Méthodologie de la fiche d'arrêt/Arrêt Communauté de Martigues, CE, 2013

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Arrêt Communauté de Martigues, CE, 2013
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Chapitre no 5
Leçon : Méthodologie de la fiche d'arrêt
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Chap. suiv. :La saisine du juge administratif
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Commentaire d’arrêt : Communauté de Martigues, Conseil d'État, Section, 21 juin 2013

Le rapporteur public est indispensable aux juridictions administratives. Le juriste Nicolas Hervieu le qualifie « d’institution clef du procès administratif français » et le professeur René Chapus le considère comme « l’une des plus illustres spécificités de notre contentieux administratif » . Pourtant, pour de nombreux justiciables son rôle est des plus obscurs. Ce contraste saisissant est l’objet de l’arrêt rendu le 21 juin 2013 par la section du contentieux du Conseil d’État qui s’efforce de clarifier et de préciser le rôle du rapporteur public. Le contentieux est ici né de la prise par un préfet d’un arrêté en date du 18 avril 2006 autorisant le stockage de déchets non ultimes sur le territoire d’une Communauté d’agglomération. Une association de quartier située dans la zone géographique de cette communauté d’agglomération souhaite faire annuler l’arrêté pris par le préfet. À cette fin, elle engage un recours devant le tribunal administratif. Un jugement a été rendu le 20 novembre 2008 faisant droit à sa demande. La Communauté d’agglomération interjette appel. Le 4 juillet 2011, la cour administrative d’appel de Marseille rend un arrêt rejetant la demande visant à annuler le jugement du tribunal administratif. La Communauté d’agglomération forme alors un pourvoi en cassation. La question posée au Conseil d’État concerne le rôle du rapporteur public et son impact sur la régularité de la procédure au terme de laquelle l’arrêt a été rendu. Plus précisément, il s’agit de savoir quelles obligations pèsent sur le rapporteur public à l’instance vis-à-vis des parties. Il est question notamment de déterminer s’il doit leurs communiquer l’intégralité de ses conclusions préalablement à l’audience. Le Conseil d’État n’accueille pas les demandes de la Communauté d’agglomération. Il rejette le pourvoi estimant que la procédure n’a été entachée d’aucune irrégularité. Le Conseil d’État confirme alors la spécificité du rôle initial du rapporteur public dans le contentieux administratif (I) tout en précisant les contours de ses récents aménagements statutaires (II).

La confirmation de la spécificité du rôle initial du rapporteur public dans le contentieux administratif[modifier | modifier le wikicode]

L’arrêt du Conseil d’État rappelle la singularité de la fonction à l’instance du rapporteur public (A) ainsi que les aménagements apportés à sa fonction pour garantir le droit à un procès équitable (B).

Le rappel de la singularité de la fonction à l’instance du rapporteur public[modifier | modifier le wikicode]

Le deuxième considérant de l’arrêt rappelle l’originalité de la fonction à l’instance du rapporteur. De manière très pédagogique, le Conseil d’État confirme une nouvelle fois le rôle inédit du rapporteur public à l’instance en se fondant sur les textes en la matière (1) et sur la jurisprudence les interprétant (2).

Rappel textuel[modifier | modifier le wikicode]

Le deuxième considérant de l’arrêt reproduit in extenso les dispositions de l’article L. 7 du code de justice administrative (CJA), lequel prévoit que « un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ». Le rapporteur public a donc un lien organique à la juridiction, puisqu’il est membre de celle-ci. Sa mission est d’exposer son opinion sur les questions et les solutions nécessaires à la résolution du litige. Cet exposé a deux caractères : il doit être réalisé publiquement et en toute indépendance.

Rappel jurisprudentiel[modifier | modifier le wikicode]

Après ce rappel textuel, l’arrêt en la première partie de son cinquième considérant précise la mission du rapporteur public : il « a pour mission d'exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de l'instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement ». Cette formulation du rôle du rapporteur public n’est pas nouvelle : elle s’inscrit dans le mouvement jurisprudentiel issu des arrêts Gervaise, du 10 juillet 1957 et Esclantine du 29 juillet 1998. Le Conseil d’État poursuit donc son exposé en rappelant l’interprétation jurisprudentielle qu’il a eue du rapporteur public. Ce faisant, cet arrêt rappelle également ce que le rapporteur public n’est pas : une partie au procès représentant l’administration. Il s’agit d’une confusion qui a pu trouver sa source dans la dénomination de la fonction du rapporteur public qui avant 2009 était désigné par le nom de commissaire du gouvernement. Ce rappel justifié dans l’arrêt Esclantine en 1998 est alors compréhensible. La raison de ce considérable effort pédagogique du Conseil d’État dans cet arrêt est davantage à trouver dans l’absence d’équivalent de la fonction du rapporteur public dans l’ordre judiciaire, qui pourrait à tort être assimilé à celle du procureur dans un procès pénal en raison de sa proximité organique.

Le rappel des aménagements réalisés jusqu’à 2009 pour garantir le droit à un procès équitable en maintenant la fonction du rapporteur public[modifier | modifier le wikicode]

Ces aménagements sont relatifs aux conclusions du rapporteur public d’une part (1) et à sa présence en délibéré d’autre part (2).

Les aménagements relatifs aux conclusions du rapporteur public[modifier | modifier le wikicode]

Après avoir rappelé en détail la fonction du rapporteur public, l’arrêt en déduit plusieurs conséquences sur les conclusions du rapporteur dans la deuxième partie de son cinquième considérant. Le principe du contradictoire, lequel peut être défini comme un droit de réponse de chacune de parties, est applicable pendant la période d’instruction de l’affaire. L’instruction correspond à la période où le litige est mis en état d’être jugé. En pratique, le principe du contradictoire garanti à chacune des parties devant le juge, d’avoir pu prendre connaissance des arguments présentés et de l’ensemble des pièces du dossier, et de pouvoir présenter sa propre observation. Le rapporteur public intervenant à l’audience, après l’instruction de l’affaire et sans en être une partie, n’est donc pas soumis au principe du contradictoire. Ce raisonnement se justifie selon le conseiller d’État Mattias Guyomar puisque « prendre parti ce n’est pas devenir partie, même si cette prise de partie finit immanquablement par épouser les prétentions l’une ou l’autre partie au litige » . Partant, « la note du rapporteur » au même titre que « le projet de décision » « n’ont pas à faire l’objet d’une communication préalable aux parties ». Toutefois, dans la troisième partie du cinquième considérant et la première partie du sixième considérant, l’arrêt nuance sa position puisqu’elle rappelle d’une manière très didactique un tempérament à l’absence de soumission au principe du contradictoire du rapporteur public : les parties ont « la possibilité, après leur prononcé lors de la séance publique, de présenter des observations, soit oralement à l'audience, soit au travers d'une note en délibéré » et se voient informées du sens des conclusions du rapporteur public préalablement à l’audience. Cela est un rappel de la position de la Cour Européenne de Droits de l’Homme (CEDH), qui dans son arrêt Kress c. France en 2001, n’a pas condamné l’absence de communication de la note du rapporteur, considérant qu’assez de garanties au principe du contradictoire était apportée par la possibilité de connaitre le sens des conclusions du rapporteur public avant l’audience et la possibilité d’y répondre par une note en délibéré.

Les aménagements relatifs à la présence du rapporteur public au délibéré[modifier | modifier le wikicode]

Toutefois, le raisonnement de la CEDH dans cet arrêt est sensiblement différent que celui du Conseil d’État. Alors que l’arrêt du Conseil d’État exclut la soumission du rapporteur public au principe du contradictoire, la CEDH considère que le rapporteur public reste soumis à une forme du principe du contradictoire, lequel peut être déduit du droit au procès équitable. Ce raisonnement prend tout son sens avec l’étude de la cinquième partie du cinquième considérant de l’arrêt. Celui-ci rappelle en effet que « le rapporteur public ne peut prendre part au délibéré » puisqu’il s’est « publiquement prononcé sur l’affaire ». L’arrêt continue de retracer l’évolution de la fonction du rapporteur public suite à la condamnation de la CEDH dans l’affaire précitée : il y a donc bien une adaptation statutaire du rapporteur public ayant pour objectif le respect du droit au procès équitable. La CEDH avait en effet condamné la France, estimant que la présence du rapporteur public au délibéré viole l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La CEDH a considéré que le rapporteur public n’ayant pas le droit de vote, n’est pas un juge à part entière. Partant, pour la CEDH il semble peu probable qu’il n’exprime pas son opinion, ce qui contrevient à l’exigence d’impartialité, puisqu’il s’est exprimé publiquement avant le délibéré. Cette condamnation a donc bien été la conséquence d’une violation du principe du contradictoire par la fonction du rapporteur public. Cette condamnation avait alors donné lieu au décret n° 2005-1586 du 19 décembre 2005 modifiant le code de justice administrative qui dispose que « le commissaire du gouvernement assiste au délibéré. Il n’y prend pas part ». Le rapporteur public serait alors un témoin muet. Cette réticence à tirer toutes les conclusions de la décision de CEDH peut s’expliquer par l’opportunité que représente la présence du rapporteur public au délibéré. Souvent considérer comme un juge-expert, son expertise sur les dossiers était très appréciée. En pratique, sa présence au délibéré permettait de répondre à un impératif d’efficacité : le rapporteur pouvait éclaircir rapidement certains points complexes et techniques des affaires. La CEDH elle-même admet dans son arrêt que « le [rapporteur public] appartient aux meilleures traditions du droit français, son rôle dans le procès administratif a fait l'objet d'innombrables études plus élogieuses les unes que les autres. Il a forcé le respect et l'admiration de générations de juristes français et étrangers ». Pourtant, cela ne l’empêche pas de se montrer extrêmement ferme dans un arrêt Martinie c. France rendue en 2016 à une très grande majorité : il condamne toute présence du rapporteur public au délibéré. Sa conclusion est le résultat de l’application de la théorie de l’apparence, laquelle peut être résumée à l’adage suivant : « justice must not only be done, it must also be seen to be done ». Cette nouvelle condamnation a donc mené à une ultime modification de cet article par le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009, qui prévoit dans son article premier que « la décision est délibérée hors la présence des parties et du rapporteur public ». Cette disposition a été codifiée à l’article R. 732-2 du code de justice administrative, laquelle est rappelée par la sixième partie du cinquième considérant de l’arrêt. Il convient de souligner que cette disposition n’est applicable qu’aux tribunaux administratifs et au cours d’appel administratives. La disposition équivalente pour le Conseil d’État est à l’Article R. 733-3 du CJA. Pour les audiences tenues devant lui, le rapporteur public assiste au délibéré, sauf demande contraire d'une partie. Cette exception est critiquable, et apparait comme une conservation d’une forme de privilège. Elle semble largement contraire à la jurisprudence européenne et à sa théorie de l’apparence.

La confirmation du renouveau statutaire des fonctions du rapporteur public dans le contentieux administratif[modifier | modifier le wikicode]

Après avoir retracé l’évolution de la fonction du rapporteur public jusqu’à 2009, l’arrêt rappelle que la loyauté procédurale est applicable au rôle du rapporteur public (A). A cet effet, il ouvre la voie à l’extension de son obligation de communication du sens de ses conclusions (B).

La loyauté procédurale applicable au rôle du rapporteur public[modifier | modifier le wikicode]

La décision Marc Antoine c. France rendue quelques jours plus tôt le 4 juin 2013 par la CEDH marque la conformité au principe du contradictoire du statut réaménagé du rapporteur public. Des modifications importantes avaient en effet été apportées, notamment l’obligation de communication du sens des conclusions du rapporteur public aux parties (2). Pour mieux la comprendre, l’arrêt rappelle préalablement le respect du principe du contradictoire en droit administratif (1).

Le rappel du respect du principe du contradictoire en droit administratif[modifier | modifier le wikicode]

La première partie du deuxième considérant de l’arrêt rappelle la disposition de l’article L. 5 du code de justice administrative qui prévoit que « l’instruction des affaires est contradictoire ». De ce principe, l’arrêt a une interprétation particulière puisqu’il en déduit dans la première partie du quatrième considérant le but d’« assurer l’égalité des parties devant le juge ». Une telle interprétation de l’article L. 5 du CJA participe à l’équivoque qu’entoure la soumission du rapporteur public au principe du contradictoire. Bien qu’il n’y soit jamais soumis formellement, puisque ne participant pas à l’instruction (cf. deuxième partie du considérant quatre), des règles visant à améliorer la soumission du rapporteur public à ce principe auquel il ne serait pas soumis n’ont cessé d’émerger. A titre d’exemple, depuis 2009, le rapporteur public ne termine plus le procès. C’est le signe qu’un aménagement a été réalisé pour tenter de réconcilier l’interprétation extensive de la CEDH quant à la notion de procès équitable et la volonté du Conseil d’État de borner le principe du contradictoire à la seule phase d’instruction. Ce véritable « redéploiement de la contradiction » conduit à considérer que le rapporteur public est une partie, ou une « quasi-partie » . Cette inversion de la prise de parole qui pouvait paraitre anodine conduit le Conseil d’Etat, dans cet arrêt, à se demander si le rapporteur public ne serait finalement pas soumis à des exigences supplémentaires permettant de garantir une forme de contradictoire.

L’obligation de communiquer aux parties le dispositif envisagé par le rapporteur public[modifier | modifier le wikicode]

Cette obligation issue du décret du 7 janvier 2009 est codifiée à l’article R. 711-3 du CJA. Sa nature fait l’objet du troisième, sixièmes, septièmes et huitièmes considérants de l’arrêt. Le troisième considérant reproduit in extenso la disposition précitée : « si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ». La première partie du sixième considérant rappelle l’arrêt Sogedame du 18 décembre 2009 qui avait interprété la finalité de l’article R. 711-3 prévoyant la communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public. Cette communication a pour objet « de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique », de présenter éventuellement des observations orales et d’envisager la production d’une note en délibéré. De cette finalité, l’arrêt en tire comme conséquence l’obligation pour le rapporteur public de communiquer « dans un délai raisonnable avant l’audience », le dispositif qu’il compte proposer à la formation de jugement. Cette obligation est assortie d’une peine lourde de conséquences : l’ « irrégularité de la décision ». En pratique, cela veut dire que le rapporteur public devra communiquer ses conclusions sur Sagace, le téléservice du suivi du contentieux, avant l’audience pour que l’obligation de communication soit respectée. Cette communication doit avoir lieu dans un délai qui permet aux parties d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, et le cas échéant, d’y présenter « des observations orales ». La notion de « délai raisonnable » est une innovation de cet arrêt puisqu’elle n’est pas une obligation textuelle issue de l’article R. 711-3. Aucune précision n’est faite quant à ce qui est considéré comme un délai raisonnable, c’est une notion parfaitement indéterminée. La jurisprudence récente semble considérer qu’elles doivent être publiées environ 24h avant l’audience. L’obligation de communication du dispositif envisagé par le rapporteur public exclut en revanche « la réponse aux conclusions » puisqu’il revêtirait « un caractère accessoire ». L’exclusion de celles-ci comme celle relative à l’application de l’article L. 761-1 du CJA relatif aux demandes de frais irrépétibles est justifiée par le rapporteur public, Monsieur de Lesquen, dans ses conclusions. En empruntant un raisonnement téléologique, il explique que l’exigence de l’article R. 711-3 du CJA doit être interprétée au regard de sa finalité qui a été dégagée par la jurisprudence du Conseil d’État : l’appréciation de l’opportunité d’assister à l’audience publique. Ainsi, si certaines conclusions du rapporteur public ne sont pas de nature à changer l’appréciation des parties de l’opportunité d’assister à l’audience, elles ne sont pas soumises à l’obligation prévue par l’article R. 711-3 du CJA.

Le huitième considérant de l’arrêt rappelle que le rapporteur public qui aurait changé le sens de ses conclusions après les avoir communiquées doit faire connaitre ce changement à peine d’irrégularité de la décision. C’est la solution retenue par l’arrêt Société Mullerhof rendue par le Conseil d’État le 5 mai 2006. L’arrêt précise dans ce considérant que si la communication a porté sur le contenu des conclusions, ils sont soumis à la même exigence de rectification. Toutefois, si cette irrégularité n’est pas observée lors de l’audience par une observation orale, ou pendant le délibéré par une note, elle ne pourra être retenue par la suite . L’opportunité d’un tel régime est à apprécier au regard de la sécurité juridique. Une irrégularité pour une telle cause systématiquement retenue serait la source de nombre de contentieux. Mais ce qui est souhaitable ne devrait pas se borner à ce qui est pratique. À cet égard, il n’est pas impossible que la CEDH conclue que, pour certains litiges, une balance des intérêts en présence n’a pas été retenue, et qu’un équilibre entre sécurité juridique et le droit à un procès équitable n’a pas été trouvé.

La charge de communiquer aux parties le détail de l’argumentaire des conclusions du rapporteur public[modifier | modifier le wikicode]

Cette charge, bien qu’elle semble avoir été consacrée (1), a une portée discutable et discutée (2).

L’extension apparente de l’obligation de communiquer le sens des conclusions du rapporteur public[modifier | modifier le wikicode]

Le septième considérant de l’arrêt prend une position inédite sur la question de l’étendue de l’obligation de la communication aux parties du « sens des conclusions » du rapporteur public. La grande plasticité de la formule issue de l’article R. 711-3 et R. 712-1 du CJA, laissait à la formation de section une très large latitude d’interprétation pour préciser son sens. Dans la première partie du septième considérant de l’arrêt, le Conseil d’État rappelle que la portée de l’obligation de communication est à apprécier au regard de l’objectif de l’article R. 711-3. Ainsi, « il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir ». Toutefois, la deuxième partie du considérant précise que « la communication de ces informations n’est pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision ». Faut-il déduire de l’absence de peine d’irrégularité de la décision l’absence de l’obligation de communication de l’argumentaire contenue dans les conclusions du rapporteur public ? À ce sujet, la doctrine est divisée. Toutefois, ne pas annuler une décision pour le non-respect d’une obligation procédurale ne signifie pas nécessairement qu’une obligation n’existe pas. Mais surtout lorsque l’on rattache la naissance de cette obligation à la jurisprudence européenne (I. B), aucun doute sérieux n’est permis quant à sa finalité qui est le respect du contradictoire qu’implique un procès équitable. La communication préalable du rapporteur public doit donc permettre effectivement aux parties de répondre à la position qu’il va exposer devant les juges. Il est possible d’en conclure qu’une telle exigence est impérative et souhaitable au vu de la jurisprudence européenne. En outre, une interprétation stricte de l’arrêt retiendra qu’en droit l’indicatif vaut impératif. La formulation « il appartien(dra) » met alors en évidence le caractère obligatoire de transmission de l’argumentaire du rapporteur public aux parties. Il peut toutefois être regretté que l’arrêt n’utilise pas un verbe tel qu’ « incombe » qui ne suggère pas une liberté d’appréciation du rapporteur public. L’usage du verbe « appartient » est d’autant plus à regretter qu’un principe semblait pour le moment bien établi : la circulaire du 7 janvier 2009 du vice-président du Conseil d’État faisait valoir que la notion de sens des conclusions devait être comprise comme visant non seulement « le dispositif de la solution que le rapporteur public proposera à la formation de jugement d’adopter, mais encore l’indication du ou des moyens qui lui paraissent, à titre principal, devoir fonder cette solution ». Sagace avait alors fait l’objet d’une mise à jour permettant aux rapporteurs publics des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel de saisir dans un champ libre le moyen fondant la solution en faveur de laquelle il allait conclure. Ces éléments avaient conduit une cour d’appel à sanctionner d’irrégularité la décision prise suite à des conclusions du rapporteur public ne respectant pas l’exigence de l’article R. 711-3 tel qu’interprété par la circulaire du 7 janvier 2009. Pour le moins, l’arrêt clarifie la sanction à ne pas adopter en cas d’inobservation de cette exigence.

La portée incertaine de l’extension de la communication du sens des conclusions du rapporteur public[modifier | modifier le wikicode]

Mais cette exigence consacrée à demi-mot dans le septième considérant semble bien réelle au regard de la jurisprudence récente. À titre d’exemple, se borner à indiquer « satisfaction totale ou partielle » ne répond pas à l’exigence de communication du sens des conclusions . La décision Commune de Scionzier de 2014 semble aller dans le sens de l’impérativité de la formule utilisé dans le cinquième considérant de l’arrêt : le Conseil d’État a dans cet arrêt confirmé qu’un rapporteur public ne pouvait se contenter de conclure à l’annulation partielle d’une décision, sans définir précisément le périmètre de l’annulation proposée. Toutefois, dans cette décision l’irrégularité de l’acte est retenue, elle ne peut donc être rattachée au régime prévu par le cinquième considérant de l’arrêt. Force est de constater que l’étendue de cette obligation et son régime exact restent confus. En l’état actuel du droit, la solution retenue par l’arrêt ne peut qu’engendrer d’importantes disparités dans le fonctionnement de la justice administrative. Peu importe l’estime particulière qu’il est fait des rapporteurs publics et de leurs compréhensions du rôle crucial que leurs fonctions jouent dans la perception de la justice administrative par les justiciables, « il serait évidemment illusoire de penser que tous auront à cœur de faire systématiquement application de la conception la plus exigeante de l'obligation de communication qui leur incombe et résisteront à la facilité de se borner à indiquer le dispositif de leurs conclusions, alors qu'ils peuvent y céder sans que cela porte à conséquence » . En pratique, il y aura des rapporteurs publics qui retiendront l’impérativité de communiquer aux parties les moyens qui expliquent le dispositif qu’il propose à la formation du jugement, et d’autres qui se tiendront « au service minimum »8 qu’il leur est suggéré. Cette inégalité de traitement des justiciables justifie, à bon droit, un sentiment d’arbitraire, lequel n’est pas sans ternir l’image de la juridiction administrative. Pour mieux le comprendre, il faut interpréter le septième considérant de cet arrêt d’un point de vue génétique. Les membres du Conseil d’État pour des raisons institutionnelles et sociologiques sont des « fonctionnaires d’autorité et non des magistrats » . Le Conseil d’État est davantage intéressé aux questions de principe qu’aux litiges concrets. Il sacrifie des « trésors d’énergie »9 et de compétences au dogme de « l’infaillibilité jurisprudentielle » 9 pour maintenir ici l’absence de soumission du rapporteur public au principe du contradictoire. Cela, alors que « la foule des justiciables attend des solutions »9 concrètes. Ce faisant, le Conseil d’État court le risque de « rendre une justice sans prise sur la vie » 9. Comme l’affirme Alain Marion, « à la manière de la morale de Kant qui, selon Sartre, a les mains propres mais n'a pas de mains, la justice administrative façonne des produits parfaits dont personne ne peut se servir ». Le septième considérant de cet arrêt est indéniablement un de ses produits au raisonnement parfait mais à la praticité nulle. Pour comprendre cette position jurisprudentielle, il est aussi possible de s’intéresser aux conséquences systémiques qu’aurait une consécration de cette exigence. Cela revient à discuter de son opportunité pratique et théorique. Les conclusions du rapporteur doivent permettre de « connaître la lecture qu'en fait la juridiction» et de « saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration ». Mais l’effectivité de ces nouvelles fonctions ne peut trouver sa source que dans une soumission plus complète des conclusions à l’exigence du contradictoire. Cela permettrait aux parties de saisir les enjeux du dossier mais surtout de répondre aux conclusions du rapporteur avec davantage de précision. Toutefois, une partie de la doctrine estime que ce changement ne serait ni souhaité, ni souhaitable, car il aurait des conséquences importantes sur le travail du rapporteur public. Le professeur René Chapus soulignait qu’une telle modification « provoquerait, entre parties et commissaire du gouvernement, un nouveau débat contradictoire qui, tout inutile qu'il serait (l'instruction ayant déjà été faite), provoquerait un alourdissement insupportable des procédures » . Cette partie de la doctrine considère que « sauf à introduire des lourdeurs incompatibles avec le fonctionnement des juridictions » une communication plus importante aux parties des conclusions du rapporteur public puisse « infliger un surcroît important de travail aux rapporteurs publics qui, compte tenu de leurs conditions de travail, ne forgent leur opinion que peu de temps avant l'audience » . Une autre partie de la doctrine regrette que l’absence de précisions des conclusions du rapporteur public ne soit pas assortie d’une sanction. Les raisons de cette absence de sanction se trouvent dans les conclusions de Mme Wunderlich sur l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 14 décembre 2012. Elles tiennent à des raisons pratiques. Il ne faudrait pas imposer au rapporteur public « un degré de précision » qui serait « excessif et peu opérationnel » puisqu’il est souvent amené à changer ses conclusions. Une sanction d’irrégularité, qui pourrait être le résultat que « d’une erreur de saisie informatique »8, fragiliserait de trop les décisions juridictionnelles en liant leur sort à la manière dont le rapporteur public a rempli son devoir de communication. Cette position revient à faire prédominer les convenances du juge sur un droit pourtant reconnu au justiciable. Il est en plus regrettable de constater que c’est le juge lui-même, à qui « il appartient d’assurer le respect de ce droit, qui s’octroie le bénéfice de cette priorité »8. Cette dernière remarque appelle à interpréter le septième considérant de l’arrêt comme un reflet de la manière dont les règles en droit administratif sont élaborées. Comme le souligne Jacques Chevalier, le poids durablement conquis de la jurisprudence qui lui a donné un « prestige sans égal » , a laissé des « traces profondes » 13. Il a favorisé « la confusion des rôles en donnant aux juges un rôle essentiel dans l'exercice de la fonction doctrinale »13. Ce faisant, rares sont les notes de la doctrine critiquant férocement l’absence de sanction donnée au défaut de communication élargie du sens des conclusions du rapporteur public aux parties. La doctrine se mettant « à l’école du juge » en adoptant une attitude « référentielle et révérencielle » traduit aujourd’hui encore une certaine réalité du juge administratif : il a une aura conférée par la fonction administrative qui lui permet de jouir de privilèges. Il est alors plus aisé de comprendre le septième considérant qui peut aussi être appréhendé comme une faculté discrétionnaire du rapporteur public. Au plus, « un encouragement à la bonne pratique, laissée à l'appréciation de chaque rapporteur public, en fonction du dossier et de la solution qu'il propose, qui consiste à en dire aux parties autant qu'il est utile » . Similairement, pourtant anodine, la faculté pour le rapporteur public de ne pas écrire ces conclusions est une autre forme de pouvoir discrétionnaire, le distinguant des parties qui elles doivent rendre un mémoire écrit. Cela est une forme de privilège que la formulation particulièrement déférente du cinquième considérant ne tend qu’à souligner . C’est donc avec une certaine amertume que l’on constate que l’impulsion donnée par cet arrêt visant à une procédure administrative davantage loyale se heurte à une jurisprudence inconstante et réticente. Un équilibre plus certain reste encore à trouver entre l’impératif de sécurité juridique et la garantie des droits à un procès équitable. Cet arrêt, bien qu’extrêmement prudent, n’en constitue pas moins une première ébauche.


[1] Le rapporteur public sauvé des eaux européenne – Nicolas Hervieux – CREDOF, 13 juin 2013

[2] La justice administrative : évolution et codification – René Chapus – RFDA 2000. p. 929

[3] La nouvelle menace européenne contre le rapporteur public fait long feu – Sébastien Platon – AJDA 2013. p.1580

[4] P. Idoux, «Vers un redéploiement de la contradiction en droit administratif français» : AJDA 2009, p. 637-644.

[5] Y. Livanais, «Le nouveau rapporteur public dans le nouveau procès administratif : le paradoxe de la partie et de l'acteur», in J. Fialaire et J. Kimboo (ss dir.), Le nouveau droit du procès administratif. Les évolutions choisies, les évolutions subies, L'Harmattan, 2013, p. 55.

[6] CE, 13 novembre 2013, Ministre de l’économie et des finances

[7] Conseil d'État, 6ème / 1ère SSR, 01/10/2015, 366538, Publié au recueil Lebon

[8] CAA Nantes, 14 décembre 2012, Association EPAL

[9] CE, 5 octobre 2016, Société Carilis et CE, 28 mars 2019

[10] CE, Sect. 5 décembre 2014, Commune de Scionzier

[11] L'information des parties sur le sens des conclusions du rapporteur public – Fabrice Melleray – Bernard Noyer – AJDA 2013. 1839

[12] Alain marion du mauvais fonctionnement de la juridiction administrative et de quelques moyens d’y remédier pouvoirs n°46 Droit administratif. Bilan critique - septembre 1988 - p.21-34

[13] R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 904.

[14] J.-C. Bonichot, commentaire sous CE, 29 juill. 1998, Esclatine, GACA, 2011, 3e éd., no 61, p. 1115.

[15] C. Maugüé, «Rapporteur public», op. cit., p. 19, no 66.

[16] Chevallier (J.), "Changement politique et droit administratif", in Les usages sociaux du droit, PUF, 1989, p.s 309 - 310; également Bienvenu (J.-J.), "Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif', Droits, nO l, p. 154; Rivero (J.), "Jurisprudence et doctrine daus l'élaboration du droit administratif", EDCE, 1955

[17] Rivero (J.), "Jurisprudence et doctrine dans l'élaboration du Droit administratif", EDCE, 1955, p. 23. 41. Rivero (J.), "Apologie pour les faiseurs de systèmes", D. 1951, ch. XXIII p. 93 et s.

[18] Professeur Fabrice Melleray

[19] « les conclusions du rapporteur public -qui peuvent d'ailleurs ne pas être écrites-»