Essais/Livre III, chapitre VI. Des Coches, commentaire no 1
LIVRE III, CHAPITRE VI. DES COCHES
En côtoyant la mer à la quête de leurs mines, aucun Espagnols prindrent terre en une contrée fertile et plaisante, fort habitée, et firent à ce peuple leurs remontrances accoutumées : Qu’ils étaient gens paisibles, venans de loingtains voyages, envoyez de la part du Roi de Castille, le plus grand Prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant Dieu en terre, avait donné la principauté de toutes les Indes ; Que, s’ils voulaient lui être tributaires, ils seraient très-bénignement traictez ; leur demandaient des vivres pour leur nourriture et de l’or pour le besoin de quelque médecine ; leur remontroient au demeurant la créance d’un seul Dieu et la vérité de notre religion, laquelle ils leur conseillaient d’accepter, y adjoustans quelques menasses. La réponse fut telle : Que, quand à être paisibles, ils n’en portaient pas la mine, s’ils l’étaient ; Quand à leur Roi, puis qu’il demandait, il devait être indigent et nécessiteux ; et celui qui lui avait fait cette distribution, homme aimant dissension, d’aller donner à un tiers chose qui n’était pas sienne, pour le mettre en débat contre les anciens possesseurs ; Quant aux vivres, qu’ils leur en fourniraient ; D’or, ils en avaient peu, et que c’était chose qu’ils mettaient en nulle estime, d’autant qu’elle était inutile au service de leur vie, là où tout leur soin regardait seulement à la passer heureusement et plaisamment ; pourtant ce qu’ils en pourraient trouver, sauf ce qui était employé au service de leurs dieux, qu’ils le prinssent hardiment ; Quant à un seul Dieu, le discours leur en avait plu, mais qu’ils ne voulaient changer leur religion, s’en étant si utilement servis si longtemps, et qu’ils n’avaient accoutumé prendre conseil que de leurs amis et connaissant ; Quant aux menasses, c’était signe de faute de jugement d’aller menaçant ceux desquels la nature et les moyens étaient inconneux ; Ainsi qu’ils se despeschassent promptement de vuyder leur terre, car ils n’étaient pas accoustumez de prendre en bonne part les honnestetez et remontrances de gens armez et étrangers ; autrement, qu’on ferait d’eux comme de ces autres, leur montrant les têtes d’aucuns hommes justiciez autour de leur ville. Voilà un exemple de la balbucie de cette enfance. Mais tant y a que ni en ce lieu là ni en plusieurs autres, où les Espagnols ne trouvèrent les marchandises qu’ils cerchoient, ils ne firent arrêt ni entreprise, quelque autre commodité qu’il y eût, témoin mes Cannibales.
Michel de Montaigne, Essais
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Introduction
[modifier | modifier le wikicode]Montaigne est écrivain médieval français du XVIe siècle, considéré d'être le fondateur des sciences humaines et historiques en langue française. Essais est une œuvre écrite par Montaigne en 1580. Nous sommes dans la seconde partie du XVIe siècle, à la suite de la colonisation du Nouveau Monde par les Européens. Cette période est marquée par les guerres de religion entre catholiques et protestants dont le point d'orgue est le massacre de la saint Bathélemy en 1572. Ces guerres ainsi que les guerres de colonisation ont profondément heurté les penseurs du XVIe siècle. Montaigne ici aborde la conquête de l'Amérique pour s'interroger sur la légimité de la colonisation. Il dénonce les moeurs des européens et fait l'éloge de la vie naturelle.
Questions possibles
[modifier | modifier le wikicode]- Comment cet extrait du chapitre Des Coches se présente-t-il ?