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Ici, plus qu’ailleurs, peut-être, un examen superficiel du folklore ne permet pas de soupçonner la
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[[File:Léopold Senghor, Pic, 5.jpg|thumb|Leopold Sedar Senghor : poète et président]]
profondeur de ses fondements. Un certains nombre de représentations et de conceptions sont communes à la majeure partie des grandes Traditions d’Afrique. Elles constituent un système d’une profonde cohérence. On peut le résumer de la façon suivante. Le monde est issu d’une vibration interne de la substance primordiale et il possède un mouvement d’ensemble en forme de spirale en extension. À l’origine, se trouve un corps extrêmement petit, une sorte de graine ou d’œuf qui contient en puissance tout ce qui existe. L’univers qui en résulte est vivant. Cette graine est présente en l’Homme. Lui-même peut être comparé à un champ avec son alternance de moissons et de semailles. Des applications pratiques découlent de ces conceptions. En s’appuyant sur l’univers des signes, l’être humain parvient à diriger le cours des choses. Les symboles qu’il utilise sont élaborés de façon à pouvoir accueillir la présence effective des éléments. Dans toute l’Afrique, ces structures abstraites régissent l’organisation de la vie humaine et se trouvent inscrites dans ce que l’Homme crée ou construit. Sous une forme ou une autre, la relation à l’ensemble est constamment prise en considération <ref>Ce sujet est traité de manière approfondie par [[w:Marcel Griaule|Marcel Griaule]].</ref>.<references />
profondeur de ses fondements. Un certains nombre de représentations et de conceptions sont communes à la majeure partie des grandes Traditions d’Afrique. Elles constituent un système d’une profonde cohérence. On peut le résumer de la façon suivante. Le monde est issu d’une vibration interne de la substance primordiale et il possède un mouvement d’ensemble en forme de spirale en extension. À l’origine, se trouve un corps extrêmement petit, une sorte de graine ou d’œuf qui contient en puissance tout ce qui existe. L’univers qui en résulte est vivant. Cette graine est présente en l’Homme. Lui-même peut être comparé à un champ avec son alternance de moissons et de semailles. Des applications pratiques découlent de ces conceptions. En s’appuyant sur l’univers des signes, l’être humain parvient à diriger le cours des choses. Les symboles qu’il utilise sont élaborés de façon à pouvoir accueillir la présence effective des éléments. Dans toute l’Afrique, ces structures abstraites régissent l’organisation de la vie humaine et se trouvent inscrites dans ce que l’Homme crée ou construit. Sous une forme ou une autre, la relation à l’ensemble est constamment prise en considération <ref>Ce sujet est traité de manière approfondie par [[w:Marcel Griaule|Marcel Griaule]].</ref>.<references />



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Les grandes civilisations
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Chapitre no 3
Recherche : Clefs pour mieux comprendre le monde et participer à son évolution
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Les premiers pas de l'humanité

Le regard que nous portons sur le passé n’est pas neutre. Il dépend de nos centres d’intérêt, de nos convictions et des problèmes que notre époque doit affronter. Selon le point de vue qui est adopté, le même événement peut être considéré comme une catastrophe ou revêtir un caractère providentiel. De plus, nous n’avons pas directement accès au passé : nous le reconstituons à l’aide de traces et de vestiges que nous interprétons. Les documents disponibles doivent eux aussi être traités avec une certaine prudence. Ils peuvent avoir été rédigés par des personnes mal renseignées ou peu objectives. Quand aux données qui ne peuvent pas s’inscrire dans le cadre des thèses communément admises, elles se trouvent souvent minimisées ou laissées temporairement de côté.

Fichier:Diorama du Musée de Préhistoire des gorges du Verdon.jpg

En Histoire comme dans d’autres domaines, le chercheur de vérité doit donc être prêt à remettre en question ce qu’il croit savoir. Dans la recherche de nos plus lointains ancêtres, nous pouvons, de génération en génération, remonter jusqu’à l’origine de la vie. Les premiers êtres vivants à pouvoir être considérés comme des humains sont sans doute apparus il y a 2 ou 3 millions d’années, peut-être même davantage. Notre patrimoine génétique est proche de celui des singes supérieurs. Toutefois, grâce à quelques remaniements [1] survenus à ce niveau, nous avons pu accéder à un développement d’une tout autre envergure. Tel est du moins le point de vue actuel de la science. Quel que soit le domaine, celle-ci demeure fidèle à sa méthode qui consiste à progresser à partir de ce qui est connu, sans faire intervenir des considérations d’un autre ordre ou des théories qui ne peuvent ni être ni démontrées ni vérifiées par des observations répétées.

Les premiers outils ont dû être taillés il a près de 2,5 millions d’années. Ils sont probablement l’œuvre d’australopithèques : nos présumés ancêtres. Appartenant comme nous à la famille des hominiens, ils sont considérés comme des êtres intermédiaires entre le singe et l’Homme. Les frontières sont ici difficiles à établir et dépendent des critères que l’on privilégie. Des ossements de pré-humains ont été retrouvés en Afrique uniquement ; c’est la raison pour laquelle on suppose que l’humanité est née en Afrique et qu’elle a ensuite colonisé l’ensemble de la planète, par vagues successives. Les plus anciennes traces de foyer datent de 500 000 ans. Grâce à la maîtrise du feu, l’Homme sera moins dépendant des conditions naturelles : il fera jaillir la lumière dans l’obscurité et pourra survivre dans les régions froides. Comme le feu effraie les animaux, il se sentira plus en sécurité. Une vie sociale plus étroite va pouvoir s’organiser autour du foyer qui revêtira parfois un caractère sacré.

100 000 ans avant notre ère, nos ancêtres offraient déjà des sépultures à leurs semblables. La présence occasionnelle de cristaux et de fleurs témoigne des liens qui unissaient le défunt à ses proches ou à l’ensemble du groupe. Plus tard, les corps seront quelquefois saupoudrés d’ocre rouge ou enterrés dans la position du fœtus. À ce stade, il s’agit indiscutablement de rites funéraires [2]. Nous pouvons difficilement nous faire une idée de l’état d’esprit de ces temps reculés. Nos interprétations des indices sont nécessairement incomplètes : aujourd’hui encore, chez les Bochimans, l’arc est à la fois arme et instrument de musique. Il n’est pas non plus possible d’établir une chronologie standard des étapes de développement. Celles-ci se chevauchent et varient beaucoup d’un endroit à l’autre.

L’Homme s’adonne à l’art figuratif depuis au moins 30 000 ans. Les premières manifestations incontestables datent de cette époque ; mais elles ont vraisemblablement été précédées par d’autres, effectuées sur des supports périssables. L’art est sans doute né par petites touches à peine perceptibles, et les œuvres les plus anciennes resteront à jamais inconnues de nous. Dans le Sud de la France, l’art des cavernes a pris son essor une vingtaine de millénaires avant notre ère. Il s’agit presque toujours de représentations animales, parfois associées à des signes abstraits. Sur les parois de ces grottes admirablement peintes, l’être humain est très peu représenté. Les rares exceptions le font apparaître de manière discrète et sous des formes à peine esquissées. Situées souvent en des lieux difficilement accessibles, ces œuvres semblent répondre à des préoccupations à caractère magique ou religieux. L’espoir d’une chasse fructueuse a pu jouer un rôle mais n’est pas seul en cause [3]. Pour leurs auteurs, ces représentations raffinées devaient plutôt être des supports permettant aux Hommes d’établir une relation privilégiée avec certains animaux. Grâce à ces liens, ils pensaient pouvoir s’imprégner de leurs caractères essentiels et acquérir ainsi les qualités qui les caractérisent – C’est, en tous cas, ce qu’un parallèle avec le chamanisme laisse supposer. Ces œuvres témoignent d’une observation très fine de la nature, mais les sujets ne sont pas traités de façon naturaliste. L’artiste semble avoir tenté de saisir des archétypes: des formes dotées d’une vie propre et d’un pouvoir créateur.

Ces cavernes sanctuaires étaient sans doute le théâtre d’autres manifestations artistiques et rituelles. Un des plus anciens instruments de musique à nous être parvenu est une flûte taillée dans l’os il y a près de 18 000 ans. En maints endroits, des statuettes féminines datant de cette époque ont été retrouvées. Elles semblent liées au culte de la féminité plus qu’à celui de la fécondité car elles ne sont pas accompagnées de représentations d’enfants en train de naître ou nouveaux-nés. Par la suite, l’art empruntera d’autres voies et se mettra au service d’objectifs plus diversifiés. D’une période à l’autre, les styles varieront parfois beaucoup. Dans de nombreux domaines, le recours à l’abstraction va acquérir une importance croissante créant peu à peu les conditions propices aux bouleversements à venir.

Il y a environ dix mille ans, l’évolution de l’humanité entra dans une phase d’accélération. Avec ce qu’on nomme la révolution néolithique, un tournant décisif fut pris. Cette émergence avait été préparée par de nombreuses expériences mais, à cette époque, un nouveau genre de vie commença à s’imposer dans plusieurs régions du monde. En adoptant un mode de vie sédentaire et des techniques de conservation de aliments, l’être humain fut amené à devenir le maître d’œuvre de son milieu. En domestiquant les plantes et les animaux, il se mit à assumer d’autres fonctions au sein de la nature. Il cessa d’être un simple prédateur pour jouer désormais un rôle actif dans la production de ce qu’il consomme. Il accéda à une autre conscience de l’espace. Le territoire fit place à la propriété. L’évaluation du temps devint nécessaire. Grâce à toutes sortes de progrès techniques, l’Homme jouira d’un plus grand bien-être et son existence portera de plus en plus l’empreinte de sa volonté. En contrepartie, de nouvelles contraintes apparaîtront.

Peu à peu, les villages vont s’agrandir. Des échanges commerciaux s’établiront entre les communautés. L’organisation sociale progressera elle aussi et des institutions se mettront en place. Au VIIe millénaire av. J.-C., la cité de Jéricho était déjà entourée d’une enceinte et comptait plus de 2000 habitants. Dans le même temps, Çatal Huyuk, une importante cité d’Anatolie, entrait dans une longue période de prospérité et de paix relative. Malgré ses 12 hectares, la ville ne possédait pas de rues : on entrait dans les maisons par le toit. Les fresques murales attestent de l’existence d’une mythologie déjà complexe et laissent supposer que le matriarcat y a joué un rôle non négligeable. Dès le néolithique, d’importants conflits devaient sans doute se produire. En Europe, des charniers de plusieurs dizaines de personnes ont été découverts. Ils datent d’environ 5000 ans avant notre ère. Comme il ne s’y trouvait ni enfant ni jeune femme, il s’agissait sans doute de faits de guerre.

Avec la spécialisation des tâches, une partie de la population pourra se consacrer à d’autres travaux que ceux qui sont liés à la simple subsistance. La vie de l’esprit pourra se développer de manière autonome : des civilisations apparaîtront. Une grande diversité va se manifester à travers les époques et les continents. Certaines populations conserveront leur mode de vie tandis que d’autres ne cesseront de se transformer au contact de multiples influences. Par delà les différences d’expression culturelle, de nombreux liens de parenté subsistent. Ainsi, plusieurs dizaines de racines sont communes à toutes les langues parlées aujourd’hui.

  1. Les gènes régulateurs ont un rôle analogue à celui d’une horloge. Ils peuvent accélérer ou ralentir l’expression de certaines phases de développement. Ceci pourrait expliquer pourquoi l’être humain adulte possède certains caractères que les primates ont seulement à l’état juvénile. Le bébé chimpanzé a comme nous un crâne très développé, sans bourrelet au dessus des yeux. À l’état de fœtus, il a la peau nue. Lorsqu’il est adulte, ces caractères ont complètement disparu. Comme l’Homme nait « inachevé », chez lui le crâne et le cerveau continuent de se développer après la naissance. Le système nerveux va naturellement se construire en fonction de l’hérédité, mais l’expression des gènes se trouvera également influencée par les relations avec le milieu – en particulier la famille et la culture. L’augmentation de la grosseur du cerveau va de pair avec un rétrécissement de la mâchoire. Le trou occipital se trouve donc déplacé vers l’avant, ce qui facilite le redressement du corps. Parallèlement, le bassin se modifie, ce qui rend possible la marche bipède. De ce fait, Les mains se trouvent libérées, le regard peut se porter au loin et les déplacements demandent moins d’énergie. [[w:Anne Dambricourt|]] a constaté que, depuis 60 millions d’années, le redressement de l’axe de la tête s’opère toujours dans le même sens, de manière régulière et selon les lois des mathématiques fractales. Elle a également remarqué que, depuis les singes primitifs, la période embryonnaire se prolonge de plus en plus. Cette continuité semblant suivre une certaine logique, certains y voient une remise en question du caractère purement accidentel de l’évolution. Dans les milieux scientifiques les thèses Anne Dambricourt ont jusqu’à présent reçu un accueil mitigé.
  2. Pratiqué à cette époque, les pratiques anthropophage comportent deux versants qui se rejoignent. Ce peut être une façon de s’approprier la force de l’ennemi mais aussi un moyen grâce auquel les défunts peuvent continuer à vivre en celui qui consomme leur chair – le corps de ceux qui les aiment ou les respectent étant la meilleure sépulture.
  3. À Lascaux, on se nourrissait surtout de renne, pourtant cet animal n’est pour ainsi dire jamais représenté. Mais peut-être était-ce simplement en raison de son abondance ou parce qu’on pratiquait sa domestication ?

La Mésopotamie

La plaine du Tigre et de L’Euphrate est une contrée particulièrement fertile. Très tôt, les Hommes s’y réunirent pour entreprendre des grands travaux d’irrigation. Au IVe millénaire avant notre ère, des agglomérations importantes avaient déjà été édifiées dans la partie méridionale. Elles étaient l’œuvre des Sumériens : un peuple de haute culture dont l’origine est incertaine [1].

Le Nord était occupé par les Akkadiens. Arrivés plus tardivement, ceux-ci parlaient une langue sémitique [2] de type oriental. Des cités états se constituèrent peu à peu. Au début, elles étaient gouvernées par des souverains qui exerçaient des fonctions à la fois politiques et religieuses. Les plus prestigieuses de ces principautés avaient pour nom Lagash, Our, Kish … ou Mari. Certaines devaient sans doute abriter un grand nombre d’habitants : il y a 5000 ans, une muraille de brique de dix kilomètres de tour entourait la ville d’Ourouk. Les cités entretenaient des liens de coopération, mais les plus puissantes essayaient d’imposer leur domination et les guerres étaient fréquentes.

Au terme d’une série de conquêtes, l’Akkadien Sargon 1er fonda, vers 2350 av. J.-C., le premier empire mésopotamien véritablement unifié. Moins de deux siècles plus tard, le pays fut envahi par les Goutis. Ces montagnards venus du Zagros vénéraient tout particulièrement une divinité féminine. À propos de ce peuple, un fait rare dans l’Histoire du monde mérite d’être signalé: il arrivait que des femmes commandent des armées. Vers 1830 avant notre ère, Babylone devint la capitale d’un empire qui allait se maintenir durant environ trois siècles. La cité elle-même restera influente pendant encore un millénaire. Il y a 2500 ans, elle comptait 500 000 habitants. Plusieurs guerres opposeront des envahisseurs européens aux peuples de la région. À partir du XIII e av. J.-C., la Mésopotamie subira de longues périodes de domination assyrienne. Vers – 650, le pouvoir passera aux mains des Chaldéens jusqu’à l’arrivée des troupes de Cyrus, en 539 avant notre ère. La région de Babylone sera alors rattachée à l’Empire Perse. Aujourd’hui, « le pays entre les deux fleuves » se trouve partagé entre l’Irak, la Syrie et l’Iran.

Les Sumériens et les Akkadiens avaient atteint un haut niveau de civilisation. Leur culture s’est peu à peu diffusée dans toute la région du Croissant Fertile et elle a influencé de nombreux autres peuples. Les habitants de la Mésopotamie avaient des connaissances sérieuses en Astronomie et en Mathématique. Ils savaient notamment extraire les racines carrées. Leur médecine ne faisait pas seulement appel à des pratiques magiques et religieuses, elle s’appuyait également sur une bonne observation de la nature. Vers 3500 av. J.-C., les Sumériens utilisaient déjà une écriture : la plus ancienne que nous connaissions [3]. Au début, elle était constituée de pictogrammes : des dessins stylisées représentant ce qui devait être exprimé. Au fil du temps, ces tracés devinrent de plus en plus abstraits. Par la suite, un changement de perspective s’opéra et les signes finirent par être la simple transcription des sons du langage parlé. Parmi les nombreux textes qui nous sont parvenus, le plus célèbre est l’épopée de Gilgamesh. Cette histoire nous touche car elle allie une quête d’immortalité avec l’acceptation finale de la condition de mortel. Des tablettes d’argile où figure un récit de déluge ont été découvertes en Mésopotamie. Cette version recoupe en grande partie celle de la Bible. Elle est cependant nettement plus ancienne : elle a été rédigée en caractères cunéiformes en 2500 av. J.-C. Beaucoup d’éléments correspondent : la durée, l’embarquement des animaux à bord d’un bateau… le lâcher de la colombe.

Le plus ancien texte juridique nous vient de l’empire babylonien. Il est l’œuvre de Hammourabi qui le fit graver sur une stèle, en 1760 avant notre ère. Le roi s’inspira d’anciennes coutumes et les reformula selon l’esprit de son époque. Le souci de justice était présent mais la défense de l’ordre établi demeurait apparemment la préoccupation majeure. Celui qui avait volé un noble devait lui en rembourser trente fois le montant. S’il s’agissait d’un roturier, dix fois seulement. Pour les esclaves, le dédommagement était encore plus faible. Ces derniers se trouvaient dans une situation peu enviable mais ils n’étaient cependant pas méprisés comme ce fut notamment le cas en Occident, au XVII e siècle. – En Mésopotamie, et d’une façon générale dans l’ensemble du Monde Antique, l’esclavage était surtout considéré comme une malchance. Lorsqu’un litige survenait, le plaignant pouvait en appeler au « jugement du fleuve ». Ceux qui se trouvaient emportés par le courant étaient considérés comme coupables. Ceux qui parvenaient à résister à la puissance des eaux obtenaient au contraire gain de cause.

Pour les Sumériens, les phénomènes naturels et les événements étaient l’expression de puissances surnaturelles avec lesquelles il était possible d’entrer en relation. Les êtres humains étaient les serviteurs des dieux et avaient pour mission de faire de la Terre un endroit digne d’eux. Les divinités bénéficiaient des offrandes des Hommes et, en contrepartie, elles offraient leur protection. Ainsi, grâce à cette collaboration, l’ordre cosmique se trouvait assuré. La plupart des habitants de Sumer ne semblaient cependant pas avoir une vision du monde très optimiste : ils avaient le sentiment que tout allait en se dégradant. Jusqu’au IIe millénaire avant notre ère, les femmes pouvaient occuper des fonctions religieuses de tout premier plan. Il existait une grande diversité de cultes. Le symbolisme acquit peu à peu une place prépondérante. L’univers était considéré comme un réseau où même les choses les plus éloignées sont en relation. Il en résultait une intense recherche de correspondances entre le cosmos et l’Homme conçu comme un microcosme. Les mages et les devins servaient d’intermédiaires.

Les temples ont pour ambition d’être des lieux de rencontre entre la Terre et le Ciel. Leur architecture est toujours conçue pour faciliter la mise en relation. À cette époque, les édifices religieux de la région étaient surmontés par une tour à étages. La plus célèbre, la tour de Babel, s’élevait à plus de 90 mètres. Elle fut achevée par Nabuchodonosor. C’est également à Babylone que se trouvaient les « jardins suspendus » : une des sept merveilles du monde. Dans « le pays entre les deux fleuves », de nombreux styles se sont succédés. Les œuvres révèlent généralement la personnalité des peuples qui leur ont donné naissance. C’est ainsi que chez les Assyriens, ces guerriers redoutables, ce qui prédomine est l’étalage de la force et l’expression de la vitalité. L’art sumérien des origines se situait sur un tout autre registre. Les exemples les plus caractéristiques sont peut-être les divinités aux grands yeux saisissants et les statues d’orants empreints d’une grande dignité.

  1. Les Sumériens venaient sans doute de l’Est. De nombreuses similitudes laissent supposer un lien de parenté avec les civilisations de l’Indus avec lesquelles ils entretenaient d’importants liens commerciaux.
  2. Ce mot vient de Sem : le prénom que portait un fils de Noé. Le terme sémite désigne un groupe de langues. L’arabe et l’hébreu sont les plus connues.
  3. Il faudra cependant attendre le IIe millénaire avant notre ère pour que les Phéniciens inventent l’alphabet. Eux-mêmes le tenaient peut-être des Bédouins qui l’avaient élaboré à partir de l’écriture égyptienne. Les phéniciens étaient établi sur l’emplacement actuellement occupé par le Liban. Ce peuple de navigateurs a eu un rayonnement immense, au-delà même du Bassin Méditerranéen. Il a fondé sur la côte africaine, Carthage : la grande rivale de Rome.

L’Iran

Le plateau iranien [1] occupe une position intermédiaire entre le sous-continent indien et la partie de l’Asie qui est proche de l’Europe[2]. La région est plutôt désertique mais riche en profondeur. Au VIIe millénaire avant notre ère, on y travaillait déjà le cuivre naturel. Un important foyer de civilisation se développa très tôt dans le Sud-ouest, surtout à partir du IVe millénaire, en particulier autour de Suse. Une émergence analogue eut lieu à Auchan, une ville située plus à l’Est. En Susiane se réalisait la synthèse entre la Mésopotamie dont elle est le prolongement naturel, et la région de Fars, proche de la vallée de l’Indus. La civilisation de l’Élam se constitua en un royaume indépendant au milieu du millénaire suivant. Elle s’affranchira ensuite progressivement de l’influence de Sumer. Son apogée se situe vers le XIIIe siècle av. J.-C.

Les Indo-européens vont pénétrer dans le pays à partir du II e millénaire avant notre ère. Telle est au moins la théorie la plus communément admise actuellement. Mèdes et Perses seraient les descendants de ces peuples. L’empire perse achéménide sera fondé par Cyrus II au cours du VIe siècle av. J.-C. Mais c’est Darius Ier qui en sera le véritable organisateur. Ce grand souverain réforma l’administration et instaura une monnaie d’or. Il n’est cependant pas l’inventeur de ce système d’échange. Les Lydiens furent les premiers à en introduire l’usage. Un de leurs rois, Crésus, est d’ailleurs resté célèbre à cause des richesses phénoménales dont il disposait. Darius fit creuser un canal qui reliait le Nil à la Mer Rouge, ce qui permettait aux bateaux de circuler plus librement entre l’Orient et l’Occident. Il ordonna aussi la construction d’un réseau de routes. La plus importante, la Voie Royale avait une longueur de 2700 kilomètres. Sa qualité était telle qu’un bon cavalier pouvait la parcourir en une dizaine de jours. Darius établit sa capitale à Persépolis. Comme la pratique religieuse ne nécessitait pas de temple, l’art monumental de cette époque était surtout un Hymne à la grandeur de l’Empire. Une impression de majesté se dégage de ces édifices mais, à cause de leur caractère officiel, les artistes n’ont pu y insuffler qu’une petite partie de leur sensibilité. La véritable créativité de cette époque semble avoir trouvé refuge dans les petits objets, en particulier en orfèvrerie. Là, elle est parvenue à s’exprimer à un très haut niveau.

Peu avant sa mort, Darius régnait sur un territoire qui s’étendait du Nord de la Grèce jusqu’aux rives de l’Indus. Les Perses achéménides respectaient généralement les coutumes et les croyances des peuples qu’ils avaient conquis. Grâce à la relative souplesse de leur administration, cette région connut de longues périodes sans guerre. Ce puissant empire était néanmoins fragile ; il va s’effriter et finalement s’effondrer à l’arrivée d’Alexandre de Macédoine. Les populations de Perse orientale reprendront peu à peu leur indépendance. Vers le milieu du II e siècle av. J.-C., les Parthes mettront fin à la présence grecque. La culture iranienne pourra alors s’imposer définitivement. À certaines époques, son rayonnement sera immense et s’étendra même jusqu’en Europe.

La divinité suprême des anciens Perses avait pour nom Ahura Mazda, ce qui signifie : « celui qui a toutes choses présentes à l’esprit. » Le mazdéisme [3] provient du même fond indo-européen [4] que le védisme. Mais, alors qu’en Inde le jour et la nuit sont considérés sous l’angle de la complémentarité, ici l’accent est mis sur leur antagonisme. La lumière est ce qui permet de voir. L’obscurité voile au contraire toutes choses et les rend indistinctes. Il peut donc en résulter un agencement incorrect ainsi que des faux-semblants ou des actions trompeuses.

Ces considérations finiront par déboucher sur la personnification d’un principe mauvais, hostile au bon ordre du monde. La lutte entre la Lumière et les Ténèbres n’est cependant pas éternelle. Elle se terminera par la victoire du Bien car le Mal est par essence limité : il est subordonné au principe lumineux qui, lui, est infini. Au sein de ce combat, chaque être humain porte cependant une part de responsabilité. Par les choix qu’il fait, il peut participer à l’avènement du Bien ou retarder son triomphe. Comme une tente de nomade, le monde doit sans cesse être agencé de nouveau. Si les rituels sont accomplis avec exactitude, l’être humain renforce la puissance des dieux. Il se produit ainsi un va-et-vient qui permet à l’Homme d’obtenir des forces de vie. Et s’il a aidé les dieux, après sa mort, il bénéficiera de leur hospitalité et connaîtra l’Aube Éternelle. Si, au contraire, il a enlaidi son « âme du chemin », il rejoindra le monde des ténèbres et de la tromperie.

Le plus illustre prophète de cette religion fut sans doute Zarathoustra. Ce personnage de haute stature est considéré comme le grand réformateur des antiques croyances. Son action porta notamment sur les cultes orgiaques et des sacrifices qui, à son époque, étaient encore pratiqués. Il aurait vécu entre le VIe et le VII e avant notre ère. Mais peut-être est-ce seulement une figure exemplaire composée à partir de plusieurs personnages ? Il subsiste encore quelques traces du zoroastrisme dans l’Iran actuel et en Inde où les adeptes de ce culte sont connus sous le nom de Parsis, à cause de leur origine perse. Pour ne souiller ni le feu ni la terre ni l’eau, les fidèles continuent d’exposer leurs morts en des lieux élevés afin qu’ils puissent être dépouillés de leur chair par les vautours. C’est en Perse qu’est né, au troisième siècle, le manichéisme. Cette religion qui inclut les enseignement de Zoroastre, de Bouddha et de Jésus a exercé une influence jusqu’à nos jours. Elle a joué un rôle important dans la constitution des mouvements bogomiles et cathares.

Dans le courant du VIIe siècle, le pays sera conquis par les Arabes qui introduiront l’islam. Toutefois, même au sein de cette religion, les identités iraniennes resteront profondément marquées. Il en résultera une organisation séparée et des réalisations culturelles aux caractères nettement distincts. Parmi elles, les plus représentatives sont les miniatures et une riche poésie aux accents sublimes dont Rumi constitue un des sommets. Chaque terre d’islam porte bien haut ses valeurs par l’intermédiaire de son architecture. L’Iran y apporte sa contribution : dans toute la région, on découvre avec émerveillement des mosquées et des monuments funéraires aux toits couleur turquoise d’une somptueuse beauté… Mais la créativité religieuse de l’Iran ne s’arrête pas là. C’est au sein de l’islam iranien qu’est né au XIXe siècle, le bahaïsme. Souvent persécutée, cette religion universaliste est basée sur la conception d’un Dieu qui renouvelle son message à chaque époque. Son temple le plus célèbre se trouve en Inde. Apparemment inspiré par le Taj Mahal, il a la forme d’une fleur de lotus.

  1. Le nom Iran vient de Iran Shah : ce qui signifie : le pays des aryens.
  2. Presque autant que celui de Proche Orient, le terme Moyen-Orient dénote un point de vue très européano-centré.
  3. Pour certains observateurs, le mazdéisme est une forme de monothéisme qui a inclus ensuite en son sein des développements polythéistes. Mais des réformes furent périodiquement opérées pour restaurer l’état originel. Précisons également que le dualisme est tardif. En Inde, le mot Deva désigne les divinités. Dans le zoroastrisme, il signifie démon. En Iran, le nom du Dieu suprême est « Ahura Mazda ». En Inde les démons sont appelés Asuras : un mot qui ressemble beaucoup à Ahura. Dans les premiers Vedas, cependant, Asura signifie : La Divinité.
  4. Le terme indo-européen ne désigne pas une race mais une communauté de langues. On y côtoie une grande diversité de peuples ayant en commun certaines conceptions du monde. La fameuse organisation tripartite de la société (cultivateur, chevalier, prêtre) est une de leurs caractéristiques. Ils semblent avoir été les premiers à se déplacer sur des attelages tirés par des chevaux. Ces peuples qu’on appelle également aryens provenaient apparemment d’une région située entre l’Oural, la Mer Noire et le Caucase. – peut-être même d’Anatolie : le plateau situé au centre de la Turquie. Selon un autre point de vue, le terme Aryen désignerait simplement un certain niveau de civilisation quel que soit le lieu. À partir d'un certain stade de développement, les caractéristiques culturelles auraient spontanément partout un contenu voisin partout et ne seraient pas importées par des conquérants étrangers.

L’Inde

La civilisation de l’Indus a dû émerger vers le IVe millénaire avant notre ère. Elle a connu un développement important entre 2400 et 1800 av. J.-C., notamment à Mohenjo Daro et Harappa, deux cités d’un urbanisme remarquable. Ces agglomérations devaient abriter près de trente mille habitants.

Dans ces cités, haque maison possédait un bain, et le système d’évacuation des eaux était très élaboré. Nul palais ni quartier misérable n’ont été retrouvés. Les villes n’étaient pas fortifiées et aucun édifice ressemblant à un temple n’a été mis à jour. Le seul vestige pouvant avoir une fonction religieuse est un grand bassin. Les sceaux découverts sur le site donnent quelques indices permettant de mieux comprendre les traits essentiels de cette culture. Sur l’un d’eux figure un personnage dans une posture de méditation. Des svastikas sont également présentes. L’écriture comporte un grand nombre de signes qui à ce jour n’ont toujours pas été déchiffrés. La civilisation de l’Indus entretenait des relations commerciales avec la Mésopotamie. Elle semble avoir connu un déclin progressif avant de disparaître vers 1800 av. J.-C. Les changements climatiques ont sans doute été déterminants.

D’importantes zones d’ombre subsistent à propos de cette époque. Si l’on en croit la théorie la plus répandue, l’Inde du Nord aurait été conquise par les Aryas [1] vers le milieu du IIe millénaire avant notre ère. Ces nouveaux venus auraient apporté leur ordre social, leur religion et une langue considérée comme sacrée : le sanskrit, à laquelle sont apparentées toutes les langues indo-européennes, notamment celles des groupes latins et germaniques. Une synthèse se serait peu à peu opérée avec le fond culturel déjà présent. L’hindouisme n’est pas une religion reposant sur des dogmes définitifs applicables à tous. C’est plutôt un creuset d’où jaillissent sans cesse de nouvelles impulsions issues de l’expérience intérieure. Les pratiques les plus diverses coexistent en son sein. L’éthique est valorisée et les ascètes sont nombreux, mais, dans le tantra, le désir est utilisé comme un levier pour parvenir à l’illumination. L’énergie étant ici l’aspect féminin du divin, ses manifestations ne doivent pas être gaspillées mais transmutées. Les poisons qui causent la perte de l’Homme peuvent être convertis en remèdes par l’adepte averti.

Tout et son contraire peut être dit à propos de l’Inde. Toutefois, vivre en accord avec la Loi intérieure de son être est l’idéal commun à la plupart des voies. Pour les hindous, la fonction suprême de la religion est de libérer l’âme. Celle-ci est temporairement prisonnière de l’illusion qui fait partie intégrante du grand jeu cosmique. Une fois libre, elle pourra réaliser l’absolu, s’unir au principe divin et retrouver ainsi sa véritable nature pure et sans limite et vivre en union avec tout ce qui est. Cette apothéose n’est pas une récompense obtenue après la mort mais un état intemporel dont chacun se rapproche au cours d’une longue évolution qui se poursuit de vie en vie. Toutes les ressources de l’être peuvent être mises au service de ce but.

En Inde, le sacré et le profane ne sont pas dissociés. Tous les domaines de la vie portent l’empreinte du religieux. La société hindoue traditionnelle est organisée selon quatre grands ordres nettement séparés [2]. À l’origine, cette répartition n’était pas héréditaire : chacun recevait le genre d’éducation qui correspondait à sa personnalité. La fonction économique n’en découlait pas nécessairement. Peu à peu, les choses ont pris une tournure mécanique. La situation sociale s’est mise à devenir plus importante que les considérations psychologiques. Finalement, le système est devenu héréditaire, rigide et vidé de la majeure partie de sa substance de départ. Il est tout particulièrement choquant à cause du rejet des «hors-castes». En Inde, le souci de pureté s’accompagne de la crainte permanente d’être souillé. Sont considérés comme intouchables les descendants de ceux qui se sont trouvés exclus de leur groupe pour en avoir transgressé les règles, ou tout simplement en raison de leur origine ethnique. L’importance attachée à la lignée ancestrale crée une ségrégation qui pèse lourdement sur ceux qui en sont victimes. Les castes ne dérivent pas directement des quatre ordres de départ. Apparues plus tardivement, elles correspondent plutôt à des corporations, voire à des clans. Et les différences sont parfois minimes. Il existe une caste de pêcheurs tirant leurs filets de la droite vers la gauche. Eh bien ! aussi étonnant que cela puisse paraître, ils ne se marient jamais avec ceux qui les tirent dans l’autre sens. Et les parias de la société reproduisent les mêmes schémas : Eux aussi se répartissent en castes. Devenir ascète est la seule possibilité permettant de sortir de ce système : ceux qui renoncent « au monde » échappent à toute distinction d’ordre et de caste. Ce mode d’organisation a été un facteur de stabilité et il a constitué une force et une protection au cours des longues périodes d’occupation étrangère qui auraient pu dissoudre sa culture. Il est cependant devenu une des principaux obstacles au progrès et il menace à présent la cohésion sociale. Dans la société hindoue, les contraintes qui pèsent sur l’individu sont très importantes mais, sur le plan spirituel, chacun dispose d’une grande liberté.

Déjà dans l’Antiquité, de nombreux courants de pensée coexistaient [3]. Au VIe siècle av. J.-C., l’Inde comptait plusieurs écoles de philosophie athées ou matérialistes [4]. Le bouddhisme est apparu dans ce contexte. Partant du constat que tout est éphémère et imparfait, son fondateur insiste sur le fait qu’il n’existe rien de permanent, même au plus profond de nous : chaque chose est conditionnée par l’ensemble, et réciproquement. Pour Gautama Le Bouddha, la cause de toute souffrance est le désir. Par la voie du juste milieu, la compassion et l’observation attentive, on acquiert une vision pénétrante. Il devient alors possible d’atteindre un point où plus aucune illusion ne subsiste où le désir disparaît. Cet état d’éveil absolu ouvre l’accès au non conditionné, au nirvana. Une fois le «non-né» atteint, la nécessité de renaître cesse. Le Bouddha a enseigné une voie de libération, mais il est resté silencieux sur le contenu du nirvana. L’absolu étant de l’ordre de l’indicible, la seule façon de le connaître est de l’atteindre. Le bouddhisme s’est tout d’abord répandu en Inde, exerçant une influence profonde sur l’hindouisme, notamment dans le sens du renoncement. Il s’est ensuite diffusé dans les pays voisins. Aujourd’hui, les adeptes de cette religion ne représentent plus qu’un faible pourcentage de la population indienne. Un mouvement assez voisin, le jaïnisme, a pris lui aussi de l'importance au cours du VIe siècle avant notre ère. Comme le bouddhisme, la religion à laquelle il a donné naissance, il ne comporte pas de castes. Les jaïns se distinguent tout particulièrement par leur profond respect du principe de non-violence.

L’art indien part de la matière pour exprimer toute la gamme des émotions et des idées. Il ne reste cependant pas prisonnier de ses formes : il les utilise comme un support pour accéder à l’inexprimable. Dans l’art hindou, l’accent est mis sur l’inépuisable dynamisme de l’existence et ses innombrables visages. L’art bouddhiste lui est apparenté mais, en son sein, la recherche de la sérénité est primordiale.

En Inde, la danse a presque toujours un caractère sacré. Les moindres gestes y revêtent un sens, et constituent un langage très élaboré. Quant à la musique, elle semble parfois si intemporelle qu’on a pu dire qu’elle sculptait le silence. Cette prise en considération de la vacuité ne s’est pas limitée à l’art et à la philosophie. La civilisation indienne est supposée avoir inventé le zéro. Sans cet apport, la science moderne n’aurait jamais pu se développer. Malgré les luttes intérieures et les invasions fréquentes depuis l’Antiquité, le pays a pu sauvegarder ses valeurs culturelles. Cette continuité est sans doute due à un entrelacement très fin de la vie sociale et du spirituel.

Les premières incursions des soldats de l’islam eurent lieu au VII e siècle ; mais la conquête systématique du pays débuta à la fin du XII e. Une partie de la population devint alors musulmane. Le monument le plus représentatif de cette époque est le Taj Mahal. Cet hymne à l’amour est né d’une heureuse synthèse entre l’art de l’islam et les styles de l’Inde traditionnelle, en particulier ceux de l’hindouisme, La poésie de Kabîr parvint elle aussi à transcender les différences entre ces deux communautés souvent hostiles. Ces tentatives de rapprochement bénéficièrent également d’une contribution de grande envergure : une religion intermédiaire, le sikhisme, vit le jour au XVe siècle. Elle est, aujourd’hui encore, très influente. Les hindous vont s’organiser contre la domination musulmane. Ils fonderont un empire dans le Sud, mais ils se heurteront aussitôt à de nouveaux arrivants : les Européens. Ceux-ci établiront d’abord des comptoirs. Dans un premier temps, l’Inde bénéficiera de ces échanges. À la fin du XVIII e siècle, le pays offrait toutes les caractéristiques d’un pays sur le point de s’industrialiser. Cependant, comme l’Inde risquait de concurrencer leurs propres textiles, les Britanniques s’appliqueront à ruiner l’économie locale.

En 1947, après plus d’un siècle et demi de colonisation, le pays accédera à l’indépendance. Un état musulman séparé sera créé. Composé de deux parties situées de part et d’autre du sous-continent indien, il aura pour nom : Pakistan, « le pays des purs ». Cette partition s’accompagnera de douloureux exodes et de massacres. Par la suite, des conflits armés opposeront les deux nations. En I972, le Pakistan oriental fera sécession et prendra le nom de Bengladesh.

Après l’indépendance, l’Union Indienne a été parmi les chefs de file d’une politique de non-alignement qui a influencé de nombreux états du Tiers Monde et leur a permis d’affirmer leur identité. Dans la plus grande démocratie du monde, le système des castes est officiellement aboli mais il subsiste dans les mentalités. À l’extrême fin du vingtième siècle, l’Union Indienne s’est néanmoins choisi un président qui est né dans une caste de Dalits, – ceux qu’on appelait autrefois « intouchables ». Tout en essayant de préserver son âme, le pays se modernise de manière spectaculaire et s’efforce de résoudre peu à peu les nombreux problèmes qui subsistent. Malgré les difficultés, tous les espoirs sont permis. l’Inde n’est elle pas « un résumé vivant de toute l’Histoire de l’humanité ? » [5].

  1. il n’est pas impossible que des migrations aient eu lieu dans un autre sens : de l’Inde vers l’Europe. De plus, bien des traits communs ne proviendraient pas d’une origine commune mais du simple fait que certains éléments apparaissent nécessairement lorsqu’une civilisation atteint un degré de développement suffisamment élevé.
  2. Chacun de ces quatre ordres devait manifester plus particulièrement un principe fondamental et les qualités qui en découlent.
    • Les brahmanes : la connaissance. Ils assuraient les fonctions religieuses, celles de l’art et de l’enseignement
    • Les ksatriyas : la force, le pouvoir. C’est généralement parmi eux que se recrutaient les guerriers et les rois.
    • Les vaiçyas : l’activité productive. tout ce qui permet de tirer le meilleur parti des ressources disponibles. Ils faisaient du commerce, cultivaient la terre ou prêtaient de l’argent.
    • Les sûdras : le don de soi. Leur tâche consistait à être au service des autres. Ils ne recevaient pas d’initiation et n’étaient pas considérés comme «deux fois nés.»
  3. Il y avait, au IVe av. J.-C., des petites républiques.
  4. Mais l’athéisme et le matérialisme n’avaient peut-être pas les mêmes implications qu’aujourd’hui, notamment en Occident.
  5. Michel Hulin

La Chine

Née dans le bassin du Fleuve Jaune en des temps immémoriaux, la Chine offre l’exemple d’une civilisation particulièrement stable et originale. Malgré l’étendue du pays, elle est parvenue à traverser plusieurs millénaires sans rien perdre de sa singularité. À l’instar de l’Inde, elle a exercé une influence profonde sur les autres peuples d’Extrême-Orient.

Comme ailleurs, tout commence bien sûr par une époque légendaire. Mais, ici, point de faits d’armes retentissants : les mythes font allusion à des personnages qui se sont distingués par leur contribution à la civilisation – en particulier tout ce qui concerne les techniques de base, les arts ou les institutions. Parmi les plus illustres, se trouve une grande figure féminine : Nu Wa, souvent associée à Fu Xi. Celui-ci est considéré comme l’inventeur des trigrammes : un support intermédiaire entre le monde et le langage. Les signes qui le constituent se trouvent réunis au sein d’un vaste système appelé Yi Jing – ce que l’on traduit généralement par : « livre des mutations ». Ce recueil a donné lieu à de nombreuses réflexions et il a souvent été utilisé pour faciliter la prise de décision. Dans la pensée chinoise, l’accent est mis sur les relations ; et notamment sur la complémentarité des contraires. Chaque principe est présent à l’intérieur de son opposé et évolue. Avec le temps, le yang vieillit, puis disparaît en laissant la place au yin, et réciproquement. C’est ainsi que tout se transforme.

La première dynastie historique fut fondée vers le XVIIIe siècle av. J.-C. Considéré comme le représentant du souverain d’« en Haut », le roi était chargé de se mettre en accord avec le ciel afin d’en refléter l’ordre dans son royaume. Une place importante était accordée à des pratiques de type chamanique. Il pouvait arriver que des centaines de prisonniers soient sacrifiés aux divinités de la nature.

Autour du VIe siècle avant notre ère, le monde connut une intense effervescence intellectuelle. Ce fut une époque particulièrement féconde sur le plan spirituel. C’est durant cette période que sont nés deux philosophes chinois qui auront une influence déterminante sur la culture de leur pays. Le premier, Lao tseu, est étroitement associé à la notion de tao. Ce terme signifie notamment «manière d’être». Il désigne une non-voie qui n’a pas de signe distinctif, la réalité profonde que nul ne peut saisir. Le sage est celui qui l’épouse pour qu’elle agisse spontanément en lui : ce vide créateur devenant ainsi source de plénitude pour l’ensemble de la vie. En dépit de son caractère indicible – sans doute en raison du principe de complémentarité – le taoïsme se prêtera à de nombreuses spéculations et il intégrera des cultes populaires. Il deviendra même religion d’état. De la vie de Lao tseu, nous ne connaissons que des légendes. Confucius était au contraire comme un lettré profondément ancré dans l’Histoire de son temps. Ce serviteur de l’état croyait en l’Homme. Il enseignait que chacun peut éveiller la vertu qui est en lui. C’est la prise de conscience de soi qui amène à la reconnaissance de l’autre et, de ce fait, à la bienveillance et au service de l’humanité. Confucius plaçait sa confiance dans l’étude et la discipline. Il invitait au respect sincère des Traditions car, selon lui, en prolongeant l’œuvre de la nature dans l’humanité, elles concourent à l’harmonie du monde. Ceci ne l’empêchait pas d’insister sur la valeur inestimable de la tolérance et du sens de la justice. Son message a d’ailleurs été une source d’inspiration pour l’Europe des Lumières. Aujourd’hui encore, le confucianisme imprègne profondément la pensée chinoise. Au début de notre ère, l’enseignement de Bouddha est venu rejoindre celui de ces deux grands philosophes. Depuis, les trois courants n’ont cessé de se mesurer en se fécondant mutuellement, pour le plus grand bien de la vie spirituelle chinoise.

À la fin du IIIe siècle avant notre ère, après une période particulièrement troublée, le pays se trouva unifié sous l’égide de Tsin Chi Houang Ti. L’empereur fit relier les tronçons de fortifications qui existaient déjà. C’est ainsi que naquit la Grande Muraille. Destiné à servir de protection contre les barbares du Nord, cet ouvrage a nécessité des efforts colossaux. Beaucoup de travailleurs y laissèrent la vie. – C’est, paraît-il, la seule construction humaine ayant pu être aperçue depuis la lune. Tsin Chi unifia également l’écriture et les poids et mesures. Cet homme impitoyable était obsédé par la recherche d’une immortalité personnelle. Il se fit enterrer dans un complexe funéraire comparable à celui des grands pharaons. Longtemps considéré comme une légende, le site fut découvert en 1976. Une surprise attendait les archéologues : la sépulture de l’empereur contenait, entre autres, une armée de six mille hommes de terre cuite chargés de veiller sur lui.

Depuis ses débuts, l’art chinois est marqué par la recherche d’un accord profond avec la matière. Le travail du bronze, les œuvres de jade et la céramique en portent l’admirable témoignage. L’architecture est rythmique, mariant l’espace et le temps à travers les perspectives en enfilade. Elle protège bien les secrets mais reste toujours aérée. Dans sa forme classique, l’art de la Chine est avant tout la transcription d’une expérience : celle de « l’ici et maintenant » ; celle aussi d’états d’âme très intimes. Parfois tout repose sur le dynamisme du vide. La nature n’est presque jamais traitée comme un décor. L’être humain n’occupe pas une place démesurée dans le paysage ; il y figure en justes proportions à l’unisson de tout ce qui est. En Chine comme au Japon, la calligraphie est l’art par excellence. Dessin et poésie s’y trouvent réunis au sein d’un même geste. Ici encore, la sobriété va de pair avec le souci de perfection. Et la spontanéité elle-même s’appuie sur le respect des traditions. Pour certains artistes, la réalisation d’une œuvre et l’art de vivre forment un tout. Ainsi, ils ne jettent pas les pinceaux usés. En signe de reconnaissance, ils les enterrent.

Depuis l’Antiquité, les routes de la soie mettent en contact l’Orient et l’Occident pour des échanges de toute nature. Au cours de son Histoire, l’Empire connut le morcellement et la domination et il fut parfois déchiré par d’importants conflits sociaux. Il réussit cependant toujours à retrouver sa cohésion. Ce rétablissement de l’unité était facilité par la présence d’une administration centralisée assistée dans chaque province par de nombreux mandarins : des fonctionnaires nommés en raison de leur mérite personnel et recrutés par concours. Aux alentours de l’an mil, bien avant les Occidentaux, les Chinois utilisaient déjà la boussole, les caractères d’imprimerie [1] et même un précurseur du billet de banque. Au temps de la Renaissance européenne, l’Empire du Milieu était à la pointe du progrès, mais il choisit de se concentrer sur son propre type de développement. L’Occident a ainsi eu le champ libre pour partir seul à la conquête du monde. Cette posture explique également pourquoi la révolution industrielle eut d’abord lieu en Europe.

À la fin du XIXe, la Chine était sous la domination manchoue depuis plus de deux siècles. N’ayant pu résister à la pénétration des puissances européennes, elle se trouvait répartie en zones d’influence. Le pays connaissait également une grave crise sociale et culturelle. Il était confronté à un formidable défi : adapter les structures traditionnelles aux nécessités du monde moderne et aux espoirs qu’il suscitait. En 1912, la république sera proclamée, mais la Chine continuera d’être le théâtre de toutes sortes d’affrontements. Les communistes arriveront au pouvoir en 1949. Le pays sera libéré de la tutelle étrangère. Le peuple chinois pourra ainsi retrouver sa fierté. Dans un premier temps, les terres seront redistribuées à la grande satisfaction des petits paysans qui jusque là étaient dépossédés de tout. Mais les dirigeants imposeront ensuite des projets trop ambitieux, en décalage complet avec le contexte.

La collectivisation totale a mené le pays à la famine – sans doute la plus importante de son Histoire. La révolution culturelle a quant à elle été source de terribles déchirements, même au sein des familles. Personne n’était à l’abri des jugements arbitraires des bandes de jeunes gens intensément fanatisés. Ce fut une période de suspicion et de terreur. Ceux qui n’étaient pas strictement conformes à l’idéal révolutionnaire pouvaient à tout moment être humiliés ou massacrés. L’invasion du Tibet ajoute une disqualification supplémentaire : la répression y fut implacable. Durant toute cette époque, comme les slogans puisaient dans les traditions spirituelles, le peuple ne se contentait pas de suivre le mouvement avec plus ou moins d’enthousiasme ou de résignation. Chez beaucoup, l’actualité éveillait des résonances à différents niveaux. Aussi terribles qu’ils puissent être, dans l’esprit de bien des Chinois, les événements étaient l’expression des processus naturels de transformation du monde. Les Hommes au pouvoir ne restaient pas à l’écart de cette imprégnation. Bien qu’officiellement mis au rencart, le passé culturel était pour les dirigeants une source d’inspiration en même temps qu’un instrument au service de leurs ambitions personnelles.

Après avoir tiré les enseignements de beaucoup d’échecs, le pays s’avance désormais à pas mesurés sur une voie plus modérée. Tout en maintenant le socialisme d’état et un ordre social extrêmement contraignant, il s’ouvre à l’économie libérale et à tout ce qu’elle amène dans son sillage.

  1. Eux-mêmes les tenaient sans doute des Coréens. Ceux-ci semblent avoir été les premiers inventeurs des caractères d’imprimerie.

L’Amérique précolombienne

Il y a 30 000 ans, les Hommes avaient déjà commencé à coloniser l’Amérique. Les premiers arrivants pénétrèrent par vagues successives à une époque où l’emplacement du détroit de Béring n’était pas recouvert par la mer [1]. Une incursion Viking eut lieu dans le courant du Xe siècle au S-E du Groenland ; mais elle fut repoussée et resta sans lendemain. À l’arrivée de Christophe Colomb, au XVIe, le continent comptait sans doute plus de 50 millions d’habitants.

Le Nord était occupé par les populations sédentaires des pueblos et par des tribus qui se déplaçaient au rythme des saisons. De nombreux traits culturels attestent leurs origines asiatiques [2]. – Les langues présentent des similitudes et les pratiques chamanistes sont quelquefois les mêmes. Les différents peuples étaient groupés en confédérations où chacun conservait son indépendance. La constitution des États-Unis a d’ailleurs dû s’inspirer de ce modèle. On y retrouve le même idéal d’auto-détermination et la prise en compte des différences. Les « Peaux-rouges » avaient un sens profond de la nature. Ils se considéraient comme une espèce parmi d’autres, mettant l’accent sur le caractère sacré de la Terre : la Mère de tous les êtres. Au président des États-Unis qui voulait lui acheter [3] le territoire où il vivait, un chef Seattle répondit dans une lettre pleine de dignité et de poésie : « Ce n’est pas la Terre qui appartient à l’Homme mais l’Homme qui appartient à la terre. » Les colons étaient empreints d’un tout autre système de valeurs : ils venaient pour exploiter la faune, la flore et le sous-sol. La nature était pour eux une ennemie qui devait être dominée. Ils n’éprouvaient pas non plus de respect pour ceux qu’ils pensaient être des sauvages à la limite de l’humain. Malgré une résistance pathétique, les Amérindiens durent se soumettre et accepter de vivre dans les réserves qui leur étaient attribuées. Depuis lors, en raison de la profondeur du traumatisme, l’équilibre est difficile à retrouver. Sur cette terre, où ils sont considérés comme des étrangers, l’identité des indiens a de la peine à trouver des voies d’expression. Un espoir intime demeure cependant car, pour les Navajos par exemple, l’esprit humain est une partie du Grand Esprit.

En Amérique centrale, l’Homme doit affronter de multiples dangers. Les civilisations qui y sont apparues ont donc valorisé les qualités qui permettent de survivre dans des conditions difficiles. Comme le jaguar est doté de tous les attributs de la puissance, on lui rendait un culte tout particulier. Sans doute pour conjurer le caractère imprévisible de la nature, l’art témoigne d’une intense recherche d’ordre. Il révèle un goût prononcé pour la rigueur et les formes géométriques. Le long des côtes cependant, là où la vie est plus facile, les lignes sont moins anguleuses et le sourire est parfois présent sur le visage des personnages qui ont été sculptés.

La plus ancienne civilisation de la région est celle des Olmèques. Elle s’est constituée dans le courant du IIe millénaire avant notre ère. Les Olmèques possédaient une écriture et ils avaient des connaissances approfondies en astronomie. Ils utilisaient le nombre d’or. Leur sculpture, vivante et bien proportionnée, représente des personnages intermédiaires entre l’animal et l’Homme. On attribue également aux Olmèques des têtes colossales dont la nature est incertaine [4].

La civilisation maya a vu le jour au début du premier millénaire avant notre ère. Née dans le Yucatan, elle a été influencée par la culture de Teotihuacan et, plus encore, par celle des Olmèques dont ils reprirent l’héritage. Il ne s’agissait pas d’un empire unifié mais de cités-états souvent en guerre les unes contre les autres. Certaines coutumes nous font entrevoir la philosophie de ce « peuple du maïs ». Dès son plus jeune âge, les parents disaient à l’enfant en montrant un de ses camarades : « Tu vois, c’est comme si c’était toi, mais avec un autre visage.» On lui expliquait aussi comment poussaient les plantes, en lui faisant comprendre qu’à travers la nourriture, c’est l’univers entier qui vivait en lui. Les Mayas utilisaient un calendrier extrêmement précis et ils connaissaient le zéro. Bien qu’ils disposent seulement d’outils de pierre, ils furent de très grands bâtisseurs et des sculpteurs talentueux. La fonction exacte de la plupart des édifices demeure inconnue de nous. Après son apogée, au VIII e siècle, la civilisation entra dans une phase de rapide déclin. À partir du Xe, les cités furent subitement abandonnées. Il y eut ensuite une modeste renaissance sous l’impulsion des Toltèques.

L’empire aztèque se constitua au XVe siècle. Au début du XVIe, presque tout le Mexique central était sous leur domination. Comme leurs prédécesseurs toltèques et mayas, les Aztèques pratiquaient les sacrifices humains. À l’origine, l’offrande de sang était un acte destiné à s’acquitter d’une dette envers les dieux qui se sont eux-mêmes sacrifiés pour donner la vie. Les fidèles faisaient parfois couler leur sang à l’aide d’une pelote d’herbe munie d’épines. Certains se portaient même volontaires pour être immolés. Le conditionnement exercé par le clergé devait être très puissant et les Aztèques étaient hantés par la perspective de la fin du monde. Leur crainte de voir l’énergie vitale s’épuiser les amenait à sacrifier de plus en plus de victimes pour en alimenter le flux. Il guerroyaient donc sans cesse pour se procurer des prisonniers. L’ensemble de la vie finit par pâtir de cette obsession. À l’arrivée des Espagnols, la vallée de Mexico était très peuplée, mais l’expédition commandée par Cortès parvint à s’en rendre maître avec seulement 600 Hommes, 10 canons et 13 arquebuses.

En Amérique du Sud, les civilisations les plus importantes se sont établies le long de la Cordillère des Andes. Celle du site de Chavin a dû émerger au cours du IIe millénaire avant notre ère. Comme en pays Maya, les statues ont des visages qui évoquent ceux des félins. Ce foyer culturel a beaucoup influencé celui de Paracas où une nécropole contenant plusieurs centaines de momies a été découverte. Certaines d’entre elles sont vêtues de somptueux manteaux où figurent parfois des personnages en train de planer dans les airs en utilisant des rubans, selon un principe qui rappelle un peu celui des cerfs-volants. Située un peu plus au Sud, Nazca est l’héritière de Paracas. Aujourd’hui encore, il est possible d’y observer un étrange réseau de lignes ainsi que des dessins représentant des animaux. Tracées à même le sol, ces figures s’étendent parfois sur plusieurs centaines de mètres et ne peuvent donc être identifiées que depuis le ciel. Les théories explicatives ne manquent pas, mais aucune ne remporte l’adhésion générale. Durant la période intermédiaire, la culture la plus importante fut celle des Mohicas. D’un dynamisme exceptionnel, elle rayonnera jusqu’au VIIIe siècle. De toute la région, l’art mohica est le seul où soient représentées des scènes complexes.

Apparu au début du XVe, l’Empire inca connaîtra une ascension fulgurante mais il durera moins d’un siècle. À l’arrivée des Portugais, il était déjà en déclin, profondément fragilisé et divisé. Les Incas avaient institué un système de protection sociale. Le travail était organisé de façon collective sous la conduite autoritaire de l’aristocratie. Comme les Incas ne possédaient pas d’écriture, ils inscrivaient les comptes et notaient les événements en faisant des nœuds sur des cordelettes de couleur. Ces grands amateurs de musique et de poésie vénéraient tout particulièrement Inti, le dieu soleil, dont ils se considéraient les héritiers. Ils vouaient également un culte important à Pachamamac : la Terre Mère qui donne la vie, avec qui ils dialoguaient et qui leur servait de référence. Les Incas se livraient eux aussi à des sacrifices humains mais uniquement en de rares occasions. Sous une forme ou une autre, la pratique du sacrifice est présente dans chaque religion. Essentiellement, il s’agit d’un acte par lequel on fait entrer dans la sphère du sacré des êtres ou des choses qui n’ont habituellement qu’un caractère profane. Dans l’esprit de ceux qui s’y adonnent, il permet de relier, de favoriser les rapprochements et fait reculer les limites du possible. Lorsque l’adepte offre de la nourriture aux ancêtres ou aux dieux, le don ne réside pas dans l’aspect matériel de l’offrande mais dans l’énergie subtile qu’elle est sensée contenir. Les rituels ont pour fonction de maintenir l’ordre cosmique. La participation à cette régénération est également sensée pouvoir faciliter une insertion dans les meilleures conditions. D’après des études récentes, il semblerait que les rites initiatiques permettent d’accéder à des états psychiques comparables à ceux que produisent les drogues.

Paradis terrestre pour les uns, enfer vert pour les autres, la forêt amazonienne abrite de nombreux peuples de chasseurs - cueilleurs. Leurs caractères culturels s’apparentent à ceux que l’on rencontre chez les populations qui vivent dans les mêmes conditions sur d’autres continents. Après être restés dans une large mesure à l’abri, c’est à leur tour d’être menacés par les effets pervers du progrès technique. Mais, depuis peu, du Nord au Sud, les populations amérindiennes commencent à pouvoir relever la tête. Elles bénéficient de la sympathie d’une partie de l’opinion publique, désormais sensibilisée aux questions écologiques et en même temps plus consciente de la nécessité du préserver les modes de vie traditionnels.

Le désir d’explorer toutes les ressources spirituelles de l’humanité devient lui aussi plus fréquent et contribue à ce soutien. Nous avons encore beaucoup à apprendre les uns des autres. Les civilisations évoluées ne sont pas celles qui produisent et consomment beaucoup mais plutôt celles qui accordent à chaque Homme une place digne de lui et qui ont un mode d’existence respectueux des autres formes de vie.

  1. Le détroit de Béring rendait possible le passage à pied de Sibérie en Alaska.
  2. Près de Columbia, des restes d’Hommes blancs (au sens large) ont été exhumés. Ils ont des caractères caucasoïdes et seraient vieux de 9300 ans. Des ossements humains très anciens sont également présents en Amérique du Sud : ils dateraient de 24000 ans. L’hypothèse d’un peuplement par cet hémisphère ne peut être exclue. On pense notamment à des Polynésiens.
  3. Entre les civilisations, les malentendus sont quelquefois importants. Selon leurs dires, les Indiens ne savaient pas qu’ils vendaient l’île de Manhattan. Ils croyaient seulement avoir accepté de partager la terre avec leurs frères blancs et ne voyaient pas d’inconvénient à accepter en échange un petit cadeau de 24 couronnes...
  4. Pour certains observateurs, les lèvres pendantes de ces statues sont à rapprocher de celles du jaguar. Pour d’autres, il s’agirait plutôt d’un caractère négroïde. Ceci n’est pas impossible. Des traces de tabac et de cocaïne ont été retrouvées dans des momies égyptiennes. Or, tout semble indiquer qu’avant d’être cultivées, ces plantes poussaient seulement en Amérique. Il n’est donc pas interdit de penser que, dans l’Antiquité, des contacts pouvaient avoir lieu entre les deux continents.

L’Égypte ancienne

La vallée du Nil est une oasis de plus de mille kilomètres de long. Quand le Sahara commença de devenir un désert, une partie de ses habitants se déplaça vers cette terre d’accueil. La civilisation égyptienne est peut-être née de la rencontre de ces nouveaux venus avec les populations qui y étaient déjà installées [1]. D’abord indépendantes, les cités du bord du Nil se sont peu à peu trouvées réunies au sein d’ensembles de plus en plus vastes.

L’union de la Haute et de la Basse Égypte s’acheva vers 3200 av JC. Malgré les crises internes et les occupations étrangères, l’identité culturelle du royaume se maintiendra sans grand changement durant trois millénaires. La société Égyptienne était fondée sur un système de valeurs très différent du nôtre. Toute la vie s’organisait autour de la personne du roi. La Tradition attribuait au monarque une essence divine. Intermédiaire entre le monde des Hommes et celui des dieux, il était considéré comme le conducteur et protecteur du peuple. Toutes les ressources du royaume convergeaient vers le souverain. Lui-même était tenu de s’acquitter d’une foule d’obligations et sa personnalité devait s’effacer derrière ce qu’il symbolisait. Par un processus d’identification, l’immense majorité de ses sujets avait sans doute le sentiment de s’élever en travaillant pour lui. Du moins au début car cet ordonnancement n’allait pas résister à l’épreuve du temps.

Dès l’aube du III e millénaire, cette conception unitaire commencera à se fissurer. Peu à peu, les aspirations individuelles demanderont à s’exprimer. Le sentiment d’appartenance cédera du terrain devant la revendication à une destinée personnelle. Le scepticisme se répandra et chacun osera prétendre à un privilège autrefois réservé au roi : celui de pouvoir accéder à l’éternité. Tout au long de son Histoire, le pays connaîtra des révolutions, des moments d’anarchie et des longues périodes de domination étrangère.

La cohésion sera cependant chaque fois restaurée : en général sur des bases plus adaptées à l’esprit du temps. Le roi était chargé de préserver l’ordre cosmique tout en insérant son action dans le mouvement de l’Histoire. Par l’accomplissement des rites, il coopérait avec les dieux afin d’empêcher le retour au chaos. Dans les différentes Traditions égyptiennes, le multiple est issu de l’Un qui lui a donné naissance par son pouvoir créateur. Les divinités symbolisent les principes à l’œuvre derrière les phénomènes. Il ne s’agit pas de simples forces mais de personnes pouvant se manifester sous différentes formes. Elles étaient représentées avec des têtes d’animaux pour évoquer leurs qualités et leurs fonctions, mais aussi pour éviter toute assimilation à l’être humain.

Les conceptions ont beaucoup varié selon les lieux et les époques. À Thèbes, l’Être total comprenait trois aspects : Amon l’esprit inconnaissable qui règne sur le monde invisible, , le maître de l’univers visible ; enfin, Ptah, le principe de création et de transformation.

En Égypte, la recherche de l’immortalité était une préoccupation majeure. En raison de son unité avec l’âme, le corps devait être soigneusement préservé et placé dans sa demeure d’éternité. C’est seulement à cette condition que son âme pouvait venir l’habiter. Les offrandes régulières assuraient elles aussi, par un canal subtil, la survie du défunt. Avant d’accéder à l’au-delà, chacun devait affronter l’épreuve de la pesée de son cœur mystique. Ce qui servait de référence était le Maat [2] : une entité subtile aux multiples aspects. Incarnation de la justice et de la vérité, fondement de la morale, sagesse de la mère universelle, le Maat était aussi l’équivalent du nectar et de l’ambroisie.

Les souverains égyptiens se faisaient construire des monuments funéraires imposants. Considérées comme des rayons de lumière matérialisés, les pyramides assuraient tout particulièrement le lien entre le Ciel et la Terre. Aujourd’hui encore, le caractère presque surhumain de ces constructions impressionne. D’une masse totale de deux millions de tonnes, la pyramide de Kéops est composée de blocs pesant en moyenne deux tonnes. La majeure partie du travail était assurée par les paysans durant la période où leurs terres étaient inondées. En Égypte, l’esclavage ne fut introduit que tardivement. L’organisation sociale n’était pas égalitaire et la majeure partie de la population vivait plutôt dans d’humbles conditions. Les femmes étaient généralement écartées des fonctions importantes mais il semblerait que, pour l’époque, elles aient bénéficié d’une position relativement honorable. Dans la tradition biblique, la solidarité est horizontale, chaque être étant théoriquement l’égal d’un autre. Les Égyptiens avaient au contraire une conception verticale de la solidarité : chacun était au service de celui qui le précédait et en échange il recevait sa protection. C’est ainsi que s’opérait la circulation entre le Ciel et la Terre, pour la prospérité de tous et avec l’espoir de l’immortalité.

L’art était animé par la même volonté de triompher de la mort. Les édifices grandioses se dressent comme un défi, un rempart contre le néant, l’oubli et les assauts du temps. Un indicible sentiment d’éternité s’en dégage. Les Égyptiens ont réussi à imprimer dans la pierre, leurs aspirations à un monde d’équilibre et de beauté. Ils y ont inscrit leur espoir de parvenir à s’élever au dessus de la condition humaine. Néanmoins, bien que leur art soit orienté vers l’au-delà, il nous laisse aussi entrevoir un grand amour de la vie et tout l’éventail des raffinements que les Égyptiens lui apportaient pour la mettre en valeur. Les peintures riches en couleurs célèbrent un corps sublimé mais respecté dans toutes ses dimensions. L’écriture elle-même est un art aux lignes très pures. Comme les hiéroglyphes pouvaient être compris à plusieurs niveaux, ils éveillaient des résonances en chacun. Et ceci, quel que soit son degré d’instruction. Des millénaires durant, ils contribuèrent à relier les membres du plus grand état de l’Antiquité occidentale.

Vers le milieu du II e millénaire av. J.-C., l’Égypte fut gouvernée par deux personnalités hors du commun : une femme dotée d’un caractère que l’on qualifie habituellement de viril, et un homme chez qui le côté féminin était particulièrement développé. Durant l’Antiquité, peu de femmes ont dirigé leur pays. La reine Hatshepsout, elle, a détenu le pouvoir pendant vingt ans. Cette grande reine a laissé un souvenir exemplaire : durant son règne, le pays connut une période de paix et de prospérité. Akhenaton eut lui aussi un destin exceptionnel pour l’époque. Au XIVe siècle avant notre ère, ce pharaon rompit avec les traditions en vigueur. Pour rendre le divin moins inaccessible, il mit au premier plan Aton : le dieu sans visage, représenté par le disque solaire, celui qui dispense la vie et prend soin de tous. Akhenaton tenta d’introduire plus d’humanité dans tous les domaines de l’existence. Sous l’impulsion de ce réformateur, l’art se libéra de ses codes habituels. Les portraits furent moins idéalisés. La singularité de chaque être fut davantage mise en lumière. Akhenaton innova aussi en matière de gouvernement, et son épouse, Néfertiti, fut directement associée aux affaires du royaume. Mais les deux souverains se heurtèrent à de très fortes oppositions et les difficultés de toute nature eurent finalement raison de leur union. À leur mort, l’orthodoxie fut rétablie. Mais les idées qu’ils avaient introduites poursuivirent discrètement leur chemin.

Un millénaire plus tard, après une période de domination grecque, Alexandre de Macédoine prendra le pouvoir. Il fondera la ville d’Alexandrie qui deviendra la capitale de l’hellénisme. C’est là qu’en 304 av JC, Ptolémée 1er créera le prestigieux musée d’Alexandrie : centre de recherche et bibliothèque où se trouvait rassemblé tout le savoir de l’Antiquité occidentale.

La dynastie grecque se terminera trente ans avant notre ère à la mort de Cléopâtre. Après avoir été longtemps un brillant empire, la région du Nil deviendra une simple province romaine. Le christianisme s’implantera très tôt. Il coexistera avec les écoles philosophiques issues de Grèce. L’Égypte fera partie de l’Empire Byzantin jusqu’à l’arrivée des Arabes qui introduiront l’Islam.

  1. Les Égyptiens situaient le berceau de leur civilisation dans un pays légendaire : le [[w:Pount|]]. Dans la plupart des traditions, on pense qu’il devait se trouver le long des côtes de l‘[[w:Afrique de l’Est|]], à l’emplacement du [[w:Soudan|]]. Il existe effectivement en [[w:Éthiopie|]], une région où l’on observe encore des coutumes présentant de profondes similitudes avec celles qui avaient cours au temps des [[w:pharaons|]]. Peut-être s’agit-il des vestiges de ce lointain passé ?
  2. La nature du Maat peut être entrevue à la lueur de ces paroles admirables dont, malheureusement, je ne connais pas l’auteur : « Chacun est porteur d’une vérité qu’il ignore et qu’il trouve à force d’interroger son propre cœur. »

L'Afrique Noire

Le reste de l’Afrique offre une très grande diversité. Son passé est encore trop mal connu pour qu’il soit possible d’apprécier véritablement son caractère spécifique. Ceci est notamment dû au fait que, sous les tropiques, les objets et les constructions de bois se désagrègent rapidement. Dans le Sud, les cultures du Zimbabwe et du Kigale se sont illustrées tout particulièrement. Plus au Nord ont régné les empires du Ghana, du Mali et de l’Éthiopie. Le Magreb, lui, a toujours occupé une situation particulière : depuis l’Antiquité,son Histoire s’inscrit plutôt dans le cadre du Monde Méditerranéen.

L’art de vivre et les facultés d’adaptation des peuples africains sont une source d’enseignements pour de nombreux observateurs du monde entier. Certains exemples sont édifiants. Les Boshimans parviennent à se gouverner pacifiquement par simple consensus. Les Pygmées, eux, sont étonnants de délicatesse et ils font preuve de beaucoup de souplesse dans les relations humaines. De tels exemples tendraient à montrer que, même dans les sociétés traditionnelles, l’unité véritable n’est pas assurée par une organisation contraignante mais par un sens du bien commun et une certaine aptitude à communiquer.

Ici, plus qu’ailleurs, peut-être, un examen superficiel du folklore ne permet pas de soupçonner la

Leopold Sedar Senghor : poète et président

profondeur de ses fondements. Un certains nombre de représentations et de conceptions sont communes à la majeure partie des grandes Traditions d’Afrique. Elles constituent un système d’une profonde cohérence. On peut le résumer de la façon suivante. Le monde est issu d’une vibration interne de la substance primordiale et il possède un mouvement d’ensemble en forme de spirale en extension. À l’origine, se trouve un corps extrêmement petit, une sorte de graine ou d’œuf qui contient en puissance tout ce qui existe. L’univers qui en résulte est vivant. Cette graine est présente en l’Homme. Lui-même peut être comparé à un champ avec son alternance de moissons et de semailles. Des applications pratiques découlent de ces conceptions. En s’appuyant sur l’univers des signes, l’être humain parvient à diriger le cours des choses. Les symboles qu’il utilise sont élaborés de façon à pouvoir accueillir la présence effective des éléments. Dans toute l’Afrique, ces structures abstraites régissent l’organisation de la vie humaine et se trouvent inscrites dans ce que l’Homme crée ou construit. Sous une forme ou une autre, la relation à l’ensemble est constamment prise en considération [1].

  1. Ce sujet est traité de manière approfondie par Marcel Griaule.

Le monde grec

La mer Égée a été un important carrefour de civilisations dès la plus haute Antiquité. Grâce à un relatif isolement, la Crète est restée longtemps à l’abri des invasions. L’île bénéficiait également de ses contacts avec l’Égypte dont elle était proche. Cette situation privilégiée permit le développement d’une culture qui rayonna sur toute la région dans la première moitié du deuxième millénaire avant notre ère.

À partir du début du II e millénaire av. J.-C., plusieurs peuples indo-européens vont pénétrer en Grèce par vagues successives : Achéens, Ioniens… puis Doriens vers 1200 av. J.-C. Au XII e siècle, la Crète elle-même passera sous leur entière domination. Tous ces bouleversements favoriseront les mouvements de populations. De nombreuses colonies seront fondées en maints endroits autour de la Méditerranée, en particulier le long des côtes qui bordent aujourd’hui la Turquie. Malgré les distances et une forte volonté d’indépendance, les cités garderont le sentiment d’appartenir à une même civilisation. Les conflits armés étaient cependant assez fréquents car les Grecs aimaient rivaliser entre eux.

Pour se libérer du joug perse, les cités se regrouperont sous la conduite d’Athènes qui connaîtra alors une grande expansion. Face à cette hégémonie, Spartes constituera une confédération. Aux termes de guerres qui opposeront les deux camps, la suprématie de Spartes remplacera celle d’Athènes avant de s’achever à son tour en 371 avant notre ère. Les deux rivales s’allieront ensuite pour tenir en échec les ambitions de Thèbes. L’ampleur de ces conflits jettera le trouble dans les esprits et provoquera des crises sociales profondes. Philippe II de Macédoine saura tirer parti des 4 mésententes et, en 338 av JC, il dominera l’ensemble de la Grèce. Les cités perdront alors leur indépendance. Son fils, Alexandre, mènera une ambitieuse politique de conquêtes. Il parviendra jusqu’à la vallée de l’Indus. Alexandre le Grand avait eu pour précepteur le philosophe Aristote. Il voulait, semble-t-il, créer un empire universel où tous les Hommes seraient égaux. Son idéal ne lui survivra pas. Après sa mort, ses généraux se partageront les territoires qu’il avait conquis. Dans les royaumes hellénistiques qu’ils fonderont, les civilisations locales et celles de la mer Égée se féconderont mutuellement [1]. En 146 av. J.-C., la Grèce sera intégrée à l’Empire Romain. Ses conquérants s’imprégneront de sa culture et la diffuseront dans tout l’Occident. Depuis, cet héritage n’a cessé de fructifier.

Jusqu’au VIe siècle avant notre ère, l’esprit grec se manifestait surtout à travers une poésie inspirée. Les œuvres d’Homère et d’Hésiode célébraient les exploits des héros et les prodiges des dieux [2]. Les divinités grecques possèdent des caractères qui les rapprochent beaucoup des Hommes. Les uns et les autres sont d’ailleurs issus de la même souche et les dieux ont parfois des idylles avec de simples mortels. De ces unions naissent les demi-dieux et les héros, souvent honorés pour leurs hauts faits libérateurs. La religion grecque était peu dogmatique et il n’existait pas d’opposition entre le sacré et le profane. Certains enseignements étaient réservés à un petit nombre d’initiés. Les mystères comme ceux d’Éleusis avaient pour ambition d’ouvrir l’accès à la vie profonde de l’âme. L’adepte était amené à prendre conscience de son emprisonnement dans la matière. On lui faisait également entrevoir le chemin qu’il devait suivre pour que son âme puisse remonter jusqu’au monde divin. L’immense majorité des grecs avait plutôt recours aux cultes populaires : parmi les statues que nous admirons, beaucoup ont dû être arrosées par le sang des animaux sacrifiés.

L’art grec révèle une intense recherche de perfection, en particulier celle du corps, soulevé au plus haut degré de l’humain par l’idéalisme. Il reflète une vigoureuse tentative de concilier les tendances divergentes habituellement symbolisées par Apollon et Dionysos. Le premier incarnant l’ordre, l’harmonie, la parole ; le second, la jubilation par delà le bien et le mal , l’inconnaissable, l’étranger qui dérange, qui remet en question, afin qu’après la crise tout puisse se régénérer. La tragédie est sans doute issue du culte de Dionysos. Art grec par excellence, la tragédie est née à Athènes vers le VIe siècle avant notre ère. Elle met en scène l’être humain, soudain placé en face d’un destin qui accentue de manière exemplaire les habituels dilemmes entre devoir et passion.

À partir de l’époque classique, les Hellènes développeront un esprit rationnel et une soif de liberté dans tous les domaines. C’est sans doute à Athènes qu’est née la démocratie. Amplement préparée par les réformes de Solon, elle sera instituée par Clisthène en 507 av. J.-C. Tous les hommes libres auront désormais le droit de vote et un système de tirage au sort sera organisé dans le choix de représentants. Les femmes continueront à être tenues à l’écart des décisions, de même que les esclaves. Ces derniers étaient nettement plus nombreux que les Hommes libres. Sans leur travail, les Grecs n’auraient jamais pu se consacrer aux activités pour lesquelles nous les admirons. Ils en étaient conscients, et beaucoup d’esclaves recevaient un salaire grâce auquel certains pouvaient racheter leur liberté. La pratique de l’esclavage portait d’ailleurs préjudice aux grecs d’humble condition car, en raison de la concurrence qu’elle instaurait, ceux-ci avaient des difficultés à vivre de leur travail.

Les Grecs ont réalisé très tôt la relativité des valeurs traditionnelles. Aux interrogations sur eux-mêmes et le monde, quelques uns se sont mis à chercher des réponses en s’appuyant principalement sur la raison, en réduisant au maximum les explications d’ordre surnaturel. Pour eux, la philosophie n’était pas une simple discipline intellectuelle mais une démarche qui engage la totalité de l’être et transforme la vie de celui qui s’y adonne.

Parmi les philosophes les plus anciens, quelque figures éminentes se détachent ; notamment celle d’Héraclite. De sa pensée, on retient généralement l’idée d’un écoulement perpétuel où les contraires s’opposent et se maintiennent l’un, l’autre au sein de l’unité qui les englobe. Incarnation vivante de l’esprit philosophique, Socrate a vécu au Ve siècle avant notre ère. Ce personnage de haute stature ne transmettait pas véritablement un savoir : il préférait poser d’habiles questions à ses interlocuteurs afin de les placer en face d’eux-mêmes et les amener à prendre conscience d’une vérité qu’ils connaissaient déjà sans le savoir. Platon, son disciple, a au contraire tenté de proposer des réponses aux questions essentielles. Son enseignement aux multiples facettes invite à développer l’amour et l’intelligence déductive : les deux voies qui mènent au-delà des apparences, là où tout s’éclaire et existe à l’état pur. Son élève Aristote cherchait l’ordre qui se trouve dans le monde lui-même. Il a posé clairement les principes de la logique et s’est efforcé d’opérer une distinction entre ce qui relève de la philosophie et ce qui appartient au domaine de la science. Certains penseurs avaient des intuitions qui rejoignent nos conceptions modernes. Démocrite considérait toutes choses comme des combinaisons passagères d’atomes. Dans son sillage, Épicure prônait une vie simple et frugale entre amis, sans crainte ni de l’avenir ni des dieux qui d’ailleurs ne se soucient nullement des Hommes. Fondée par Zénon, l’école stoïcienne était basée sur des principes en partie opposés. Ses adeptes sont restés célèbres à cause de leur fermeté et leur égalité d’âme en face des événements pénibles. Dans cette philosophie, le mal qui nous arrive est nécessaire à un plus grand bien. La sagesse consistera donc à adhérer pleinement à la volonté universelle.

Les Grecs ont bénéficié de l’apport des sciences orientales mais ils en ont progressivement abandonné les contenus de caractère religieux. Leurs sciences se sont tout d’abord développées à l’intérieur du cadre de la philosophie, puis elles s’en sont détachées pour reposer, en partie tout au moins, sur des méthodes et des bases propres. D’importantes découvertes purent ainsi être faites. Au IIe siècle avant notre ère, Erastothène parvint à calculer le diamètre de la Terre avec une bonne précision. Au siècle précédent, Aristarque avait déjà compris que notre planète tournait sur elle-même et qu’elle était en rotation autour du soleil. Il fallut néanmoins attendre la Renaissance occidentale pour que cette théorie puisse triompher.

  1. La [[w:statuaire bouddhiste|]] est sans doute née sous l’inspiration de l’art grec, dans un royaume qui était situé sur l’emplacement de l’actuel Afghanistan.
  2. Si l’on en croit les défenseurs des Traditions, les mythes exerceraient une influence sans avoir besoin de recourir à des arguments. Ces récits porteraient en eux-mêmes leur propre puissance d’action car ils atteindraient directement les couches profondes de l’être.

La Rome antique

Romulus et Remus

Comme la plupart des peuples, les Romains se réclamaient d’origines prestigieuses. Après la chute de Troie, Énée et ses compagnons auraient trouvé refuge dans le Latium. La fondation de Rome est attribuée à un de leurs descendants : le légendaire Romulus. Fils d’une gardienne du feu sacré et du dieu Mars, Romulus aurait tracé à l’aide d’une charrue les limites de la cité, en 753 avant notre ère. Son frère jumeau, Remus, ayant commis un sacrilège en franchissant avec dérision le sillon sacré, il se serait senti dans l’obligation de le tuer. Remus incarne la part de l’Homme que les Romains ont sacrifiée : celle de l’indicible, qu’ils ont ensevelie mais qui reste néanmoins très influente et dirige à leur insu le destin de Rome.

Au début, le voisinage des Étrusques et la proximité des colonies grecques ont sans doute été déterminants à maints égards, en particulier sur le plan culturel. Dans la première moitié du VIe siècle avant notre ère, la cité passera sous la domination des rois étrusques. Les Romains parviendront à se libérer, et, vers 509 av. J.-C., la république sera proclamée. En deux siècles, la cité parviendra à conquérir toute l’Italie. Elle entreprendra ensuite une série de guerres qui l’amèneront à étendre sa domination à tout le pourtour de la Méditerranée et même au delà. Jules César fut sans doute le personnage le plus représentatif de Rome. Ambitieux, habile stratège et excellent administrateur, il était implacable mais savait se faire aimer de ses troupes. Il entreprit d’importantes réformes, notamment pour mettre de l’ordre dans le calendrier et la vie publique. Il fut assassiné par une conjuration de sénateurs qui espéraient ainsi pouvoir sauver la République. Un de ses fils adoptifs accèdera au pouvoir et deviendra, en 27 av. J.-C., le premier empereur romain.

La paix sera maintenue dans les provinces jusqu’au début du IIIe siècle de notre ère. Après la mort de Théodose, survenue en 395, l’empire sera partagé en deux. Celui d’Orient aura pour capitale Constantinople. l’Empire Byzantin se constituera à partir de ce centre. En son sein, christianisme et pouvoir impérial se trouveront réconciliés. Ce puissant empire prolongera le Monde Antique et diffusera son héritage tout au long du Moyen-Âge. Siège de l’Église orthodoxe, Byzance sera un important foyer culturel qui rayonnera sur l’Europe de l’Est et l’Orient méditerranéen. Il parviendra à se maintenir jusqu’en 1460. En Occident, les assauts des barbares iront en s’accentuant. Parfois, ces peuples n’avaient au départ aucune intention belliqueuse. Ils se trouvaient cependant dans l’obligation d’envahir d’autres pays car ils avaient dû fuir le leur, mis à feu et à sang par des envahisseurs – en particulier les Huns, ces guerriers infatigables venus d’Asie centrale. Ébranlé de toutes parts, l’Empire se morcèlera en plusieurs royaumes. En 476, un chef germanique prendra le pouvoir à Rome. Ce sera alors la fin de l’empire d’Occident.

Au VIe siècle, un empereur byzantin réussira à reconquérir une partie du Bassin Méditerranéen. Justinien ordonnera la révision des textes juridiques qui se trouveront rassemblés dans le célèbre code qui porte son nom. Grâce à lui, la législation romaine pourra se perpétuer en Occident. L’exigence d’un état devant être fondé sur le droit vient de là. Et il en va de même pour la possibilité du mariage par consentement mutuel et pouvant être dissous. Auparavant, il s’agissait avant tout d’une union conçue en fonction des intérêts des clans familiaux.

À Rome comme en Grèce, les droits civiques resteront réservés aux hommes libres. Les femmes demeureront exclues de même que les étrangers et les esclaves non affranchis. Le pouvoir sera presque toujours exercé par une petite classe de privilégiés : en général des propriétaires terriens. Au premier siècle avant notre ère, la citoyenneté romaine sera accordée à de nombreux habitants de la péninsule. À partir de l’an 212, tous les peuples conquis pourront bénéficier des mêmes droits. En tant que citoyen, chaque homme libre aura désormais la possibilité d’en appeler à l’empereur pour faire valoir ses droits politiques et juridiques.

Ce qu’on appelle la Paix Romaine couvre une période qui va de – 31 à 235 apr. J.-C. La cohésion de l’empire ne sera pas seulement assurée par la puissance militaire, l’efficacité de son réseau administratif aura une influence tout aussi déterminante. La diplomatie jouera également un rôle : pour prévenir les révoltes, le pouvoir fera toutes sortes de concessions. Chaque conquête sera l’occasion de pillages et une nouvelle source d’impôts. Les produits des provinces entreront en concurrence avec ceux de l’Italie. Ne pouvant plus écouler leurs produits, de nombreux petits paysans seront ruinés. Ils deviendront durablement des assistés et se trouveront contraints de faire le jeu des démagogues avides de pouvoir. Pour remédier aux crises sociales, les Gracques effectueront un certain nombre de réformes, mais c’est en vain qu’ils tenteront de reconstituer une classe moyenne. Avec l’afflux de toutes ces richesses facilement gagnées, les possédants vont souvent sombrer dans le luxe clinquant et les plaisirs faciles. Beaucoup perdront même l’envie d’étudier. La plupart des Romains conserveront néanmoins un gout pour les exercices physiques et ils continueront à se montrer courageux en face de la douleur et de la mort.

Sur le plan religieux, Rome a tout d’abord été influencée par les conceptions des Étrusques. Les divinités grecques sont ensuite venues s’y superposer. Les Romains pensaient qu’ils étaient les auteurs de leur destin. La plupart d’entre eux ne s’intéressaient guère à la mythologie. Pour ces Hommes à l’esprit pratique, les dieux étaient surtout « fonctionnels ». Ils ne possédaient pas de volonté indépendante : ce n’étaient que des puissances déclenchées par les rituels et les formules. Pour obtenir leur appui, ce qui importait avant tout, c’était la stricte observance des rites. Quand les Romains transgressaient les prescriptions, ils se livraient à des simulacres pour sauvegarder les apparences et échapper ainsi à d’éventuelles représailles. À côté des sacrifices, des augures et des cérémonies publiques, il existait un culte domestique avec le foyer pour centre. Dans le cadre familial, c’est le père qui exerçait les fonctions de prêtre. Les Romains diffusaient leur culture jusque dans les provinces les plus reculées, mais eux-mêmes ne refusaient pas de s’ouvrir à ce qui provenait des autres civilisations. Pour satisfaire son besoin d’une religiosité plus profonde et personnelle, une partie de la population se tournera vers les cultes orientaux comme ceux d’Isis, Mithra ou Cybèle. Cette désaffection de la religion officielle prit progressivement de l’ampleur, surtout à partir du début de notre ère. Comme les chrétiens refusaient de sacrifier au culte impérial, ils furent tout d’abord combattus et persécutés. En 313, l’empereur Constantin, lui-même converti, autorisa la pratique du christianisme. À l’extrême fin du IVe siècle, le catholicisme devint la religion d’état. On réprima les hérésies. Les temples païens furent fermés, les combats de gladiateurs, abolis. À cette époque, la Grèce faisait partie de l’Empire. Étant assimilés à un culte, les Jeux Olympiques furent interdits en 394.

Les Romains préféraient les combats de gladiateurs aux joutes oratoires de ceux qui tentent de sonder les profondeurs de la réalité. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles ils n’engendrèrent pas de philosophie propre. Les trois grands penseurs latins, Lucrèce, Cicéron et Sénèque se rattachaient respectivement à l’épicurisme, à l’éclectisme et au stoïcisme : trois courants d’origine grecque. Leur contribution est néanmoins immense. Sans les traductions et les commentaires romains, nous ne saurions presque rien des philosophes de la Grèce antique. Ce sont les latins qui ont diffusé leurs enseignements et leur ont permis d’exercer une influence durable. Dans le domaine de l’art, Rome s’est abreuvée aux mêmes sources d’inspiration. Ses artistes ont fait preuve de beaucoup de virtuosité et d’un réel amour des formes. Leurs œuvres témoignent d’un souci de réalisme tout à fait admirable. Cependant, par manque d’intériorité peut-être, les Romains sont restés dans l’ombre de leurs illustres modèles sans parvenir à s’en libérer. Leurs ouvrages d’art sont par contre les plus prestigieux que le monde ait connus. Ce n’est sans doute pas par hasard si c’est au travers des routes, des ponts et des aqueducs que les Romains parvinrent le mieux à exprimer leur génie : dans le domaine de la culture comme sur la scène de l’Histoire, ils ont avant tout eu un rôle d’intermédiaires.

Judaïsme, Christianisme, Islam

Si l’on en croit les sources actuelles, le peuple d’Israël serait parti de Mésopotamie au début du deuxième millénaire avant notre ère. Il aurait atteint la Palestine quelques siècles plus tard. Comme la région était inhospitalière, une partie des israélites alla s’installer en Égypte. À cette époque, le pays se trouvait sous la domination des Hyksos. Quand les Égyptiens reprirent le pouvoir, les Israélites furent réduits au servage. Au XIII e siècle av. J.-C., entraînés par Moïse, leur libérateur, ils purent reprendre le chemin de Canaan : « la terre promise. » Ils créèrent un royaume dont l’apogée se situe au IXe av. J.-C., en particulier pendant les règnes des rois David et Salomon. Une scission eut lieu ensuite, donnant naissance à deux entités distinctes : Israël, en Samarie ; et Juda, avec pour capitale Jérusalem.

Au cours de leur Histoire, les Israélites furent déportés à plusieurs reprises : ceux du royaume du Nord en Assyrie en 721 av. J.-C. ; ceux du Sud au VIe av. J.-C. en Babylonie. À partir de 540 avant notre ère, grâce à l’autorisation du roi Perse Cyrus qui venait de conquérir la cité, les captifs pourront retourner en Judée et reconstituer leur nation. En l’an 70 de notre ère, les Romains détruisirent Jérusalem. La résistance à l’oppression fut parfois héroïque mais la puissance de Rome était trop importante pour qu’elle puisse être couronnée de succès. Une dernière révolte eut lieu au IIe siècle ; elle fut sévèrement réprimée. Un grand nombre de juifs furent alors expulsés de Palestine. La plupart s’exilèrent dans les pays du pourtour de La Méditerranée. Certains furent vendus comme esclaves.

Tout en conservant leur culture, les juifs assimileront celles des pays où ils s’implanteront, contribuant ainsi à la prospérité de leur terre d’accueil. Tributaires du bon vouloir des différents régimes, ils seront souvent victimes d’exclusions et de persécutions. L’idée d’un retour au pays ne quittera jamais les Israélites. Pendant longtemps, cela restera un simple espoir car les conditions ne le permettront pas. Un projet visant à constituer un état indépendant sera conçu vers la fin du XIXe. Il se concrétisera en 1948 par la création de l’état d’Israël, quelques années à peine après cet évènement infiniment désespérant que fut la « Shoah » : la tentative d’extermination totale des juifs par les nazis.

À l’intérieur de l’Histoire connue, les Hébreux furent sans doute les premiers à vouer un culte à un dieu unique. – Il n’existe dans ce monothéisme aucune divinité secondaire. Ainsi que l’a défini Maïmonide, Dieu est éternel et infini. Pur esprit, il ne peut être représenté sous aucune forme. Créateur du Ciel et de la Terre, il rappellera les morts à la vie. Durant le cours de leur existence, les êtres humains sont récompensés ou punis en fonction de leur obéissance à sa Loi. Bien que tout puissant, Dieu n’a pas achevé le monde : il a chargé l’être humain de mener à bien cette tâche. Mais celui-ci ne se montre pas toujours à la hauteur de ce qui est attendu de lui et il s’écarte parfois du projet divin. Adam et Ève ont été chassés du paradis pour avoir voulu déterminer par eux-mêmes les critères du bien et du mal alors que Yahvé leur avait seulement donné l’autorisation de nommer les choses. La Bible (ou Torah) invite à faire régner la justice et à respecter tout Homme, même s’il est esclave ou étranger. Sur d’autres points par contre, elle défend un système de valeurs assez éloigné de celui qui semble légitime actuellement. Ceci est particulièrement le cas pour les préceptes d’ordre familial ou certaines règles d’hygiène.

Comme tout livre considéré comme sacré, la Bible comporterait plusieurs niveaux de lecture. Pour les Kabbalistes, le texte serait même codé. En utilisant certaines clés mettant en jeu des correspondances entre lettres et chiffres, il serait possible d’accéder à un sens secret. La Kabbale est une tradition ésotérique pour laquelle, avec l’aide de Dieu, tout peut être transformé. Le Hassidisme est un de ses prolongements. Ce mouvement est apparu au sein du judaïsme dans le courant du Moyen-Âge. Ses adeptes se distinguent souvent par leur ferveur et le zèle ardent avec lequel ils observent les préceptes religieux. Se considérant comme de simples instruments entre les mains de leur créateur, ils mettent l’accent sur la sincérité et l’intention profonde. Le Hassidisme connut une importante résurgence au XVIII e, en particulier en Europe centrale. Certains de ses caractères le rapprochent beaucoup du Soufisme, un courant qui lui a émergé au sein de l’Islam. Alliant mystique et interrogation existentielle, certains maîtres s’appliquaient à susciter chez leurs disciples une remise en question permanente. Les contes et la danse extatique occupent une place non négligeable dans la pratique. Pour les Hassidismes, ce que la personne éprouve est plus important que l’obéissance à la lettre. Les émotions négatives elles-mêmes ne doivent pas être tues : quand elles sont sublimées par la parole authentique, elles libèrent leur contrepartie positive.

Dans la Tradition biblique, l’Histoire est orientée ; elle est une marche vers la lumière, la justice et la paix. L’Homme ne doit donc pas se soumettre aux déterminismes naturels mais les utiliser pour le plus grand bien, en accord avec la volonté divine qui a donné naissance à tout ce qui existe. Si les juifs ont été victimes de tant de haine, peut-être est-ce en partie à cause de l’irritation que suscite la notion de peuple élu ? Mais une autre raison, celle-ci plus profonde, est sans doute à l’origine de cet acharnement. Les juifs ne se contentent pas de rechercher un salut dans un au-delà ou sur un autre plan. Ils sont les dépositaires d’une tradition qui affirme que, sur Terre, le bien finira par triompher absolument. Et ceci sera réalisé en partie grâce à l’action de l’Homme. L’enjeu se trouve dans ce monde-ci et la lutte ne peut ni ne doit être évitée. Il n’est donc pas surprenant qu’ils se heurtent à de farouches oppositions. Nous sommes bien entendu ici sur un terrain de simples hypothèses. L’identité juive actuelle est d’ailleurs difficile à cerner. Il ne s’agit pas d’un groupe ethnique défini et ceux qui s’en réclament sont parfois athées.

Aux alentours de l’an 30 de notre ère, un juif nommé Jésus est mort crucifié à Jérusalem. Il a été condamné à ce supplice par les Romains car il déclarait être le Messie et dispensait un enseignement qui dérangeait une partie des autorités religieuses du peuple dont il était issu. Il devait sans doute aussi inquiéter les occupants romains car la crucifixion était habituellement réservée aux esclaves et à ceux qui se révoltaient contre Rome. Jésus affirmait que l’amour de Dieu et l’amour du prochain sont indissociables – il rappelait aussi discrètement à chacun qu’il doit s’aimer lui-même. Par ses paroles et par ses actes, il incitait ses disciples à aimer tous les Hommes quels qu’ils soient, y compris leurs ennemis. Il leur recommandait également de pardonner et de s’abstenir de juger autrui. Ceci n’excluait pas de sa part de vigoureuses dénonciations de l’ordre établi et des pratiques qui lui semblaient offenser Dieu. Un jour il alla même jusqu’à chasser les marchands du Temple, ce qui dut lui valoir quelques inimitiés.

Jésus accordait une attention particulière à ceux qui souffrent, ceux qui sont rejetés ou égarés. Il attribuait une grande valeur à la simplicité et encourageait chacun à retrouver un cœur d’enfant. Mais le message de Jésus n’avait pas seulement un caractère éthique. Il invitait ses disciples à rechercher le Royaume de Dieu qui est en eux sans se préoccuper du lendemain. Il annonçait aussi l’avènement de ce Royaume dans le monde, assurant que tous, même les plus humbles, y auraient une place digne d’eux.

Pour les chrétiens, Jésus est le symbole du bien apparemment vaincu mais qui finit par triompher grâce à la force spirituelle qui est en lui. Telle est le sens de la résurrection dont chaque chrétien espère pouvoir bénéficier un jour lui aussi. Ici le don de soi remplace les sacrifices traditionnels, le fils de Dieu lui-même ayant montré l’exemple en donnant sa vie pour la rédemption de l’Homme. Par sa venue dans le monde à travers une mère humaine et par ce sacrifice, la coupure provoquée par le “péché originel” disparait.

Les chrétiens ont tout d’abord formé une communauté distincte au sein du judaïsme. Ils ont ensuite été rejoints par des convertis venus d’autres horizons culturels, ce qui eut pour conséquence d’accentuer les contradictions et les divergences déjà présentes. Le christianisme s’est alors constitué en une religion totalement indépendante du Judaïsme. Les Évangiles ont été écrits plusieurs dizaines d’années après la mort de Jésus par des Hommes qui ne l’avaient pas approché. Ils ne font donc que refléter plus ou moins fidèlement son enseignement. Avec l’éclairage apporté par la philosophie grecque, une réflexion systématique va s’élaborer. Il en résultera une théologie où différentes doctrines s’affronteront, entraînant parfois des conflits armés. En devenant la religion officielle de l’Empire Romain, le christianisme lui donnera un supplément d’âme. Lui-même bénéficiera de sa puissance mais, en contrepartie, il devra s’adapter aux cadres déjà existants et épouser certaines de ses formes. L’apparat, la complexité des rites et l’organisation hiérarchique sont un héritage romain. Il faudra attendre la réforme protestante pour que soit entreprise une rénovation de grande envergure.

Aux cours des siècles, les écrits des apôtres vont donner lieu à de nombreuses interprétations. Ils seront parfois utilisés pour justifier les positions les plus contradictoires. Certains Rose-Croix voient dans les Évangiles la description d’un parcours initiatique que chacun peut suivre pour réaliser le royaume de Dieu qui se trouve en lui. Chaque évènement de la vie de Jésus est ainsi relié à une étape de ce cheminement intérieur. La naissance à Bethléem correspond l’éveil de l’âme-étincelle dans la grotte du cœur ... Les douze apôtres symbolisent les douze paires de nerfs crâniens. Et ainsi de suite jusqu’à la crucifixion sur le Golgotha – ce qui, en hébreux signifie “le lieu du crâne”. Comme dans certaines voies spirituelles asiatiques, l’apothéose se situe au sommet de la tête. C’est à ce niveau que l’ultime victoire est remportée.

Depuis la découverte des manuscrits de Qumran, un certain nombre de chercheurs pensent qu’il existe un lien privilégié entre le mouvement essénien et la communauté des premiers chrétiens. Déjà, un siècle avant Jésus Christ, les esséniens prenaient en commun un repas de pain et de vin. Dès cette époque, les membres de ce mouvement religieux juif parlaient de résurrection et utilisaient des expressions telles que « maître de justice » et « fils du Très-Haut. » Mais ils se croyaient prédestinés et menaient une vie ascétique à l’écart du monde : ce qui n’était pas le cas des premiers chrétiens. De leur côté, les esséniens semblent avoir été influencés par les cultes iraniens et par des croyances venues de Grèce. Et ces courants spirituels sont eux-mêmes des synthèses. Cette continuité n’est pas le simple résultat d’une influence. Comme il existe chez tous les êtres humains une identité de nature, un peu de chaque religion est présent dans la plupart des autres.

L’Islam est né en Arabie, un de ces pays très arides où la vie se trouve concentrée autour des oasis et des caravanes. Au moment de son apparition, La Mecque était déjà le centre commercial et religieux de toute la région. C’est là qu’à partir de l’année 612 de l’ère chrétienne, Mahomet commença à recevoir des révélations par l’intermédiaire de l’archange Gabriel. Le Coran est la transcription de ce qui lui a été communiqué.

Les cinq piliers de l’Islam sont : la profession de foi en un seul Dieu dont Mahomet est le prophète, les prières quotidiennes, l’aumône due aux pauvres, le jeûne du Ramadan et, pour ceux qui le peuvent, le pèlerinage à La Mecque. Les musulmans croient en l’existence de l’âme, au jugement dernier et à la résurrection. Ils reconnaissent la valeur des témoignages d’Abraham, Moïse et Jésus : tous prophètes au même titre que Mahomet. Celui-ci étant le point d’aboutissement de cette lignée, son message est considéré comme la récapitulation de ceux qui l’ont précédé. Selon une interprétation assez répandue, il ouvrirait l’ère de la raison, désormais d’actualité maintenant que les temps sont mûrs et que Dieu n’intervient plus directement dans les affaires du monde.

D’après le Coran, Dieu est un pur esprit, infini, unique et incréé : il ne peut donc pas s’incarner dans un être humain ou une idole. Et comme lui seul est libre, s’en remettre à sa volonté est la seule façon de participer à sa Liberté. Telle est l’origine de la soumission spirituelle fréquemment invoquée par ceux qui se réclament de la révélation coranique.

Au sein de l’Islam, le message purement spirituel se trouve accompagné d’un ensemble de coutumes qui proviennent de la culture locale de l’époque. Chaque religion comporte ainsi des éléments qui n’ont rien d’essentiel mais qui se trouvent simplement avoir été dictés par le contexte. Certaines des directives de l’islam semblent difficilement compatibles avec les aspirations du monde actuel, alors qu’au moment où elles ont été formulées, elles représentaient un réel progrès dans le sens de la dignité humaine, y compris celle de la femme. De nos jours cependant, de nouvelles possibilités sont apparues et elles permettent d’envisager, sans restriction aucune, l’autonomie de la personne. Les codes et les ancrages de circonstance doivent être renouvelés en fonction des situations. Les difficultés ne sont pas insurmontables. Le noyau central de chaque religion peut même devenir un élément dynamique au service du progrès. C’est notamment le cas de l’islam qui porte bien haut l’idéal de fraternité, croit en l’être humain, fait confiance à la raison et refuse les intermédiaires entre L’Homme et Dieu. Nul n’a le monopole de l’attitude juste. En divers points du Globe, la civilisation occidentale contemporaine apparaît parfois comme une forme de barbarie ; en particulier à cause du fait que presque tout y est traité comme une marchandise et mis en concurrence, y compris le corps ou des valeurs traditionnellement considérées comme sacrées.

Par son idéal de solidarité, la religion islamique encourageait un dépassement des rivalités tribales, des liens du sang et des intérêts personnels. L’individu se trouvait soudain partie intégrante d’une vaste communauté qui transcendait toutes les frontières. Cette foi nouvelle devint pour beaucoup le point de ralliement. Dans le Coran il est écrit : « il n’y a pas de contrainte en religion. » L’Histoire allait cependant en décider autrement. Après avoir été longtemps méconnu et tourné en ridicule, Mahomet allait progressivement être amené à jouer un rôle diplomatique. Il devint même un chef politique et militaire important. L’islam connut une rapide expansion, en partie à cause de ses succès militaires, mais également grâce à sa morale et au dynamisme qu’il engendrait. La clarté et la simplicité de sa doctrine lui permettaient de rencontrer une large adhésion populaire et de s’adapter à de nombreuses situations. Il apportait l’espoir aux désemparés et à ceux qui subissaient le joug d’une classe dominante ou d’une puissance étrangère. Pour eux il représentait souvent l’unique possibilité d’évolution, la seule perspective exaltante. Aujourd’hui encore, il suscite l’espérance au sein des communautés qui se retrouvent dans des situations analogues.

La religion musulmane réalisa l’unification du monde arabe, très divisé jusque là. Elle permit l’édification d’un empire qui, au VII e siècle, s’étendait de l’Espagne à l’Indus, incluant même une partie de la Chine. Une culture raffinée s’y développa avec de nombreux centres prestigieux, de Cordoue à Samarcande et même au delà. Les arts, les sciences et la philosophie y étaient souvent encouragés et purent atteindre des niveaux élevés. Il y eut ainsi des époques d’équilibre entre la foi et la raison. Pour l’islam, le monde est le langage de Dieu et peut être déchiffré. C’est à Bagdad que se constitua ce qu’on pourrait considérer comme la première académie des sciences. Au XIe siècle, la civilisation arabo-musulmane élaborait des méthodes qui incluaient preuve et expérimentation. Les Mongols disloqueront ce bel édifice. À partir du Xe siècle, des combattants musulmans d’Asie centrale accèderont au pouvoir en divers endroits. Les Turcs remplaceront les Arabes à la tête de l’empire. Ils s’empareront même de Constantinople en 1453. L’Empire Ottoman va se constituer au XIVe siècle. Il deviendra, pendant un temps, la première puissance en Europe et imposera le respect au monde occidental, en particulier à son apogée, au XVIe, sous le règne de Soliman le Magnifique… La première guerre mondiale amènera le démantèlement total de ce qui en subsistait.

Pour éviter toute forme d’idolâtrie, l’islam bannit des édifices religieux toute représentation naturelle. Il est en cela en plein accord avec l’interdit biblique qui exhorte à se détourner de l’image de la divinité pour en percevoir le reflet en soi-même. Les artistes musulmans utilisent donc toutes les ressources de leur imagination pour donner vie à l’abstraction. Les entrelacements et la répétition des motifs géométriques créent un monde où le temps semble aboli. L’accès à la transcendance se trouve ainsi facilité. Grâce à l’art de la calligraphie, les versets du Coran échappent aux limites de la simple écriture. Pour un instant, au moins, ils donnent l’impression d’être un langage qui existe de lui-même, indépendamment de l’humain.

Les pratiques traditionnelles ne représentent qu’un versant de l’islam [1]. On oublie souvent qu’un important courant mystique s’est développé en son sein. Extrêmement diversifié et toujours bien vivant, ce mouvement est connu sous le nom de soufisme. Ses adeptes mettent l’accent sur la purification du Cœur et la connaissance de soi. Ils cherchent à s’immerger dans « l’origine merveilleuse de tout. » : ce point de convergence qui est à la fois le Tout et le Rien, et où Beauté et Vérité se trouvent réunies. En Occident, le soufisme est surtout connu à travers la danse des derviches tourneurs. Le profond humanisme des soufis a beaucoup contribué à faciliter le rapprochement entre les musulmans et les autres communautés. Pour eux, du reste, il y a autant de voies que de personnes sur la terre. Malgré les difficultés de compréhension, le dialogue inter-religieux est hautement souhaitable. En effet, chaque fois que les « religions du Livre » ont cohabité fraternellement entre elles ou avec d’autres, on a vu fleurir un art de vivre de très haute qualité.

  1. La plupart des observateurs estiment que, dans l’islam, la femme est en quelque sorte mise sous tutelle. Ce que l’on dit moins, c’est que, par ailleurs, elle est idéalisée au point d’être considérée comme intermédiaire entre l’homme et Dieu. Comme Lui elle est visible seulement dans les espaces intérieurs, dérobée aux regards ordinaires. De nos jours, l’immense majorité des femmes demandent à être traitées sur un pied d’égalité avec les hommes : tout simplement, sans statut particulier. Et, les hommes qui y sont favorables sont de plus en plus nombreux. Bien des coutumes et des interdits ont pour cause principale le fait que L’Islam s’est développé dans des contrées où survivre est difficile, et où l’essentiel de la vie se déroule dans les oasis ou sous des tentes. Dans de telles conditions, seules des règles strictes peuvent empêcher la promiscuité et les luttes intestines. Le Jihad, ou guerre sainte, comporte deux aspects :
    • à l’intérieur , c’est un effort en vue de s’améliorer : une sorte de guerre contre le mal en soi.
    • à l’extérieur, c’est le recours à la guerre contre ceux qui menacent l’islam : cette religion étant considérée par ses adeptes, comme l’incarnation du bien. Ce second aspect a d’ailleurs été établi en relation avec un contexte particulier. Le généraliser n’était qu’un des choix possibles. Du reste, qui sont au fond les plus grands ennemis de l’islam ? Ne serait-ce pas ceux dont la violente intolérance ternit l'image de cette religion et porte ainsi préjudice à l’ensemble de ceux qui s'en réclament?