Nature de l'intelligence divine chez Aristote
'En métaphysique, Livre Λ, chapitre 9, de 1074b15 à 1075a4
Aristote étudie la nature de l'intelligence divine : qu'est-elle ? que pense-t-elle ? Cette leçon présente un commentaire du chapitre 9 du livre Λ de la métaphysique sur l'Intelligence divine chez Aristote qui traite de ces questions.
C'est en se proposant d'étudier la substance, au livre Λ, qu'Aristote en arrive à la théologie ou philosophie première. C'est ainsi que dans ce livre se déploie une réflexion qui part d'une distinction entre les différentes espèces de substances (chapitre 1), pour ensuite traiter du mouvement qui ne concerne que les deux substances physiques (chapitres 2 à 5) et enfin en arriver, au chapitre 6, à déduire du fait même qu’il y ait un mouvement la nécessité d'un premier moteur éternel et acte pur, qui sera la dernière espèce de substance : la substance immobile. Aristote passe des caractères purements formels du moteur des cieux à une intelligence toujours en acte et parfaite, c'est-à-dire à Dieu, au chapitre 7. La vie "intime" de Dieu y sera examinée : il en ressortira que Dieu est un être immobile qui "meût le monde sans être mû" (de manière attractive), qu'Il est séparé des substances sensibles (c'est-à-dire qu'Il est transcendant) et qu'Il contemple sans cesse son objet. Aristote définit la nature de l'Intelligence divine au chapitre 9 : l'Intelligence divine n’est pas une simple faculté de pensée. Si l'Intelligence divine est parfaite, cela veut dire qu'elle est pleinement réalisée, elle n'a alors pas besoin, comme les autres substances, de chercher les conditions de sa réalisation dans une matière extérieure. L'Intelligence (νοῠς), l'intellection (νοησις) et l’objet d'intellection (νοητον) sont une seule et même chose en Dieu.
Comment Aristote va-t-il parvenir à cette définition de la nature de l'Intelligence divine ? La problématique du texte est résumée dans cette phrase qui est employé par Aristote lui-même : "l'essence de l'Intelligence divine est-elle la faculté de penser ou l'acte même de penser ?" En effet, c’est en tentant de Ce chapitre 9 soulève de nombreuses difficultés, et c’est en les écartants qu'Aristote va parvenir à cette définition ; ces problèmes découlent tous du fait qu’il est posé, de manière axiomatique, que l'Intelligence divine est "le plus divin des phénomènes" (τῶν φαινομένων θειότατον) ; or c’est précisément le fait de déterminer les conditions mêmes de cette absolue suprématie de l'intelligence divine qui pose des difficultés, comme par exemple à savoir si Dieu doit nécessairement penser un objet, ou s'il se peut qu’il ne pense pas, selon quelles modalités il se peut qu’il pense quelquechose, ou encore quelle est la nature de cet objet, etc. De cela découle d'autres difficultés : Aristote doit par exemple composer avec le fait que la seule intelligence observable, celle de l'homme, ne doit pas fausser l'examen de la nature de l'Intelligence divine : toutes deux sont de nature différentes. Une intelligence humaine ne contient-elle pas toujours de la puissance, c'est-à-dire n'est-elle pas qu'une simple faculté de penser ? Dans ce cas, l'intelligence est inférieure à l'intelligible, puisque l'intelligence dépendrait de son objet comme d'un principe supérieur et cet objet intelligible serait alors plus noble que l'intelligence ; corrélativement, cette question amène à se demander si la dignité de l'acte d'intellection dépend la noblesse de l’objet intelligé. Or l'Intelligence divine peut-elle être inférieure et peut-elle dépendre de quelquechose ? Bref, ces difficultés, et bien d'autres, viennent toutes du fait qu'Aristote cherche à définir l'Intelligence divine comme étant le plus divin des phénomènes.
Aristote progresse de manière très prudente, en rapportant toute hypothèse à ce postulat fondamental qui va "guider" toute la réflexion du chapitre. La réflexion d'Aristote se divise dans la mesure où elle procède de manière hypothético-déductive, c'est-à-dire qu'en face d'une alternative, les deux hypothèses seront examinées l'une après l'autre et confrontées à l'axiome de départ ; puis, si l'hypothèse s'avère être en conformité avec l'axiome, il en sera déduit d'autres hypothèses, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'Aristote atteigne le but qu’il poursuivait, c'est-à-dire l'hypothèse qui répond parfaitement à l'axiome ; si l'hypothèse ne s'avère pas conforme, elle sera tout simplement écartée.