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Recherche:Pastech/242-2 Fission nucleaire

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À partir des années 1940, l’Homme parvient à maîtriser la fission nucléaire. Nous sommes alors en pleine Seconde Guerre mondiale. Des scientifiques de renommée mondiale travaillent depuis quelques dizaines d'années sur ce sujet, principalement pour le compte des États-Unis et de l'Allemagne nazie, les deux nations alors à la pointe de la recherche sur le nucléaire. Cependant, au vu du contexte de l’époque, les chercheurs voient leur travail canalisé vers l’effort de guerre, afin de développer l’arme atomique. La production d’énergie ne fait alors plus partie des priorités. Néanmoins, leurs ambitions initiales se concrétisent avec la fin de la guerre et les premiers réacteurs civils apparaissent au tout début des années 1950. Fort de son efficacité énergétique, le nucléaire rejoint rapidement le charbon et le pétrole afin de répondre aux besoins grandissants des pays occidentaux en énergie électrique. Aujourd’hui, il représente environ 10 % de la production d’électricité mondiale et un peu plus de 70% de l’électricité en France. Décrié par certains et adulé par d’autres, le nucléaire civil ou militaire est à l'origine de nombreux débats de société depuis son irruption dans l’Histoire. De part son lien très fort avec l’État et l’armée dans tous les pays dans lesquels il est implanté, le nucléaire suscite des craintes dépassant largement les cadres scientifique, technique et sanitaire, allant jusqu’à nous atteindre au plus profond de ce qui fait partie de notre humanité : notre éthique et plus récemment notre rapport à l’environnement. Néanmoins, le nucléaire civil a suscité et suscite encore des espoirs chez les scientifiques. Fer de lance du progrès lors des quatre décennies qui suivent la guerre, puis fléau de la technique dans les trente dernières, le nucléaire est questionné à l’heure actuelle. Faut-il continuer dans cette voie et construire de nouvelles centrales, ou bien les fermer définitivement ? Comment les démanteler alors ? Que faire des déchets qu’elles produisent ? Comment rendre ce secteur sûr et accepté par l’opinion ? A t-il un rôle à jouer dans la lutte contre le changement climatique ? Autant de questions qui doivent trouver une réponse commune de la société, car ce sujet nous concerne tous, quelle que soit notre opinion.

Ainsi, l’étude que nous vous présentons a pour but de retracer la trajectoire de la fission nucléaire, de sa genèse à nos jours. Dans la mesure de la complexité du sujet et par une approche pluridisciplinaire, nous tâcherons d’y exposer les causes induisant une telle trajectoire puis d’étudier ses conséquences, notamment à travers l’exemple du thorium et des réacteurs à sels fondus que nous confronterons à l’uranium et aux réacteurs à eau pressurisée. Le thorium est en effet de plus en plus discuté en temps qu’alternative à la filière nucléaire classique, car il permettrait de développer un nucléaire plus sûr et plus écologique. Nous essayerons également de déconstruire les idées reçues, exposées tant par les pro que par les anti-nucléaires, en basant en premier lieu notre propos sur des faits. Idées reçues ou non, nous tâcherons de comprendre en quoi le nucléaire est un sujet de science et de société clivant.

L'énergie nucléaire

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La radioactivité

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Il existe, au sein du noyau de l'atome, des forces électrostatiques de répulsion entre les protons et d'attraction entre les nucléons. La radioactivité est un phénomène physique complexe qui découle du déséquilibre entre les forces internes au noyau de l'atome. Ces déséquilibres conduisent à la transformation des atomes instables en d'autres atomes en émettant des particules de matière appelées rayons ionisants, ou rayonnements. La radioactivité peut découler de la fission nucléaire mais aussi de la fusion nucléaire, phénomène présent à l'état naturel, dans le soleil en particulier, qui n'est pas encore à maîtrisé. Le sujet est ici uniquement concentré sur la fission nucléaire.

Les atomes et noyaux radioactifs
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Il existe dans l'univers environ 300 atomes naturels et 1000 atomes artificiels, issus de réactions nucléaires. L'atome, constituant élémentaire de la matière, est généralement défini par son numéro atomique Z qui représente le nombre de protons présents au sein du noyau.

Le même noyau peut être présent sous différents états énergétiques plus ou moins stables en fonction de leur niveau d'énergie. Un état stable est lorsqu'un atome possède une certaine composition relative de protons et de neutrons. Un atome radioactif est le résultat d'un noyau instable qui va rechercher l'état de stabilité le plus proche. Pour retrouver cet état de stabilité, le noyau va libérer un surplus d'énergie par une suite de désintégrations radioactives en chaîne : la réaction nucléaire. Les produits de désintégration peuvent prendre plusieurs formes : des particules β, correspondant à des électrons ou positrons, ou α, correspondant à un noyau d'hélium, des photons γ, des noyaux dit noyaux fils ou encore des neutrinos et antineutrinos. Ces produits de désintégration dépendent de la cause de l'instabilité du noyau.

Lorsqu'une émission de particules α ou β laisse le noyau formé dans un état "excité", d’énergie élevée, ce noyau revient à son état "fondamental" dans lequel son énergie est la plus faible. Cet état fondamental n'est pourtant pas forcément stable, l'atome libère alors de l’énergie sous forme de photons. C'est cette émission très énergétique qui est appelée rayonnement γ ou encore radioactivité γ.

C'est sur ce dernier principe que s'appuie la fission nucléaire qui concerne les atomes ayant des noyaux assez lourds, c'est à dire avec un numéro atomique Z grand. L'atome trop instable va se scinder en deux en libérant des neutrons ainsi qu'une grande quantité d'énergie, environ 200 Mev, sous forme de rayonnement. L'émission de neutrons peut entraîner une réaction en chaîne, phénomène mis en œuvre dans les réacteurs nucléaires ou dans les bombes atomiques.

La radioactivité naturelle
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Contexte naturel de l'exposition européenne aux radiations.

En pratique, la majorité des atomes présents sur Terre ont des noyaux instables. Cette instabilité d'une majorité des noyaux présents jusque dans l’univers est un phénomène naturel qui découle des lois de la physique. Celles-ci favorisent les structures présentant un minimum d’énergie aux structures stables. La radioactivité naturelle est le vestige de la création de la Terre il y a 4,5 milliards d'années. Aujourd'hui, elle est indispensable à la vie sur Terre, même si ce n'est pas un phénomène physique propre à notre planète. Elle se trouve dans la majorité des objets célestes comme le soleil, lui permettant de maintenir sa surface à une température d'environ 6000°C. Elle est à l'origine de son rayonnement solaire composé majoritairement de rayonnements visibles ultraviolets et infrarouges, eux aussi indispensables à la vie terrestre. En outre, elle est la principale source de chaleur du centre de la Terre, elle permet donc de maintenir le noyau à quelques 5500°C en son centre, et le magma à l'état liquide. La radioactivité est donc à la source des mouvements tectoniques et de l'activité volcanique. De plus, en liquéfiant la couche externe du noyau central, elle permet les mouvements du magma à la base du magnétisme terrestre. Ce bouclier magnétique est essentiel car il protège des rayons cosmiques hautement énergétiques, majoritairement en provenance du soleil.

Une partie des rayonnements dus à la radioactivité au centre de la Terre remonte à sa surface. Ce type de rayonnements se nomme rayonnements telluriques et font partie d'une des sources d'exposition à la radioactivité naturelle sur Terre. Ils sont principalement dus à l'uranium 233, au thorium 232, au potassium 40 et seulement en faible proportion à l'uranium 235 pourtant utilisé dans nos centrales. Bien que dans l'imaginaire collectif la radioactivité soit principalement due à l'activité nucléaire humaine via les centrales, en France métropolitaine, les rayonnements ionisants d’origine naturelle représentent les deux tiers de l’exposition annuelle de la population. La source la plus importante provient de l'exposition au gaz radon, un gaz radioactif qui se trouve dans le sol, provenant de la désintégration de l’uranium et du thorium présents dans la croûte terrestre. Certaines zones y sont donc plus exposées, en particulier celles à forte activité volcanique. De plus, bien qu'insoupçonnés, les denrées alimentaires et le tabac nous exposent également à la radioactivité naturelle : les aliments contenant du potassium par exemple. Le potassium est un élément radioactif et ce n'est pas le seul à se retrouver dans nos assiettes. Cependant, la teneur n'est pas assez importante pour représenter un danger pour notre santé.

Sources de la radioactivité en France métropolitaine.

Enfin, les rayonnements cosmiques nous confrontent aussi à la radioactivité. La Terre reçoit en continu des particules comme les protons, les particules α, les électrons et les ions lourds, sous forme de rayonnements radioactifs en provenance de l'espace, et en particulier du soleil. L’exposition à ces rayonnements est plus importante en altitude, elle double environ à 1 500 m au-dessus du niveau de la mer. Il serait même dangereux de prendre l'avion, même si les vols ne sont pas assez longs pour que cela ait un impact sur la santé. Un trajet d’une dizaine d’heures représente une augmentation d'environ 19% de l'exposition annuelle due aux rayonnements cosmiques.

Le terme radioactivité fait souvent peur, et pour cause : à haute dose, la radioactivité est cancérigène voire mortelle. Pourtant, la radioactivité naturelle est présente dans chaque recoin de la surface du globe et chacun vit sans en connaître l'impact sur notre santé. Certaines régions du monde sont particulièrement touchées comme la ville de Ramsar en Iran, sa forte radioactivité provient pour beaucoup du radium dissout dans les eaux thermales de la ville. L'exposition moyenne d'un habitant de Ramsar est environ cent fois supérieure à l'exposition moyenne d'un Français, elle est beaucoup plus élevée que ce que permet n’importe quelle norme d’exposition de la population civile. Une étude sur le taux de cancer des habitants a conclu qu'il n'était pas plus élevé qu'ailleurs, la question d'une potentielle adaptation du corps humain se pose depuis cette étude[1].

La fission nucléaire

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Les éléments chimiques
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Les éléments chimiques utilisés dans la fission nucléaire sont des éléments fissiles, c'est à dire capable de se scinder en deux atomes plus petits. Dans le cadre de la fission induite, trois éléments sont à prendre en compte : l'uranium, le thorium et le plutonium. Ces derniers ont des périodes radioactives, ou demi-vies, très longues, de 80 millions d'années pour le plutonium à 14 milliards d'années pour le thorium en passant par 4 milliards pour l'uranium.

Informations relatives à l'uranium.

L'uranium est découvert en 1789 par le chimiste Martin Heinrich Klaproth et est aujourd'hui utilisé en tant que combustible pour le parc nucléaire français. L'uranium fait partie de la famille des actinides et est présent naturellement dans la croûte terrestre. Pour la fission nucléaire, seul l'isotope d'uranium 235 est utilisé. Les ressources en uranium ne sont cependant pas réparties de manière homogène sur le globe, le Kazakhstan (39%), le Canada (22%), l'Australie (9%), le Niger (7%) et la Russie (5%) se partagent la majorité de cette ressource.

La production d'uranium 235 se décompose en plusieurs étapes : l'extraction (ou la coextraction) du minerai, le traitement (concassage, broyage, dissolution) pour obtenir le "yellowcake", puis le raffinage et l'enrichissement permettant d’obtenir une concentration en uranium 235 de l'ordre de 3 à 5%. Pour être utilisé dans le réacteur nucléaire, la préparation est comprimée sous forme de pastilles ensuite cuites à des températures élevées. Elles sont alors introduites dans de longs tubes en alliage de zirconium, eux-mêmes regroupés dans une grappe cylindrique.

La fission de l'uranium 235 libère une énergie proche de 202,8 MeV par atome, cependant, cette énergie ne peut être récupérée dans son intégralité au vu de la perte d'énergie de l'ordre de 5% communiquée aux neutrinos produits lors de la fission. L'énergie à disposition est immense compare à celle des combustibles fossiles à masse équivalente. Par exemple, la production d'énergie par la fission d'un kilogramme d'uranium 235 est environ 16000 fois plus importante que celle d'un kilogramme de charbon.

Informations relatives au thorium.

Le thorium est découvert en 1829 par le chimiste suédois Jons Jacob Berzelius. Ses propriétés radioactives sont quant à elles découvertes en 1898 par Marie Curie et Carl Schmidt. Le thorium fait partie de la famille des actinides et est présent en petite quantité dans la plupart des roches et des sols. Il est environ quatre fois plus abondant que l'uranium et assez bien réparti sur le globe. En France, les plus grands gisements se trouvent en Bretagne. Il y en a également beaucoup en Australie, en Inde ou encore en Turquie.

L’intégralité des isotopes du thorium sont radioactifs et sous forme naturelle, le thorium est constitué de thorium 232 en immense majorité. Il est faiblement radioactif et dispose d'une durée de demi-vie très longue de 14 milliards d'années. C'est cet isotope qui est utilisé pour les centrales nucléaires dites "au thorium". Le thorium 232, utilisé dans l'industrie nucléaire, mute en uranium 233 lorsqu'il est percuté par un neutron.

La production de thorium se fait principalement par extraction de la monazite en plusieurs étapes : dissolution du sable de monazite dans un acide (H2SO4), extraction du thorium dans la phase organique et séparation à l'aide d'ions comme les nitrates, les chlorures, les hydroxydes ou les carbonates. Il est alors précipité puis converti en nitrate de thorium. Une fois purifié, le nitrate de thorium peut être thermolysé pour obtenir le dioxyde de thorium. Le thorium peut ensuite être récupéré en chauffant un mélange de fluorure de thorium, obtenu lors de la réduction du dioxyde de thorium, avec du calcium et un halogénure de zinc. Le thorium est alors fondu et moulé en lingots.

Informations relatives au plutonium.

Le plutonium est découvert en 1940 à l'université de Californie par une équipe dirigée par Glenn T. Le plutonium, comme l'uranium et le thorium, fait partie de la famille des actinides. Les stocks connus sont essentiellement partagés entre la Russie (35,6 %), le Royaume-Uni (21,4%), les États-Unis (17,7%), la France (13,2%) et le Japon (9,4%).

Le plutonium est produit lors de la fission de l'uranium 235 sous forme de plutonium 239 utilisée pour la bombe A. Le plutonium présente une vingtaine d'isotopes et le plutonium 239 est, avec l'uranium 233 et l'uranium 235, l'un des trois principaux isotopes fissiles utilisés par l'industrie du nucléaire, particulièrement à des fins militaires.

Il est utilisé dans le militaire avec les armes nucléaires, le civil avec le combustible MOX et le spatial avec les sources thermiques. La production mondiale est toujours croissante à cause de ses applications militaires importantes qui poussent certaines puissances mondiales à utiliser la fission nucléaire de l’uranium pour produire du plutonium 239.

Les réacteurs nucléaires
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Présentation des trois cycles de production d'éléments fissiles.

Trois éléments majeurs composent un réacteur : le combustible, le fluide caloporteur et le modérateur. Du fait de la diversité des éléments et du nombre de combinaisons associé, il en résulte un millier de réacteurs nucléaires à faire valoir, beaucoup n'ayant jamais vu le jour.

Un réacteur peut fonctionner selon les trois cycles suivants :

- la fission directe de l'235U.

- le cycle 238U/239Pu. Le 239Pu est fissile et est créé selon les réactions : ,

- le cycle 232Th/233U. L'233U est un isotope fissile : .

Naturellement, l'uranium est composé à 99.3% d'238U et 0.7% d'235U. Il est de ce fait évident que les recherches sur la fission nucléaire ont débuté sur le cycle 238U/239Pu. D'ailleurs, une grande partie des réacteurs actuels produisent de l'électricité par la fission du plutonium[2]

La fission des atomes obtenus produit une quantité d'énergie de l'ordre de 200 MeV, et également des produits de fission responsables de la forte radioactivité du combustible en sortie de réacteur et des transuraniens. Pour produire 1 tep d'énergie thermique par fission, il suffit d'environ 0.5 g d'éléments fissiles purs.

Réacteurs à eau pressurisée
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Dessin simplifié d'un réacteur à eau pressurisée.

Le réacteur à eau pressurisée (REP ou PWR : Pressurized Water Reactor) est le réacteur le plus répandu dans le monde. L'oxyde d'uranium faiblement enrichi, composé de 3 à 5% d'235U, y est introduit sous forme de pastilles maintenues par des gaines. Le REP utilise l'eau légère comme modérateur et fluide caloporteur. Dans le cœur, la température atteint les 310°C. A pression atmosphérique, l'eau bout à cette température. C'est pourquoi l'eau est pressurisée sous 155 bars dans le circuit primaire, la pression la maintient à l'état liquide. Ces conditions extrêmes sont délicates à maîtriser : tout dysfonctionnement peut avoir des conséquences irréversibles. Elles ont d'ailleurs participé à l'accident de la centrale de Fukushima.

Dans le cœur du réacteur, plusieurs réactions sont envisagées. Tout d'abord, il y a la fission de l'235U. Par la réaction en chaîne, les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions d'235U et des transformations d'238U en 239Pu. Par ailleurs, les fissions des atomes produisent de nombreux produits de fission.

Exemples de réactions de la fission de l'235U :

,

,

Les produits de ces réactions (Baryum, Krypton, Strontium et Xenon) ont une durée de demi-vie très courte, mais qui peut être bien plus importante, de quelques dizaines d'années pour le 137Ce à quelques millions d'années pour le 135Ce.

Enfin, le rendement de conversion de la chaleur atteint entre 33 et 35% selon les modèles.

Réacteurs à sels fondus
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Schéma fonctionnel du réacteur à sels fondus : système de recyclage (vert), sécurité du réacteur grâce aux trop pleins et à la vidange (rouge), circuit des gaz (bleu).

Dans les réacteurs à sels fondus, le combustible et le liquide de refroidissement ne font qu'un. A pression atmosphérique, le combustible se trouve en phase liquide entre 600 et 900°C sous forme de sels, ce qui lui confère une grande stabilité. Le réacteur à sels fondus apporte de nombreux avantages à la production d'énergie nucléaire.

Tout d'abord, le système est intrinsèquement sûr. Le réacteur fonctionne à pression atmosphérique ce qui évite tout risque d'explosion comme à Fukushima en 2011. La propriété liquide à haute température du combustible prévient les fuites, la contamination du milieu et la surchauffe du réacteur. Si une fuite de sels fondus survient dans la tuyauterie, ces derniers se solidifient au contact de la température extérieure, réparent ainsi la fuite et emprisonnent les éléments radioactifs. Le réacteur à sels fondus prévient ainsi tout risque de contamination du milieu comme ce fut le cas à Tchernobyl en 1986. Enfin, la conception du réacteur fait intervenir les propriétés des sels dans la prévention de l’emballement du réacteur. Si le combustible s'échauffe trop, les sels se dilatent sous l'effet de la chaleur et débordent alors jusqu'à un réservoir "trop plein", la quantité de combustible diminue dans le cœur du réacteur ce qui diminue la réaction en chaîne et par suite, la température. Il existe également un bouchon gelé situé à la base du réacteur, composé de sels solides maintenus à faible température par une soufflerie d'air frais. En cas de panne électrique dans la centrale, la soufflerie ne fonctionne plus, le bouchon fond et l'intégralité des sels s'écoule jusqu'à un réservoir "vidange" dont la géométrie est telle que la réaction en chaîne est alors impossible.

Par ailleurs, le réacteur à sels fondus permet un retraitement des déchets continu parallèlement à son fonctionnement. Certains produits de fission étant à l'état gazeux, comme le xénon, un simple filtrage des gaz dans un circuit dédié permet d'entretenir et de purifier les sels. Par ailleurs, d'autres produits de fission à l'état liquide peuvent être filtrés dans un circuit dédié par une série de procédés d'extraction, comme la pyrochimie[3].

En cycle de combustion au thorium, la réaction en chaîne produit une faible quantité de plutonium et d'actinides mineurs. La gestion des produits de fission est, de ce fait, plus simple que pour un REP.

Le réacteur à sels fondus, comme d'autres réacteurs, peut utiliser des neutrons thermiques, ralentis, et rapides. Les réacteurs à neutrons thermiques reposent sur le ralentissement des neutrons pour augmenter les chances de rencontre entre les noyaux fissiles et les neutrons. Les réacteurs à neutrons rapides n'utilisent pas de modérateur pour ralentir les électrons, ils ont moins de probabilité de rencontrer les noyaux fissiles, mais l'avantage est qu'ils peuvent entrer en collision avec tous les noyaux, pas seulement fissiles, ce qui entretient plus facilement la réaction en chaîne. Ces derniers peuvent être des surgénérateurs. L'intérêt de ce type de réacteur est de baisser le coût en permettant de recycler des combustibles comme le plutonium en mélange d'oxydes (MOx) et donc mieux traiter les déchets radioactifs. Plusieurs réacteurs de ce genre ont vu le jour en France comme Superphénix, Phénix et Rapsodie. Tous ont arrêté prématurément leur activité.

La trajectoire du nucléaire, de la genèse à nos jours

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1896-1939 : le temps des découvertes

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En 1896, Henri Becquerel découvre la radioactivité naturelle de l'uranium. Par la suite, Marie Curie et son époux, Pierre Curie, étudient la radioactivité d'autres éléments, comme le thorium, et découvrent des éléments radioactifs comme le radium et le polonium. En 1908, Ernest Rutherford découvre que les rayonnements radioactifs observés par ses prédécesseurs s'accompagnent d'une désintégration des atomes alors même que l'atome est considéré insécable à l'époque. Cette découverte lui vaut le Prix Nobel de chimie. C'est presque 40 ans plus tard, au début de l'année 1939, que les chimistes Otto Hahn et Fritz Strassmann découvrent la fission nucléaire. Il reçoivent le Prix Nobel de chimie en 1944. Fort des réussites des chimistes allemands, le physicien et chimiste Frédéric Joliot-Curie, époux de la fille de Pierre et Marie Curie, démontre en février 1939, aux côtés de Hans von Halban et Lew Kowarski, la possibilité de la réaction en chaîne.

1939-1968 : le développement militaire

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Suite aux nombreuses découvertes scientifiques, l'armée remarque rapidement le potentiel destructeur qui découle de l'énorme énergie dégagée par les réactions nucléaires. Elle est encore au début des recherches et toutes les pistes sont explorées, de la bombe atomique jusqu'à l'avion et le sous marin à propulsion nucléaire. Ces recherches amènent rapidement à une prédominance du nucléaire, comme aujourd'hui, pour favoriser la création de plutonium.

1945 : La bombe nucléaire : un pas vers l'uranium
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Le premier fruit des recherches autour du nucléaire militaire est la bombe nucléaire, ou bombe atomique. Son principe repose sur une réaction nucléaire en chaîne, mais dans le cas de la bombe atomique, celle ci n'est pas contrôlée. Le premier pays à effectuer des recherches sur la radioactivité et la fission de l'uranium est l'Allemagne dès 1939. Le chancelier Adolf Hitler entame sa sixième année au pouvoir et prépare la société allemande à une guerre imminente. Plusieurs scientifiques allemands, dont Albert Einstein et Léo Szilard, s'inquiètent de l'application des recherches sur la fission nucléaire dans le contexte du Troisième Reich. Ils avertissent alors le président des États-Unis Franklin Roosevelt dans la Lettre à Roosevelt le 2 août 1939 déclarant l'Allemagne nazie prête à créer une bombe nucléaire extrêmement puissante. Le premier septembre, la Seconde Guerre mondiale éclate. Le gouvernement américain investit dans la recherche sur la fission nucléaire tout en profitant de l'afflux sur son territoire de chercheurs européens fuyant la guerre. En 1940, les chercheurs découvrent et produisent le plutonium. En 1942, ils réussissent à maîtriser une fission nucléaire en chaîne d'uranium. Le gouvernement décide alors d'investir massivement dans la recherche et le projet Manhattan Military Engineering District est développé en avril 1943.

La bombe atomique reste la seule arme nucléaire de destruction massive utilisée lors d'un conflit. Le 6 et 9 août 1945, l'armée américaine bombarde respectivement les villes d'Hiroshima et de Nagasaki au Japon, marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale avec la capitulation du Japon et le début de la course à l'armement nucléaire. Pour ne parler que d'Hiroshima, sur les 90 000 bâtiments de la ville, 62 000 ont été totalement détruits et l'explosion a causé la mort de 125 000 personnes. Le bilan humain s'élève finalement à environ 250 000 victimes et aucune trace des habitants situés à moins de 500 mètres du lieu de l'explosion n'est retrouvée. Trois jours après, ce bilan double avec le bombardement de la ville de Nagasaki. Le Japon garde encore des séquelles lourdes de cette page traumatisante de son histoire, ce thème se retrouve d'ailleurs souvent dans les œuvres d'art japonaises, comme l'animé Nausicaä de la vallée du vent du réalisateur et dessinateur Hayao Miyazaki. Cette œuvre de science fiction se déroule dans le futur, après la destruction de la Terre et la presque totale extinction de l'espèce humaine. Parallèlement à l'histoire de l’héroïne Nausicaä, Hayao Miyazaki raconte la légende des 7 guerriers géants créés par l'homme avide de pouvoir qui ont détruit la Terre en 7 jours. Ils représentent le chaos et le pouvoir destructeur de l'arme nucléaire ainsi que la peur qui subsiste dans ce pays. Le compositeur polonais Krzysztof Penderecki rend également hommage aux victimes d'Hiroshima avec son morceau Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima. Cette composition, d'une durée de 8 minutes et 37 secondes tout comme l'explosion, recrée le climat et les sensations du bombardement à l'aide d'un orchestre à cordes. Cependant, si pour le Japon les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki marquent le début d'une politique pacifiste, pour le reste du monde, ceci est le début de la guerre froide et d'une politique militaire basée sur la dissuasion nucléaire.

Le monde entre alors dans une course à l'armement nucléaire, à l'image de l'État français. Le général De Gaulle, au pouvoir dans l'après guerre, crée dès 1945 le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) pour effectuer des recherches sur l'énergie nucléaire, et nomme à sa tête Frédéric Joliot-Curie. Selon l'ordonnance du 18 octobre 1945, le rôle de cet organisme est de poursuivre "les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale. Il étudie les mesures propres à assurer la protection des personnes et des biens contre les effets destructifs de l’énergie atomique." En découle la création d'une force de dissuasion nucléaire française, aussi nommée force de frappe, en 1954. Après un premier essai nucléaire le 13 février 1960, la France compte parmi les quatre premiers pays à posséder l'arme nucléaire, après les États-Unis, l'Union soviétique et le Royaume-Uni. Dans un contexte de guerre froide où les stratégies de dissuasion nucléaire sont d'une importance capitale, la France se positionne alors comme indépendante des États-Unis. Le nombre grandissant de pays en possession de cette arme fait naître la menace d'une guerre mondiale nucléaire et pousse les pays à se préparer en construisant des ogives. Il y en a 500 sur le sol français à cette époque. Cette période marque ainsi l'apparition d'un standard dans la construction des centrales nucléaires : l'ogive nucléaire qui nécessite l'utilisation du plutonium créé à partir de la fission de l'uranium 235. Le thorium est ainsi rapidement mis de côté dans les recherches sur la fission nucléaire au profit de l'uranium 235.

L'explosion "Baker" suite à l'opération Crossroads, un essai nucléaire de l'armée américaine sur l’atoll de Bikini, Micronesia, le 25 juillet 1946.

Rapidement, les États prennent conscience de l'enjeu et des conséquences d'une guerre nucléaire et cherchent ainsi à ralentir la propagation de la bombe atomique. Dès 1968, le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) voit le jour et met fin au développement militaire précipité de l'après guerre. Il est signé par le monde entier, exceptés le Soudan du Sud, l'Inde, le Pakistan et l'Israël. Depuis, la Corée du Nord s'est retirée, et même si elle n'est pas considérée comme en possession de l'arme nucléaire, elle a fait quatre essais ces dernières années. A l'heure actuelle, les essais sont interdits pour les pays ayant signé le TNP, mais les conséquences écologiques et sanitaires des essais effectués ne se sont pas résorbés pour autant, car même si les lieux des explosions sont toujours des zones isolées, il n'empêche qu'il y a toujours un écosystème, et certaines fois des populations locales sur place. Dans le cas de la France, ce sont l'Algérie et la Polynésie française qui sont prises pour cible. Comme la guerre d'Algérie éclate rapidement, la Polynésie française, et en particulier les atolls de Moruroa et de Fangataufa, devient la zone d'essais nucléaires de prédilection de la France avec 193 essais entre 1966 et 1996, dont plus de 40 dans l'atmosphère. Chacune des explosions produit des nuages radioactifs dispersés dans l’archipel par le vent, exposant l’environnement aux radionucléides impactant directement les populations, la faune et la flore à des taux de radioactivité anormaux. Par la suite, le taux de cancer augmente de 500% dans l'archipel. L'écosystème si riche est aussi largement touché, à commencer par l'eau et la végétation caractéristiques des îles, remplacées par des chapes de béton contenant les déchets radioactifs. De plus, le sol est fragilisé par les explosions souterraines et l'île de Moruroa menace de s'affaisser et de disparaître sous la mer, libérant les déchets radioactifs contenus dans ses roches. En 2010 seulement, la loi Morin est proposée pour reconnaître les dommages causés aux populations locales et à l'environnement et prévoit d’indemniser les victimes des essais nucléaires, mais elle peine à être effective, et sur plus de 2000 demandes de réparation seulement, un peu plus d'une centaine sont reconnues[4]. En 2017, 21 ans après le dernier essai nucléaire de la France, une autre proposition de loi adoptée par le Sénat voit le jour afin de réparer plus efficacement les préjudices causés en Polynésie Française[5]. Une plainte est finalement déposée devant la cour pénale internationale contre la France pour crime contre l'humanité le 2 octobre 2018, mais rien n'est encore statufié.

1951 : Le premier sous marin à propulsion nucléaire : les débuts des réacteurs à eau pressurisée
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The USS Nautilus lors d'un trajet maritime.

L'idée d'un sous marin à propulsion nucléaire hérite du projet Manhattan prenant fin en 1946. L’intérêt principal d'un tel sous marin est de pouvoir rester immergé pendant de longues périodes pouvant atteindre jusqu'à six mois. Ceci est fait pour limiter l'impact d'une immersion prolongée sur l'équipage et le manque de nourriture qui limite cette période. L'USS Nautilus, fruit de la collaboration entre la Naval Research Laboratory et le laboratoire National d'Oak Ridge (ORNL), est le premier sous marin nucléaire à voir le jour en 1955. Le projet est dirigé de bout en bout par le capitaine Hyman Rickover, également membre de la Commission de l'énergie atomique des États-Unis (AEC).[6] Les conditions de fonctionnement du réacteur à eau pressurisée, sous l'eau et dans un sous marin blindé, orientent les recherches scientifiques vers le ce type de réacteur car, compact, il se prête tout à fait à la propulsion navale, l'eau étant une ressource infinie dans un sous marin et le blindage nécessaire au réacteur ne posant pas de problème dans l'eau. C'est ainsi que quatre ans après son commandement par le président Truman, l'USS Nautilus entre au service de l'armée américaine et ce, jusqu'en 1980.

En tant que membre de l'AEC, Hyman Rickover jette un pont entre les nucléaires civil et militaire. Le concept du réacteur du USS Nautilus est directement exploité pour des applications civiles. Le capitaine Rickover dirige ainsi la construction du nouveau réacteur nucléaire de Shippingport, premier réacteur à eau pressurisé à produire de l'électricité.

Malheureusement, les sous marins ont aussi été la cause de catastrophes écologiques et humaines. Actuellement, neuf sous marins nucléaires connus ont sombré avec leur équipage, dont deux appartenant aux États-Unis et sept à l'Union soviétique ou à la Russie. Le plus souvent, les causes sont accidentelles : accident nucléaire, infiltration d'eau, incendie, ou dysfonctionnement des torpilles à l'image du Krousk qui sombre le 12 août 2000 avec 118 hommes d'équipage. Une torpille d'exercice, en cours de lancement, aurait explosé accidentellement à bord. Bien sûr, ces accidents sont généralement classés secret défense et il est difficile d'en savoir les causes. Toujours est il que les épaves restent souvent au fond de la mer sans pouvoir en remonter les corps et l'importante quantité de déchets radioactifs qui en émanent, ce qui implique une irradiation des fonds marins.

Aujourd'hui, seulement cinq pays sont en possession de sous marins à propulsion nucléaire : les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Unis et la France. Avec 73 navires, l'armée américaine est la flotte nucléaire la plus importante du monde.

1946 : The Aircraft Nuclear Propulsion : le développement du réacteur à sels fondus et l'abandon du thorium
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L'utilisation de réacteurs nucléaires dans les appareils militaires incite en 1946 la United States Army Air Force à collaborer avec le laboratoire National d'Oak Ridge dans le cadre du programme Aircraft Nuclear Propulsion étant donnée l'efficacité d'un avion nucléaire pour larguer des bombes nucléaires. Le concept prend forme en 1951 avec la construction du Aircraft Reactor Experiment, suivi du Heat Transfer Reactor Experiment en 1955. Les nouvelles contraintes imposées par l'avion à propulsion nucléaire poussent le ORNL à chercher de nouveaux types de réacteurs car pour produire l'énergie nécessaire à la propulsion de l'avion, la température dans un réacteur à eau pressurisée doit être très élevée, si bien que les gaines des pastilles de combustibles fondraient et libéreraient les éléments radioactifs hors du réacteur. De plus, le risque de crash entraînerait une explosion du réacteur. Le laboratoire réfute donc le réacteur à eau pressurisée.

Les chercheurs d'Oak Ridge se tournent alors vers un nouveau type de réacteur, le réacteur à sels fondus. Ses avantages sont multiples car il supprime tout risque de surchauffe du réacteur et d'explosion, la sécurité du réacteur est donc intrinsèque.

Vue de haut du Molten Salt Reactor Experiment.

Malgré des résultats probants, le développement parallèle des missiles balistiques intercontinentaux et l'absence de production de plutonium menacent l'aboutissement du projet. Le programme entier est finalement abandonné en 1961 par le président John F. Kennedy, dénonçant le coût et le manque de débouchés immédiats.

Du fait de la réussite du réacteur à sels fondus, le laboratoire poursuit dans cette voie pendant 25 ans. En 1960, le laboratoire reçoit l'autorisation de l'AEC pour concevoir, construire et opérer un réacteur à sels fondus[7]. En 1964, le physicien Alvin Weinberg conçoit et construit, avec son équipe de l'ORNL, un nouveau réacteur à sels fondus sûr et répondant aux contraintes militaires, le Molten Salt Reactor Experiment, fonctionnant à partir de différents mélanges de combustibles : uranium enrichi à 30% en 235U pendant 3 ans, 233U pur pendant un an, mélange de 239Pu et 233U jusqu'en 1969[2].

Le Molten Salt Breeder Reactor, élaboré en 1969 et fonctionnant sur un cycle 232Th/233U, lui succède. Ce projet est de la même façon avorté en 1976, le réacteur à sels fondus en cycle thorium est alors abandonné.

1969-1979 : Tournant industriel et nucléaire civil

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Production d'électricité
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C'est en décembre 1942 qu'Enrico Fermi réalise les premières réactions de fission en chaîne, faisant ainsi fonctionner le premier réacteur nucléaire. La puissance dégagée est de l’ordre du watt. Deux ans plus tard, en septembre 1944, Eugen Wigner réalise et fait fonctionner plusieurs réacteurs de puissance de l’ordre de 100 mégawatts. C'est en 1957, près de Pittsburgh, que le premier réacteur civil à uranium enrichi, modéré et refroidi par de l’eau ordinaire (Pressurized Water Reactor : PWR), produit industriellement de l’électricité pour le réseau[8].

Dans les années 1960, le programme nucléaire français, initialement militaire, s'étend à l'application civile avec la production d'électricité fournie à la population afin d'accroître l'indépendance énergétique du pays. Cette énergie connait un engouement car elle est considérée propre. En effet, contrairement au pétrole ou au charbon, le nucléaire ne produit pas de gaz à effet de serre durant son utilisation et son rendement est bien plus élevé. De plus, l'amélioration des conditions de vie des ménages et l'arrivée massive des appareils électroménagers se traduisent par un accroissement des besoins en électricité[9].

Consommations journalières en France en février 2012 et en août 2012).

Au milieu des années 1970, la consommation électrique française est de 175 milliards de kWh. C'est à cette période que des dirigeants d'EDF annoncent que la consommation d'électricité doublera tous les dix ans. Pour répondre à cette demande, il faut construire six tranches par an pour atteindre 58 réacteurs, ce qui est réalisé. Cependant, cette estimation est trop optimiste. En 2016, la consommation d'électricité française était d'à peine 480 milliards de kWh, soit deux fois moins que prévu, et ne cesse de stagner, voire même de baisser, depuis plusieurs années.

Pourcentage de l'électricité d'origine nucléaire dans le monde en 2010.

Les dirigeants d'EDF, producteur et fournisseur d'électricité, ne savent alors plus quoi faire de toute cette énergie produite par les réacteurs, même l'exportation ne suffit pas à couvrir le potentiel de fabrication nucléaire. Vient alors la solution de développer massivement le chauffage électrique, relayée par le gouvernement, pour consommer une partie de la production tout en offrant une rente. Cette décision s’est révélée être une erreur stratégique, puisque c’est ce chauffage électrique qui provoque la fameuse pointe d’hiver de la consommation d’électricité, la pointe française représente le double de la pointe européenne, à laquelle le parc nucléaire français ne sait pas faire face. Cela oblige la France à importer de l’électricité d’Allemagne[10].

Une autre manière de pousser à la consommation d’électricité et d'éviter les pics ingérables de journée est la mise en place de l'option Heures Pleines Heures Creuses. Cette option, plus chère que l'option de base, permet au fournisseur de proposer de l'électricité à un prix plus avantageux pendant huit heures par jour. Cette période peut être pendant la nuit ou l'après-midi et varie selon les villes[11].

La France est le pays ayant la plus grande part de nucléaire dans la production nationale d'électricité avec 76,2%. D'autres pays ont choisi le nucléaire pour produire environ la moitié de leur électricité comme la Slovaquie, la Belgique ou l'Ukraine[12]. Cependant, de plus en plus de pays se penchent sur les énergies renouvelables et choisissent de cesser l'exploitation et de démanteler leurs centrales nucléaires.

Le programme français
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Après la Seconde Guerre mondiale, les secteurs de la défense et de l'énergie sont priorisés et les centrales nucléaires ont pour vocation la production de plutonium et d'électricité. Dès cette après-guerre, des mouvements anti-nucléaires pacifistes se développent, mais sans avoir de réelles préoccupations écologiques.

En 1946, la nationalisation d'entreprises de distribution et de production d’électricité donne naissance le 8 avril à Électricité De France. Le CEA et EDF travaillent tous les deux sur le nucléaire avec deux axes distincts. Le premier est centré sur l'application militaire quand le deuxième s'occupe des générateurs civils.

Le 18 mars 1950, Frédéric Joliot-Curie, à la tête du CEA, lance l'appel de Stockholm, mouvement qui incite à bannir totalement le projet d'arme nucléaire et à abandonner le nucléaire militaire. Cependant, ce mouvement s'essouffle rapidement, n'ayant pas suffisamment réussi à fédérer et sans réelles retombées sur l'avancée du programme français.

Dans les années 1960, le développement du nucléaire en France s'accélère. Cet accroissement des recherches est notamment dû au manque de ressources sur le territoire, car pour son approvisionnement énergétique, la France est dépendante à 76% des autres pays. L'usage du nucléaire est présenté comme un moyen d'acquérir une meilleure indépendance énergétique pour le pays. Un autre argument avancé est celui de la dissuasion militaire et l'obtention de la bombe atomique.

A la fin des années 1960, un conflit se déclare entre les deux filières du nucléaire que sont le CEA et EDF. Le CEA mise sur les réacteurs à uranium Naturel-Graphite-Gaz, issus du savoir-faire français et sur un nucléaire tantôt militaire, tantôt civil, tandis qu'EDF prône les Réacteurs à Eau Pressurisée conçus en 1950 par la firme américaine Westinghouse et ayant déjà prouvé leur rentabilité. En 1969, le gouvernement français de Georges Pompidou tranche en faveur d'EDF et la centrale de Fessenheim est construite avec des REP, même si en 1966, la centrale de Chooz est la première équipée de ces réacteurs, à titre d'expérience. C'est le début de l'industrialisation de la filière où il faut pouvoir produire et reproduire des réacteurs. Les réacteurs REP présentent l'avantage d'être plus simples à construire que les UNGG. De plus, le kWh est moins cher dans le cas d'un REP (880 francs) en comparaison d'un UNGG (1100 francs). Pour les chaudières, la France se fournit uniquement chez Framatome et pour les turbines, chez Alstom. Pendant cette période, une majorité de français, 76%, se montre favorable au nucléaire civil.

En 1973, le premier choc pétrolier pousse la France à se tourner massivement vers l'électronucléaire et à accélérer la construction de centrales. En 1974, le plan Messmer donne à la France les moyens politiques et financiers au lancement d'un grand programme d'équipement nucléaire, avec notamment la construction de treize réacteurs de 900 MW en un an, un plan notamment soutenu par des arguments économiques, l'uranium alors bien moins cher que le pétrole. En revanche, les contestations écologiques se multiplient et inversent la tendance avec 53% de français désormais opposés au nucléaire. En 1975, un attentat terroriste revendiqué par le groupe Meinhof Puig Antich sur le chantier de Fessenheim, interpelle sur la sûreté du site, les militants ayant réussi à atteindre le cœur du réacteur. Après cet incident, les personnes travaillant sur le chantier révèlent les failles de sécurité et limitent l'accès au site avec vérification de l'identité des travailleurs.

1979-1999 : le temps des interrogations

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Au cours de ces deux décennies, différents incidents nucléaires surviennent et interrogent l'opinion publique et l'industrie sur la sécurité. Les projets avortés, les accidents et les mouvements anti-nucléaires qui prennent de l'ampleur remettent sérieusement en question la filière du nucléaire.

1979 et 1986 : Three Mile Island et Tchernobyl, vers la peur du nucléaire
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État du cœur du réacteur après l'accident.

Three Mile Island :

La centrale de Three Mile Island est une centrale américaine équipée de deux réacteurs à eau pressurisée. Le 28 mars 1979, le cœur du deuxième fusionne partiellement et engendre un des accidents nucléaires les plus connus. Même si aucune victime n'est à déplorer, cet accident a vivement remis en cause l'usage du nucléaire et notamment la sûreté des installations.

Schéma fonctionnel du réacteur TMI-2.

A l'origine de l'accident, la mauvaise conception du pressuriseur du circuit primaire, avec une vanne de décharge qui ne se ferme pas, a entraîné plusieurs autres défaillances, erreurs techniques et humaines. Aux alentours de quatre heures du matin survient une panne d'alimentation des pompes de refroidissement du circuit secondaire. A ce moment-là, la réaction en chaîne est stoppée. Néanmoins, le cœur conserve une certaine puissance qui peut continuer de chauffer le combustible jusqu'à le faire fondre. Comme le dérèglement de cette vanne n'est pas repéré, les actions entreprises ensuite par les opérateurs ne permettent pas d'éviter l'accident et la fusion du réacteur car ils ne sont pas forcément formés à ce type de catastrophe, et beaucoup de voyants d'alerte étant allumés en même temps, il leur est compliqué de situer l'urgence.

Même si des mesures de radioactivité dans l'environnement de la centrale sont prises, celles-ci ne sont pas réellement concluantes. Les appareils disponibles ne sont pas sensibles aux rayonnements bêta alors qu'une des particules radioactives, le Xénon 133, émet tout particulièrement ce type de radiations.

Tchernobyl :

Schéma d'un réacteur RBMK.

La centrale de Tchernobyl, située à la limite de l'Ukraine et de la Biélorussie, est une centrale russe équipée de réacteur d'une autre catégorie : les réacteurs RBMK ou en français les réacteurs de grande puissance à tubes de force. Ces réacteurs sont essentiellement utilisés dans des pays soviétiques et sont au nombre de 17 avant l'accident de Tchernobyl. L'uranium de ces réacteurs est enrichi à teneur de 2% et nécessite donc moins de traitement que l'uranium utilisé dans les REP enrichi à 3%. Les grandes dimensions du cœur du réacteur demandent une vigilance toute particulière sur le contrôle de la puissance distribuée. Le modérateur, élément qui ralentit les neutrons sans les absorber, utilisé est du graphite et le refroidissement est réalisé avec de l'eau légère. Ce type de réacteur produit du plutonium en quantité importante. Pour une tonne d'uranium consommée, il est possible de récupérer trois kilogrammes de plutonium. En contexte de guerre froide, il s'agit d'un avantage non négligeable pour l'URSS. Néanmoins, ce type de réacteur est naturellement instable et la stabilité du cœur du réacteur dépend de deux facteurs : le coefficient de vide et le coefficient de température. L'augmentation de la puissance accroît le taux de vide, aussi appelé taux de vapeur, dans les canaux et diminue l'absorption des neutrons par l'eau. Seulement, l'augmentation de température ralentit aussi le flux de neutrons et donne un coefficient de température négatif. Pour des grandes puissances, le coefficient global, somme des deux précédents coefficients, est négatif, et pour des puissances inférieures à 700 MW, ce coefficient est positif, le coefficient de vide l'emporte alors et rend le cœur instable.

Le 26 avril 1986, deux fulgurantes explosions se déclarent dans la tranche 4 de la centrale de Tchernobyl. La première survenue à 1h23 est suivie de près par la suivante cinq secondes plus tard. L'origine de cette seconde explosion est toujours méconnue, s'agit-il d'un autre trop plein de puissance ou d'une explosion d'hydrogène ? Cela reste un mystère. L'accident de Tchernobyl est le premier classé au niveau 7 sur l'échelle de l'International Nuclear Event Scale.

Le déroulement de l'accident :

Centrale de Tchernobyl.

Avant un arrêt pour un des ses entretiens normaux, les 25 et 26 avril 1986, la tranche 4 est sollicitée pour un essai particulier qui a pour objectif de prouver que le système de refroidissement de secours peut être alimenté électriquement par les turboalternateurs en cas de panne avant que le relais soit passé aux générateurs diesel, un nouveau système de régulation de tension venant tout juste d'être installé pour cette nouvelle tentative. Pour cet essai, la puissance de la tranche doit être drastiquement réduite et atteindre une valeur comprise entre 700 et 1 000 MWe (MégaWatt électrique). Cette opération de diminution de la puissance de la tranche prend plus de temps que prévu et implique un changement d'équipe. Au cours de l'expérimentation, le système de refroidissement est isolé du reste tout le long du fonctionnement de la tranche à mi-puissance. Ce manquement aux procédures normales de fonctionnement est le premier d'une longue série de cette expérience aux conséquences dramatiques. Par la suite, une erreur commise par un opérateur fait perdre le contrôle automatique du réacteur dont la puissance chute brutalement à 30 MWth (MégaWatt thermique). Pour augmenter à nouveau cette puissance, l'opérateur remonte manuellement des barres de contrôle qui permettent de ralentir la réaction et parvient à atteindre difficilement une puissance de 200 MWth à cause de la présence de Xénon absorbant les neutrons. Seulement, là encore, il y a violation des procédures car le nombre de barres enlevées est trop élevé et le réacteur fonctionne à une puissance trop basse. Après cette intervention, d'autres problèmes surviennent, plusieurs voyants d'alerte s'allument alors et sont éteints par la suite par l'opérateur qui commet une autre infraction en coupant ces alarmes. Les vannes d'alimentation sont coupées, marquant le commencement officiel de l'essai. Le ralentissement du débit dans le cœur provoque un enrichissement en vapeur et une augmentation de la puissance. Le cœur fonctionnant à une puissance très basse, l'augmentation du vide rend le réacteur très instable. Et au moment où est ordonné le lancement d'arrêt d'urgence et la plonge des barres de contrôle, il est trop tard, le réacteur ayant centuplé sa puissance. Les explosions sont alors inévitables et déclenchent un incendie. Certaines parties du réacteur sont éjectées dans l’environnent. Les opérateurs et ingénieurs de la centrale tardent à réagir à la situation n'ayant pas conscience de l'état catastrophique du cœur et de l'étendue des dégâts.

Quand l'accident se déclare, celui-ci est prédit de courte durée. Cependant, la centrale a rejeté des déchets radioactifs pendant dix jours. Avec les variations des conditions météorologiques pendant cette période, les rejets continuent à se déverser et à s'éparpiller, engendrant une plus grande contamination de l'environnement avoisinant la centrale. Plusieurs interventions sont entreprises pour limiter autant que possible les conséquences sur la centrale, l'environnement et les populations. Une des premières mesures immédiates est de confiner au maximum la radioactivité du cœur tout en éteignant l'incendie. Les habitants sont évacués dès le 27 avril, même si dans un premier temps, les populations sont simplement invitées à rester confinées chez elles. Le nombre de victimes de cet accident qui seraient décédées à cause des radiations est difficile à estimer et varie selon les discours. La restauration des sols et la protection de la nappe phréatique sont d'autres enjeux pris en compte dans les interventions réalisées après les explosions.

Après l'accident de Tchernobyl, qualifié de catastrophe, des études plus approfondies sur la sûreté des réacteurs RBMK sont menées. Certains défauts sont relevés, notamment sur le système d'arrêt d'urgence, élément essentiel à la sûreté d'une centrale nucléaire. Pour ce type de réacteur, il s'agit d'introduire des barres de contrôle qui absorbent considérablement les neutrons et permettent ainsi de contenir la réaction de fission. Seulement, d'après les examens, ces barres ont d'abord l'effet inverse, au lieu de ralentir et diminuer la réaction en chaîne, elles l'emballent. Le système d'évacuation des surpressions n'est également pas au point et ne permet pas de faire face à la rupture de plusieurs tubes de force de combustible.

L'accident de Tchernobyl entraîne certains pays à voter l'arrêt du nucléaire comme l'Italie en 1987, les Pays-Bas en 1994 et la Belgique en 1999. La France, quant à elle, reste vague sur les conséquences de cet accident et de ses retombées, notamment sur la santé, et affirme que le taux de radioactivité n'est pas plus élevé qu'habituellement. La méfiance de la population vis-à-vis des informations transmises par le gouvernement entraîne la création de la Commission de Recherches et d'Informations Indépendantes sur la Radioactivité en 1986 par Michèle Rivasi et relance les mouvements antinucléaires.

La peur du nucléaire retranscrite dans l'art :

La peur du nucléaire se fait ressentir à travers l'art qui a, à de nombreuses reprises, tenté de retranscrire les catastrophes nucléaires à travers des œuvres singulières. Les artistes engagés de la deuxième moitié du XIXème siècle sont sensibles à la thématique du nucléaire et essayent de retranscrire leur point de vue. La grande figure du Pop Art, Andy Warhol, exprime la violence de l'explosion de la bombe nucléaire en 1965 à travers sa sérigraphie intitulée Atomic Bomb. Sur un fond rouge écarlate, l'artiste multiplie l'image en noir et blanc d'un champignon atomique sur toute la toile avec une accumulation de l'encre au fur et à mesure de la répétition de l'image, qui souligne la désintégration du champignon.[13] Selon l'auteur, plus nous sommes exposés à une image, moins nous en sommes sensibles.Très engagé dans la critique de la société de consommation, l'auteur dénonce l'arme de destruction massive qu'est la bombe atomique en banalisant de manière tragique un événement de son temps.

Poster japonais du film Godzilla de 1954.

Le cinéma voit naître une vague de films inspirés des catastrophes nucléaires. En écho à l'animé Nausicäa de la vallée du vent, l’œuvre du réalisateur japonnais Ishirõ Honda, intitulée Godzilla, est réalisée à l'époque du Japon d'après guerre, traumatisé par les bombardements atomiques. Ce film fait apparaître le Godzilla, monstre du cinéma japonnais, né suite aux essais nucléaires américains dans l'océan Pacifique. La version originale de l’œuvre montre la créature sous-marine se nourrissant des déchets radioactifs afin de se métamorphoser pour acquérir une forme lui permettant d'émerger à la surface. Le film Le Syndrome Chinois, sorti en 1979, imagine un accident nucléaire dû à une déficience du réacteur qui engendre la fonte de la cuve et un écoulement de corium, magma radioactif. Ce film, sorti douze jours avant l'accident de Three Mile Island, a d'autant plus exacerbé les craintes vis-à-vis du nucléaire. Même si le film est romancé, certaines similitudes avec l'accident survenu douze jours plus tard renforcent les angoisses sur le danger du nucléaire.

Certains héros de bandes dessinées sont le fruit de la connaissance des radiations nucléaires provoquées par les bombes d'Hiroshima et de Nagasaki. Par exemple, les personnages de Hulk ou Spider-man acquièrent leurs pouvoirs grâce à la radioactivité, le docteur Bruce Banner est exposé aux rayons gamma suite à l'explosion d'une bombe atomique, et l'adolescent Peter Parker est mordu par une araignée radioactive. Par ailleurs, le personnage de Hulk reflète les caractéristiques du nucléaire, il est puissant et très difficile à contrôler. Dans tous les cas, dans la plupart des films de super-héros ou de science-fiction hollywoodiens, les super pouvoirs conférés par une irradiation, ou plus généralement par la bombe nucléaire, sont les armes surhumaines nécessaires pour détruire l'ennemi[14].

Plus récemment, en 2019, une mini-série historique britannico-américaine intitulée Chernobyl présente la catastrophe nucléaire de Tchernobyl dans son contexte de guerre froide. La catastrophe dont il nous a été caché l'existence est visible à travers des images frappantes s'approchant toutefois d'une réalité dramatique.

1976-1997 : L'espoir des surgénérateurs (Superphénix)
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Le réacteur Superphénix.

Le concept de réacteur surgénérateur date du début des recherches sur l'énergie nucléaire. Enrico Fermi, physicien à l'origine du premier réacteur nucléaire, évoque ce concept de réacteur dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. A l'époque, les gisements d'uranium sont estimés suffisamment rares pour ne pas écarter le scénario d'une pénurie de combustible, nécessitant alors de trouver des alternatives à la fission nucléaire de l'uranium. La recherche sur les surgénérateurs se poursuit dans les différents pays nucléarisés. Aux États-Unis, différents prototypes sont étudiés et construits entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1970, comme le réacteur EBR1, fonctionnant en spectre rapide et utilisant comme fluide caloporteur le sodium, ou encore le réacteur du site de Shippingport, un REP qui a démontré sa capacité surgénératrice à partir d'un cycle utilisant le thorium 232 et l'uranium 233, avec un fonctionnement en spectre thermique.

En France, le plan Messmer qui vise à augmenter la part d'électricité d'origine nucléaire, pose les bases d'un cycle du combustible nucléaire fermé. A l'époque, des prévisions de forte croissance démographique et d'augmentation de la demande énergétique incitent le pays à basculer rapidement vers une production massive d'électricité d'origine nucléaire. De plus, le contexte géopolitique de la rupture des Accords de Bretton Woods en 1971, la guerre du Kippour en 1973, puis le choc pétrolier de 1973, poussent le gouvernement de Pierre Messmer à réduire la dépendance énergétique de la France face aux pays producteurs de pétrole. Le nucléaire est alors en plein développement. Dans les années 1970 émerge alors la pensée de l'autosuffisance du parc nucléaire français qui permettrait de répondre à une pénurie de combustible due à l'essor du secteur. La mise en place de réacteurs surgénérateurs est alors envisagée afin d'obtenir cette autosuffisance en cycle fermé. Le principe est de créer des réacteurs nucléaires complémentaires aux réacteurs déjà existants. Complémentaires, car un réacteur comme Superphénix est prévu pour fonctionner en utilisant un combustible à base de plutonium, produit par ces centrales et considéré comme un déchet pour ces dernières (hors du cadre des applications militaires). En outre, le réacteur a théoriquement, par rapport à son bilan neutronique, la possibilité d'un fonctionnement surgénérateur, c'est-à-dire qu'il produit lui même son combustible en fonctionnant. Un tel fonctionnement est donc étudié pour un nouveau parc de centrales nucléaires puis expérimenté avec plusieurs réacteurs de recherche et de démonstration, Phénix et Rapsodie. Leurs résultats sont probants, Phénix est à ce jour un des rares réacteurs à avoir fonctionné en surgénérateur, avec un taux de surgénération de 1,16 pour une puissance installée de 250 MWe. Ces expériences aboutissent à la construction du prototype industriel Superphénix qui débute en 1976 à Creys-Malville. Ce Réacteur à Neutrons Rapides est mis en service en 1984 et raccordé au réseau électrique en 1986. Il utilise une technologie intégrant comme fluide caloporteur le sodium liquide et a pour particularité de ne pas posséder de modérateur. Dimensionné pour fournir une puissance de 1 240 MWe, il est le réacteur surgénérateur le plus puissant au monde jamais conçu. Malgré une ambition politique forte et un concept technique, énergétique et économique avant-gardiste, le projet rencontre d'énormes difficultés au démarrage comme en période de fonctionnement.

Il suscite d'abord une très forte opposition dans les milieux écologistes. Superphénix est l'un des grands moments de la lutte anti-nucléaire des années 1970. Plusieurs manifestations éclatent entre 1976 et 1977, en réaction à la décision du gouvernement Chirac de débuter la construction du surgénérateur. Si les premiers rassemblements sont non violents, les manifestations dégénèrent très rapidement, se transformant alors en véritables affrontements. Du côté des scientifiques, certains sont opposés au projet, dont Vital Michalon, physicien et militant anti-nucléaire tué par la déflagration d'une grenade lancée par les forces de l'ordre. Les pancartes des manifestants de l'époque ou encore une interview pour le magazine Sciences & Vie (n°703) en attestent également. Dans cette interview, un ingénieur EDF déclare qu'"il n'est pas déraisonnable de penser qu'un grave accident survenant à Superphénix pourrait tuer plus d'un million de personnes". De plus, la décision de construire Superphénix n'est débattue à aucun moment et n'est pas votée par l'Assemblée Nationale. Les populations vivant à proximité du site ne sont pas consultées, entraînant un certain soutien local comme celui des agriculteurs de l'Isère qui se joignent aux manifestants. Les différentes manifestations à Creys-Malville impliquent entre 40 000 et 90 000 manifestants régionaux, français, suisses et allemands, dont des militants de Greenpeace, de la LCR , de la FRAPNA ou encore du PSU. Quelques 5000 membres des forces de l'ordre sont déployés pour faire face. Ces manifestations illustrent toute la crispation politique autour du nucléaire et des décisions arbitraires de l'État Français et d'EDF dans la construction de telles infrastructures. Quelques années après les manifestations, le chantier est attaqué au lance-roquette en 1982 par un militant écologiste suisse qui veut le retarder, occasionnant de nombreux dégâts sur le site, mais sans victime. D'autres manifestations ont lieu jusqu'à la fermeture du site en 1997.

Donnés de l'AIEA concernant la production d'électricité du réacteur Superphénix au cours de sa période de fonctionnement.

Ensuite, le réacteur rencontre de nombreux problèmes techniques lors de sa période de fonctionnement. Raccordé au réseau électrique en 1986, le surgénérateur connaît beaucoup de dysfonctionnements durant son exploitation. Ses premiers résultats en termes de production énergétique sont médiocres, comme l'atteste les données de l'AIEA. Le réacteur semble avoir été mal dimensionné et produit environ 10 fois moins d'énergie par rapport aux prévisions théoriques des ingénieurs. Les mauvais résultats pendant son fonctionnement s'expliquent par les incidents qu'il rencontre, mais également par des fermetures d'ordre administratives. Plusieurs incidents surviennent durant ses années de fonctionnement. En 1987, une fuite de vingt tonnes de sodium, due à un problème de corrosion, a lieu depuis un barillet de stockage du combustible ce qui pose de sérieux problèmes aux équipes de la centrale. Une opération de maintenance s'impose alors, entraînant l'arrêt du réacteur pendant presque deux ans. Il redémarre en 1989. D'autres problèmes apparaissent au niveau du fluide caloporteur et, en 1990, le toit de la salle des turbines s'effondre sous le poids de presque 1 mètre de neige. Le réacteur est alors arrêté pendant 3 ans pour n'être redémarré qu'en 1994. Il subit ensuite plusieurs arrêts de l'ordre de quelques mois pendant ses dernières années de services. Entre son deuxième arrêt et son dernier redémarrage, le site voit sa mission de production d'électricité modifiée. À partir de 1992, la possibilité d'utiliser Superphénix comme un incinérateur de déchets radioactifs est de plus en plus envisagée. Ainsi, le réacteur devient juridiquement un réacteur dédié à la recherche en 1994. En 1996, le réacteur entame sa dernière année de fonctionnement. Il a des résultats bien plus intéressants que ceux des années précédentes car les problèmes que le surgénérateur a rencontré sont désormais maîtrisés.

Finalement, le site est fermé en 1997 sur décision de Lionel Jospin alors Premier Ministre. Les causes de cette décision sont avant tout politiques, économiques et techniques. Causes politiques car le Parti Socialiste, vainqueur des élections législatives de 1997, cherche à gouverner grâce à une coalition incluant Les Verts au sein de la Gauche Plurielle. Ces derniers militent depuis des années pour la fermeture de Superphénix. Un accord de coalition est passé entre les deux partis comprenant la promesse de la part des socialistes, qu'ils fermeront le surgénérateur une fois au pouvoir. Causes économiques, du fait d'un marché de l'uranium qui n'est plus aussi en tension qu'il l'a été au cours des années 1970. Le combustible est redevenu suffisamment bas, en termes de prix, pour que la surgénération ne soit plus un avantage économique. De plus, les investissements publics dans le réacteur Superphénix deviennent de plus en plus conséquents et de moins en moins acceptées pour un réacteur qui ne fonctionne que très mal, ce qui est un des principaux arguments des opposants écologistes. En effet, l'investissement financier dans le surgénérateur s'élève à quelques 12 milliards d'euros. Enfin, l'échec est aussi technique car, en dépit de la résolution des problèmes rencontrés lors du fonctionnement, le réacteur tourne au ralenti. Il a été bien trop surévalué au vu de ses capacités réelles. De plus, il n'a jamais permis de surgénération pour une telle puissance installée, alors qu'il doit en être la promesse. Il est à noter également que lors de la meilleure année en termes de production d'électricité, le facteur de charge est de 31%, ce qui reste encore bien loin de celui des REP déjà implantés sur le territoire français à l'époque qui est d'environ 75%.

Aujourd'hui, le réacteur est en démantèlement et 400 employés d'EDF travaillent sur le chantier prévu pour durer jusqu'en 2027. L'évacuation du sodium liquide compte parmi les principaux problèmes techniques spécifiques à cette centrale rencontrés lors du démantèlement. Ce dernier a la propriété de s'enflammer au contact de l'air et d'exploser au contact de l'eau. La centrale compte un peu plus de 5000 tonnes de sodium liquide, transformé en soude, via un procédé chimique, puis coulé dans du béton où il y est conditionné. Le démantèlement de Superphénix est chiffré à 2,5 millards d'euros.

1999-2020 : La restructuration du secteur

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Evolution de la part des dépenses d'électricité dans les dépenses totales en énergie des ménages, hors carburant, entre 1959 et 2018.

Durant la période des trente glorieuses, le monde occidental voit naître la société de consommation héritée des États-Unis. De nouvelles technologies comme les frigidaires, la télévision ou encore l'ordinateur sont promues à travers un outil performant de vente : la publicité. La consommation d'électricité en France passe d'un à deux TWh au début du siècle à 72 TWh en 1960[15]. Cette haute consommation via ces technologies impose une réorganisation du secteur.

Pour répondre de manière indépendante à la forte demande, la France développe l'énergie nucléaire en construisant sa première centrale à Chinon en 1963. En 1973, le premier ministre Pierre Messmer annonce le lancement de la construction de treize centrales nucléaires en France.[16] En 1978, l'industrie du nucléaire est un succès en France, elle produit 13,2% de l'électricité du pays et le place au pied du podium des producteurs mondiaux d'uranium[17].

A cette époque, le marché électrique français est fermé et relève du monopole naturel. Le réseau est unifié dans tout le pays par une seule entreprise, EDF-GDF. Le traité de Rome de 1957 fixe l'objectif de la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux au sein de l'union européenne. L'existence de monopoles nationaux sur le marché de l’électricité ne correspond pas aux objectifs d'ouverture prévus par le traité. Ce marché se libéralise ainsi dans toute l'union européenne à la fin du XXème siècle. Les consommateurs peuvent désormais choisir leur fournisseur et profitent de la concurrence.

Les premières directives européennes sur l'ouverture du marché de l'électricité apparaissent en décembre 1996. De février 1999 à février 2003, il se libéralise petit à petit en France pour les entreprises consommant plus de 100 GWh, puis celles consommant plus de 16 GWh, et celles consommant plus de 7 GWh.

Les directives européennes du 26 juin 2003 imposent un équilibre entre libre concurrence et préservation d'obligation de services publiques. Les entreprises de la production d'électricité se doivent d'assurer l'approvisionnement en énergie et de proposer des prix abordables pour tous, tout en protégeant l'environnement[18].

En décembre 2004, le marché de l'électricité se libéralise pour tous les consommateurs non-résidentiels et la libéralisation se généralise à tous les ménages à partir de juillet 2007.

Dans le mois d'août 2004, les activités de production, transport, distribution et fourniture sont séparées pour garantir le développement de la concurrence. Le marché du transport et de la distribution de l'électricité reste monopoliste et réglementé tandis que les secteurs de la production et de la fourniture de l'électricité sont soumis à la libre concurrence.

Le transport de l'électricité dans toute la France se réalise principalement par l'intermédiaire de deux entreprises aux services différents créées au début des années 2000. Le Réseau de Transport d'Électricité assure le transport de l'électricité à haute et très haute tension. L'entreprise est reliée au réseau européen de l'électricité ce qui permet des échanges d'électricité en Europe. Enedis, anciennement ERDF, est une entreprise qui assure le transport électrique à basse et moyenne tension.

Depuis la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité publiée en 2000, EDF-GDF se voit perdre le monopole de la production et la distribution et est contrainte de se scinder en deux groupes d'industriels énergétiques concurrents, EDF et GDF-Suez, aujourd'hui appelé Engie. D'autres sociétés voient le jour et participent à la création de valeur dans la production et la fourniture d'électricité comme Total Direct Energie, Areva ou encore Enercoop.

Conformément aux directives européennes du 26 juin 2003, une autorité administrative est créée en 2000 afin de surveiller le bon fonctionnement du marché, la Commission de Régulation de l'Energie. La CRE a deux objectifs. Le premier est la surveillance des réseaux de transport de l'électricité, elle doit garantir le droit d'accès aux réseaux publics d'électricité des fournisseurs et des producteurs, veiller au bon fonctionnement et à la maintenance des infrastructures d'électricité et fixer le tarif d'utilisation du réseau. Le second est la surveillance des activités de production et de fourniture, elle fixe les tarifs de vente de l'électricité, surveille les transactions entre les producteurs et les fournisseurs et évalue les dispositifs de soutien de la production d'énergie propre.

Chantier de l'EPR de Flamanville le 15 juillet 2010.

En 2005, Areva lance une campagne publicitaire dans son secteur de spécialité, le nucléaire[19]. La multinationale annonce la prochaine arrivée du réacteur pressurisé européen en France, un réacteur de troisième génération qui procure une meilleure performance et une meilleure sécurité par rapport aux générations précédentes[20]. Après avoir annoncé une perte de 4,8 milliards d'euros en 2014, Areva passe un accord avec EDF pour que ce dernier contrôle majoritairement la filiale Framatome d'Areva pour un montant de 2,7 milliards d'euros. Aujourd'hui appelée Orano, la société éprouve des difficultés financières à cause de nombreuses affaires, notamment l'affaire d'État politico-financière française d'UraMin. De plus, la perte du contrôle de Framatome fait retarder les projets de construction des EPR comme celui de Flamanville en France, retardé de plus de dix ans. Le retard s'explique aussi car en 2007, EDF n'a pas construit de centrale depuis 25 ans, l'entreprise se doit de former et développer les compétences de ses employés, car suite à l'accident de Fukushima, l'Autorité de sûreté nucléaire multiplie les contrôles intransigeants. Ces retards provoque une perte économique de plusieurs milliards d'euros pour Areva et EDF.[21] Cependant, l'État français, principal actionnaire dans l'industrie de l'électricité, relance le secteur grâce à des ventes négociées à l'international. En 2018, la France signe vingt contrats dans les domaines des sciences, de l'environnement et du développement urbain pour un montant de 13 milliards d'euro avec l'Inde, faisant de l'Inde un partenaire stratégique de la France[22]. La vente de six réacteurs EPR dans l'ouest de l'Inde est en cours de négociation, ce qui permettrait de booster le secteur.[23]

Les suites de Fukushima
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Carte des doses des radiations que recevrait une personne la première année suivant l'accident de Fukushima Daiichi.

C'est le vendredi 11 mars 2011, à 14h46 heure locale, que le Japon enregistre le plus gros séisme alors jamais enregistré. Bien que les infrastructures soient aux normes, ce tremblement de terre de magnitude 9 suivi d'un tsunami détruit des localités entières, tue plus de 15 000 personnes, en blesse plus de 6 000 et cause de nombreuses disparitions.

La centrale de Fukushima Daiichi est constituée de six Réacteurs à Eau Bouillante dans les années 1970. Alors que cette dernière fait face au tremblement de terre, le tsunami fait de nombreux dégâts. Il inonde et endommage les pompes à eau et les moteurs de prises d'eau, les systèmes et composants essentiels de la centrale ne peuvent donc plus être refroidis pour continuer à fonctionner[24].

Le combustible sous forme de crayons n'est alors plus du tout immergé donc exposé à l'air de la cuve. A cause de la température trop élevée, les gaines de zirconium fuit et de l'hydrogène s'échappe, augmentant la pression à l'intérieur de la cuve et causant des explosions à l'intérieur des bâtiments des réacteurs des tranches 1, 3 et 4. Des gaz radioactifs sont alors libérés dans l'atmosphère et se déposent à la surface du sol et dans les océans.

La conséquence a été une hausse de la radioactivité, due à la présence de césium 137 et d'iode 131 radioactifs, qui se déplace avec le vent et la météo. Les autorités japonaises évacuent donc les populations civiles dans un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale pour prévenir des cancers causés par les cellules irradiées. Les particules radioactives contaminent aussi le sol, l'eau et les êtres vivants aux alentours[25].

Les risques naturels pris en compte dans la conception de la centrale sont évalués principalement sur la base de données historiques. Cet accident est un des exemples dans le monde où les aléas naturels ont été au-delà de ce qui était prévu dans la base de conception de la centrale[24].

Inspiré par l'accident de Fukushima, le réalisateur américain Gareth Edwards réalise en 2014 une nouvelle version du film Godzilla dans laquelle seule l'origine de la créature diffère de l’œuvre originale. Dans Godzilla (2014), le monstre ne se nourrit pas des radiations suite aux essais nucléaires américains dans l'océan Pacifique mais des radiations suite à l’effondrement d'une centrale nucléaire japonaise provoqué par un tremblement de terre.

Carte des centrales nucléaires, usines de retraitement et centres de stockage en France.

En France, pour comprendre la nature des risques liés aux séismes et aux inondations, il faut savoir comment sont choisis les sites des centrales, car le lieu d'implantation n'est pas le résultat d'une analyse objective des risques. Même l'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage explique à l'antenne de TV5 en avril 2016 que "les sites n'ont pas du tout été choisis en fonction des risques potentiels, mais en raison de la facilité à acquérir les terrains". Un ancien dirigeant d'EDF précise que "le choix des sites [d’implantation des centrales] doit tout à la politique du carnet de chèques [...] pour convaincre les élus d'autoriser les implantations".

Ceci s'explique par le fait qu'en 1973, quand le grand plan de développement du nucléaire est lancé, EDF ne dispose que de cinq sites, une dizaine d'autres sont donc nécessaires pour accueillir de nouveaux réacteurs. Cependant, dans l'urgence, les études des risques naturels ne sont pas approfondies. EDF confirme qu'avant la catastrophe de Fukushima, la prise en compte de ces risques ne fait pas partie de la culture de sécurité nucléaire française.

Cependant, une catastrophe comparable à celle du Japon est possible en France, dans l'Ain, à la centrale du Bugey, même sans tsunami provoqué par un tremblement de terre. Cette dernière a les pieds dans le Rhône. La digue construite le long des berges permet de protéger les installations d'une crue historique du fleuve, mais le débit maximal du Rhône aurait été sous-estimé et une crue majeure pourrait franchir la digue[10]. De plus, la centrale est située à 90 km en aval du Barrage de Vouglan âgé de 52 ans, à la confluence de l'Ain et du Rhône. Cependant, en cas de rupture du barrage, les calculs des ingénieurs d'EDF prévoient que la centrale ne sera pas touchée par la montée des eaux. Ce résultat est toutefois largement contesté aujourd'hui par les anti-nucléaires mais aussi des associations comme l'association locale "Stop Bugey".[26]

Il y a donc une remise en question du choix de ces sites nucléaires, au départ choisis pour leur bas prix, mais pas optimaux pour la sécurité.

La situation actuelle

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L'analyse du Cycle de Vie

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Le nucléaire est une source d’énergie ayant un cycle de vie reposant sur le long terme. Parmi les pays produisant de l’électricité d’origine nucléaire, tous n’ont pas le même cycle d’un point de vue de la gestion du combustible. Certains fonctionnent en cycle "ouvert", quand d’autres fonctionnent en cycle "fermé". Ce dernier est le type de cycle mis en place en France et consiste à recycler une partie du combustible usé. C’est une pratique minoritaire à l’échelle mondiale. La majorité des pays nucléarisés fonctionnent en cycle "ouvert", ils ne recyclent pas leur combustible et décident de le stocker une fois qu’il n’est plus utilisé. Le cycle de vie regroupe une multitude d’étapes qui impliquent à la fois le combustible nucléaire et les infrastructures comme les mines, les raffineries, les centrales électriques ou les usines de retraitement. Un apport d’une énergie externe d’origine fossile est nécessaire pour plusieurs étapes du cycle, pour les machines d’extraction, de raffinage ou le transport du combustible. Selon, les derniers rapports du GIEC, bien que le nucléaire ne soit pas renouvelable, il s’agit d’une énergie très fortement décarbonnée. En tenant compte de l’ensemble de l’analyse du cycle de vie, le nucléaire émet 12 grammes de CO2 par kWh produit[27]. Il s’agit d’une estimation moyenne donnée par le GIEC, cette valeur pouvant varier selon les pays. En fonction de l’instance qui établit ce chiffre, c’est une source de production d’électricité qui reste comparable aux énergies renouvelables, en termes d’émission de CO2 par kWh produit. Sur le plan économique, le nucléaire coûte 36 € par MWh produit (pour le parc français) selon un rapport de la Cour des Comptes datant de 2014[28]. Les coûts liés à l’ensemble du cycle de vie du nucléaire se répartissent selon les proportions suivantes : 24,6% pour l'extraction, 41% pour la transformation du minerai, 26,2% pour l'entreposage du combustible usé, et 8,2% pour le stockage des déchets[29].

Le combustible utilisé dans les centrales nucléaires est en grande majorité l’uranium. C’est un élément chimique présent naturellement dans les roches de la lithosphère et de l’hydrosphère, majoritairement sous la forme d'isotope d'uranium 238. D’autres combustibles existent comme le thorium et le plutonium. Actuellement, leur emploi dans l’industrie est marginal ou révolu. Au niveau de la lithosphère, l'uranium abonde dans les couches granitiques et sédimentaires à des teneurs avoisinant les 3g/t de roche le contenant.

L'extraction du minerai :

Mine d'uranium à ciel ouvert de Rössing en Namibie.

Comme tous les minerais, l’uranium nécessite une extraction minière afin de le séparer de la roche qui le contient : la pechblende. Il y a donc la mise en place de procédés coûteux en termes d’énergie, polluants de par les déchets qu’ils occasionnent, et impactant grandement l’environnement, les paysages, les écosystèmes et les sols.

Il existe trois grandes techniques d’extraction dites conventionnelles :

  • L’extraction en galerie souterraine ;
  • L’extraction à ciel ouvert ;
  • L’extraction par lixiviation in situ.

L’extraction d’uranium peut également avoir lieu dans le contexte de l’extraction d’autres minerais tels que l’or, le phosphate ou le cuivre. Toutes ces techniques impactent nécessairement l’environnement, en particulier la lixiviation in situ utilisée majoritairement au Kazakhstan, premier producteur mondial d’uranium. Elle consiste à réaliser un forage afin d’injecter une solution d’acide sulfurique dans les sols qui dissout l’uranium récupéré en surface à l’aide d’un second forage. Cette technique d’extraction chimique pollue les nappes phréatiques de manière irréversible. Les extractions à ciel ouvert ou en galerie souterraine produisent quant à elles les déchets classiques d’une industrie minière, ayant la particularité d’être radioactifs pour certains.

Il y a quatre types de déchets dus à l’exploitation minière de l’uranium :

  • Les rejets liquides comme ceux du procédé de lixiviation in situ, l’eau d’exhaure des forages ou l’eau de ruissellement évacuée des galeries en fonction des techniques ;
  • Les déchets solides tels que les boues ou les précipités du traitement des effluents liquides ;
  • Les stériles et les minerais pauvres, roches extraites ne contenant pas assez d’uranium et dont la quantité s’élève à des centaines millions de tonnes, non traitées et si non mises à l’abris du vent et de l’eau, elles rejettent des poussières radioactives disséminées par le vent ou bien contamine l’eau par infiltration dans les roches toxiques puis dans les nappes phréatiques;
  • Les rejets atmosphériques, à savoir le radon, un gaz entraînant des cancers du poumon, et poussières radioactives.

Dans le cas d’une mauvaise gestion des installations, les déchets et rejets des mines d’uranium peuvent avoir des conséquences très graves sur les écosystèmes et les populations locales, comme pour toute exploitation minière, mais avec le danger supplémentaire de la radio exposition. L’exposition locale au rayonnement ionisant peut empirer avec l’érosion des déchets de l’extraction. Quand elle a lieu, la contamination des écosystèmes est due à la contamination de l’eau qui impacte ensuite la chaîne alimentaire. Concernant les populations vivant aux environs de telles mines, elles sont exposées en permanence à une radioactivité trop élevée, c’est le cas notamment à Arlit, au Niger, où des populations vivent à environ 5 km d’une mine exploitée par Areva-COGEMA. La CRIIRAD y a effectué des mesures en 2003 lors d'une de ses missions d’investigation, celles-ci prouvant que l’exposition à proximité de la mine est cent fois supérieure à la normale. Il a été également établi que certaines maisons sont construites avec des matériaux tels que les stériles radioactifs et que l’air est contaminé au radon et charrie des poussières radioactives[30].

La transformation du minerai en combustible :

Le "Yellowcake".

Une fois le minerai d’uranium extrait, on le transforme en réalisant une séparation isotopique. Dans la majorité des cas, le minerai subit six fois l’étape de concentration avant de pouvoir être utilisé dans une centrale nucléaire. Elle est réalisée par un procédé de broyage, d’ajout d’eau puis d’attaque à l’acide du minerai et crée des déchets chimiques toxiques pour l’environnement, l’eau étant contaminée par l’acide utilisé. Ensuite, le raffinage et la conversion nécessitent une nouvelle fois la mise en place de dispositifs analogues à l’industrie chimique classique afin de fabriquer le "Yellowcake" rejetant des métaux lourds et des eaux de traitement contaminées. Comme pour l’étape de concentration, ces déchets doivent être traités. Puis, l’étape d’enrichissement s’effectue par diffusion gazeuse ou par centrifugation[31], technique utilisée en France. La diffusion gazeuse est une technique très énergivore. Pour une Unité de Travail de Séparation, elle consomme 2500 kWh, équivalant à l’énergie d’un réservoir contenant 50 L d’essence, contre 50 kWh/UTS pour la centrifugation. A titre d’exemple, l’usine d’enrichissement par diffusion gazeuse Georges-Besse/EURODIF, fermée en 2012, consomme 15 TWh en une année, soit environ 0,3% de l’électricité en France[32]. Enfin, la fabrication du combustible sous forme de "crayons" nécessite à son tour des dispositifs industriels conséquents et gourmands d'une part en énergie avec la cuisson des pastilles à plus de 1600 °C, et d'autre part en matériaux, notamment pour les gaines en zirconium contenant les pastilles d’uranium sous forme UO2. Les réserves de zirconium sont estimées à 40 ans au rythme de consommation actuel.

Le transport du combustible :

Ne provenant souvent pas des pays dans lesquels il est utilisé, le combustible nucléaire est transporté de la mine aux usines de transformation par voies maritimes ou terrestres, de ces usines aux centrales, et enfin, de ces centrales aux usines de retraitement ou aux complexes de stockage. Sur terre, le transport s’effectue souvent par voie ferroviaire. Le transport est très réglementé afin de limiter l’exposition aux rayonnements ionisants, surtout pour les déchets, le combustible neuf étant très peu radioactif. Les transports pouvant présenter un danger accru sont d’ailleurs régulièrement la cible d’opération de mouvements antinucléaires avec blocages de voies ferrées par exemple.

L'utilisation du combustible :

Le combustible nucléaire est utilisé dans les centrales pour une durée d’environ quatre ans. Bien qu’il puisse parfois encore comporter des matières fissiles suffisamment intéressantes pour la fission dans le cœur, le combustible doit souvent être retiré avant d'être totalement consommé. Cela est dû aux produits de fissions qui engendrent une augmentation de la capture neutronique et ainsi une diminution du rendement, la réaction de fission s’opérant plus difficilement. Après ces 4 ans, le combustible contient généralement 95% d’uranium, dont moins d'1% d’235U, 1% de plutonium et 4% d’actinides mineurs comme le neptunium ou l'américium. Il est alors hautement radioactif et dégage énormément de chaleur du fait de son rayonnement. C’est pourquoi il est stocké dans les piscines de refroidissement présentes sur le site de la centrale. L’entreposage dure environ de trois à quinze ans en fonction de la radioactivité du combustible usé.

La construction et le fonctionnement des centrales :Une centrale nucléaire est un dispositif nécessitant énormément de savoir-faire très différents en termes d’ingénierie. A la construction, une centrale nécessite des chantiers importants et parfois très longs, qui impactent nécessairement l’environnement à l'échelle locale avec la destruction des paysages et les impacts sur l’écosystème local. Les infrastructures construites nécessitent énormément de béton et de matériaux provenant de la métallurgie qui ont une empreinte carbone non négligeable en amont de la construction. Pour rappel, l’industrie cimentière représente 2,9% des émissions de CO2 en France[33]. Néanmoins, cet impact est à mettre en perspective, car contrairement à d’autres dispositifs de production d’électricité, comme le photovoltaïque ou le charbon, ces infrastructures, ramenées aux quantités et à l’impact carbone des matériaux utilisés par rapport à l’énergie produite par une centrale, sont relativement durables en termes de construction. Cela s’explique entre autres par la durée d’exploitation d’une centrale nucléaire, par son rendement et son dimensionnement en termes de puissance fournie. Selon la conception et le pays dans lequel elle est construite, la durée de vie d’une centrale nucléaire est comprise entre 25 et 40 ans. Elle est cependant prolongée dans certains pays, ce qui suscite de nombreux débats quant à la sûreté des installations. Aux États-Unis, sur les 99 réacteurs du parc nucléaire, 81 ont déjà été prolongés de vingt ans, malgré un revirement de cette décision pour certains d’entre eux, repoussant à 60 ans la limite initiale de 40 ans. Pour certains, il est même envisagé des les repousser à 80 ans[34]. En France, à la fin du premier mandat présidentiel d’Emmanuel Macron, ce sont 21 des 58 réacteurs nucléaires qui auront atteint la durée de 40 ans initialement prévue. EDF prévoit un prolongement des centrales à 50 voire 60 ans avec son plan de "grand carénage" consistant en la rénovation et la maintenance accrue des sites. Ce plan est chiffré à hauteur de 56,4 milliards d’euros entre entre 2014 et 2025. Ces estimations sont sources de débats et de contestations parmi les spécialistes. La Cour des Comptes prévoit par exemple un coût atteignant les 100 milliards d’euros d’investissement sur la période 2014-2030, prenant en compte des réacteurs supplémentaires. Concernant la sûreté des installations, l’ASN juge que "la poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante ans n’est envisageable que si elle est associée à un programme volontariste et ambitieux d’améliorations au plan de la sûreté, en cohérence avec les objectifs de sûreté retenus pour les nouveaux réacteurs et les meilleurs pratiques sur le plan international. L’ASN insiste en particulier pour que les études de réévaluation de sûreté et les objectifs radiologiques associés soient considérés au regard des objectifs de sûreté applicables aux nouveaux réacteurs"[35]. Elle émet donc des doutes sur les normes actuelles de sûreté qui doivent être renforcées dans le cadre de la prolongation. La décision ne doit pas se fonder sur des normes obsolètes établies pendant les 40 années d’utilisation des centrales.

Concernant l’impact sur l’environnement, lors de l’utilisation du combustible dans une centrale, les eaux chaudes des centrales sont rejetées dans les cours d’eau pouvant perturber la vie aquatique dans le cas où la température de rejet est au dessus des normes, ce qui arrive en période de canicule. Lors de la canicule de 2003, les centrales se sont en effet vues accorder un certain nombre de dérogations pour continuer de fonctionner à plein régime, rejetant ainsi de l’eau trop chaude dans les cours d’eau français[36]. L’augmentation de la température des rejets dans l’eau a pour conséquence une rupture des équilibres chimiques puisqu'elle augmente le pH du milieu, favorise le développement algal et diminue le taux d’O2 dissout, impactant potentiellement les écosystèmes aquatiques. En période de fonctionnement, les centrales émettent aussi de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. Cependant, bien qu’il soit un gaz à effet de serre, la vapeur d'eau n’influe pas sur l’augmentation de l’effet de serre d’origine anthropique grâce à sa durée de vie très courte d'environ une semaine[37].

La fin de vie des centrales et du combustible usagé:

La déconstruction d’une centrale est un chantier important qui s’étend sur plusieurs décennies. C’est en général l’État qui prend la décision de la fermeture des installations sur les conseils des instances de contrôle de la sûreté (ASN en France) et en concertation avec l’exploitant (EDF en France). La décision est généralement prise pour cause d’un manque de rentabilité de l’installation suite à une décision politique ou bien parce que la centrale arrive en fin de vie et qu’elle n’est plus jugée comme une infrastructure sûre par les instances compétentes. La déconstruction s’effectue en plusieurs étapes. Une fois le réacteur arrêté, deux manières de gérer la déconstruction sont possibles. Soit il est décidé de s’occuper du démantèlement dans les plus brefs délais, option préconisée par l’AIEA, soit il est choisi d’opérer un démantèlement différé. Chaque stratégie a ses avantages et ses inconvénients. La première nécessite des mesures accrues en matières de radioprotection des équipes car la radioactivité est plus forte que si le démantèlement est en différé. Néanmoins, cette deuxième option présente le risque que le savoir se perde au cours du temps et nécessite une surveillance accrue des sites. De plus, il faut que le génie civil soit suffisamment robuste afin que la radioactivité au sein de la centrale reste confinée avant le début des travaux de déconstruction. Une fois la stratégie de gestion choisie, le combustible est impérativement retiré afin de faire chuter la majorité de la radioactivité du site. Ce dernier contient tout de même une part de radioactivité résiduelle sur la cuve, le circuit primaire et les grappes de commandes. Cela est dû au phénomène d’activité neutronique. Vient ensuite l’étape d’assainissement qui comprend l’élimination des matériaux radioactifs, des produits chimiques, des équipements légers, la vidange des canalisations, le traitement des effluents et la décontamination des surfaces et des structures. Puis, vient l’étape de démantèlement à proprement parler. Elle regroupe le démontage et l’évacuation des équipements les plus volumineux, l’élimination et le contrôle de la radioactivité des locaux avant leur démolition et enfin la réhabilitation du terrain. Parmi les équipements les plus volumineux il y a la cuve ou encore les turbines. La cuve est très souvent découpée à l’aide de robots télécommandés car ils limitent le danger d’exposition aux rayonnements ionisants pour le travailleur et s’avèrent être plus efficaces pour l’opération de découpe. Soulignons que la déconstruction d’une centrale nucléaire produit des déchets de faible et moyenne activité comprenant des canalisations ou des débris par exemple. La déconstruction nécessite paradoxalement la construction d’autres infrastructures nécessaires aux travaux et à l’entreposage des déchets qu’elle produit.

Le site du réacteur Chooz A, premier chantier français de déconstruction d'un REP

Il est à noter que le manque d’expérience dans ces domaines accentue la complexité de la tâche pour les entreprises réalisant les travaux. En France, des instances comme le CEA ont été amenées à démanteler des installations de recherche de petite taille, comme des réacteurs expérimentaux ou des usines de traitement du combustible. Mais les réacteurs civils de grande puissance arrêtés ne sont majoritairement pas démantelés. Ceux de la filière UNGG sont à l’arrêt depuis 30 ans. Le combustible est évacué de l’installation vers l’usine de la Hague tout comme le graphite. Ce dernier est entreposé dans un silo du site normand mais de manière provisoire. Le restant des infrastructures du génie civil n'est pas encore démantelé. En ce qui concerne la filière des REP, seul le réacteur de Chooz A (en photo ci-contre) est en phase finale de démantèlement. Les travaux ne sont pas encore terminés mais la phase de réhabilitation du site est prévue pour 2020. Les travaux ont duré une vingtaine d’années, presque trente ans en se référant à la mise à l’arrêt du réacteur. Son démantèlement a coûté environ 500 millions d’euros au total. D'ailleurs, EDF chiffre à plus de 1000 millions d'euros le démantèlement d'une centrale de seconde génération, évaluation en accord avec un audit commandé par le ministère de l'environnement en 2015[38]. Aux États-Unis, 6 REP du parc nucléaire ont été démantelés[39]. Contrairement à la France, les américains privilégient un démantèlement rapide (environ 10 à 15 ans) et peu coûteux de ces installations qui ne permet pas la réhabilitation de l’espace sur lequel la centrale est construite. C'est le cas de la centrale de Rankee Rowe où les travaux commencés en 1992 se sont officiellement terminés en 2002, mais dont le site accueille encore 50 tonnes de combustible usagé au sein de conteneurs d’acier et de béton. Cet entreposage est censé être provisoire. A ce jour, il n’y a encore aucune installation de grande taille complètement démantelée. Très souvent, ces installations sont tributaires de la gestion des déchets dont les avancés en matière d’innovation et de recherche sont lentes, compliquées et souvent retardées. Tant qu’il n’y a pas la création de sites de stockage sûrs et à la conception robuste, ces centrales à l’arrêt attendront avant d’être complètement démantelées.

Une fois le combustible nucléaire complètement utilisé, il est généralement considéré comme un déchet nucléaire. Placé au cœur du réacteur pendant son fonctionnement, c’est un élément hautement radioactif nécessitant une prise en charge draconienne. Si sa gestion s’opère en cycle fermé, une partie du combustible est retraité afin de créer un nouveau combustible issu du retraitement : le MOX. Cependant, les produits de fission comme les actinides mineurs ne peuvent être valorisés. Ils ont une durée de vie variable, allant de quelques années à des centaines d’années. Quant aux actinides mineurs, ils sont parmi les éléments les plus radioactifs résultant de la réaction de fission nucléaire avec des durées de vie majoritairement très longues, de milliers d’années à dizaine de millions d’années. En France, ils sont également vitrifiés à La Hague. La vitrification permet de contenir la radioactivité de ces éléments. Néanmoins, ce type de conditionnement n’est pas une solution de stockage définitive. Il est également à noter qu’une usine de retraitement comme celle de La Hague a un impact non négligeable sur l’environnement. Les rejets d’effluents radioactifs du site sont régulièrement au cœur des préoccupations des ONG environnementales. L’usine de retraitement rejette notamment du tritium dans la Manche via un système de canalisations sous-marines. Ces canalisations lui permettent au passage de contourner la réglementation internationale de la Convention de Londres (LC 72) dont la modification en 1993 interdit l’immersion des déchets faiblement radioactifs depuis des navires seulement. Du krypton est également rejeté dans l’atmosphère. Ces deux éléments peuvent présenter une activité anormalement élevée, prouvée par les mesures de différentes ONG dont Greenpeace. Mais, dans les circonstances actuelles, ils sembleraient ne pas représenter de dangers sanitaires pour l’Homme en termes de doses selon l’ASN, les deux éléments seraient rapidement dilués dans l’eau de La Manche et dans l’atmosphère. En 2016, des mesures de l’ONG ACRO et des analyses du centre hospitalier universitaire de Lausanne ont établi qu’il y a eu des rejets d’américium et de plutonium dans l’environnement, contaminant des zones de pâturage et une zone marécageuse comportant un ruisseau. AREVA reconnaît l’incident et déclare prendre en charge les terres polluées. Cependant, les mesures de l’ACRO présentent des résultats 650 fois plus élevés, en termes d’activité par kg de terre contaminée, que ce qui a été mesuré par l’entreprise[40]. Cette dernière a d’ailleurs démenti tout risque sanitaire sur les populations. Affirmation très critiquée par les ONG. Pour l'ACRO, l'évaluation des risques ne prend pas en compte la radioactivité potentiellement inhalée mais seulement celle ingérée. Autant de faits qui font douter de la sincérité de la parole d’AREVA selon les ONG environnementales. Dans d’autres pays ne fonctionnant pas en cycle fermé, le combustible irradié est un déchet non traité dès lors qu’il sort du réacteur. Ainsi, des pays comme la Finlande ou les États-Unis profitent de leurs grandes étendues naturelles inhabitées pour entreposer les déchets en surface, les stocker en subsurface ou bien en couche géologique profonde (couches granitiques à environ 400 m de profondeur).

La gestion des déchets

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A la suite des oppositions rencontrées entre 1987 et 1990 par l’ANDRA à la recherche d’un site pour l’implantation d’un laboratoire souterrain de qualification, le Gouvernement décide en 1990 un moratoire durant lequel l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques se saisit de ce dossier. Suite à son rapport, le Parlement vote la loi sur les déchets du 30 décembre 1991 prévoyant un statut d’indépendance de l’ANDRA par rapport au Commissariat à l’énergie atomique et fixant dans son activité quatre axes de recherche concernant la gestion des déchets : la séparation et la transmutation, le stockage géologique, le conditionnement et l'entreposage des déchets[8]. Son budget est financé par des contrats commerciaux passés avec toutes les entreprises qui génèrent des déchets radioactifs : EDF, Orano anciennement Areva, le CEA, mais aussi l’armée, les hôpitaux et un certain nombre d’industries comme celle de la chimie. Il s'agit de l’application du principe pollueur-payeur[10].

Selon l'ANDRA, chaque réacteur nucléaire produit en moyenne 220 m3 de déchets radioactifs par an. Pour l’ensemble du parc, nous aboutissons donc à un total de 12 760 m3, soit la contenance de trois à quatre piscines olympiques, et c’est sans compter le combustible nucléaire usagé, qui part au retraitement à l’usine de La Hague[10].

En France, trois catégories de déchets radioactifs définies par le niveau de leur activité et par la nature des radionucléides contenus sont à distinguer :

  • Les déchets de catégorie A envoyés au Centre de Stockage de l'Aube, produits à raison d'environ 20 000 m3 par an, sont des déchets de faible et de moyenne activité, ne contenant que des radionucléides dont la période est inférieure ou égale à trente ans. Après dix périodes de décroissance, la radioactivité de ces déchets a atteint un niveau équivalent à celui de la radioactivité naturelle.
  • Les déchets de catégorie B, de moyenne activité, contiennent des radionucléides à vie longue dont la période de décroissance est supérieure à trente ans. Ceux-ci sont essentiellement constitués d’émetteurs α et ne dégagent pas ou très peu de chaleur. La quantité de ces déchets prévue à l'horizon 2030 est de 80 à 90 000 m3.
  • Les déchets de catégorie C principalement constitués par les solutions de produits de fission vitrifiées, produites lors du retraitement des combustibles usés. Ces déchets sont caractérisés par un fort dégagement de chaleur au moment de leur fabrication. La quantité de ces déchets prévue à l'horizon 2030 est d'environ 4 500 m3.
Cycle du combustible nucléaire.

La première source de production de déchets dans le cycle du combustible est l’extraction de l’uranium à partir de minerais dont les teneurs les plus courantes se situent autour de 0,1 à 0,5 %. Après l'extraction chimique de l'uranium, la totalité de l’atome non extrait, de l'ordre de quelques pour-cents, et de ses descendants se retrouvent sous forme de résidus insolubles. Ces déchets sont caractérisés par une durée de vie très longue et une très faible activité[41].

Après utilisation du combustible dans les centrales nucléaires pour produire de l'énergie, le combustible est usagé, cela devient donc un déchet nucléaire. Entre les piscines de désactivation, une par réacteur, et celles de stockage à La Hague, ce sont environ 14 000 tonnes de combustibles qui sont en attente de retraitement et qui génèrent les pires déchets, ceux à très haute activité et à vie longue. Les deux stratégies proposées pour disposer de ces déchets nucléaires sont l'enfouissement des combustibles usagés, sans retraitement, dans des entrepôts souterrains et l'extraction la plus efficace possible des transuraniens et des produits de fission des combustibles usagés pour en transformer le plus possible, par réactions nucléaires, en produits moins radiotoxiques et/ou de courte durée de vie. C’est ce type de stratégie qui a été choisi par la France[41].

Les trois voies explorées pour la gestion des déchets radioactifs dans le cadre du plan français de recherche 1991-2006 sont :

  • l’entreposage de longue durée en surface ou en subsurface ;
  • le tri chimique, ou retraitement, et physico-chimique avec quelques rejets de radionucléides, comportant notamment la récupération du plutonium, et suivi du conditionnement et de transmutation/fission ;
  • le stockage réversible en formation géologique profonde[8].

L'entreposage :

Dans les pays où le combustible d'uranium usagé n’est pas retraité, ou pas dans l’immédiat, il est nécessaire de trouver une solution intermédiaire permettant d’entreposer à long terme ces combustibles une fois évacués des piscines des réacteurs où ils ne peuvent séjourner trop longtemps à cause des capacités limitées. La solution généralement adoptée est celle d’entreposage à sec, ou sous eau pour la Suède par exemple, car au bout de quelques années, la puissance résiduelle des combustibles est assez faible pour qu’un refroidissement par circulation d’air suffise. Dans d’autres pays comme les États-Unis, une des solutions est celle d’un entreposage dans des ouvrages en béton dans lesquels sont aménagées des alvéoles horizontales cylindriques destinées à recevoir des conteneurs de combustibles usagés.

Ajoutons à cela le plutonium contenu dans les combustibles MOX usés, qui servent à recycler l'uranium usagé, est difficilement recyclable une deuxième fois dans des réacteurs à eau légère pour des raisons de composition isotopique. Il est donc entreposé dans des piscines en vue d’un traitement pour en extraire le plutonium qui devrait alimenter les réacteurs à neutrons rapides[42].

Le retraitement :

Usine de retraitement de La Hague.

Comme tous les métaux, l'uranium est une ressource non renouvelable et les réserves facilement accessibles sont en cours d'épuisement. Un recyclage du plutonium et de l'uranium contenus dans les combustibles usés, seul, permet d’économiser entre 20 et 25% d’uranium naturel. Les réacteurs surgénérateurs permettent, à long terme, d'utiliser pratiquement tout l’uranium naturel pour faire des fissions, donc de l’énergie. La durabilité des ressources existantes en uranium est donc multipliée par deux ordres de grandeur. Cela change radicalement les perspectives d’utilisation de l’énergie nucléaire puisqu’avec un tel système, elles ne sont pratiquement plus contraintes par des limites sur les ressources naturelles[42]. Après une période de 3 à 5 ans de refroidissement, deux modes de gestion des combustibles irradiés sont actuellement envisagés au plan mondial :

  • retraiter ces combustibles de manière à récupérer l’uranium et le plutonium qui représentent respectivement 96 et 1 % de la masse du combustible usé, les 3 % restants étant conditionnés sous forme de colis de déchets destinés, pour la plupart, au stockage en profondeur. Cette voie, mise en oeuvre en France, au Royaume-Uni, au Japon et en Russie, vise à recycler l’uranium et le plutonium ;
  • ne pas retraiter les combustibles usés et les stocker définitivement en couches géologiques profondes, après une période d'une cinquantaine d’années environ d’entreposage sous eau, voire ensuite à sec.

En France, la totalité des combustibles, soit 1 050 t en moyenne annuelle, est traitée à La Hague grâce au procédé PUREX, ce qui permet de récupérer une dizaine de tonnes de plutonium recyclé dans une vingtaine de réacteurs REP. Fin 2014, ce sont plus de 1 700 t de combustible MOX qui sont chargées dans les réacteurs d’EDF, au rythme actuel de 120 t par an. Le retraitement est une série d’opérations mécaniques et chimiques visant à séparer l’uranium et le plutonium des autres produits constituant le combustible usé comme les produits de fission et les actinides mineurs qui, conditionnés sous forme de verres borosilicates, constituent les déchets de haute activité et à vie longue. Ceux-ci sont destinés, après une période de refroidissement pouvant aller jusqu’à 50 ans, au stockage géologique profond. Le retraitement génère également d’autres déchets de procédés, suffisamment contaminés en corps à vie longue, pour justifier également leur stockage en profondeur. Initialement, le plutonium séparé dans les usines de retraitement doit servir de combustible des surgénérateurs. C’est sur cette base qu'est décidé dans les années 1970 de construire Superphénix et des usines de retraitement à La Hague. EDF et Orano Cycle, anciennement COGEMA, décident en 1985 de recycler partiellement le plutonium dans des réacteurs à eau du parc EDF. Le plutonium recyclé dans les REP est introduit sous forme d’un combustible mixte d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium, appelé MOX pour Mixed OXide[41].

L’uranium issu de ce traitement peut être ré-enrichi puisqu’il contient entre 0,8 et 0,9% d’235U, proportion un peu plus élevée que l’uranium naturel lui-même qui est de 0,71%. Malheureusement, il contient environ 0,5% d’236U qui est un poison neutronique puisqu’il ne fait que capturer les neutrons sans donner naissance à un isotope fissile. De plus, il est impossible de le séparer de l’235U lors d’une opération industrielle d’enrichissement étant donné que les deux isotopes ont pratiquement la même masse. L’uranium issu du traitement des combustibles contient d’autres isotopes de l’uranium qui ne sont pas présents dans l’uranium naturel. Certains peuvent être gênants même s’ils sont présents en très faible proportion. Ainsi, cet uranium doit faire l’objet d’une gestion spécifique tout au long du cycle du combustible. Malgré ces inconvénients, il est intéressant de le recycler[42].

Le stockage :

La sûreté d’un stockage, de surface ou géologique, repose sur un concept multibarrière. En effet, une limite supérieure de dose acceptable est définie pour toute activité touchant au nucléaire. Pour le public, et sur le long terme, cette limite est de 1 mSv/an. Ce chiffre est de l’ordre de la dose que reçoit en moyenne chacun d’entre nous, du fait de la radioactivité naturelle des roches. Comme la norme de 1 mSv/an s’entend pour toute activité nucléaire confondue, il est admis que 10 à 25 % de cette valeur est un chiffre acceptable pour les doses qui engendrées par la présence d’un stockage. C'est pourquoi il faut multiplier les barrières entre les déchets et l’homme pour avoir un système de stockage dont la sécurité soit redondante. La nature et le rôle assignés à chaque barrière dépendent de la nature du déchet, du type de formation géologique considérée et du concept de stockage développé. Les principaux éléments d’un système multibarrière sont constitués par :

  • le colis de déchets qui est composé du déchet proprement dit, stabilisé, enrobé ou bloqué par une matrice de conditionnement et placé dans un conteneur ;
  • la ou les barrières ouvragées qui sont les matériaux disposés entre le colis et la formation géologique ;
  • la formation géologique elle-même.

Les objectifs des traitements appliqués aux déchets primaires sont de concentrer la radioactivité sous un volume minimum permettant de recycler ou de rejeter dans l’environnement le maximum d’effluents ou de matériaux décontaminés, les déchets secondaires résultant de cette concentration seront ensuite conditionnés. Il faut aussi stabiliser les déchets en les mettant sous une forme qui exclut ou limite toute évolution ultérieure ou bien qui élimine certains caractères agressifs, les rendant ainsi compatibles avec les opérations ultérieures de conditionnement. Les principales matrices d’immobilisation sont le ciment, le bitume et les résines thermodurcissables pour les déchets de catégorie A et B, les verres pour des déchets de catégorie C :

  • Le ciment constitue la technique de conditionnement la plus ancienne et la plus répandue. Il réunit de nombreux facteurs favorables comme la simplicité de mise en œuvre, la bonne connaissance du matériau, la résistance mécanique et la compatibilité avec l’eau.
  • Le bitume a une excellente adhésivité à de multiples supports, il est peu soluble dans l’eau et imperméable, plastique, élastique, résistant aux chocs et à l’irradiation, a une bonne tenue biologique, est abondant et modérément coûteux. Il est utilisé pour le conditionnement de déchets homogènes comme les boues de traitements chimiques.
  • Les polymères organiques sont utiles pour le conditionnement de résines échangeuses d’ions. La polymérisation forme un réseau qui enferme dans ses mailles les particules de déchet, réalisant un enrobé. Le tout est faiblement soluble dans l’eau, imperméable et a une bonne tenue aux rayonnements et aux agents biologiques.
  • La vitrification consiste à transformer les solutions très radioactives en un verre minéral de type borosilicaté ou aluminoborosilicaté. Ce traitement effectue la conversion des cations, radioactifs ou non, contenus dans les solutions en oxydes faisant partie intégrante du réseau vitreux.

Cependant, dans le contexte tectonique français, il existe des mécanismes susceptibles de porter atteinte au pouvoir de confinement de la barrière géologique. Nous pouvons noter la fracturation du sol, due à l’influence des mouvements différentiels ou d’ensemble de la tectonique des plaques, les variations climatiques, qui engendrent des modifications du régime des eaux souterraines, et la variation du niveau des mers, qui provoque l’érosion des fleuves et leur enfoncement. De plus, les effets du stockage lui-même sur la roche hôte sont nombreux et engendrent de nombreuses incertitudes. Par exemple, les déchets, principalement de type C, engendrent de la chaleur qui échauffe le massif qui se dilate et peut éventuellement se fracturer. Ils sont aussi susceptibles de former des gaz, sauf que si le taux de production dépasse le taux de diffusion ou de convection, ils peuvent s’accumuler et former une phase séparée dont la pression pourrait, à terme, dépasser la limite de rupture de la roche et créer une fracturation nouvelle.

Tous ces effets peuvent faire l’objet d’expériences et d’extrapolations à long terme, mais il subsiste toujours une incertitude, qui oblige à s’interroger sur les conséquences d’une défaillance de l’une ou l’autre des barrières. La connaissance de la présence du stockage ne peut pas être garantie sur le long terme. En effet, la mémoire institutionnelle ne dépasse pas quelques siècles, il faut donc admettre que des travaux ultérieurs peuvent être entrepris par nos descendants sans savoir que le site est utilisé pour y stocker des déchets.

Une troisième source d’incertitude résulte de la connaissance imparfaite que nous avons des mécanismes qui engendrent l’éventuel retour des radionucléides dans l’environnement. Il y a donc une incertitude sur les processus mis en jeu pour chaque modèle utilisé, sur le choix des valeurs des paramètres utilisés dans les modèles en les considérant comme des variables aléatoires, la loi de distribution plutôt qu’une valeur unique est cherchée à être caractérisée, et sur le souci d’exhaustivité des effets synergiques de plusieurs événements qui peuvent être considérés comme indépendants à tort. C’est pour cela que la solution alternative du retraitement, qui a pour but de réduire la période et la quantité des déchets à vie longue qui sont à stocker en profondeur, a été examinée[41].

La fission d'un atome d'uranium 235 libère de l'ordre de 193,2 MeV d'énergie récupérable en réacteur en fonction des produits de fission et la fission d'un atome de plutonium 239 libère environ 198,6 MeV d'énergie récupérable[43]. Cette énergie est à peu près la même quel que soit le noyau atomique fissionné. C’est une énergie colossale comparée à celle d’une réaction chimique quelconque qui ne met en jeu que les énergies de liaison des électrons, et non celles des nucléons comme lors d’une fission, de l'ordre de 5 eV par molécule de CO2 produit. L'ordre de grandeur des énergies libérées par les combustibles nucléaires est donc un million de fois plus importante que celui des énergies fossiles[42].

Seulement 31 % de la chaleur produite par la réaction nucléaire dans un réacteur est transformée en électricité, le reste sort par les tours de refroidissement et réchauffe l’atmosphère[10].

Comparaison entre le thorium et l'uranium, les RSF et les REP :

Le thorium est quatre fois plus abondant que l'uranium. 300 000 tonnes de thorium, équivalant la réserve en thorium des États-Unis, correspond à presque 1 trillion de barils de pétrole, soit cinq fois les réserves en pétrole de l’Arabie Saoudite. Le thorium possède un plus haut rendement en tant que combustible liquide. Ainsi, 1 tonne de thorium peut produire autant d’énergie que 200 tonnes d'uranium ou que 3 500 000 tonnes de charbon, d'après une étude du CERN[44]. Ceci a pour principale conséquence une diminution du coût du réacteur, ce que équivaut à baisser le prix de construction de 25 à 50 fois par rapport à un réacteur actuel, et permet de diviser par 1 000 la quantité de déchets hautement radioactifs à très longue vie, ce qui change évidemment la donne en matière de sécurité, de stockage de ces déchets et d'acceptabilité sociale de l'énergie nucléaire[45]. Le thorium permet aussi de faire des économies sur les infrastructures car la surface requise à leur implantation est de 200 à 300 mètres carrés, comparée à celle des centrales nucléaires à eau légère qui est de 20 000 à 30 000 mètres. De plus, les coûteuses installations d'enrichissement d'uranium et les dômes de confinement ne sont d'aucune utilité dans ce type de réacteur, elles ne viennent donc pas s'ajouter au prix du RSF.

Le combustible liquide facilite également le traitement des déchets, il est possible de le retraiter sans arrêter le réacteur. Ainsi, les produits de fission bloquant la réaction, comme le xénon 135, sont évacués en continu, ce qui permet au final d'utiliser plus de 99% du combustible. Un Superphénix, qui est le meilleur modèle de réacteur actuel en termes de rendement, ne dépasse pas les 50% d'utilisation car les produits de fission ne peuvent être traités en continu, le combustible est donc contaminé avant d'avoir libéré toute son énergie et doit être automatiquement remplacé par du combustible neuf[44].

Les politiques du nucléaire à l'international

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Certains pays décident de mener une politique de sortie du nucléaire civil. Ils ne veulent plus, à terme, compter sur des centrales à fission nucléaire pour assurer leur production d’électricité. Dès 1978, l’Autriche initie le mouvement suivi en 1980 par la Suède puis l’Italie en 1987, la Belgique en 1999, l’Allemagne en 2000, la Suisse en 2011 et le Canada en 2013 pour la province du Québec.

Pour le cas de l'Allemagne, avant sa politique de dénucléarisation, ce pays comporte 17 centrales actives sur son territoire en exploitant deux technologies différentes. Onze réacteurs sont à eau pressurisée et 6 fonctionnent à l’eau bouillante. Le parc nucléaire allemand représente alors une production annuelle de 21,5 GW, soit un quart de la production d’électricité du pays. La loi atomique de 2002 prévoit l’abandon progressif du nucléaire en attribuant aux centrales un quota de production supplémentaire. Ainsi, à compter du 1er Janvier 2000, les centrales nucléaires peuvent encore produire 2623 TWh, ce qui équivaut à une durée d’exploitation théorique de 32 ans pour chaque centrale, sans obliger de dates butoires de fermeture des centrales. Cette loi interdit la construction de nouvelles centrales et oblige les exploitants des centrales à stocker les combustibles irradiés sur le lieu d’exploitation à partir de juillet 2005. La loi atomique de 2010 permet la production de 1804 TWh supplémentaire, soit environ 12 ans de prolongation. Cet allongement de l’exploitation des centrales nucléaire est fortement impopulaire en Allemagne. De plus, l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima en mars 2011 marque un tournant. La loi atomique de 2011 est plus stricte et exige la fermeture immédiate de neuf centrales avec une date butoire à 2022 pour l’exploitation des autres centrales. Le 14 mai 2020 l’Allemagne détruit les tours de la centrale de Philippsburg[46]. Pour pallier cette baisse de la production d’électricité, le pays utilise aussi beaucoup de centrales à charbon pour répondre à la demande énergétique. Cependant l’Allemagne investit massivement dans des infrastructures exploitant des énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire qui représentent une part de plus en plus importante de la production électrique.

D’autres pays choisissent de mener une politique de nucléarisation, d’une part en utilisant des technologies approuvées et répandues, et d’autre part en développant des alternatives au nucléaire actuel en développant des centrales fonctionnant avec un autre combustible tels que le thorium ou le MOX. C’est le cas de la Chine qui possède 46 réacteurs opérationnels et onze en constructions. Les chinois ont l’ambition de maîtriser complètement le cycle de vie des combustibles radioactifs. Dans cette optique, ils créent des sites pour le stockage des déchets de faible radioactivité ainsi que des sites souterrains pour le stockage définitif des déchets ayant une vie longue et une haute activité. En s’inspirant du modèle français, les chinois retraitent l’uranium et le plutonium pour pouvoir ensuite les utiliser dans des réacteurs qui fonctionne à partir de MOX, ils visent ainsi à réaliser une politique nucléaire sur le long terme. De plus, depuis 2011, ils travaillent activement sur des réacteurs à sels fondus et à spectre rapide (MSFR). En effet, la Chine possède des quantités de terres rares importantes contenant du thorium. Cette technologie de réacteur permet une plus grande flexibilité de la production d’électricité car ces centrales peuvent théoriquement atteindre des variations de puissance de l’ordre de 50% sans faire varier la température du réacteur, et cela en un laps de temps très court.

Le paradigme de l'énergie nucléaire questionné

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Cette partie a vocation à conclure en évoquant une pensée sur le sujet étudié. Le but est de questionner le lecteur et de pousser au débat et à la réflexion.

L’énergie nucléaire a éminemment révolutionné la production d’électricité depuis son apparition. Aucune technologie assez mature n’a réussi pour l’heure à produire autant d’énergie avec si peu de matière. Témoin de la soif de progrès de l’Homme, mais aussi de toute l’horreur dont il est capable, elle a rythmé l’histoire de la deuxième moitié du 20ème siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, la maîtrise de l’énergie nucléaire a souvent été synonyme de progrès et partie prenante de l’ascension fulgurante qu’ont connue les pays qui sont détenteurs de ce savoir. Le nucléaire et l’augmentation de la production électrique ont induit du progrès social, matériel et économique. Il a été, et est encore, un vecteur de puissance sur la scène internationale pour les nations détentrices de ce savoir. Encore aujourd’hui, le nucléaire nous renvoie l’image d’une époque où tous les voyants étaient au vert d’un point de vue de l’énergie. Une époque où le réchauffement climatique ainsi que l’impact de l’Homme sur l’environnement ne faisaient pas parti des préoccupations. Une époque où la norme en vigueur était la production d’énergie à profusion, disponible à tout moment, sans aucune contrepartie autre que financière.  Il nous témoigne de ce paradigme qui était alors de mise : l’énergie nucléaire et l’essor de la technique en général, impliquait le progrès vers lequel l’humanité devait tendre. Mais, depuis l’accident de Tchernobyl en 1986, le nucléaire civil suscite la peur et l'indignation au sein de l’opinion publique. Cette industrie n’est plus acceptée par une partie croissante de la population. Dès lors, le nucléaire est légitimement questionné et critiqué. Et face aux conséquences dramatiques de Tchernobyl qui dévoilent au grand jour l’impact que le nucléaire peut avoir sur les populations et l’environnement, des pays décident de mettre en place des politiques afin de sortir du nucléaire. D’autres pays en revanche s’obstinent à continuer dans cette voie, parfois sous la pression de leur démographie nationale.

Dès lors, au regard de l’Histoire et du futur dans lequel les prochaines générations vont évoluer, il est nécessaire de s’interroger sur la place de cette énergie dans nos sociétés. Il n’est plus à prouver que le nucléaire peut être dangereux pour l’Homme. Les accidents ne sont pas inévitables et les déchets nucléaires posent des problèmes techniques et éthiques majeurs liés à leur gestion. Ils restent ingérables en l’état, par rapport à notre échelle de temps, quel que soit le type de cycle. Car malgré des avantages qu’apporte le cycle fermé, le problème de l’élimination des déchets est loin d’être entièrement résolu. Tant que les scientifiques et les ingénieurs n’auront pas trouvé de solution pérenne pour s’en débarrasser ou abolir leur dangerosité, cette source d’énergie sera difficilement envisageable en tant que solution durable à long terme car c’est précisément l’étape des déchets qui pose le plus de problèmes au cours du cycle de l’énergie nucléaire. Cependant, il n’est pas exclu que le nucléaire ait un rôle majeur à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique dans les pays où il est déjà implanté. Le GIEC, bien qu’il ne soit pas particulièrement pro-nucléaire, préconise un maintient voire une augmentation de la capacité nucléaire dans la majorité de ses scénarios pour rester « en dessous de la barre des 2° Celsius ». Il s’agit en effet de la seule option pour maintenir des installations de production électrique d’une grande puissance. Il n’est plus à démontrer que si l’on souhaite maintenir une centrale électrique aussi puissante qu’un REP, un parc éolien nécessitera de couvrir une grande zone bien plus grande et dont les conditions météorologiques sont propices à l’exploitation du vent pour produire de l’électricité. En outre, ce parc éolien nécessitera sans doute plus de matériaux qu’une centrale nucléaire pour la construction des éoliennes, pour produire de l'énergie de manière intermittente qui plus est. Mais ce choix du développement du nucléaire est critiquable car il pose des problèmes de sûreté et de prolifération. En effet, tous les pays ne se fixent pas les mêmes contraintes en termes de sécurité de leurs installations, tant pour les populations que pour l’environnement. Et certains pays profitent du nucléaire civil pour obtenir la bombe atomique afin de pouvoir peser sur la scène internationale. Dès lors, il conviendrait de changer de paradigme sur la question de l’énergie nucléaire, en développant des technologies sûres, capables de régler le problème des déchets et celui de la prolifération. Le thorium et les réacteurs à sels fondus font partie de ces alternatives qui mériteraient d’être développées dans un futur proche. Elles promettent un nucléaire plus sûr, produisant moins de déchets et pouvant empêcher la prolifération. On pourrait également imaginer un nucléaire dont le rapport au complexe militaire est remis en cause. Cependant, le développement du nucléaire est quelque peu freiné ces dernières années, notamment pour la recherche. En témoigne l’arrêt des recherches autour du surgénérateur ASTRID acté par le CEA. Bien qu’utile en termes de concept énergétique et de recyclage des déchets dans le contexte actuel, ce projet a été définitivement abandonné en 2019. Pour cause, la société a évolué et ne souhaite parfois plus s’orienter vers le nucléaire qu’elle juge, à tort ou à raison, onéreux et éloigné des préoccupations de son futur proche. La conception de l’énergie a en effet changé entre les années 1960 et aujourd’hui. En atteste également le décalage entre notre prise de conscience actuelle de la valeur et de l’impact de l’énergie, et l’absence de réflexions majeures des ingénieurs et chercheurs précurseurs du nucléaire autour de l’économie d’énergie, de l’impact environnemental et sanitaire du nucléaire.

Mais, le changement de paradigme pourrait s’opérer au niveau de nos comportements et non pas de la technique. Depuis le début de l’ère industrielle, nous avons décuplé les capacités énergétiques dont nous disposons grâce aux énergies fossiles et au nucléaire. Au point que si l’on prend en compte la puissance maximale développée par un Homme, la puissance énergétique totale dont nous disposons au quotidien (voitures, appareils électroménagers, chauffage, technologies numériques…) serait équivalente à celle de 200 à 500 hommes en moyenne pour un français[47]. Ainsi, le nucléaire pose également la question de notre confort et de la sécurité de nos modes de vie. La sortie du paradigme actuel sur le nucléaire pourrait s’opérer en l'abandonnant tout simplement, et plus largement en abandonnant les énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. Mais, cela impliquerait en parallèle de réduire nos besoins les plus énergivores et aussi le confort de nos modes de vie. Ces derniers, où la technique est reine et où nos comportements témoignent d’une vision cartésienne de l’Homme maîtrisant la Nature par la technique, doivent sans doute être remis en question à l’ère de l’Anthropocène.

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