomplissements est fortement mis en avant, à tel point qu'en URSS, toute date importante se retrouve presque systématiquement sur un timbre poste, agrémenté d'une illustration flatteuse.

Le moteur à réaction se positionne donc au cœur du développement de nombreux projets civils. En permettant de faire progresser le domaine de l’aéronautique et du spatial, celui-ci est devenu un outil de démonstration de force incontournable pour les États. Encore aujourd'hui, parmi les pays ayant envoyé le plus de satellites dans l’espace, on retrouve les États-Unis, la Chine et la Russie : trois grandes puissances mondiales[60].

Instrument de prospérité et prestige[modifier | modifier le wikicode]

Une conquête économique et culturelle avec les compagnies porte-étendards[modifier | modifier le wikicode]

Comme on a pu le voir précédemment, c’est la Seconde Guerre mondiale et l’adoption massive du moteur à réaction comme système de propulsion dans l’aviation qui a favorisé l’essor du transport aérien commercial. Comment, dès lors, les États utiliseront-ils ces compagnies, dites porte-drapeau[61], afin d’affirmer leur puissance à l’échelle internationale ?

Situation et évolution de l’aviation civile  

A partir des années 1958, l’essor des avions équipés de moteurs à réaction pouvant voler au-delà de 800 km/h constitue une avancée technologique décisive. C’est le constructeur aéronautique britannique De Havilland Aicraft Company[62] qui met en circulation le premier avion à réaction de l’aviation civile, le Comet 1[63], en 1952. Celui-ci est alors équipé de quatre moteurs Ghost 50 Mk.1 d’une puissance de 22.2kN chacun; avant d’être remplacés par des Ghost DGT3, plus puissants avec leur 25kN de poussée chacun, ce qui lui permet d’atteindre les 805 km/h. Il ne peut alors transporter qu’entre 36 et 44 passagers et une série d’explosions durant des démonstrations mettront fin à sa carrière. Cette première engendrera cependant énormément d’innovations autour des moteurs, qui mèneront à des avions en mesure de propulser plus de passagers, sans escale, et en prenant presque deux fois moins de temps pour atteindre leur destination. C’est le Boeing 707, équipé de quatre moteurs Pratt & Whitney qui, forts de leur puissance de 75kN, propulseront pour la première fois 202 passagers à travers l’Atlantique en 8 heures dans les années 1960 (contre 15 heures en 1955). L'avion à réaction, plus puissant, permet alors de transporter plus de passagers sur des distances plus longues, tout en étant plus rapide. Des règles internationales sont ainsi rapidement mises en place pour réguler le trafic aérien. La souveraineté de chaque État est reconnue internationalement sur son propre territoire, c'est-à-dire dans le ciel, sur terre et en mer. Ce contexte politique marquera durablement la dimension politique du transport aérien : chacun doit protéger son espace aérien et les relations entre pays se règlent de façon bilatérale. On assiste à la création de compagnies nationales qui porteront les couleurs de leur pays et dont les États détiendront la plus grande part de capital. Ces compagnies deviennent un symbole de souveraineté des nations.

Gros porteur Boeing 747-400 de la compagnie British Airways

Boeing, qui domine le marché des vols long courrier dans les années 1960, veut voir plus loin. Le transport aérien augmente de 15% par an, ce qui l’amène à imaginer le Boeing 747, qui devrait être capable de transporter 400 passagers, et marque l’apparition des gros porteurs en 1969. Cependant, un retard important est pris et Boeing s’endette lourdement car les moteurs JT9D Pratt & Whitney, les seuls disponibles, ne sont alors pas assez puissants. La situation finira par s’arranger lorsque General Electrics et Rolls Royce développeront des moteurs suffisamment fiables et puissants comme le turboréacteur CF6 avec ses 240 kN de poussée.  

Le partage du marché international précédemment établi est remis en cause aux États-Unis lorsqu’en 1978 fut voté l’Airline Deregulation Act, qui libéralisa totalement le transport domestique. Les libéraux jugeaient en effet que ce système entravait le développement, empêchait la concurrence avec ses effets vertueux sur les coûts et les prix.

La remise en cause du système en Europe a eu lieu en 1985 lorsqu’un arrêt de la Cour de justice européenne a jugé que les règles de concurrence du traité de Rome s’appliquaient bien au transport aérien, qui s’y était jusque-là soustrait. S’engageait ensuite un processus progressif de libéralisation du transport aérien qui n’aboutira qu’en 1997.  

Ce processus laissa place à la concurrence et engendra la faillite de nombreuses compagnies. C'est à cette époque qu’on voit apparaître les compagnies low-cost, qui ne cesseront de s’agrandir. L’invention du moteur à réaction couplé à d’autres facteurs est donc à l’origine de la globalisation du transport aérien. Les compagnies comme Air France, devenue Air France-KLM, résisteront à la libération des marchés en construisant des alliances[64] (Skyteam) avec d’autres compagnies aériennes et en ouvrant des filières low-cost, mais surtout en recevant des aides considérables de l’État. Ce sera le cas pour la plupart des autres compagnies dénationalisées à travers le monde.

Les intérêts stratégiques des Etats

Au vu des constats précédents, plusieurs questions se posent. D’une part, quels intérêts les États trouvent-ils à posséder une compagnie porte-étendard ? D’autre part, comment ces intérêts ont-ils évolué depuis la libéralisation du transport aérien ? Est-il toujours pertinent pour les États d’injecter des sommes gigantesques dans leurs compagnies porte-étendard ? Nous avons bien vu que c’est l’invention puis l’innovation autour du moteur à réaction qui ont conduit à une massification prodigieuse dans le secteur de l’aviation. Dès lors, posséder sa propre compagnie aérienne pour gérer ses vols intérieurs est devenu une marque de souveraineté pour les États du monde entier. Ceux-ci se sont alors dotés de leur propre compagnie porte-drapeau, même si la flotte de celle-ci est très faible, comme c’est le cas pour certains pays en développement. On peut par exemple citer le Tchad qui ne possède que 2 avions, qui plus est deux Bombardiers[61], pour assurer le transport civil. Le but est ainsi de s’affirmer à l’échelle internationale. De plus les États souhaitent posséder une compagnie nationale afin de contrôler la desserte de leur pays, en plus de la source d’innovation et d’emplois directs ou indirects induits par la compagnie. En effet, en 2016, le transport aérien représentait 4% du PIB français pour près de 1 141 900 emplois directs et indirects[65]. Ainsi, en 1993, l’État français a sauvé Air France, qui était au bord de la faillite, en injectant 20 milliards de francs d’aides dans la compagnie. Dans la même logique, l’État français, qui possède en 2021 14.3% du capital d’Air France, se dit prêt à monter à 29,9% en aidant l’entreprise, endettée de 10 milliards d’euros, à hauteur de 7 milliards d’euros. On comprend donc bien que les intérêts en terme d’emplois et son image sur le plan européen et internationale l’amène à tenter de maintenir Air France à tout prix. Bien que la compagnie semble être un gouffre financier, la France ne peut espérer maintenir une image de leader de l’Europe si elle n’est même pas capable de protéger la compagnie aérienne qui la représente à travers le monde et les centaines de milliers d’emplois qu’elle engendre. Il s’agit donc bien là de protéger une image qui permet d’affirmer sa puissance à l’échelle internationale et de conserver une position forte dans le secteur de l’aviation. De l’invention du moteur à réaction découle donc un rapport de force important entre les puissances du monde entier. Outre les aides fournies à leur compagnie porte-drapeau, les gouvernements ont-ils d’autres moyens d’avoir leur mot à dire dans ce secteur ? Depuis la libéralisation du transport aérien, les compagnies dites porte-étendard ce sont progressivement dénationalisées en passant dans le secteur du privée. Les gouvernements ont alors perdu le contrôle qu’ils avaient sur celles-ci. À l’inverse, la compagnie porte-drapeau de la Russie, Aeroflot, est encore largement contrôlée par le pays et se porte très bien sur le marché. Les États-Unis n’aident pas directement leurs compagnies, comme le fait l’Europe, mais leurs fournissent des contrats militaires juteux, ce qui les maintiennent à flot.

Soft power et dimension culturelle  

Hub aéroportuaire Charles De Gaulle

Il y a la puissance politique certes, mais la dimension culturelle agit inévitablement sur la puissance d’un État. Le soft power est d’ailleurs souvent considéré comme une variable incontournable de l’économie et de l’image d’un pays. Celui-ci passe notamment en grande partie par le tourisme, qui a explosé ces dernières décennies. Et quel moyen plus rapide et pratique que l’avion existe-t-il pour relier les destinations du monde entier ? Ce moyen de transport a acquis une notoriété importante depuis qu’il est équipé du moteur à réaction. Aujourd’hui, les aéroports situés dans des lieux touristiques se sont transformés en véritables plaques tournantes du tourisme de masse. On remarque que le tourisme s’est considérablement intensifié ces dernières décennies. L’avion à réaction a donc permis de renforcer le soft power des pays les plus touristiques, en attirant toujours plus. Par exemple, les pays d'Asie montent en qualité de service pour cela.

Que ce soit Air France, British Airways ou encore American Airlines, toutes ces compagnies n’existeraient pas sans l’avion à réaction. Au cœur de ce mode de transport, le moteur à réaction. On a pu constater que les compagnies aériennes, après avoir été longtemps nationales, sont entrées dans le privé. Malgré cela, les compagnies porte-étendards restent encore aujourd’hui des instruments de prospérité économique et de prestige, par le soft power qu’elles enclenchent, et l’innovation qu’elles alimentent. En faisant cela, ces compagnies permettent aux pays d’affirmer leur puissance. La relation entre l'État Américain et la compagnie spatiale SpaceX, qui, bien que privée, rend de plus en plus de service aux USA via ses contrats avec la NASA, semble se rapprocher de celle d’une compagnie aérienne porte-étendard. À noter aussi que le tout premier contrat de la NASA a sauvé SpaceX de la faillite donc l'État Américain se place à ce moment comme protecteur de SpaceX, comme le font les États vis à vis de leurs compagnies aériennes porte drapeau. On peut donc à juste titre se demander si le secteur du spatial, qui a d’ores et déjà commencé à se privatiser, n’est pas également voué à suivre le même schéma que les compagnies aériennes, et ce, grâce aux très nombreuses innovations.

Une nouvelle dynamique globale[modifier | modifier le wikicode]

Le moteur à réaction par sa poussée accrue et sa consommation en carburant amoindrie va redessiner la carte du monde. Les biréacteurs actuels ont une allonge doublée, 15000 km soit presque un Paris-Sydney, une vitesse augmenté de moitié, mach 0,8, et une quantité de passagers multipliée par deux par rapport à la dernière génération d’avions à pistons. Ce nouveau rapport au monde va influencer les stratégies nationales de mobilité. Le pays européens densément peuplés et aux infrastructures de pointes dans les années 1970 font le choix du train alors que les états-uniens l’abandonneront au profit d’un avion à réaction de plus en plus endurant et aux routes facilement privatisables. Les infrastructures étant ponctuelles, et non continues sur les routes parcourues, elles requièrent moins d’entretien et ont un coût de construction plus faible qu’une LGV. A titre de comparaison, un kilomètre de LGV coûte 10 millions d’euro[66], tandis qu’un aéroport de l’envergure de Saint-Exupéry coûte 300 millions d’euros[67]. Certains pays se servent de l’aérien comme d’une opportunité pour désenclaver des territoires lésés par la mondialisation. Les pétromonarchies du Golfe, notamment les EAU avec Dubai (4ème par nombre de passagers) mais aussi Singapour (19ème) et Hong Kong (13ème) avant eux se sont emparées de cette nouvelle dynamique en aménageant des plateformes vers le monde. La géographie aidant, ils se veulent des points de passage pour le ravitaillement et le transfert de passagers ou de marchandises.

Les 777 d'Emirates sur son aéroport de nœud : Dubai

L’Espagne est un exemple d’une bulle de l’aérien en voulant doter chaque ville d’aéroports pour les rendre avenantes aux compagnies Low-cost. Mais la faible accessibilité de ces aéroports par un réseau de train peu développé les enclavera d’avantage. Ainsi la logique du tout avion rattrape la réalité et montre que seul un tandem rend le territoire exploitable. On retrouve une référence à ce phénomène dans le film de Pedro Almodovar : Les amants passagers. L’avion dérouté se voit refuser toutes les pistes d’atterrissages sauf celle du récemment fermé aéroport de La Mancha, subtil souvenir de la désillusion économique du pays. Par ailleurs, Up in the air, avec George Clooney nous montre aussi l’émergence d’une classe de voyageurs, ici internes mais l’équivalent est vrai à l’étranger, complètement déracinés vivant de vols en vols. L’émergence d’une Jet Set, classe favorisée passant sa vie entre les hôtels en centres urbains et les aéroports, est pointée du doigt avec l’accessibilité croissante de l’aviation civile. Le rapport au monde en est totalement bouleversé, toute limite géographique semble repoussée et ouverte par le trafic aérien[68].

Il faut cependant noter la fragilité de ce raisonnement car l’avion à réaction reste un appareil capricieux. Que ce soit par sa vitesse et sa distance d’atterrissage ou bien par sa maintenance, il peine à convaincre et ouvrir de nouveaux territoires hors des centres urbains policés. En altitude, de l’Amérique du Sud à l’Himalaya, ou en conditions de brousse en Afrique, il est difficilement praticable. D’une certaine manière il renforce le contraste entre les territoires, ceux aux infrastructures déjà faibles et aux gouvernements instables ne pourront pas s’ouvrir au reste du monde tandis que les plus développé renforcent les nœuds du réseau de transport. Les territoires escarpés semblent devenir plus inaccessibles alors que le reste du monde s’habitue à un transport plus confortable, haut de gamme et fiable.

Tout ces éléments contribuent au fait que l’aérien civil représente une économie comparable à celle de la France : 3,6 % du PIB mondial, soit 2,7 milliards de dollar de richesses[69]. Cependant, l’inégalité de la répartition est criante : l’Asie et le Moyen-Orient prennent 44 % du trafic mondial, ce qui suit leur proportion de la population mondiale tandis que l’Amérique du Nord et l’Europe prennent 48 % du trafic aérien laissant l’Afrique et l’Amérique du Sud lésées alors qu’ils représentent 20 % de la population mondiale[70]. On en déduit une corrélation avec la richesse des pays et leur indice de développement humain. Ces deux facteurs aidant à la stabilité et l'établissement de compétences de pointe. La technologie ne reste pas abordable pour tous et l’on peut intuiter que l’ouverture reste liée à une volonté étatique de se rendre plus accessible[71].

Le passage au double flux[modifier | modifier le wikicode]

Turboréacteur à double flux

Le grand Boeing 747 mènera l’industrie de l’aviation civile dans une nouvelle ère en proposant, à l’époque, une des premières et plus puissantes configuration en réacteur à double flux. Comme son nom l’indique, deux flux d’airs traversent le réacteur. On retrouve un flux central qui passe par un cœur où il y a combustion du carburant et éjection d’un gaz chaud, ce flux fournit 20 % de la poussé mais est récupéré pour mettre en rotation l’arbre de la soufflante avec un étage de turbine haute pression. Un flux frais contourne le réacteur dans des alcôves autour du cœur, il est accéléré par la soufflante et expulsé dans des tunnels le comprimant, fournissant 80 % de la poussée[72]. Ainsi, avec des quantités de combustible comparables, on brasse plus d’air et fournit nettement plus de poussée. Ces technologies apparaissent dès les années 1960 chez les militaires et quelques civils s’en emparent comme le Boeing 727 ou le Convair 880 puis 990. Pour faire simple, avec le 747 et ses réacteurs à double flux, Boeing double l’allonge de ses 707 pour emporter 2 à 3 fois de passagers[73][74]. Les réacteurs à double flux, n’expulsant pas directement leurs gaz de combustion qui passent d’abord par des étages de turbines, sont aussi plus silencieux que les générations précédente, argument de taille à l’époque de l'assourdissant Concorde. On peut considérer que c’est à partir de cette époque que le transport aérien se massifie. La concentration de passagers à bord de gros porteurs qui les répartissent dans le monde entier à moindre coûts devient possible. Le modèle de la plateforme vit son apogée. Cette génération de turboréacteurs finit d’effacer toute forme de transport en bateau autre que des croisières scéniques, laissant place au confortable et abordable avion de ligne.

La croissance du taux de dilution et le modèle point à point[modifier | modifier le wikicode]

Illustration de la règle ETOPS

Une fois le réacteur double flux introduit, une recette économique se dessine dans la recherche des industriels : augmenter le taux de dilution. C’est le rapport entre la masse d’air passant hors de la chambre de combustion et celle passant dans la chambre de combustion. On commence à parler de fort taux de dilution pour des rapports supérieurs à 1, c’est à dire quand la majorité des gaz ne passent pas par la chambre de combustion. Il apparaît dès les années 1970 une génération de réacteurs en 5:1 et aujourd’hui on tend vers 10:1. Si ce détail technique intéresse, c’est parce qu’il permet une augmentation graduelle de la poussée et de l’efficacité des réacteurs à double flux, ceci va alors ouvrir la porte à une génération de biréacteurs longue portée. L’inconvénient d’un gros porteur comme un 747 reste son coût d’entretien et sa capacité de remplissage. Or, avec l’ouverture du ciel dans le monde et la massification du transport aérien, de nouvelles routes moins pratiquées s’ouvrent, desservies par des plateformes sur des vols régionaux. Pendant ce temps, les petits porteurs émergeant avec l’Airbus A300 sont extrêmement efficaces et beaucoup plus faciles à remplir[75]. Ainsi, suivant la fiabilité accrue des turboréacteurs à double flux, les régulateurs vont émettre des certificats d’Extented Twin Range Operations Performance Standards pour permettre à ces petits avions la traversée de grands océans. Surnommés Engines turn or passengers swim dans le milieu, ces certificats attestent de la performance d’un moteur en poussée et de sa fiabilité[76]. Ils ne contraignent plus les biréacteurs à suivre des chemins restant sous 60 minutes d’un aéroport de secours. L’A300 européen sera le premier à se voir autorisé une règle de 90 minutes qui sera par la suite élevée pour le reste de l’industrie. Il sonnera la fin des triréacteurs DC-10 et Lockheed L-1011 qui consomment encore trop mais qui contournaient la réglementation. Avec cette allonge accrue on multiplie les routes directes depuis des destinations secondaires, plus rentables et moins compliquées en logistiques. Un nouveau modèle est né : le point à point. C’est d’ailleurs cette génération de turboréacteur qui verra naître les premières compagnies low-cost qui jouent aux seuils de rentabilité sur des routes point à point. Ryan Air ne compte dans sa flotte que des biréacteurs, en majorité des 737NG aux réacteurs à fort taux de dilution[77]. Cette dernière innovation vient encore une fois ouvrir des territoires parfois secondaires dans les cartes aériennes avec des aéroports comme Londres-Stansted à plus de 60 km du centre ville.

De nouveaux acteurs avec de nouvelles relations[modifier | modifier le wikicode]

L’industrie du moteur à réaction va mener à l’apparition de nouveaux acteurs entretenant des relations spécifiques entre eux. On peut distinguer les motoristes, les avionneurs, les compagnies mais surtout les États et leurs corps régulateurs qui agissent sur et régissent l’évolution du développement des réacteurs.

Une industrie pilotée[modifier | modifier le wikicode]

Si d’abord cette industrie naît d’un secteur militaire nourrit par la Guerre Froide, elle s’est emparée de la technologie pour suivre la voie de l’efficacité, poussée par une rationalité économique. Cependant, l’État reste proche de ses industriels pour protéger leurs technologies. La France, comme la Russie ou la Chine, suit un chemin purement étatique. La SNECMA, aujourd’hui Safran Aircraft Engines, sera issue de la nationalisation d’un motoriste privé en 1945. Ceci s’explique par la taille déjà limitée du marché interne français qui doit se reconstruire après la guerre. La domination des anglo-saxons doit être contrée par un acteur fort qui consolide tous les efforts dans une direction, sans conflit interne. L’approche étatique en U.R.S.S. puis Russie et Ukraine est quant à elle liée à des considérations idéologiques et accompagnée par un secteur militaire très dominant par rapport à un secteur civil quasiment inexistant. L’État concentre les compétences dans des bureaux d’études spécifiques, on peut par exemple identifier Ivtchenko-Progress pour les avions de transport lourd ou Soloviev pour les avions de ligne.

Moteur d'avion d'un Boeing 737

Par ailleurs, on peut noter une spécificité française en matière de propulsion qui est sa forte présence dans des coopérations internationales. Le bloc de l’Est, isolé et sous sanction, ne peut pas, même s'il a pu le souhaiter, coopérer en matière de propulsion à réaction civile, jugée trop sensible et facilement militarisable. Tandis que la France a su maintenir une posture économique et diplomatique ouverte sur le monde avec le plus grand réseau d’ambassades au monde. C’est donc par une diplomatie industrielle qu’elle désire rattraper son retard en faisant valoir ses compétences d’intégrateur de technologie, comme elle a pu s’illustrer sur le programme Concorde. Ainsi, outre les commandes militaires, Safran a un cycle de développement particulièrement lié à la diplomatie d'Etat. En effet, son premier réacteur civil sera issu du transfert de technologie de l’Olympus de Rolls-Royce pour le Concorde[78]. Programme issu lui même d’une volonté purement étatique, dont le turboréacteur permettra à Safran d’obtenir une compétence civile. Par la suite, la France se voyant refuser un export des réacteurs états-uniens GE F108, pour remotoriser des avions ravitailleurs, négociera une coentreprise directement avec l’administration Nixon. En échange de la compétence haute pression de General Electric, SNECMA apporte l’expérience sur les étages basse pression, acquise sur l’Olympus. L’échange n’est alors plus vu comme une perte de supériorité par les États-Unis. Elle donnera lieu à la plus fructueuse coopération en termes de motorisation civile grand marché avec CFM International et son CFM-56-3 qui équipe presque tous les avions Airbus et la majorité des B737[79].

Les anglo-saxons suivent un modèle avec plus de laissez-faire et de capitalisme national. Les entreprises locales remportent tout les contrats d’armement par des appels d’offre souvent partiels vis à vis des étrangers. Avec les développements militaires, les industriels adaptent ensuite une version civile plus efficace. Par exemple, Pratt & Whitney reprendra de la conception du J57, qui propulse le B-52 et F-100, pour fournir la première génération d’avions de ligne long courriers des États-Unis : le B707 et le DC-8. Pour illustrer le capitalisme national, on peut citer l’exemple du remplacement des ravitailleurs aux États-Unis. Northrop puis Lockheed reprennent un A330 sous licence, propulsé par Rolls-Royce, tandis que Boeing propose un B767 motorisé par Pratt & Whitney. Après plusieurs sélections et retours arrières, aucune solution n’est choisie, l’A330 est objectivement meilleur[80] mais le protectionnisme[81] empêche son adoption, en plus des chèques de Boeing au Congrès. Il faut cependant remarquer que derrière le simulacre d’un libre marché national, le gouvernement va toujours protéger ses intérêts, allant jusqu’à la nationalisation. Ce fut le cas pour Rolls-Royce en 1971 qui, déclarant banqueroute à cause d’un projet trop complexe avec Lockheed, se verra nationalisée, avant d’être de nouveau privatisée en 1987[82]. Le tout sous un gouvernement conservateur aux pensées économiques libérales, une forme de réalité matérielle vient détourner chacun de son idéologie abstraite.

Des technologies de seuil[modifier | modifier le wikicode]

Moteurs RD-180 au décollage d'une Atlas V

On peut remarquer un trou dans cette logique de capitalisme national en la motorisation russe des Atlas états-uniennes. En perte de vitesse sur le marché du lancement commercial avec une navette spatiale incommode, les États-Unis lancent le programme Atlas V. Au début des années 1990, en plein éclatement de l’U.R.S.S., General Dynamics s’empare des moteurs soviétiques, conçus à la base pour la fusée d'appoint de la navette Buran. Ils s’avèrent très performants face à une industrie spatiale états-unienne, errante de deux décennies de stagnation après Apollo. Malgré cela, le poids de l’État n’aurait pas empêché la conception locale de ces propulseurs. Le choix est motivé par la géopolitique, afin d'empêcher les moteurs de tomber dans la main de généraux nostalgiques de l’Union, ou d’un État pouvant s’en servir comme vecteur d’armes stratégiques. En sacrifiant une partie de leur souveraineté, ils s’assurent que les équipes maintenant russo-ukrainiennes restent occupées et ne partent pas vendre leurs compétences chez une puissance au seuil nucléaire, telle que le Pakistan ou l’Inde à l’époque et la Corée du nord ou l’Iran de nos jours. En outre, cette dépendance donne à la Russie, jusqu’à la rupture de l’accord en 2022 suite à la guerre en Ukraine, un élément de pouvoir sur le programme spatial états-unien[83].

Des réglementations politisées[modifier | modifier le wikicode]

En renfort d’administrations aux apparitions providentielles, les États se sont progressivement dotés de corps régulateurs pour élaborer des normes et guider leurs industriels par des papiers blancs. On verra qu’ils ont aussi un usage particulièrement politique et stratégique. Les exemples restent malgré cela lacunaires pendant la guerre froide, du fait de la polarisation des acteurs, les pays du tiers-monde achetant bien souvent du matériel de seconde main sans enjeux.

On peut évidemment noter les exemples cités plus haut lors du développement du programme Concorde avec les comités britanniques sur l’aviation supersonique, les interdictions de survol des États-Unis en réponse aux chocs supersoniques mais aussi en guise de protectionnisme. Par la suite, la jeune Environment Protection Agency lancera en 1963 le Clean Air Act, qui amènera aux premières réglementations sur les rejets des moteurs à réaction en matières de NOx, ozone et particules fines vers 1973. On remarquera par ailleurs que ce sont ici les États-Unis qui mènent la danse, le reste du monde occidental suit timidement leurs pas. Les régulateurs définissent aussi des pratiques métiers et émettent des certificats de navigabilité, menant à une certaine standardisation des usages mais aussi des conceptions. Les certificats états-uniens puis européens font l’autorité dans le monde. Ceci est tel qu'un retard de certification[84] du moteur franco-russe SaM 146 pour le SSJ 100 est en parti à blâmer pour ses déboires à l’export. A la suite de la guerre en Ukraine, malgré les performances correctes du réacteur, son certificat est révoqué comme sanction contre l’industrie russe[85]. Cette dernière s'en était d'ailleurs méfié pour d'autre projets indigènes comme le Be-200 parce qu'il contenait des composants moteurs provenant des pays de l'OTAN.

Autrement, le régulateur répond à des ambitions aussi géopolitiques. Avec la fin de l’U.R.S.S. et l’arrêt de plusieurs programmes soviétiques, on passe par une phase de domination occidentale qui leur sert à asseoir leurs intérêts. Ils raffermissent leurs lois de contrôle-export, les États-Unis ne renouvellent pas l’expérience du Coordinating Comittee for Multilateral Export Control, un embargo de facto sur le bloc de l’Est. Ils se dotent des régimes ITAR et EAR pour contrôler l’export respectivement les technologies militaires et des technologies aux usages dits « doubles ». Ceci inclus les technologies de moteurs à réaction civils. Un pays qui s’attirera les foudres du système est l’Iran : depuis la révolution de 1979, le pays est l’objet de multiples sanctions alors qu’il opère encore une flotte d’avions civils à dominante occidentale. Progressivement, il acquiert des Tupolev aux capacités plus limités et aux réacteurs plus consommateurs en combustible et en entretien. Après un désintérêt des occidentaux pour un Iran isolé vers 2001, le pays tente une acquisition d’Airbus plus récents pour renouveler sa flotte usée[86]. Les CFM, franco-états-uniens, motorisant les Airbus en question, pouvant être utilisés comme patrouilleurs maritimes, ravitailleurs ou transporteurs, seront le prétexte pour Washington d’activer les lois de contrôle-export. Il lui sera bloqué l’achat de matériel neuf et il se rabattra donc sur des avions de seconde main sans contrats de maintenance[87]. Avec les sanctions, il a dû cannibaliser une partie de sa flotte occidentale, c’est à dire retirer du service certains avions pour s’en servir de pièces de rechange. Après deux ans de vol, ils seront cloués au sol pour cause de défaut sur un composant General Electric dans les moteurs. Cet élément illustre la dépendance des pays clients sur une chaîne d’approvisionnement entièrement à la main des producteurs.

Logo de l'entreprise Pratt & Whitney

Le problème s’étend aussi chez les avionneur qui deviennent dépendants d’un motoriste parfois étranger pour leurs projets. On peut citer l’exemple du MC-21 russe d’Irkout, une tentative de renouveau dans l’offre nationale après l’échec du SSJ 100. Pour outrepasser les difficultés de l’industrie locale sur la propulsion, Irkout choisi des turboréacteurs Pratt & Whitney états-uniens certifiés et à fort taux de dilution. Ce choix s’explique par la nécessité de rattraper les Européens en matière d’efficacité, car en Russie le propulseur reste le facteur limitant dans l’allonge des avions. Cette dépendance coûtera cher à Irkout et au Kremlin qui y pompera 6,6 milliards de dollars[88] pour développer en parallèle des moteurs indigènes face à la monté des tensions avec les États-Unis, suite à l’annexion de la Crimée en 2014 puis de la guerre en Ukraine en 2022. Cette dernière fera d’ailleurs rompre le contrat de Pratt & Whitney avec l’avionneur russe. Cet exemple vient renforcer deux notions très importantes de la propulsion à réaction. Premièrement, la compétence est de plus en plus pointue et l’industrie a besoin d’une grande stabilité mais surtout de grands fonds pour maintenir des capacités en production et recherche. Que ce soit l’ONERA en France ou la NASA aux États-Unis, tout ces organismes créent l’aspiration pour les industriels. La désintégration de l’U.R.S.S. a ainsi mené une Russie déjà en retrait technologiquement dans une errance technologique. Secondement, la haute technicité de cette compétence suppose une barrière à l’entrée chaque année renforcée en coûts comme en temps. Ceci crée naturellement des pôles de compétence très localisés qui fournissent leur expertise à des clients globaux. Ils deviennent un élément central de la conception tout en se faisant de plus en plus rares, le grand retrait des industriels russes en est une preuve, tandis que les Chinois montent très lentement en compétence.

Conclusion[modifier | modifier le wikicode]

Le moteur à réaction apparait donc comme une technologie de rupture qui intéressera en premier le 3e Reich. C’est après la fin de la Seconde Guerre mondiale que les Etats vont s’arracher cette technologie. Chaque gouvernement a sa stratégie en fonction de l’état de son pays au sortir de ce conflit meurtrier. Les moteurs seront ensuite adaptés aux besoins et aux stratégies dans le domaine balistique (missile) et aéronautique.

Une fois cette adaptation faite, les gouvernements s’impliquent encore plus avec de gros investissements pour subventionner leurs projets d’avions supersonique. Ils vont aussi signer de nombreux chèques pour décrocher la Lune. Ces projets ambitieux aboutissent à des objets de fiertés nationale mais nécessitent une forte manipulation de l’opinion publique pour garder la confiance et l’approbation du peuple.

Le secteur civil s’empare aussi de cette technologie. De nouveaux acteurs vont apparaitre mais ils resteront pilotés par les États afin que leur utilisation du moteur à réaction fasse rayonner leur pays. Dans le civil, le moteur permet d’agrandir le soft power d’un Etat et de changer la dynamique de déplacement mondiale.

Le pilotage organisé par les gouvernements a cependant tendance à diminuer, permettant la mise en avant d’entreprises privées telles que SpaceX.

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