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Les Caractères/De l’Homme, paragraphe 128, analyse générale

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De l’Homme, paragraphe 128, analyse générale
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Chapitre no 3
Leçon : Les Caractères
Chap. préc. :De l’Homme, paragraphe 119, commentaire no 1
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Les Caractères/De l’Homme, paragraphe 128, analyse générale
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Analyse du texte

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Le niveau de langue

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  • Que désigne ou que signifie « l’ » dans « l’on voit » ?
    • « L’ » ne désigne rien, mais cela indique le niveau de langue.
  • Quel niveau de langue est utilisé dans ce texte ?
    • Le langage soutenu est utilisé.
  • Quels indices le prouvent ?
    • Les phrases sont longues et complexes, le vocabulaire est de langage soutenu. Il y a des expressions figurés, des hyperboles et un figure de style unique.
  • Que désigne le « on » de la même phrase ?
    • Le « on » désigne « je » (l’auteur) et n’importe voyageur.

Temps et valeurs

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  • Quel est le temps verbal qui domine ?
    • Présent de l’indicatif
  • Quelle est sa valeur ?
    • Présent de description et de vérité générale
  • Portrait d’animaux sauvages. Hors sujet ? Surprise compréhension du lecteur.
  • Certains mots, de plus en plus, rapportent ces « animaux » des êtres humains.
  • On finit par comprendre que les « animaux » sont en fait des hommes et cela est confirmé par l’auteur : « Et en effet, ce sont des hommes ».
  • Question : Pourquoi ce jeu sur l’animal/l’homme ?
  • Effets : colère, indignation, choc

La dernière partie du texte permet de comprendre sa stratégie et son but.

  • Il dénonce les conditions de vie et ces hommes :
    • « tanière » : habitat précaire ;
    • « racine » : mauvaise alimentation.
  • Il souligne l’utilité de ces hommes qui par leur travail difficile nourrissent tous les autres.
  • Il désire que cette situation change et il en appelle à la conscience du lecteur : « méritent ».

Contexte et attentes

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Grâce au paratexte, on peut anticiper sur certains éléments de l'extrait que l'on va lire et les mettre en perspective avec le programme et avec les principes du Classicisme.

  • L'auteur, La Bruyère, est comme La Fontaine, un moraliste du XVIIe siècle : il écrit des textes où il se moque ou critique le comportement de ses contemporains pour les corriger. Quels défauts La Bruyère vise-t-il ici ?
  • Cet auteur appartient au Classicisme (texte du XVIIe siècle) ; c'est donc un homme qui, à travers ses œuvres, s'efforce à la fois d'instruire et de divertir ses contemporains reprenant ainsi la maxime latine : placere et docere. Nous aurons donc à distinguer ces deux aspects dans notre extrait.
  • Ce texte est lié à l'Objet d'Étude de Seconde « Genres et formes de l'argumentation : XVIIe siècle et XVIIIe siècle ». Il faudra définir le genre auquel appartient cet extrait et la stratégie choisie par l’auteur pour faire passer ses idées.
  • Comme le titre du chapitre est « De l'homme », on s'attend à ce que cet extrait traite de ce sujet. Le début de l‘extrait qui porte sur des « animaux » sera donc une surprise et un moyen habile de l'auteur pour, dès l’ouverture, attirer ou capter l'attention du lecteur, ou captatio benevolontiae.

Structure et interprétations (semi-rédigées)

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Plusieurs moments semblent se dégager de ce court texte

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Le texte s'ouvre, comme le lecteur s’y attend avec le paratexte et ses connaissances sur l’auteur et son œuvre, sur une description annoncée par un verbe de vision : « L'on voit ». Ce « tableau » correspond essentiellement à la première phrase à la fois longue et complexe (langage soutenu et cohérence entre la syntaxe et l’idée développée). L'indétermination du pronom indéfini « on » et la valeur de répétition ou d'habitude du présent donne assez vite le sentiment qu‘il s'agit d’un spectacle qui est fréquent. De fait, à l‘époque une très grosse majorité de la population travaille dans les champs et vit pauvrement (cf. Le contexte historique et social au siècle de Louis XIV). Très vite, les êtres décrits sont présentés comme des animaux sauvages énigmatiques car le vocabulaire et les expressions utilisés peuvent s'appliquer à la fois à des hommes et des animaux). Mais, plus le texte avance, plus ces animaux se rapprochent de l'humanité : « livides », « brûlés du soleil », « ils ont comme une voix articulée », « se lèvent sur leurs pieds », « montrent une face humaine ». Finalement, l'auteur les désigne lui-même comme des êtres humains : « et en effet ce sont des hommes ».

Cette révélation tardive a plusieurs effets sur le lecteur

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La surprise passée, ce dernier peut éprouver un sentiment de dépit d'avoir été manipulé depuis le début du texte par l'auteur : alors que le lecteur s’attendait à la description d’un homme, il a d’abord eu en apparence celle d’un animal (« d’animaux farouches ») avant de comprendre qu’il s’agissait bien en fait d'hommes des champs. Mais alors pourquoi cet auteur nous a-t-il ainsi trompé ?

Le lecteur peut ressentir un choc et s‘indigner de voir des hommes assimilés à des bêtes dans leur apparence et leurs manières de vivre. Est-ce le regard que l'auteur porte sur ces hommes, ou celui, réel ou exagéré, des contemporains de l’auteur sur ces hommes ? Dans tous les cas, le lecteur est poussé à s’indigner.

En revanche, la révélation finale permet de mieux saisir l'assimilation de ces hommes à des animaux. Ce sont des hommes qui travaillent dans les champs, dans la nature (intempéries, terre) comme des animaux et non des citadins ou des courtisans (le cœur de la société humaine au XVIIe siècle). Leur travail est dur et pénible et les éloigne symboliquement de l’humanité : ils sont courbés vers le sol ou agenouillés (« Quand ils se lèvent… »), ils vivent au contact de la terre, la boue, la poussière et sont donc sales (« noirs »), épuisés ou malades (« livides »), « tout brûlés de soleil » à une époque où les courtisans et les grands bourgeois s'efforcent d'avoir la peau la plus blanche possible en se protégeant de la lumière et en se poudrant les cheveux, le visage et le buste. Les conditions de vie des paysans sont très pénibles : de pauvres abris (« tanières ») et une nourriture maigre et rudimentaire (« pain noir, eau et racines »). Bien qu‘ils travaillent dur, ils n'ont presque rien – comme des animaux. Cette description plutôt que de susciter la moquerie ou le mépris devrait faire naître la pitié, la compassion (registre pathétique)… Mais alors pourquoi l'auteur paraît-il si cruellement insensible à leur sort ?

La fin de l’extrait crée un nouveau retournement qui va s’opérer dans la seconde phrase presque aussi longue et complexe que la première. Dans ce deuxième temps, l'auteur va inviter son lecteur à changer de regard et éventuellement de comportement à l’égard des paysans.

Les précisions sur l’habitat (« tanière ») et l’alimentation de ces hommes deviennent des dénonciations de leurs terribles conditions de vie. La Bruyère souligne ensuite leur utilité : ces hommes travaillent dur a la place des autres « ils épargnent aux autres hommes la peine de… » ; de plus, ce travail pénible (« semer », « labourer », « recueillir ») permet aux autres hommes de se nourrir et donc de vivre (le pain, fabriqué à partir de céréales, est la base de l'alimentation au XVIIe siècle). En conséquence, ces hommes « méritent » notre considération et une juste rémunération pour leurs efforts : on doit leur rendre leur dignité d'homme (et ne plus les assimiler à des animaux). Pour cela, on devine que leurs conditions de vie doivent être améliorées afin que les paysans profitent des fruits de leur travail et en premier lieu puissent se nourrir à leur faim ce qui leur permettrait en outre de travailler avec plus d’efficacité.

Ce texte plaisant (bref, simple, vivant, bien écrit) apparaît comme un plaidoyer en faveur des paysans et non comme on aurait pu le croire d’abord l'expression du mépris de l'auteur à l'égard de ces hommes. Si l'auteur a d'abord épousé ou caricaturé le regard que certains individus aisés ou favorisés portent sur les paysans (« vilains » par opposition aux « nobles »), c'est pour que le lecteur « voit » cette réalité, changent son regard sur celle-ci et peut-être même comme l'auteur agisse pour que ces hommes respectables vivent dignement.

Auteur classique, La Bruyère réussit à faire passer ses idées dans un texte très bref en jouant efficacement sur l’ambiguïté des mots (homme-animal) ; en structurant subtilement son texte (description → explication → dénonciation) tout en suggérant plus son opinion qu’en l’affirmant ; enfin en maîtrisant parfaitement la langue (langage soutenu, expression claire malgré les figures de style, deux phrases complexes pour les deux grands moments du texte…).

La stratégie choisie par l'auteur dans cette argumentation est donc indirecte : il a pris le détour du récit ou de la description orientée pour faire passer des idées, une morale. Il a joué principalement sur nos sentiments et non sur notre raison (en proposant par exemple une série de faits ou d'arguments cohérents pour nous convaincre de partager ces idées). Cette stratégie est caractéristique d'un genre : l'apologue. C'est à ce même genre qu'appartiennent la fable, le dialogue philosophique, l'utopie, la parabole… mais aussi nombre de récits, romans, nouvelles et, plus récemment, images, films, séries, publicité…