Recherche:Les fonds patrimoniaux des bibliothèques publiques/XIXe et début XXe, un sommeil comblé
Le XIX a été le siècle des révolutions politiques, industrielles, économiques et scientifiques. On peut donc facilement l'intituler le siècle du triomphe du livre. La production passe de 2000 titres par an, en France en 1789 à 12000 sous le Second Empire. Les périodiques se multiplient. Au cours du XIXe siècle naissent les bibliothèques modernes. Des problèmes nouveaux se posent. Faire face à la marée montante de la production typographique ; stocker dans les magasins les livres, trop nombreux pour les rayonnages muraux des salles de lecture et former des cadres professionnels pour le classement, le catalogue et la communication des documents. Les bibliothèques se diversifient : on assiste au développement des bibliothèques universitaires, des bibliothèques des sociétés savantes et des bibliothèques scolaires, paroissiales et populaires. La Révolution appelle à une reconstruction : organisation des nouvelles bibliothèques publiques, traitement de l'amas des livres provenant de l'Ancien Régime, recréation des bibliothèques universitaires, reconstruction des bibliothèques religieuses. À la fin du siècle, les bibliothèques publiques traditionnelles tendent à se scléroser dans la conservation de leurs fonds anciens, pendant que des formules nouvelles naissent Outre-Atlantique.
La bibliothèque nationale française
[modifier | modifier le wikicode]Les bibliothèques nationales fondées avant 1800 ou au début du siècle connaissent une forte croissance, due au dépôt légal et à des dons généreux, en complément de leurs politiques d'acquisitions. Rassemblant un savoir encyclopédique, elles s'affirment comme des centres bibliographiques, centres de la recherche universitaire et gardiennes de la mémoire nationale. L'intérêt de l'État pour ces fonctions se traduit par la construction et l'aménagement de bâtiments. À Paris, la bibliothèque nationale héritée à la fois des collections royales et du cadre où elles étaient conservées dans l'Hôtel de Nevers. Elle s'agrandit en 1825-1826 de l'Hôtel Tubeuf et de la galerie construite par Mansard vers la rue Vivienne. Ultérieurement, l'expropriation des maisons de la rue Colbert et de la rue Vivienne la mit en possession d'un quadrilatère de plus d'un ha et demi. Les travaux entrepris furent d’abord confiés à l'architecte Louis Visconti, l'auteur du mausolée de Napoléon aux Invalides et des agrandissements du Louvre. Sur le plan administratif, la Convention avait doté la bibliothèque nationale d'un système collégial, le "directoire" donnant une certaine autonomie aux conservateurs des divers départements qui élisent dans leur sein un directeur temporaire. Ce système fut modifié suivant les propositions faites en 1858 par une commission présidée par Prosper Mérimée. À côté de l'administrateur général, nommé par l'empereur, les conservateurs ne forment plus qu'un comité consultatif. À partir de 1881, fonctionne un comité puis une commission réunissant les grandes bibliothèques de Paris qui dépendent de l'État (Arsenal, Mazarine, Sainte-Geneviève). Présidés par l'administrateur de la bibliothèque nationale Léopold Delisle, ces comités ont un rôle moteur pour l'unification des règles de fonctionnement et d'ouverture, le lancement d'un inventaire général des collections et la refonte des catalogues, à défaut d'un catalogue collectif. Lorsque prit naissance l'architecture de fer, les bibliothèques en expérimentèrent les ressources. La meilleure réalisation française est, sans doute, la première en date, la nouvelle bibliothèque Sainte-Geneviève, due au talent du jeune architecte Henri Labrouste (1801-1875) qui en élabora l'avant projet en 1838. Le nouveau bâtiment, installé à l'emplacement de l'ancien collège de Montaigu, fut ouvert au public au début de 1851. Sa célébrité eut plusieurs motifs. L'architecture mettait en valeur des matériaux nouveaux. La salle de lecture, conçue pour recevoir 420 lecteurs est entourée de galeries latérales doubles, permettant d’avoir à portée de main 65000 volumes, fut rapidement fréquentée par un public d'étudiants. Évolution moins visible, la bibliothèque comportait des magasins importants, distincts de la salle de lecture. Ce choix permettait de loger des collections accrues par les confiscations révolutionnaires et par l’attribution d'un exemplaire du dépôt légal. Il annonçait un principe de séparation banalisé dans les années 1870, qui marquera les constructions françaises, jusqu'au milieu du siècle suivant. Après ce succès, Labrouste réalisa la modernisation des magasins à livres de la bibliothèque nationale et de 1864 à 1868, la construction de la grande salle de travail. En France, la bibliothèque nationale et la bibliothèque Sainte-Geneviève se trouvent en avance sur les autres types d'établissement. Lentement, au cours du siècle, des bâtiments construits à usage de bibliothèques se substituent aux locaux de fortune qui abritent la majorité des bibliothèques issues de la Révolution. Les premiers exemples sont les bibliothèques municipales de Besançon(1818) et d'Amiens (1826). On passe dans la seconde moitié du siècle des conceptions des siècles précédents (salles de lecture-magasin ; bibliothèque écrin ou monument), à des parties plus fonctionnelles, à des bibliothèques plus attractives pour le public, mieux éclairées et chauffées. Très tardivement apparaissent des "bâtiments construits exprès et isolés", permettant l'extension des bibliothèques universitaires.
Les bibliothèques universitaires
[modifier | modifier le wikicode]L'université, sous sa forme actuelle, se constitue progressivement au XIXe siècle, comme lieu de la formation supérieure mais aussi comme un lieu d'élaboration de la science. La bibliothèque savante accompagne la mutation. En France, les bibliothèques universitaires n'ont été organisées que dans la seconde moitié du siècle. Après avoir supprimé les universités, la Révolution avait laissé, hors de Paris, un enseignement supérieur privé de bibliothèques. Sous le nom d'université, l'Empire a institué une structure administrative centralisée, divisée en académies. Cette structure jouit du monopole de l'enseignement et intègre les unité existantes. Pour l'enseignement supérieur, elle s'appuie sur le réseau des lycées, héritiers des facultés des arts de l'Ancien Régime, et sur les écoles et facultés "professionnelles" (médecine, droit) rapidement réorganisées après la rupture révolutionnaire. C'est après la défaite de Sedan qu'un mouvement de réforme des enseignements supérieurs s'affirme. La construction des bibliothèques universitaires (1878-1886) est alors un des moyens par lesquels le gouvernement prépare l'organisation d'universités par réunions de facultés (1885-1896). Deux ministres de l'instruction publique, Agénor Bardoux et Jules Ferry, introduisent des principes nouveaux en France : une bibliothèque universitaire centrale, constituant une seule unité, même lorsqu'elle comporte des sections, est placée sous l'autorité d'un secteur. Faite pour les professeurs et les étudiants, elle a un financement régulier (le droit de bibliothèque payé par les étudiants a été institué en 1873), des prescriptions techniques sur le modèle allemand, des bibliothécaires recrutés après examen professionnel. Plus riche, l'université de Paris s'appuie sur des bibliothèques universitaires spécialisées : bibliothèques des facultés de pharmacie et de médecine, héritières des écoles et facultés d'Ancien Régime, bibliothèque de droit, bibliothèque de la Sorbonne, pour les lettres et les sciences. Non sans quelques pertes, la bibliothèque de la Sorbonne est l'héritière de la "bibliothèque de l'université de Paris", organisées en 1762-1765. Celle-ci a traversé la Révolution et l'Empire, sous des dominations diverses : bibliothèque de l'Institut des Boursiers (1795), bibliothèque du Prytanée (1798), bibliothèque des lycées de Paris (1802), bibliothèque de l'Université de France (1808), transférée à la Sorbonne en 1825.
Essor des bibliothèques publiques
[modifier | modifier le wikicode]Les bibliothèques dont nous venons de parler ont une vocation et un public bien déterminés. Leur accès est soumis à des règles restrictives ou réservées à certaines catégories de lecteurs. Les bibliothèques publiques s'adressent à l’ensemble des citoyens. Une telle notion était apparue timidement au siècle des Lumières. Le XXe siècle lui donnera un large développement, notamment en France et dans les pays anglo-saxons, avec des modalités très différentes. En France, ce rôle avait été dévolu par la Révolution aux bibliothèques municipales, dont 200 villes disposent (contre un cinquantaine de bibliothèques publiques à la fin de l'Ancien Régime). Mais leurs premiers fonds ont été constitués par une masse de livres d'érudition et de théologie provenant des "dépôts littéraires", qui répondent mal aux besoins du grand public. L'essentiel de la réflexion en ce domaine fut mené sous la monarchie de Juillet, qui transféra au ministre de l'instruction publique la responsabilité des bibliothèques. Cependant, les mesures envisagées pour faire de ces établissements un élément du système éducatif français n'était que de deux ordres : établir un catalogue collectif, pour corriger par échanges la "répartition vicieuse des richesses littéraires locales", puis procéder à des dons d'ouvrages que l'État acquiert par souscription. L'ordonnance du 22 février 1839 résume la réflexion ministérielle : obligation d'envoi des catalogues, institutions des comités d'achat et d'un rapport annuel, contrôle de l'inspection générale des bibliothèques. Les bibliothèques municipales, incitées dès 1838 à ouvrir leurs salles en soirée, sur l'exemple de la bibliothèque Sainte-Geneviève, restèrent orientées vers l'histoire locale et la bibliophilie, avec de faibles crédits d'acquisition. Leur public était restreint, composé surtout d'érudits, qui ont volontiers légué leurs propres collections de manuscrits, de plaquettes rares, de livres somptueusement reliés, aux bibliothèques municipales. Ces donations ont parfois été si considérables que dans plusieurs grands dépôts provinciaux, les fonds antérieurs à la Révolution passent au second plan. Nantes, par exemple, ou Rouen se sont accrus au cours du XIXe siècle de respectivement 75000 et 140000 volumes. On peut également citer les antiques de Grenoble, les ivoires du Moyen Âge légués par le comte de l'Escalopier à Amiens et par Cavalier à Montpellier, les aquarelles, les gouaches et les sanguines de Fragonard, d'Hubert Robert et de Boucher à Besançon et à Lyon. Malgré leurs faibles moyens en crédits et en personnels, les conservateurs de ces bibliothèques-musées ont beaucoup fait pour la mise en valeur de leurs collections et souvent suppléé les carences des bibliothèques universitaires de l'époque. Quelques uns ont ouvert des annexes pour le prêt de romans et d'ouvrages de vulgarisation. À la question de l'instruction du peuple et de son accès à l'information, posée depuis le XVIIIe siècle, répondent de multiples réseaux de diffusion, anciens ou nouveaux. Ceux-ci couvrent la France d'une poussière de petites bibliothèques. Sous la Restauration, on note à nouveau l'essor des cabinets de lecture, à l'initiative des libraires. Les autres réseaux, consacrés à la diffusion des "bons livres" dépassent résolument le cadre de la lecture publique urbaine. Dès 1820, des œuvres catholiques s'y emploient dans une action pionnière. Après 1860, elles se trouveront en concurrence avec d'autres mouvements. Malgré l'exil intérieur du catholicisme en France, et l'absence de structures de coordination, on a évalué les bibliothèques populaires catholiques à 30000 à la fin du siècle, dont 18000 bibliothèques paroissiales. L'action publique, sous le Second Empire et la Troisième République concerne les bibliothèques scolaires, comme substituts de bibliothèques communales. On en compte 583 en 1863, 43000 en 1900. Pour le reste, l'État se satisfait de l'action de la propagande pour la lecture populaire que poursuivent des associations aux objectifs moralisateurs et de didactique. Dans un mouvement auquel participe tous les courants idéologiques et religieux, 3 sociétés philanthropiques ont été particulièrement actives. La Société pour l'amélioration et l'encouragement des publications populaires (1862) s'inscrit dans le courant du catholicisme social. Fondée la même année, la Société Franklin regroupe la grande bourgeoisie, avec une forte présence protestante. La Société des bibliothèques communales du Haut-Rhin (1863) est à l'origine de la Ligue de l'Enseignement (1866). Son principal animateur fut Jean Macé, un opposant au coup d'état du 2 décembre 1851, qui s'était retiré en Alsace et avait reçu l'appui des industriels mulhousiens. Chaque société propose bulletin de livraison, liste de bons livres, services de librairie et de reliure. Parallèlement le monde ouvrier créé ses propres bibliothèques dans les coopératives, les syndicats et les bourses du travail. On compte en France à la fin du siècle 3000 bibliothèques populaires axées sur la communication et le prêt, qui ont accepté l'aide et le contrôle de l'État. Mais leurs fonds sont limités, leur financement est discontinu, elles ne sont pas accessibles à tous. Leur déclin accompagne la laïcisation de la société et le développement de la scolarité, apportant à tous l'accès aux savoirs élémentaires.
Évolution du métier de bibliothécaire au XIXe siècle
[modifier | modifier le wikicode]En France au XVIIIe siècle, le bibliothécaire était un auteur, érudit, linguiste, membre de sociétés savantes ou d'académies. Ses compétences professionnelles étaient acquises sur le tas, en s'appuyant sur quelques traités et quelques modèles. Les bibliothécaires sont recrutés sans exigence de diplômes. Ce sont généralement des écrivains, professeurs ou journalistes à qui on fournit une sinécure. Tel fut le cas de Sainte-Beuve, bibliothécaire à la Mazarine de 1840 à 1848, au début de sa carrière, et de Leconte de Lisle, bibliothécaire du Sénat. Charles Nodier est la figure la plus représentative du bibliothécaire homme de lettres et bibliophile. Il avait débuté dans le métier de bibliothécaire à Laybach, dans les provinces illyriennes, au temps de l'administration de Marmont. Il fut nommé sous la Restauration bibliothécaire en chef de Monsieur, comte d'Artois à qui la bibliothèque de l'Arsenal avait été théoriquement restituée, tout en restant ouverte au public. En 1834 il fonda le "Bulletin du bibliophile". Son appartement à l'Arsenal devint un salon littéraire.
Deux mouvements distincts ont provoqué au cours du XIXe siècle la venue de professionnels dans les bibliothèques et du coup la naissance du métier de bibliothécaire. L'École des Chartes avait été fondée en 1821 pour reprendre la publication des monuments écrits de l'histoire nationale. Ses élèves, dont la formation se déroulait principalement à la bibliothèque royale, eurent la préférence pour un emploi sur deux (puis sur trois) dans les bibliothèques publiques, y compris la bibliothèque nationale. Ce fut le premier recrutement de bibliothécaires après une formation spéciale. L'École des Chartes mit en place les premiers enseignements préparant au métier. Dans le dernier quart du siècle, se créèrent d'autres dispositifs exclusivement professionnels. Le recrutement des bibliothécaires des universités françaises se faisait sur la base du certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB), premier diplôme professionnel, mis en place entre 1879 et 1893. Sur ce modèle, furent organisés entre 1885 et 1897, sans équivalence entre eux, des examens d'entrée à la Bibliothèque nationale, à la Mazarine, Sainte-Geneviève et l'Arsenal, ainsi qu'un CAFB pour les bibliothèques municipales classées. Le poète José-Maria de Heredia fut nommé en 1901 administrateur de la bibliothèque de l'Arsenal, mais il était ancien élève de l'École des Chartes. En 1912 et 1913, les candidatures de Péladan et Charles Péguy à un emploi de conservateur furent rejetées.