L'Illusion comique/Acte II scène 2, commentaire no 1/Extrait
Acte II scène 2, commentaire no 1
de la leçon :
L'Illusion comique
ACTE II, SCÈNE 2
Mon armée ? Ah, poltron ! Ah, traître ! Pour leur mort
Tu crois donc que ce bras ne soit pas assez fort ?
Le seul bruit de mon nom renverse les murailles,
Défait les escadrons, et gagne les batailles.
Mon courage invaincu contre les empereurs
N'arme que la moitié de ses moindres fureurs ;
D'un seul commandement que je fais aux trois parques,
Je dépeuple l'état des plus heureux monarques ;
Le foudre est mon canon, les destins mes soldats :
Je couche d'un revers mille ennemis à bas.
D'un souffle je réduis leurs projets en fumée ;
Et tu m'oses parler cependant d'une armée !
Tu n'auras plus l'honneur de voir un second Mars :
Je vais t'assassiner d'un seul de mes regards,
Veillaque. Toutefois je songe à ma maîtresse :
Ce penser m'adoucit : va, ma colère cesse,
Et ce petit archer qui dompte tous les dieux
Vient de chasser la mort qui logeait dans mes yeux.
Regarde, j'ai quitté cette effroyable mine
Qui massacre, détruit, brise, brûle, extermine ;
Et, pensant au bel œil qui tient ma liberté,
Je ne suis plus qu'amour, que grâce, que beauté.
O dieux ! en un moment que tout vous est possible !
Je vous vois aussi beau que vous étiez terrible,
Et ne crois point d'objet si ferme en sa rigueur,
Qu'il puisse constamment vous refuser son cœur.
Je te le dis encor, ne sois plus en alarme :
Quand je veux, j'épouvante ; et quand je veux, je charme ;
Et, selon qu'il me plaît, je remplis tour à tour
Les hommes de terreur, et les femmes d'amour.
Du temps que ma beauté m'était inséparable,
Leurs persécutions me rendaient misérable :
Je ne pouvais sortir sans les faire pâmer.
Mille mouraient par jour à force de m'aimer :
J'avais des rendez-vous de toutes les princesses ;
Les reines à l'envi mendiaient mes caresses ;
Celle d'Éthiopie, et celle du Japon,
Dans leurs soupirs d'amour ne mêlaient que mon nom.
De passion pour moi deux sultanes troublèrent ;
Deux autres, pour me voir, du sérail* s'échappèrent :
J'en fus mal quelque temps avec le grand seigneur.
Son mécontentement n'allait qu'à votre honneur.
Ces pratiques nuisaient à mes desseins de guerre,
Et pouvaient m'empêcher de conquérir la terre.
D'ailleurs, j'en devins las ; et pour les arrêter,
J'envoyai le Destin dire à son Jupiter
Qu'il trouvât un moyen qui fît cesser les flammes
Et l'importunité dont m'accablaient les dames :
Qu'autrement ma colère irait dedans les cieux
Le dégrader soudain de l'empire des dieux,
Et donnerait à Mars à gouverner sa foudre.
La frayeur qu'il en eut le fit bientôt résoudre :
Ce que je demandais fut prêt en un moment ;
Et depuis, je suis beau quand je veux seulement.
Pierre Corneille, L'Illusion comique
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