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Compréhension/Dissertation/Faut-il vivre la même chose pour comprendre ?

Leçons de niveau 13
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Faut-il vivre la même chose pour comprendre ?
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Dissertation no1
Leçon : Compréhension

Dissertation de niveau 13.

Diss préc. :Sommaire
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Compréhension/Dissertation/Faut-il vivre la même chose pour comprendre ?
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« Faut-il « vivre la même chose » pour comprendre ? »

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La compréhension vise la connaissance. La grammaire du mot « savoir » est étroitement apparentée à la grammaire du mot « comprendre »[1]. À ceci près que la compréhension est un cheminement vers la connaissance, et que le moment où l’on comprend est celui où l’on commence à savoir. Il s’agirait donc d’une démarche cognitive qui interroge l’intelligibilité du phénomène. Unifier en un seul mouvement la découverte des causes (l’explication) ainsi que celle des conséquences, inscrire le phénomène dans le temps et l’histoire, c’est lui donner son sens relativement au reste des phénomènes. C’est la démarche de l’historien, du savant. Alors, si des régularités apparaissent, la compréhension culminera en l’énoncé de lois logiquement cohérentes entres elles, et le savant deviendra scientifique. Cette forme de compréhension demande avant tout l’objectivité et n’a, semble-t-il, rien à voir avec la vie. Pourtant, la compréhension possède aussi une dimension subjective qui se manifeste comme « vécu de compréhension ». Dévalorisée pour la compréhension scientifique des phénomènes, elle est considérée au contraire comme essentielle dans les relations humaines où, pour comprendre autrui, il est demandé de pouvoir « se mettre à sa place ». Ainsi, devant la détresse d’autrui, on s’exclame « Je te comprends, je suis passé par là moi aussi ! ». La faculté d’empathie est au cœur de l’étude scientifique de cette « intelligence émotionnelle », qui fait une large place au vécu subjectif. Peut-on dès lors opposer une compréhension objectivante qui nécessite de la distance à une compréhension subjective qui demande au contraire de la proximité.

Problématique

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Admettre la seconde, n’est-ce pas revenir à ce que RYLE appelle « le dogme du fantôme dans la machine » ? Même si l’évidence subjective d’une compréhension immédiate était confirmée par les neurosciences, quel crédit peut-on accorder à sa prétention d’accéder à un rapport immédiat à la « chose même » ? Les fondements de l’herméneutique peuvent-ils contribuer à analyser cette prétendue immédiateté et à permettre d’articuler ces deux formes de compréhension ?

Poser la question générale de la compréhension requiert d’abord de s’interroger sur l’objet de la « compréhension ». Comprendre, c’est en effet toujours comprendre « quelque chose ». On peut comprendre un discours, comprendre un phénomène, comprendre autrui, etc. Est-ce alors de la même forme de compréhension qu’il s’agit ?

Première partie

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Comprendre un mot, une phrase, un texte, un discours, semble renvoyer à des processus différents selon les cas. La compréhension d’un texte de Kant consistera souvent en la possibilité de la production d’un autre discours nommé « explication de texte ». On pourrait objecter que si l’explication est le signe tangible de la compréhension, il ne constitue aucunement la compréhension elle-même. Mais un sujet peut fort bien se comporter comme si « la maxime de [sa] volonté [pouvait] en même temps toujours valoir comme principe d’une législation universelle. » sans jamais avoir compris, ni même lu, la Critique de la Raison Pratique. La compréhension du texte n’est donc pas à chercher dans les actions. De plus, c’est la « disposition » consistant à pouvoir produire l’explication qui constituerait l’explication, et non l’explication elle-même. Autrement dit, le moment de la compréhension ne serait que l’instant à partir duquel cette disposition existerait, et rien d’autre.

On retrouve ce raisonnement encore plus clairement dans la compréhension « scientifique » des phénomènes. Elle consiste en la possibilité de produire un discours, (une théorie), dont la structure formelle mathématisée rend possible d’une part, de s’assurer de sa cohérence logique, et d’autre part, la prévision de phénomènes à venir. Là encore on pourrait objecter que la théorie n’est pas la compréhension elle-même, mais sa trace tangible. Et là encore, on répondra que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » et que la compréhension n’est rien d’autre qu’un état, la capacité à produire une telle théorie.

En ce qui concerne l’utilisation du langage dans la vie quotidienne, on pourra concevoir la compréhension comme une disposition à adapter ses actions aux actions (y compris les discours) d’autrui. Ainsi, comprendre un ordre comme : « Va me chercher une bière. » ne demande aucune explication, mais une disposition : il s’agit de pouvoir ajuster son action à la demande formulée. On distingue en philosophie analytique les propositions qui désignent uniquement les objets et phénomènes mondains, comme « bière », des énoncés dits « intentionnels » qui se réfèrent au « vécu interne » d’un sujet, comme « la volonté ». Face à la tentative de réduction de la compréhension à une disposition, on sera tenté de se réfugier sur le terrain de ces énoncés intentionnels. Ainsi, il parait difficile de réduire à une quelconque disposition un énoncé tel que : « Je veux que tu ailles me chercher une bière ». Pourtant certains philosophes analytiques ont tenté avec quelques succès cette réduction, niant l’existence d’un sens véritable des propositions intentionnelles en dehors de la disposition à savoir les utiliser dans certains jeux de langage. Ainsi RYLE affirme : « Mon but est de réfuter la doctrine selon laquelle il y a une faculté […] correspondant à ce qui est décrit comme volonté […] »[2] .

Ludwig WITTGENSTEIN, dans une expérience de pensée célèbre, prend l’exemple d’un « aveugle à la signification », un être qui parlerait mais ne comprendrait pas ce qu’il dit, tout en le disant à bon escient. Retirons lui de surcroît la faculté d’éprouver des émotions de manière à le réduire à un « zombie » n’ayant aucun « vécu interne », mais qui se comporterait exactement comme tout un chacun. Voyant une personne de son entourage pleurer, il lui parlerait d’une voix douce, la prendrait dans ses bras, lui dirait qu’il comprend sa tristesse … Mais que répondrait-t-il si la personne qui pleure, au fait de la véritable nature du « zombie », le rejetait violemment en disant : « tu ne peux pas me comprendre, car tu n’as jamais rien éprouvé ! » ? L’argument de sa compréhension parfaite des jeux de langage de la tristesse serait pour le « zombie » une bien faible défense. Cependant, l’argumentation de son interlocuteur n’est pas beaucoup plus solide : seul compte pour cette personne la certitude interne et subjective que l’essence de la compréhension réside dans son « vécu ». WITTGENSTEIN soigne que si « L’application demeure un critère de compréhension », il concède également que « Quand je dis que je comprends la loi d’une suite, je ne dis certes pas cela en me fondant sur l’expérience que j’ai pu faire de telle ou telle application de l’expression algébrique ! »[3] . Mais existe-t-il quelque raison de croire en cette faculté de l’esprit au-delà de cette certitude subjective ? La science contemporaine peut-elle suggérer une réponse à cette question ?

Deuxième partie : la compréhension en neurosciences

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Le développement récent en neurosciences de ce que nous rassemblerons sous l’appellation générale de « théories de la résonance » semble permettre de répondre positivement à cette question. Ces théories se rapportent notamment aux domaines de l’action et de l’émotion.

Dans le domaine de l’action, il s’agit de la découverte des neurones miroirs chez le singe[4] , corroborée par des résultats similaires obtenus chez l’homme par des méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle. Ces recherches montrent que la seule vue d’une action déclenche une activité cérébrale dans les zones du cerveau consacrées à la motricité. Autrement dit, voir l’action, c’est déjà l’exécuter mentalement. Une objection consisterait à voir dans cette activation un simulacre, une imitation dénuée de sens de l’action originale. Mais ces recherches montrent également que cette activation est largement conditionnée par le fait que l’action originale appartienne au répertoire moteur du spectateur[5] . Ceci signifie que pour qu’il y ait résonance motrice, il faut que ce dernier ait une pratique préalable de cette action. L’activation de la zone résonante peut donc être assimilée au corrélat cérébral de la compréhension de l’action, à son signe tangible. Il n’est alors pas nécessaire de demander au spectateur ni discours, ni action, pour « observer » sa compréhension. Dans le domaine des émotions, on aboutit à des conclusions similaires en prenant en compte les découvertes récentes concernant la faculté d’empathie. Une zone spécifique du cerveau, l’amygdale, est mise en jeu lorsqu’un sujet éprouve des émotions. Mais elle s’activerait également par résonance lorsqu’un sujet a de l’empathie pour quelqu’un d’autre, c’est-à-dire que sans éprouver la même émotion que son vis-à-vis, « il vise à la compréhension d’autrui »[6] et des émotions que celui-ci éprouve. Mais, là encore, l’empathie n’est possible que si le comportement émotif (rire, pleurer, froncer les sourcils, …) d’autrui fait partie du répertoire expressif du sujet empathique[7].

Outre qu’une résonance similaire semble se produire pour des sensations (comme la douleur), il est remarquable que tous ces phénomènes de résonance semblent être associés à l’activation des zones du cerveau supposées participer à ce qui est communément appelé « conscience de soi »[8] . Face à ce faisceau d’indices cohérents, il semble inévitable d’admettre l’existence d’une « compréhension » indépendamment des «critères de compréhension » auxquels on a tenté de la réduire. Ses corrélats cérébraux, quantités physiques mesurables, constitue la « preuve scientifique » que les vécus de compréhension ne se réduisent pas aux élucubrations fantaisistes des tenants d’une âme immatérielle ou du dogme du « fantôme dans la machine ». D’autre part, il semble que soit associé à cette forme de compréhension « une conscience », « un vécu » proche de celui que nous avons lorsque nous agissons, sentons, éprouvons nous-mêmes.


Les êtres humains se verraient ainsi pourvus d’une faculté ne nécessitant aucune médiation de l’ordre du discours ou de l’action. Une compréhension directe de la chose même se manifestant sous forme de « vécu », dans le sens précis où cette faculté est conditionnée par le fait que nous vivons ce que nous comprenons. Cette faculté d’ailleurs pourrait sans doute être étendue à bon nombre d’animaux. Faut-il pour autant ramener toute compréhension à un phénomène de résonance, à l’exclusion d’autres formes ? L’expérience quotidienne des relations humaines suggère plusieurs objections à cette tentation. Il convient d’abord de constater que si l’empathie est un phénomène scientifiquement établi, il n’en est pas de même de la télépathie : les relations avec autrui sont faites d’une profusion d’énoncés intentionnels, qui témoignent du caractère souvent laborieux de la communication. Les malentendus sont nombreux, les mensonges et les tromperies fréquents. Alors que les thuriféraires des théories de la résonance soulignent à loisir les avantages adaptatifs que procure cette faculté, il faut remarquer que l’habileté à tromper autrui constitue un autre avantage non négligeable, supposé capable de triompher même de la force physique. Ulysse devine certes les intentions de Polyphème, mais il ne laisse rien deviner des siennes. Il est par ailleurs remarquable que les conseils et maximes de la « sagesse populaire » mettent en garde contre ces « erreurs » en valorisant la notion de « distance ». On incite à « prendre du recul », à mettre à distance ses émotions pour « être objectif », etc. De plus, une bonne compréhension demande de connaître le « contexte » d’une situation pour en cerner les tenants et les aboutissants. La distance permet alors d’avoir une vue plus large pour prendre en compte ce dernier. Puisqu’il est incontestable que les deux modes de compréhension, l’un direct et l’autre médiatisé, existent, il importe avant tout de penser leur articulation. Comment ces deux attitudes opposées forment-elles un tout cohérent qui est mis en jeu globalement dans tout acte de compréhension ?

L'herméneutique

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Dans l’histoire de l’herméneutique s’opposent traditionnellement ces deux formes de compréhension d’une œuvre littéraire ou artistique. D’une part, une conception divinatoire où le lecteur où le spectateur est supposé recevoir directement le sens. Cette tentation est présente chez Kant dans la Critique de la faculté de juger. Le beau et le sublime sont compris sans concept, immédiatement. Ainsi, GADAMER peut écrire que chez KANT « A la génialité créatrice correspond celle de la compréhension »[9] . À cette approche immédiate, « par le génie », il est traditionnellement opposé une approche « par le contexte » dont l’idée fondamentale, le « cercle herméneutique », est que toute œuvre s’inscrit de manière cohérente dans un tout qu’elle contribue rétroactivement à constituer. L’un se comprend alors de manière dynamique à partir de l’autre. Ce tout peut se concevoir de manière spatiale comme contexte, ou bien de manière temporelle comme histoire.

L’importance du contexte est évidente dans le domaine du langage. Toute compréhension linguistique nécessite en plus d’un énoncé la maîtrise de « jeux de langage » corrélée à une pratique, un usage. Ainsi, « va me chercher un bière » contient un grand nombre d’ambiguïtés que seul le contexte permet de lever. Cette phrase ne dit pas que la bière en question se trouve dans le réfrigérateur, elle ne donne pas la méthode pour ouvrir ce dernier, ni d’ailleurs son emplacement exact. Elle ne dit pas non plus que la bière, liquide, se trouve cachée dans une boîte en aluminium et que c’est cette dernière qu’il s’agit de transporter. On pourrait allonger indéfiniment cette liste d’implicites. Mais si l’importance du contexte ne fait aucun doute pour la compréhension des discours, cela n’invalide pas l’hypothèse d’une compréhension directe des actions et des émotions.

On a souligné plus haut que les phénomènes de résonance, au niveau moteur ainsi qu’au niveau émotionnel, sont conditionnés par un répertoire (répertoire moteur, répertoire émotionnel). Autrement dit, la résonance n’a lieu que si le sujet possède une compréhension préalable des actions ou émotions qu’il détecte chez l’autre. Cette condition de résonance pourrait être qualifiée de « contexte d’action » ou bien de « contexte émotionnel ». Ces contextes peuvent s’être constitués épigénétiquement dans le passé du sujet résonnant, ou bien être encodés dans son patrimoine génétique. Cette remarque permet de remettre en question le caractère immédiat de la compréhension par résonance.

Au cours de l’analyse de la notion de « classique », GADAMER souligne dans Vérité et Méthode que « […] ce qui est classique est accessible d’une manière immédiate et non pas dans cette sorte de contact, qui pour ainsi dire électrise, qui distingue parfois une production contemporaine et dans lequel se fait l’expérience instantanée d’une intuition de sens dépassant toute attente consciente »[10]. Ainsi le « baby-boomer » qui vibre sur un air des Beatles ne comprend pas que son petit-fils y reste insensible, alors que lui-même n’apprécie pas le rap qu’écoute ce dernier. Ils « résonnent » chacun selon leur vécu, leur histoire. L’instantanéité n’est pas immédiateté, elle est une illusion d’immédiateté qui tient à ce que le contexte n’est pas conscient.

Ainsi l’hypothèse de l’instantanéité de la compréhension résonante serait acceptable si on en limitait la portée aux actions « primaires », celles qui sont dans une large mesure génétiquement programmée. Mon chat qui me regarde manger « comprend » certainement que je mange, mais quand il me regarde taper ma dissertation, il ne manifeste aucune compréhension et se couche sans vergogne sur le clavier. Ainsi, cette instantanéité n’est qu’illusoire dans le cas d’actions ou d’émotions plus complexes. La compréhension est alors médiatisée par un contexte, et modifie ce contexte : « Le comprendre lui-même doit être pensé moins comme une action de la subjectivité que comme insertion dans le procès de la transmission »[11] . La compréhension sera instantanée si le contexte est inconscient. Mais alors il se peut qu’il conduise à l’erreur ou au malentendu. On demandera alors de prendre de la distance pour construire consciemment un contexte plus approprié.

Les théories de la résonance doivent être comprises comme des théories de l’instantanéité, en distinguant instantanéité et immédiateté. Ainsi, pour comprendre par résonance, il faut « avoir vécu » sinon la « même chose », du moins des choses suffisamment proches pour pouvoir les « revivre » lors de la résonance. Mais la compréhension par résonance n’est pas toute la compréhension, dans la mesure où dans de nombreux cas, l’explicitation et la construction d’un contexte conscient est indispensable.. Cette restriction ne s’applique pas à la seule compréhension linguistique : la compréhension des actions et des émotions est aussi fortement contextuelle. Ainsi, comprendre, c’est souvent « vivre la même chose » si l’on entend par là, non seulement la résonance, mais également une connaissance approfondie du contexte. Mais cela non plus ne suffit pas à rendre compte de toute la compréhension, notamment humaine, surtout quand elle est une approche de phénomènes radicalement nouveaux, inouïs, inédits.

  1. WITTGENSTEIN Recherches philosophiques, §150
  2. La notion d’esprit , Gilbert RYLE
  3. WITTGENSTEIN Recherches philosophiques, §147
  4. RIZZOLATI, SINIGAGLIA, Les neurones miroirs.
  5. Le sens des Autres Decety, Jackson, Les dossiers de la recherche, février 2008
  6. D’après Elisabeth PACHERIE dans L’empathie Dir. BERTHOZ, JORLAND
  7. Le sens des Autres Decety, Jackson, Les dossiers de la recherche, février 2008
  8. Le sens des Autres Decety, Jackson, Les dossiers de la recherche, février 2008
  9. Vérité et Méthode [62] H.G.GADAMER
  10. Vérité et Méthode [293] H.G.GADAMER
  11. Vérité et Méthode [295] H.G.GADAMER