Parasites dans l'écosystème/Influence du spectre d'hôte
Le rôle des parasites dans leur écosystème dépend,et c’est à le montrer que je m’emploierai dans cette partie, de leur spectre d’hôte. Par des processus différents, les parasites généralistes tendent à désorganiser
la structure des populations hôtes, et risquent de diminuer la biodiversité, alors qu’à l’inverse, les spécialistes jouent un rôle très important dans la structuration des populations et le maintien de la biodiversité. Bien qu’à l’heure actuelle, de nombreuses études établissent l’importance du parasitisme dans le fonctionnement de l’écosystème, mais aussi dans les actions de biologie de la conservation (par exemple Sasal et al. 2000), peu d’études majeures sur la biodiversité — comme par exemple celle de Worm et al. (2006) — le prennent en compte.
Les parties suivantes s’attachent à comprendre l’influence du spectre d’hôte sur la biodiversité et la structure des populations. On entend par spectre d’hôte l’ensemble des espèces hôtes qui peuvent être infectées par une espèce parasite. Les parasites spécialistes (sténoxènes ou oïoxènes) ont un spectre d’hôte réduit, et les généralistes (hétéroxènes) ont un spectre d’hôte large.
Apport des spécialistes à la biodiversité : hypothèse de Janzen-Connell
[modifier | modifier le wikicode]On peut définir différents niveaux de biodiversité (Primack 2000). Dans la majorité des cas, on en distingue trois, du plus général au plus spécifique. La diversité écosystèmatique représente l’ensemble des interactions possibles dans un écosystème — et je n’en parlerai que très peu ici. La diversité spécifique (souvent assimilée à la richesse spécifique) indique le nombre d’espèces présentes dans l’écosystème. La diversité biologique, pour sa part, se concentre sur la répartition des allèles chez les individus d’une espèce donnée. Le rôle joué par les parasites spécialistes dans la régulation de la biodiversité a été avancé pour la première fois par Janzen (1970) et Connell (1978) dans l’étude de la biodiversité de la forêt tropicale. La forte présence locale de prédation densité-dépendante conduirait à un espacement des congénères, pour minimiser l’impact de cette prédation (hypothèse de Janzen-Connell). Bien que les modèles d’origines sur laquelle elle est construite concernent des prédateurs herbivores, de nombreuses données suggèrent que l’hypothèse de Janzen-Connell peut s’appliquer aux parasites spécialistes.Ils agiraient à deux niveaux : en augmentant la diversité spécifique dans l’écosystème, mais aussi en maintenant la diversité génétique au sein de l’espèce hôte. Ce phénomène de maintien (voire d’augmentation) de la diversité génétique en présence de parasites a été montré pour les allèles du cmh par Wegner et al. (2003) et Šimková et al. (2006). Le maintien de la biodiversité spécifique par les parasites spécialistes est expliqué par des considérations de densité des espèces hôte. L’espacement des individus permet de minimiser le potentiel du parasite à se répandre. De fait, il va diminuer l’abondance des espèces les plus communes, et diversifier le peuplement au sein de l’écosystème — d’une manière similaire à la stratégie du « kill the winner » proposée par Thingstad & Lignell (1997) pour les virus bactériophages dans les écosystèmes océaniques.
Effet des parasites généralistes : la compétition apparente
[modifier | modifier le wikicode]L’hypothèse de Janzen-Connell suppose que les parasites spécialistes sont une force augmentant la biodiversité. On peut se demander quel est l’impact des parasites généralistes à l’échelle de l’écosystème.
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a) Dans la situation initiale, deux individus hôtes (H1 et H2) sont en compétition, et peuvent être infestés par le parasite P. Les effets de P sont plus importants sur H2
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(b) H1 est plus résistant aux effets de P, et son succès augmente par rapport à celui de H2. Le parasite est une arme dans la compétition entre les deux espèces.
Figure 1. Mécanisme de compétition apparente. L’épaisseur du trait symbolise le « poids » du parasite pour chaque individu. La taille du carré représente le succès de chaque individu hôte. Le parasite, par son action plus importante sur H2, va permettre à H1 d’être plus performant. La sous-figure a représente la situation « en absence » du parasite, si on ne considère pas son influence sur le système.
L’évaluation de ces impacts passe par la reconnaissance du fait que tous les hôtes d’un même généraliste ne présentent pas la même susceptibilité, et ne réagissent pas de la même manière à l’infection. Les hôtes plus résistants, parce qu’ils ne sont pas (ou en tout cas, qu’ils le sont moins que les autres) menacés, maintiennent une abondance importante, et exposent les hôtes moins résistants à une plus forte charge parasitaire. Les hôtes moins résistants sont ainsi susceptibles de subir un phénomène d’extinction locale. L’hypothèse que les parasites généralistes pouvaient influer fortement dans la compétition inter-spécifique — « a non specific parasite is a powerful competitive weapon » — avait été avancée il y a plus de cinquante ans par Haldane (1949). Ce phénomène de défavorisation — schématisé figure 1 — d’une espèce par un autre à travers un ennemi commun, ici le parasite, est connu sous le nom de compétition apparente (Holt 1977), et est susceptible d’altérer en profondeur la structure de la population hôte. Comme le faisaient remarquer Hudson & Greenman (1998), il est plus susceptible d’apparaître pour des systèmes ayant une transmission vectorielle, ou des stades infestants avec une longue durée de vie, qui maximisent la transmission inter-spécifique. Ce modèle implique que les hôtes n’aient pas développé de résistance forte au parasite considéré, comme décrit par Holt & Pickering (1985).
Il existe cependant une possibilité de compétition apparente provoquée par des spécialistes. La condition est que les spécialistes exploitent, à différents moments de leur vie, et de manière séquentielle, deux espèces hôtes différentes au moins. Cette hypothèse a notamment été avancée par Thomas et al. (1997).
Modification du spectre d’hôte : le cas des invasions
[modifier | modifier le wikicode]Les espèces invasives fournissent un modèle intéressant pour étudier le rôle des parasites dans l’écosystème, dans la mesure où elles offrent une modification de l’exposition aux parasites importante, susceptible de modifier le succès de l’espèce hôte. Plusieurs résultats montrent clairement que certaines espèces se déplacent pour diminuer leur chance d’être infestées par des parasites de leur région d’origine (Torchin et al. 2003). La performance de l’espèce introduite est susceptible d’augmenter dans son nouvel environnement, comme le montrent par exemple des travaux de Torchin et al. (2001) sur le crabe Carcinus maenas. La revue du rôle du parasitisme dans le succès des invasions, et ses effets ultérieurs, effectuée par Prenter et al. (2004), confirme que l’apport de nouveaux parasites dans un écosystème peut déstabiliser gravement sa structure. Toutefois, on ne dispose que de très peu de cas dans lesquels l’ajout d’un parasite dans un écosystème a provoqué l’extinction d’une espèce endémique. Le plus grand risque que les parasites induisent est celui d’une réduction drastique de la taille de la population, qui peut amener à augmenter le risque d’extinction. Il existe toutefois un risque de transmission de parasites d’une espèce introduite vers les espèces endémiques, notamment quand la densité de la population introduite est très importante. C’est le cas avec l’aquaculture, activité dans laquelle la transmission de copépodes est très importante — avec des risques de déstabilisation de la faune sauvage en provoquant des épizooties, comme Krkosek et al. (2006) l’ont récemment mis en avant avec le copépode Lepeophtheirus salmonis parasite du saumon Oncorhynchus gorbuscha. Le mode de transmission des parasites conditionne leur succès dans le cas où leur hôte est une espèce invasive : il semble évident que les parasites à transmission verticale (c’est-à-dire se transmettant des parents à la descendance, souvent — mais pas obligatoirement — par la mère) ont plus de facilité dans ce cas que ceux qui pratiquent la transmission horizontale (c’est-à-dire passant entre des individus de familles” différentes, et vraisemblablement plus sensible à la densité de ses hôtes).