Analyse des Logiques Subjectives/Une petite "pause-culture"
Une petite "pause-culture"😉
[modifier | modifier le wikicode]Maintenant que nous avons inauguré par quelques chapitres la présentation de chacune des grandes notions de base : les Séries d'Atomes et Molécules, les Valeurs, les Points-de-vue et les Parlers, donnons une nouvelle définition de ce qu'est l'Analyse des Logiques Subjectives, et agrémentons-la de quelques citations d'auteurs célèbres, mais aussi de journalistes moins renommés (!), qui ont entrevu, par une heureuse intuition, la possibilité de décrire au sein d'une langue donnée ces "sous-langues" ou "dialectes subjectifs" que nous nommons les Parlers...
Une nouvelle définition de l'Analyse des Logiques Subjectives
[modifier | modifier le wikicode]Cette définition ne remplace pas la précédente, elle la complète et l'éclaire sous un jour différent.
L'Analyse des Logiques Subjectives est une méthode d'analyse de discours qui part du constat suivant : il existe, au sein d' une langue comme le français, des "sous-langues subjectives" qui, bien que différentes, se comprennent tant bien que mal en se retraduisant l’une dans l’autre. L'A.L.S. se donne pour but de décrire ces dialectes subjectifs, qu'elle nomme les Parlers, et d'expliquer leur omniprésence, responsable tant des incompréhensions et malentendus que des connivences et complicités entre locuteurs, dans les domaines variés où s'exerce l'action (consciente ou subliminale) du dénominateur commun à toutes les activités humaines : le langage.
Rappel de la première définition : L'Analyse des Logiques Subjectives est une méthode originale d’analyse du discours qui permet de faire correspondre des modes caractéristiques d'expression verbale avec des structures psychologiques (des "profils de personnalité" si l'on veut).
Le philosophe allemand Friedrich Schleiermacher[1]
[modifier | modifier le wikicode]Il entrevoit, dès 1813, dans Des différentes méthodes du traduire, le phénomène de traduction intralinguale ou reformulation, qui est au cœur même de l'Analyse des Logiques Subjectives.
« N'avons-nous pas souvent besoin de traduire le discours d'une autre personne, tout à fait semblable à nous, mais dont la sensibilité et le tempérament sont différents ? Lorsque nous sentons que les mêmes mots dans notre bouche auraient un sens tout à fait autre ou, du moins, un contenu tantôt plus faible, tantôt plus vigoureux que dans la sienne, et que, si nous voulions exprimer exactement la même chose que lui, nous nous servirions, à notre manière, de mots et de tournures tout à fait différents, il semble, quand nous voulons définir plus précisément cette impression et en faisons un objet de pensée, que nous traduisons. » [souligné par nous] (traduction Antoine Berman).
- « ... traduire le discours d'une autre personne, tout à fait semblable à nous, mais dont la sensibilité et le tempérament sont différents... » ; cf « faire correspondre des modes caractéristiques d'expression verbale avec des profils de personnalité »
- « ... les mêmes mots dans notre bouche ont un sens tout à fait autre... " ; cf « Le "même" mot ou la "même" expression peut être valorisé/e (+) pour le Point-de-vue Extraverti et dévalorisé/e (−) pour le Point-de-vue Introverti, et inversement :
- « .. si nous voulions exprimer exactement la même chose que lui, nous nous servirions de mots et de tournures tout à fait différents... » ; cf « Pour décrire le même type de plaisir ou de désagrément, les locuteurs de Points-de-vue opposés recourent à des mots de Séries opposées ».
- « ... il semble, quand nous voulons définir plus précisément cette impression, que nous traduisons "» ; cf « ... des "sous-langues subjectives" qui, bien que différentes, se comprennent tant bien que mal en se retraduisant l’une dans l’autre ».
Le poète français Charles Baudelaire[2]
[modifier | modifier le wikicode]Baudelaire, à la première phrase de "Mon cœur mis à nu" (1864) fournit une formule qui pourrait être mise en exergue de cette série de chapitres sur l'Analyse des Logiques Subjectives :
« De la vaporisation et de la centralisation du moi. Tout est là. »
Propos transparents pour quiconque a commencé à se familiariser avec l'A.L.S. :
- "vaporiser" (série 'A'), puisque la vapeur est de l'eau sous forme gazeuse et que l'éventail des états de la matière se voit simplifié, dans les Séries, à l'opposition fluide (liquide/pulvérulent/gazeux) / non-fluide (solide/visqueux) ;
- "centraliser", rapprocher du centre (série 'B'), dans l'opposition d'Atomes périphérique / central, avec l'éventualité que Baudelaire utilise "centraliser" avec la connotation "concentrer", en opposition à "vaporiser". Cf de nos jours les expressions opposées : "il est concentré" / "il est évaporé". Dans LE ROBERT : "évaporé : qui a un caractère étourdi, léger ; qui se dissipe en choses vaines. ➙ écervelé »...
- enfin le terme de "moi", que Baudelaire met en italique dans sa phrase originale, indique bien que celui-ci, dans sa géniale intuition, se situe bien le nœud de la question (« Tout est là. ») au niveau de la consistance ou de l'inconsistance de la personnalité, donc au niveau psychologique et subjectif sur lequel se place l'A.L.S
Cette phrase sera commentée plus amplement dans un autre chapitre portant sur l'origine des préférences lexicales des locuteurs.
Le journaliste et écrivain Albert Londres[3]
[modifier | modifier le wikicode]« Il y a deux sortes de gens, ceux qui ont des meubles et ceux qui ont des valises ».
- "meuble", malgré son étymologie ("mobile") est rattachable à la même série que "immeuble" (étymologie "immobile") : la série 'B', celle de la stabilité, la permanence, la continuité, voire même le caractère encombrant (chez ceux qui entassent les meubles), puisque ce meubles une fois mis en place ne bougent pas jusqu'à un éventuel déménagement.
- "valise", bien qu'il s'agisse d'un contenant (et que les contenants soient en général rattaché à la série 'B'), est si souvent associé à l'idée de voyage, voire d'exil (cf le slogan "la valise ou le cercueil") qu'il est rattachable à la série 'A', celle de la mobilité de l'éloignement, du changement, de la discontinuité, voire de la rupture ou même de l'évasion ("il s'est fait la malle" !)...
- confirmation par cette autre citation : « Une valise, on dirait que c'est la liberté qu'on a dans la main ».
- cf aussi cette citation très éclairante pour l'opposition en contexte entre "'meubles" (série B, et "'immeubles" aussi !) et "bagages", synonyme de "valises" (série A) : « Sans passé, les racines arrachées puis détruites, la seule voie possible est de s'inventer. Il n'y a ni lignée, ni héritage, ni meubles, ni immeubles, ni paysages [Molécule mixte] à transmettre [idem], il reste les bagages de lexilé ». Colombe Schneck, Les guerres de mon père (2018).
Dans cette opposition entre “nomades” et “sédentaires”, Albert Londres entrevoit bien, au-delà des Points-de-vue Introverti et Extraverti, les deux Parlers conservateur et changement/destruction. mais se limite à ces deux-là. L'A.L.S est moins schématique et plus nuancée, elle qui distingue quatre Parlers principaux...
Deux journalistes pas spécialement écrivains...
[modifier | modifier le wikicode]Alain Duhamel
[modifier | modifier le wikicode]L'exemple de rupture d'un consensus "macro-sémantique" factice proposé au chapitre précédent mérite d'être redonné ici comme exemple d'intuition des mécanismes sur lesquels travaille l'A.L.S.
- À propos du référendum sur Maastricht, Alain Duhamel rappelait jadis (en 1992) dans 'L'Express' que « la question européenne a toujours bousculé les clivages partisans, enjambé les frontières politiques, scindé les formations les plus unies, ignoré les antagonismes rituels [macro-sémantiques !]… Devant ce jeu brouillé, devant ces rôles inversés, la tentation est forte de brocarder l'artifice et le composite de ces rapprochements contre-nature ». Mais il remarque aussitôt : « À y regarder de plus près, on constate pourtant que ces deux blocs baroques, que ces deux ligues insolites traduisent deux logiques très profondes, très anciennes et très honorables [les logiques micro-sémantiques de l'A.L.S. !]. Et si la composition du cartel des "oui" et du cartel des "non" démontrait avant tout la primauté des tempéraments sur les idéologies, des caractères sur les clivages ? Et si le lien secret entre partisans et adversaires du traité de Maastricht n'était que le dernier avatar de l'éternelle querelle entre les Anciens (Série 'B') et les Modernes (Série 'A') ? »
- "deux logiques très profondes, très anciennes et très honorables" : ne seraient-elles pas les Logiques Subjectives et micro-sémantiques de l'A.L.S., qui proposera une explication des motivations des choix lexicaux des locuteurs, où se trouveront justifiées les épithètes "profondes" et "anciennes" dont A. Duhamel qualifie ces logiques...
- Ce qui, selon ses termes
- "bouscule les clivages partisans,
- enjambé les frontières politiques,
- scinde les formations les plus unies,
- ignore les antagonismes rituels,
- ce jeu brouillé, ces rôles inversés,
- ces rapprochements contre-nature,
- ces deux blocs baroques, ces deux ligues insolites",
- ... tous termes évoquant le niveau macro-sémantique, "objectif", "rationnel", "de bon sens" - où se situent (hélas) les observateurs politiques habituels, hé bien tout ce qui en montre le caractère factice et fragile, c'est justement le niveau subjectif, passant pour "irrationnel", voire "fou", "insensé", alors que (comme nous l'avons dit dans notre présentation de L'A.L.S.) cette subjectivité a sa logique au niveau micro-sémantique des Atomes constitutifs des Séries et de leurs Valeurs...
- Oui, "la composition des deux cartels antagonistes démontre avant tout la primauté des tempéraments sur les idéologies, des caractères sur les clivages" ! En des termes qui coïncident avec ceux de Schleiermacher ("sensibilité" et "tempérament"), Duhamel entrevoit les "profils de personnalité" auxquels l'A.L.S. rattache ses "dialectes subjectifs", ses Parlers... Sauf que l'opposition entre Parler conservateur et Parler du changement est bien plus complexe et subtile, on le verra, que l'opposition entre les Anciens et les Modernes...
- Enfin, à l'instar d'Albert Londres, Duhamel se limite à deux Parlers, là où l'A.L.S en distingue quatre principaux et six secondaires.
Natacha Polony
[modifier | modifier le wikicode]Sans le savoir, cette journaliste expose, dans une vidéo qu’elle publie en mars 2017, une analyse "intuitive" qui coïncide remarquablement avec celle que l’A.L.S. propose dans ces chapitres. Voici le cœur de son constat argumenté :
« ... à chaque fois qu’un débat surgit, il est immédiatement réglé par quelques mots-clé: "repli", "souverainisme", "xénophobie", "racisme"… et, en général, le binôme "ouverture" / "fermeture" qui permet de régler assez vite les choses.
Qu’on parle de la directive sur les travailleurs détachés, qu’on parle du made in France, de la relocalisation de la production, qu’on parle d’à peu près tout, finalement ce sont ces mots-là qui surgissent pour éviter d’aller plus loin dans la discussion ».
Notre analyse :
Les classiques, on l'a vu précédemment, opposent “convaincre” (par le raisonnement) à “persuader” (par les sentiments). Pour N. Polony les expressions “le débat sur les programmes”, “la discussion”, “la réflexion sur les dégâts, les désastres que cause le libre-échange” désignent ce qui devrait faire l’objet d’une argumentation raisonnée, tandis que les expressions “réglé par quelques mots-clé”, “binôme (...) qui permet de régler assez vite les choses”, “une réflexion morale”, “la rhétorique” désignent les “stratégies-express” de persuasion par séduction ou intimidation.
Où rejoint-elle l’Analyse des Logiques Subjectives ?
(RAPPEL) L’A.L.S. précise que le raisonnement (valide ou non) visant à obtenir la conviction relève plutôt de la syntaxe, alors que le type d'(auto-)persuasion que nous analysons par cette méthode relève plutôt du lexique, ce lexique étant porteur de valeurs. C’est ce lexique que N. Polony désigne par “mots-clé”.
(RAPPEL) Là où le raisonnement le plus simple, le syllogisme, requiert l’articulation de plusieurs propositions, la persuasion recourt, avec une syntaxe souvent très simplifiée, à la profération pure et simple d’éléments lexicaux lestés d’une valeur positive ou négative, que l’auditeur partage déjà, ou qu’il est en quelque sorte sommé de partager pour ne pas encourir la réprobation du locuteur (ici : “un méchant xénophobe coupable de haine de l’autre”).
N. Polony fait un pas de plus vers l’A.L.S.© quand elle repère, parmi ces mots-clé, “le binôme « ouverture »/« fermeture » qui permet de régler assez vite les choses”.
On reconnaît là en effet les deux Séries opposées d’adjectifs simples dont le premier couple (ou “binôme”) est justement formé par les Atomes « ouvert »/« fermé » :
Il faudrait entrer dans le détail de la méthode d'analyse des Molécules pour constater que les exemples de mots-clé de N. Polony : « repli », « souverainisme », « xénophobie », « racisme », « haine de l’autre », sont tous rattachables à la série 'B', et ici dévalorisés par ceux qu’elle accuse de remplacer la discussion argumentée par l’emploi de “ces mots-là qui surgissent pour éviter d’aller plus loin dans la discussion”(et qui parlent donc du « Point-de-vue Extraverti », celui-là même qui valorise "l’ouverture").
De même, seule une connaissance plus poussée de la méthode permettra de comprendre comment les interlocuteurs ici accusés de « repli », « souverainisme », « xénophobie », « racisme », « haine de l’autre » peuvent assez souvent (faux paradoxe) partager avec leurs accusateurs le « Point-de-vue Extraverti », et donc être éventuellement sensibles à ce genre de critique.
Ainsi, tout courant politique peut, par moments délaisser le terrain de l’argumentation raisonnée (syntaxique et construite) pour recourir au seul lexique percutant (séducteur ou intimidateur) : pas seulement, n’en déplaise à Mme Polony, les adversaires politiques du camp dans lequel elle se range à moitié, et ce malgré toute la subtilité intuitive dont elle fait preuve ici.
Subtilité à laquelle il suffirait d,'ajouter juste deux doigts de méthode pour arriver à passer de son :
"Qu’on parle d’à peu près tout, finalement ce sont ces mots-là qui surgissent"...
... à notre :
"Quel que soit le contenu macro-sémantique (le thème) abordé dans un texte oral ou écrit [autre que scientifique], finalement ce sont ces Atomes-là (et les Molécules qui en dérivent), assortis de leur Valeur positive ou négative, qui émergent pour provoquer l'adhésion ou le rejet".
Notes et références
[modifier | modifier le wikicode]- ↑ « Friedrich Schleiermacher », dans Wikipédia, (lire en ligne)
- ↑ « Mon cœur mis à nu - Wikisource », sur fr.wikisource.org (consulté le 13 mai 2023)
- ↑ « Albert Londres », dans Wikipédia, (lire en ligne)