Recherche:Réflexions sur l'épistémologie en sciences sociales et la transmission du savoir au départ du livre « L'herbe du diable et la petite fumée » de Carlos Castañeda

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Réflexion sur l'épistémologie et la transmition du savoir au départ du livre L'herbe du diable et la petite fumée

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Doña Ramona, une chamane de l'ethnie Seri. Punta Chueca, état du Sonora, Mexique.

La lecture du livre L'herbe du diable et de la petite fumée (Castañeda, 1984)[1] m'a suscité de nombreuses réflexions. J'avais décidé de les écrire afin de les réutiliser plus tard dans la rédaction de ce travail. Parmi toutes ces réflexions, J’ai pensé à beaucoup de chose : j’ai pensé que la sorcellerie n'avait pas pu disparaître complètement chez nous durant la période d'inquisition et qu’il serait intéressant que je lise l'ouvrage de références à ce sujet (Favret-Saada, 1977) pour en savoir plus. J’ai pensé que j’avais de la chance de vivre dans un monde libéré des influences que la sorcellerie pouvait avoir sur les gens. J’ai pensé aux expériences que j’avais vécues moi-même en consommant des substances hallucinogènes. J’ai pensé qu’il ne m'était pas nécessaire de prendre des « drogues » pour avoir des hallucinations et qu’il me suffisait parfois de fermer les yeux pour voir apparaître des formes et des couleurs, que parfois celles-ci se transformaient en choses concrètes et détaillées. J’ai pensé à certains rêves que j’ai eus, durant mon sommeil ou mon « demi-sommeil », et à cette faculté que j’ai parfois eue d’être conscient que je rêvais et de pouvoir manipuler mes rêves. J’ai pensé que mes expériences en termes de drogues n'ont pas été une découverte de nouvelles sensations mais plutôt une amplification de sensations déjà connues, avec pour avantage un accès « sur commande ». J’ai pensé à mes croyances personnelles concernant le destin, mes choix à pile ou face qui jusqu'à ce jour se sont toujours avérés de bon choix. J’ai pensé à toutes ces fois où j'aurais pu mourir mais que le destin ou le hasard en a choisi autrement. J’ai pensé à cette qualité qu'avait l'anthropologie de comprendre les choses de l'intérieur en les vivants et en les expérimentant.

J’ai pensé ensuite qu’il était dommage que Carlos Castañeda n'avait pas assisté à la prise d'hallucinogène par une autre personne. J’ai pensé à tout le savoir qui se perd chaque foi qu'un homme meurt, particulièrement dans les cultures de tradition orales. J’ai pensé que j'aurais aimé en savoir plus sur la vie privée de Castañeda durant toute la période de son étude, comment son étude interférait-elle dans sa vie de tous les jours. J'aurais voulu savoir comment s'était passé le repiquage de son herbe du diable dans cet endroit qu’il devait être seul à connaître. J’ai pensé à la façon dont Castañeda organisait ses dialogues écrits avec don Juan, en plaçant « don Juan » au bout des phrases quand c’est lui qui avait la parole, afin d’éviter toute confusion. J’ai pensé qu’il me serait impossible de me souvenir comme il le fait de dialogues avec une telle précision, sans me servir d'un enregistreur. J’ai pensé qu’il était bien de mettre le texte en espagnole entre parenthèse quand la traduction était délicate. J’ai beaucoup pensé, tellement qu’il m'a été impossible d'ordonner ne fut ce que toutes ces pensées écrites d'une façon cohérente et logique dans ce présent travail.

Finalement, de toutes les idées que j’ai pu relire, j’ai pu en sélectionner la plupart pour les organiser en qu'après en quatre parties. Après cette introduction, la première partie est une brève présentation de l'ouvrage de Castañeda que j’ai lu en version française traduite pas Michel Doury. La deuxième partie aborde sous un angle épistémologique la polémique existante autour de l'auteur et son ouvrage. La troisième partie présente une brève réflexion sur le thème de la transmission du savoir, en utilisant l'expérience vécue par l'auteur pour analyser le système d'enseignement que je l'ai connu durant mes expériences personnelles. Finalement, la quatrième conclura ce travail sur une brève réflexion personnel concernant l'importance de l'expérimentation personnelle.

Brève présentation de l'ouvrage[modifier | modifier le wikicode]

Selon la quatrième de couverture de l'édition utilisée pour ce travail, l'ouvrage de Castañeda L'herbe du diable et de la petite fumée est une thèse de doctorat en science humaine. Cette thèse fut réalisée sur base d'une observation participante lors d'un apprentissage pour devenir ce que nous pourrions vulgairement appeler « un sorcier » ou plus précisément, une personne qui utilise les plantes pour augmenter ses capacités et acquérir un certain pouvoir. Cet apprentissage fut donné par un Indien Yaqui originaire du Mexique nommé don Juan et se structure autour l’utilisation de trois plantes hallucinogènes. L'utilisation de ces plantes permet d'atteindre ce que Castañeda qualifie comme un « état de réalité non ordinaire » et que nous pouvons identifier comme les périodes d'hallucinations. Ces « états de réalité non ordinaire » permettraient l'accès à des informations et offriraient des capacités sensorielles qu’il serait impossible d'atteindre dans un état de réalité ordinaires. L'enseignement consiste donc à tiré profit de ces informations et perceptions tout en acquérant une maîtrise et un contrôle de l’utilisation des plantes et de leurs effets.

Parallèlement à l’utilisation des plantes, l'apprentissage comportait aussi un bref enseignement sur comment devenir « un homme de savoir ». L'homme de savoir aurait vaincu ce que que don Juan appela « les quarte ennemis naturels de l'homme » que sont la peur, la clarté, le pouvoir et la vieillesse, dans le but d'atteindre une sorte de liberté absolue. L'observation participante commença le 23 juin 1961 et se termina volontairement le Vendredi 29 octobre 1965. Après une un avant-propos de Walter Goldschmidt et les remerciements de Castañeda envers les différentes personnes qui ont contribué à la réalisation de sa thèse, l'ouvrage se structure en deux parties et cinq chapitres.

Introduction[modifier | modifier le wikicode]

Dans les 24 pages d'introduction, l'auteur nous parle de comment il fut amené à vivre cette expérience alors qu’il s'intéressait au départ uniquement au peyotl (cactus hallucinogène). Cette introduction est pour l'auteur l’occasion de parler de diverses observations faite avant le début de l'enseignement. L'introduction nous permet ainsi de contextualiser les récits qui suivront dans la seconde partie, et nous aide aussi à comprendre l'organisation de ceux-ci.

Première partie : Les enseignements[modifier | modifier le wikicode]

Les enseignements sont répertoriés d'une façon chronologique au fur et à mesures des rencontres avec don Juan. Chaque paragraphe est introduit par une datte qui est, si j’ai bien compris, la date d'écriture, car si les dattes suivent un ordre chronologique strict, le contenu des récits peuvent parfois être rétrospectifs. Cela s'explique par le fait que Castañeda attendait quelques jours avant de témoigner par écrit de ses expériences hallucinatoires, « de façon a pouvoir en parler avec calme et objectivité ». Cette partie se présente sous forme de dialogues entre don Juan et l'auteur, de descriptions détaillées de ce qu’il observe avant, pendant et après ses hallucinations, ainsi que de commentaires personnels. Les commentaires personnels nous font part le plus souvent de ses émotions, de ses questionnements internes, mais aussi de sa méthodologie et des stratégies utilisées dans l'acquisition des informations.

Deuxième partie : Une analyse structurale[modifier | modifier le wikicode]

Cette partie est présentée par l'auteur comme une « tentative pour montrer la cohérence interne et la force de l'enseignement de don Juan ». Concrètement l'auteur restructure l'enseignement de son maître en réorganisation les différents concepts qui lui ont été transmis selon un schéma qui lui semble cohérent. Ce schéma structural s'articule autour de ce qu’il considère comme les quatre concepts principaux qui lui ont été transmis et qu’il nommera unités. Cette partie comprend une petite introduction où il reconnaît qu’il fut obliger de modifier ce qu’il appelle les « signifiants » de son maître, par sa tentative de classification, car dit-il, il fut « impossible de rejeter mon influence personnelle ». Cette partie se termine par un résumé de son analyse.

Appendice A[modifier | modifier le wikicode]

Cet appendice présenté sous le titre de « validation du témoignage particulier » semble être une analyse de l'auteur sur la méthode adoptée par don Juan dans son enseignement. Dans cette analyse, Castañeda fait référence aux différentes rencontres avec don Juan et tente de justifier et de comprendre les choix, les décisions et les réactions de son maître pour les intégrer dans une logique apprentissage. À la fin de l'appendice l'auteur partage ses pensées selon lesquelles don Juan durant le dernier apprentissage aurait tenté et échouer de « développer la possibilité que la plupart des composantes – voire la totalité - de la réalité ordinaire pouvaient perdre leurs caractères admis de réalité ordinaires ». Ce que je traduis par l’idée de donner à la réalité sans hallucinations, les propriétés de la réalité avec hallucinations, autrement dit, croire que dans le monde réel sans hallucination, pouvaient se dérouler des évènements de l’ordre de ceux vécus lors des périodes d'hallucinations.

Appendice B[modifier | modifier le wikicode]

L'appendice B se présente sous le titre de « plan pour une analyse structurale – ordre des opérations » et reprend dans le même ordre tous les mots clefs de l'analyse structurale présentée en début de deuxième partie de l'ouvrage.

Réflexion épistémologique[modifier | modifier le wikicode]

La page de Wikipédia version française consacrée à Carlos Castañeda illustre bien la polémique qui circule autour de Castañeda et de son œuvre. La vie de l'auteur pas plus que son œuvre ne fait l’objet d'un consensus. Selon l’article de Wikipédia, l'analyse de sa biographie comme de son œuvre est confrontée à de nombreuses informations contradictoires. Aussi plutôt que d'entretenir cette polémique, je prendrais pour option dans ce travail, d’utiliser l'ouvrage L'herbe du diable et de la petite fumée comme outil d'illustration pour une réflexion épistémologique.

Épistémologie : « Partie de la philosophie qui a pour objet l'étude critique des postulats, conclusions et méthodes d'une science particulière, considérée du point de vue de son évolution, afin d’en déterminer l'origine logique, la valeur et la portée scientifique et philosophique »[2].

Si l’on tient compte de cette définition obtenue sur la page web du Centre National de Ressources Textuel et Lexicales du Centre de Recherche Rational Scientifique, une réflexion épistémologique ne prend sens que lorsqu'elle se situe dans un contexte scientifique, puisque l'épistémologie a pour objet d'étude les sciences. Autrement dit, si L'herbe du diable et de la petite fumée avait été écrite et éditée sous forme de roman ou autre production littéraire non scientifique, nous pourrions déjà en rester là. Cependant, l'ouvrage de Castañeda appartient bien au domaine scientifique, et pour cause, il a été produit et éditer dans le cadre d'une formation académique de sciences sociales donner dans une université reconnue. Dès lors notre réflexion doit s'élargir sur la définition de ce qu'est une science.

Science : « Somme de connaissances qu'un individu possède ou peut acquérir par l'étude, la réflexion ou l'expérience »[3].

Grâce à cette définition nous pouvons maintenant recentrer notre réflexion autour de cette question : « Est-ce que les connaissances de Castañeda, recensées dans l'ouvrage qui nous concerne ici, ont été produites sur base d'étude, de réflexion et d'expérience ? » Après une simple lecture, il semblerait que oui. L'ouvrage de Castañeda en question traite bien des connaissances recueillies lors d'une étude sur les pratiques de ce nous appellerons la sorcellerie dans la culture Yaqui. Cette étude débouche sur une analyse détaillée d'un système de représentation et de la transmission de savoir. Et c’est en faisant personnellement l'expérience de l'apprentissage que Castañeda acquière les connaissances qui seront retransmises dans son ouvrage. Nous pourrions donc dire que sous sa forme, L'herbe du diable et de la petite fumée est bien une œuvre scientifique. Mais qu'en est-il du fond ou plus précisément du contenu de l'ouvrage ?

À ce stade, notre réflexion plonge au cœur de la polémique. Car la polémique se nourrit de cette question centrale : « Est-ce que les connaissances ou informations contenues dans le ou les ouvrages de Castañeda sont-elles vraies ? ». Cette question est pertinente. Car il est vrai qu'avec beaucoup d'imagination, un grand tallant d'écriture voir des inspirations venues d'auteurs ayant déjà traité du sujet des substances hallucinatoires tel qu'Aldous Huxley, Castañeda aurait pu sans trop de peine, inventer sa thèse de toute pièce ou même partiellement. N'oublions pas qu'un auteur de fiction tel que J. R. R. Tolkien, a réussi à travers ces nombreux ouvrages à créer un monde fantastique reprenant l'histoire et les coutumes détaillées de nombreux peuples imaginaires. Il semblerait donc, que notre dernière question aboutirait à une impasse, car s'il y avait un moyen d'élucider la question du vrai ou du faux, la polémique aurait sans doute disparu depuis longtemps.

Pour continuer notre réflexion au delà de cette impasse, je me suis rappelé des propos de Karl Popper et de son intérêt sur la question du vrai ou du faux concernant les sciences. Sur la page internet de « l'Enciclopédie de l'AGORA » consacrée à cet auteur et rédigée par Andrée Mathieu[4], on peut y découvrir que dans son œuvre maîtresse : La Logique de la découverte scientifique, Popper nous dit que pour lui, « la scientificité d'une théorie réside dans la possibilité de l'invalider, de la réfuter ou encore de la tester ». C'est ce qu’il appelle le « critère de falsifiabilité ». Vu dans cette optique, « l'herbe du diable et de la petite fumée » serait donc une œuvre de faible « scientificité ». Car comment pourrions-nous réfuter le compte rendu de l'enseignement d'une personne dont on ne dispose aucune possibilité de rencontre ni aucune trace de son discourt (pas de photos, pas d'enregistrements).

Quant aux hallucinations de l'auteur, comment pourrions-nous les réfuter dès lors qu’elles sont apparitions uniques et spécifiques à chaque personne. Dans le cas des hallucinations, nous pourrions encore prôner l'emploie de moyens drastiques tel qu'un sérum de vérité ou une séance d'hypnose, mais ces pratiques sembleraient déplacées sans pour autant apporter une réponse définitive puisqu'elles ne sont pas, a mon souvenir, reconnues comme preuves juridiques. Aussi, est-il intéressant de constater que le problème du « critère de falsifiabilité » se pose pour la plupart des ouvrages d'anthropologique social et culturelle. En effet, dans cette discipline, les connaissances établies reposent principalement sur les témoignages individuels de chercheurs et dans le meilleur des cas, sur une observation participante. Il y a bien sur les notes de terrain et les documents audio visuel quand ils existent, mais ils ne pourront jamais répondre aux « critères de falsifiabilité ». Ainsi, pourrions-nous dire que l'anthropologie sociale et culturelle, mais aussi les sciences sociales en général, ne pourraient prétendre au statut de science, puisque l'expérience du chercheur ne pourra jamais être revécue dans des conditions similaires. Voici donc une nouvelle opportunité de clôturer notre réflexion épistémologique. Cependant, Il existe plusieurs cas où le « critère de falsifiabilité » de Popper fut d'application dans le domaine des sciences sociales.

Dans le domaine de l'anthropologie sociale et culturelle nous avons la thèse de Derek Freeman qui démontra que dans son étude sur la société samoane, Margaret Mead s'était laissé influencer par un petit nombre de témoignages sans chercher à recouper ceux-ci. Dans le domaine de la sociologie nous pouvons aussi citer la polémique autour de la thèse de doctorat de Germaine Elizabeth Hanselmann, intitulée Situation épistémologique de l'astrologie à travers l'ambivalence fascination-rejet dans les sociétés postmodernes et dirigée par Michel Maffesoli, lauréat du Grand Prix des Sciences humaines de l'Académie française en 1992. Cette thèse fut l’objet de nombreuses critiques dont une rédigée par Roger Establet professeur émérite à l'Université de Provence et son condisciple Christian Baudelot et publiée le 17 avril 2001 par le journal Le Monde. Mais chaque cas celui de Margaret Mead, celui de Germaine Elizabeth Hanselmann, mais aussi celui de Carlos Castañeda, la réfutation de leurs travaux ou la polémique qui les entoure n'eut pas pour conséquence l'exclusion de ces ouvrages du domaine scientifique. En effet, l'œuvre de Margarette Mead continue à être abondamment citée dans les ouvrages scientifiques, Germaine Elizabeth Hanselmann fini par recevoir son titre de docteur en Sociologie et l’introduction de L'herbe du diable et de la petite fumée figure parmi la compilation de textes choisis pour un ouvrage de référence intitulé Ethnographic Fieldwork (Antonius, 2007).

Nous nous retrouvons donc dans une nouvelle impasse et peut-être que le raisonnement de Popper présente-t-il une faille. Cette faille serait due au fait que toutes réfutations peuvent faire l’objet elles-mêmes d'autres réfutations et ainsi de suite. Il semblerait que Popper soit conscient de ce problème puisque Andrée Mathieu dans sa présentation écrit : « Pour Popper, la meilleure des théories n’est pas « vraie », elle n'est tout simplement « pas encore fausse ». Une théorie ne peut jamais être « fondée » positivement, mais elle peut être « corroborée ». On dit qu'une théorie est corroborée si elle résiste aux tests les plus sévères et si elle ne peut pas être remplacée avantageusement par une théorie rivale ». Remarquons enfin que dans son raisonnement, Popper parle seulement de théorie et non de fait ou d'informations. Nous devons penser qu'un raisonnement théorique irréprochable peut être fait sur base d'informations fausses, comme ce serait à peu près le cas pour L'herbe du diable et de la petite fumée. Car la polémique autour de l'ouvrage de Castañeda ne semble par tourner autour de sa partie théorique, bien qu'elle soit discutable, mais bien autour de cette éternelle question : « Castañeda nous a-t-il menti ? ». Popper ne nous a donc pas aidé à sortir de l'impasse.

Cette impasse liée à notre incapacité de vérifier la véracité d'un témoignage n’est pas propre aux sciences. La justice y est confrontée tous les jours. Dans ce contexte, il y a nécessité, voir urgence, de trancher toutes polémique, afin que celle-ci n'évolue pas en troubles sociaux. Ainsi, il existe en justice un mécanisme qui permet de trancher au sein de toute polémique. Ce mécanisme consiste à sélectionner un jury selon diverses procédures qui aura pour mission de trancher après délibération sur la question du vrai et du faux. La réponse du jury sera reconnue comme définitive après un nombre limité de procédures de recours en appelle. Ce mécanisme n’est pas étranger au milieu scientifique.

Tout au long d'un parcours académique un « apprenti » scientifique puis un scientifique se verra contrait de soumettre à la délibération de jurys successifs ses connaissances et ses travaux. Aussi, comment pourrions-nous déterminer la mission de ces jurys, si ce n'est qu'en leur attribuant le rôle de définir la scientificité de la matière à laquelle ils sont soumis. Dans ce contexte, nous pouvons donc dire qu'un ouvrage serait reconnu scientifique, suite à l'approbation d'un jury. Ce jury sera composé de quelques scientifiques désignés et sa délibération sera selon les cas avec ou sans appel. Ce point de vue nous permet donc de classer l'ouvrage de Castañeda parmi les productions scientifiques, puisqu’il a été reconnu scientifique par le jury d'une thèse de doctorat. Resterait à savoir maintenant s'il existe une procédure de recours en appel à cette décision ? Quoi qu’il en soit, ce recours en appel n'a jamais eu lieu et donc « l'herbe du diable et de la petite fumée » peut bel et bien être considéré comme ouvrage scientifique, aussi vrai que Landru fut reconnu coupable de ces crimes. Nous devons donc reconnaître que pour ce travail d'anthropologie à l'image de l'organisation du monde social, la reconnaissance du vrai et du faux est soumise à des règles et procédures plus qu'a une preuve d'irréfutabilité.

Ce fait démontré, j'aimerais maintenant attirer l'attention sur les dérives que peuvent entraîner cette délibération du critère de scientificité par l'intermédiaire d'un jury. Car a l'image d'un tribunal, le degré de scientificité dépend dès lors, du bon usage d'un jargon, mais aussi, des possibilités d'influence du jury. Au sujet du jargon et pour en revenir à l'ouvrage de Castañeda, il est remarquable de constater la différence entre la première partie et la deuxième partie de l'ouvrage. Dans la première partie, consacrée à la description de « l'enseignement » les mots sont concrets et simples, les phrases sont courtes et les idées compréhensibles à la première lecture. Dans la deuxième partie par contre où Castañeda tente de « montrer la cohérence interne et la force de l'enseignement de don Juan », les mots sont conceptuels et compliqués, les phrase sont longues et les idées difficiles à percevoir lors d'une première lecture. À mon sens, cette deuxième partie de l'ouvrage n'apporte que très peu d'informations nouvelles sur le sujet traité, et les efforts fournis pour la compréhension ne m'ont pas semblé être récompensés par un éclaircissement des propos de don Juan.

De plus Castañeda nous informe en début de deuxième partie lorsqu’il parle « des concepts constituants du savoir de don Juan » : « Malgré mes efforts pour rendre ces concepts aussi fidèlement que possible, leur signification se trouve modifiée par ma tentative de classification ». Enfin, l'analyse de Castañeda perd de sa crédibilité lorsqu’il conclut en écrivant à propos du système de pensée logique de don Juan : « Vaste système complexe de croyances où la recherche constituait une expérience qui menait à la félicité », ceci alors que tout au long de la retranscription de son enseignement, don Juan n'a jamais fait allusion à la félicité ni aucun terme apparenté. Cette deuxième partie ne semble donc pas apporté de nouvelles connaissances valides sur le sujet traité dans l'ouvrage. Cependant, sans cette deuxième partie, cet ouvrage aurait-il pu être reçu comme partie intégrante d'une thèse de doctorat par le jury de délibération ? Personnellement, je ne le pense pas.

Quant à la manière d'influencer un jury, j'en ai moi-même testé une lors de la rédaction d'un travail. Mon idée fut de chercher rapidement dans des ouvrages que je n’avais pas lus mais qui furent cités par le jury (professeur et assistant) comme ouvrages de références, des citations pour illustrés les idées contenues dans mon travail. Cela m’a valu des félicitations lors de l'évaluation collective des travaux, mais déboucha sur un profond malaise lorsque que je fis part de la supercherie…

À ces dernières observations nous pouvons sans doute y associer l'organisation corporatiste du milieu scientifique. Corporation : association de personnes exerçant le même métier, ou une branche de ce métier dotée de statuts définis, d'une hiérarchie, d'une police, de rites, de dévotions propres, avec en outre un ensemble de monopoles et de privilèges[5]. En effet, durant mes cinq années d'études dans trois universités différentes belges et portugaise, j’ai pu observer que l'université et plus particulièrement le personnel scientifique qui la compose forme effectivement un groupe de personnes effectuant un même métier (chercheur - enseignant) doté de statuts définis (étudiant, enseignant, chercheur) d'une hiérarchie (candidat d'entrée, bachelier, licencié, doctorant, assistant, professeur, doyen, recteur), d'une police (symbolisée par les anciens et leurs pouvoirs d'attribution des échec et promotion au sein de la hiérarchie voir de sanctions académiques à travers la constitution de jury ou de conseil), de rite (rite d'intronisation, période d'examens, jargon scientifiques…) de dévotion propre (valorisation su savoir des anciens par l'obligation de citations sous peine de sanction attribuée pour cause de plagiat) avec un ensemble de monopoles et privilèges (l'expertise scientifique, diplômes, salaires élevés).

L'esprit corporatif du milieu scientifique se ressent particulièrement quand il s'agit de l’utilisation d'internet. Alors qu'Internet se révèle comme un formidable outil de partage des informations et du savoir, le monde académique persiste à dénigrer les informations qui s'y trouve tout en ne participant que très peu au partage d'informations. Actuellement, très peu d’articles scientifiques sont accessibles gratuitement en ligne et un outil comme le wiki qui est une opportunité formidable dans le partage d'informations n'est toujours pas entretenu ni valorisé par le milieu académique. Pourtant en termes de falsifiabilité le wiki semble l'outil idéal offrant un accès des plus faciles et permettant l'ouverture de débat sur les corrections possibles. Ainsi, si le monde semble en pleine mutation quant aux transferts et partages du savoir et de l'information, de nombreuses initiatives sont encore a naître de la part du milieu scientifique.

Au terme de cette réflexion épistémologique, nous avons vu que la reconnaissance scientifique dans le domaine des sciences sociales est difficile à tel point que l’on a dû faire appelle à des règles et procédures pour nous en sortir. Nous avons vu aussi que les critères favorisant cette reconnaissance ne sont pas garants en termes de quantité et qualité d’informations et idées transmises. Nous avons vu enfin que l'esprit corporatif du milieu scientifique était confronté aux mutations causées par l'émergence d'Internet comme outil de partage du savoir. Voici donc le moment de nous intéresser aux méthodes de transmission du savoir.

Réflexion sur la méthode de transmission du savoir[modifier | modifier le wikicode]

Selon Jean Baudoin, « Karl Popper refuse d'accorder à la science un privilège de questionnement, acceptant parfaitement que des esprits fantaisistes ou marginaux participent à l'effort spéculatif » (Baudoin, 1989)

Comme pour corroborer les propos de de Popper, la lecture de « l'herbe du diable et de la petite fumée » a suscité chez moi une profonde réflexion sur la transmission du savoir. Durant cette lecture, je n'ai pu m'empêcher de comparer la manière par laquelle don Juan a transmis son savoir avec le système de l'enseignement que j’ai connu depuis mon enfance jusqu'à ce jour. J’ai ensuite eu l’idée d’utiliser les composantes et caractéristiques de l'enseignement de don Juan tel qu’elles sont présentées dans l'ouvrage, comme outil de base à une réflexivité sur l'enseignement que j’ai connu. Voici les caractéristiques principales de l'enseignement de don Juan suivit d'une réflexion sur l'enseignement tel que je l'ai vécu, et tel que je le vis encore actuellement dans ma formation universitaire.

  • Dans l'enseignement de don Juan, l'apprentissage n’est pas obligatoire et naît d'un désir commun entre le maître et l'apprenti. Il peut être abandonné à tout moment par le maître et/ou l'apprenti.

Dans la société occidentale, l'instruction est obligatoire jusqu'à un certain âge. Cette résolution a été prise dans le but d'enrichir tant l'individu que la société en termes de capacités intellectuelles. Mais il est bon de rappeler qu'en Belgique pour le moins, si cette instruction est obligatoire, la fréquentation d'institutions scolaires ne l'est pas. On peut ainsi instruire son enfant à domicile. Il pourra ensuite se présente à ce qu'on appelle un « jury central » pour évaluer ses capacités et obtenir ou non un diplôme. Par contre, on peut pratiquement considérer que pour un enseignant engagé dans un établissement scolaire, la fréquentation de l'établissement et l'acceptation de tous tes élèves qui lui sont attribuer est une obligation. Cette « obligation » peut dès lors créer un déséquilibre qui peut à mon sens pervertir le système. Un enfant conscient du système peut perturber l'enseignement sans gêne, sachant qu’il est difficile pour l'enseignant de le soustraire de son enseignement. Enfin, quand l'enseignant vit une situation difficile sans perspective d'évolution, il aura tendance à trouver, consciemment ou inconsciemment, une solution de fuite dans dépression nerveuse ou autre possibilité d'abandon temporaire ou définitif de l'activité d'enseignant. Dans l'enseignement supérieur cette position est rendue plus confortable par le fait que l'élève ayant atteint l'âge de la majorité, il est plus facile pour l'enseignant de l'exclure.

  • Dans l'enseignement de don Juan, l'apprentissage est individuel.

Durant mes divers périodes d'enseignements, il y eut que très peu d'occasions où je fus seul avec un professeur. Les rares occasions furent lors de l'enseignement de disciplines artistiques. L'apprentissage individuel a pourtant de grands avantages et il est regrettable qu’il ne soit accessible que pour les personnes qui en ont les moyens financiers en engagent un professeur particulier par exemple.

  • L'enseignement de don Juan est dispensé par une seule personne bien que dans certaines circonstances cette personne peut se faire aider pas de personnes ressources.

Jusqu'au début de l'adolescence il est de coutume que l'enseignement soit dispensé par une personne unique. Mais la variété et la complexité du savoir au sein de la société occidentale rend difficile à partir d'un certain stade le recourt à un enseignant unique pour l'acquisition du savoir.

  • Dans l'enseignement de don Juan, le moment des séances d'apprentissages ne semble pas déterminé uniquement par le maître bien que le temps et la fin de ces séances le sont.

La flexibilité dans l'organisation du temps de l'enseignement semble un atout indéniable, car il permet de choisir les moments les plus propices à cette activité. Mais il va de soi, que plus le groupe d'étudiant est grand, moins cette flexibilité est possible.

  • L'enseignement de don Juan, s'organise autour d'un discours pragmatique suivit d'une expérimentation personnelle par l'apprenti, complétée par une interprétation du témoignage particulier de l'apprenti sur son expérience par le maître.

La plupart de mes enseignements ont toujours commencé par un discours théorique. Ceci peut se comprendre lorsqu’il s'agit d'une matière basée sur des concepts tel les mathématiques où sans l'acquisition de certains concepts, une application pratique est impossible. Mais quand il s'agit du domaine musicale par exemple, cela perd tout son sens. On n'apprend pas la grammaire avant de savoir parler. Sur ce point de vue et selon les domaines enseignés, il serait donc intéressant de se pencher sur la pertinence de placer le bagage théorique avant l'expérimentation pratique. Mon expérimentation pratique, fut personnelle pour certaines disciplines enseignées, mais le plus souvent collective par manque de temps par manque de moyens. Quant à l'interprétation de l'expérience individuelle, elle se résuma le plus souvent à une épreuve d'évaluation avec parfois un commentaire sur la correction.

  • Dans l'enseignement de don Juan, Il n'y a pas de prés requis nécessaires pour être candidat à l'apprentissage.

Les prés requis dans le système d'enseignement n'existe pas dans un premier stade mais apparaissent au fur et à mesure de l’on grimpe dans l'échelle d'apprentissage. Cette règle repose sur une logique de prés requis à l'image de l' évolution du savoir. L'homme a d’abord appris à parler avant d'inventer l'écriture.

  • Dans l'enseignement de don Juan, le maître s'assure au par avant des bonnes intentions de l'apprenti quand l’utilisation de l'apprentissage.

Dans le système d'apprentissage que j’ai connu, on ne s'est jamais intéressé de savoir si mes intentions quant à l’utilisation du savoir serait bonne ou mauvaise. Pourtant, ce sujet peut porter à débat. Car il est vrai que les progrès de la science n'ont pas toujours été utilisés par des gens bien intentionnés. Il est vrai aussi que de gens mal intentionnés ont permis l'évolution du savoir. C'est ainsi que pour prendre deux cas extrêmes, l'apprentissage dans le domaine de la fission nucléaire a permis la mise au point de la bombe atomique, et que les expérimentations médicales faites sur les juifs durant la dernière guerre mondiale a permis certaines avancées dans le domaine médical.

  • Il semble enfin que l'écriture soit absente dans l'enseignement de don Juan.

Dans la culture occidentale il semble difficilement concevable de transmettre un enseignement sans avoir recourt à l'écriture. Cela en est au point que l'écriture à elle seule, un symbole de savoir. Les bibliothèques, lieu de concentration d'écriture, sont considérés comme les temples du savoir. Il est vrai que l'écriture a bouleversé le monde à tel point que son histoire fut divisée en deux parties (l'histoire et la préhistoire). L'écriture est un outil puissant dans la transition du savoir. L'écriture est pérenne, facile d'accès, et le gain de temps qu'elle permet dans le transfère et le repérage de certaines informations est considérable. La lecture silencieuse est plus rapide que le discourt parler et il est bien plus facile de retrouver un mot dans un texte que dans un discourt. De plus, la lecture permet de faire des pauses dans le flux d'informations, quand on le veut, et autant qu'on veut, pour revenir en arrière ou réfléchir sur ce qui est dit. Ceci est impossible lors de certaines communications de types audio visuel où il est impossible d'arrêter le flux d'informations (radio, télévision, discourt non enregistrés). La possibilité de faire une pause dans le flux d'informations est essentiel car elle permet une meilleure analyse des informations.

Mais en termes de quantité, l'écriture ne pourra jamais substituer l'observation et l'expérimentation ni le flux d'informations audio visuel. De plus les découvertes en sciences cognitives et neurologie sur ce qui fut appelé les neurones miroirs, attestent l'importance de l'observation dans le contexte de l'apprentissage. Enfin, la révolution informatique et l'essor que prend internet en termes de transmission du savoir porte un changement radical dans le choix des supports de transfert d'informations. Le phénomène « YouTube » par exemple nous prouve que la vidéo est de plus en plus utilisée dans le transfert du savoir. Il est maintenant aussi facile, voir plus efficace, de télécharger une vidéo explicative qu'un mode d’emploi ou une procédure. Enfin, si la révolution informatique et l'essor d'internet transforme en profondeur les méthodes d'apprentissage, rien ne pourra dépasser me semble-t-il l'expérimentation personnelle en situation réelle.

Réflexion sur l'importance de l'expérimentation personnelle[modifier | modifier le wikicode]

J’ai lu la plus grande partie de l'herbe du diable et de la petite fumée en participant à un rassemblement de hippies dans une vallée proche du village de Seixas au Portugal. Pendant quatre à cinq jours je fus plongé dans deux mondes apparentés, celui d'un rassemblement new age et celui d'un « apprenti sorcier ». Cette appartenance réside dans le fait que les croyances, les principes, les concepts, qui y circulent, peuvent dans les deux cas être qualifiés de mystiques. Dans les deux cas, l’existence et la cohérence de faits ne peuvent être démontrées que par une expérimentation personnelle. Que ce soit dans l'enseignement d'un sorcier yaqui ou celui d'un maitre raiki, l'enseignement comporte de nombreuses similitudes. Il y a d’abord une contextualisation accompagnée d'instructions précises puis une expérimentation personnelle suivie de commentaires que nous pourrions qualifier d'ordre herméneutique. Les religions basée sur des écritures, bien qu’il existe un support « tangible » constitué d'un récit historique, n'échappe pas à cette règle de l'expérimentation. De toutes les personnes croyantes que j’ai pu questionner sur les preuves d'existence d'un dieu, elles m'ont tous répondu en me témoignant d'une expérience personnelle : une prière exhaussée, un songe, ou des signes divers en réponse à une question qu’elles auraient adressée à Dieu. Dans cette analyse peu fouillée, il me semble donc que rien n'est plus efficace pour attester l’existence des choses tel qu'un dieu, une puissance, une énergie bienfaitrice, une théorie, ou un fait quelconque, que l'expérimentation personnelle.

Référence[modifier | modifier le wikicode]

  1. Voir : http://sannyasa.free.fr/castaneda.htm#Cas0
  2. Voir : http://www.cnrtl.fr/definition/epistémologie
  3. Voir : http://www.cnrtl.fr/definition/science
  4. Voir : http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Popper--Karl_Raimund_Popper_par_Andree_Mathieu
  5. Voir : http://www.cnrtl.fr/definition/corporation

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

Antonius C. G. M. Robben Jeffrey A. Sulka, Ethnographic Fieldwork An Anthropological Reader, Blackwell publishing, 2007

Baudoin, Jean, Karl Popper, Paris, P.U.F., Collection « Que sais-je? », 1989

Castañeda, Carlos, l'herbe du diable et de la petite fumée une voie yaqui de la connaissance, Christian Bourgeois Éditeur, 1984.

FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977