Prendre conscience de la question du handicap en entreprise- Les stéréotypes, partie 2

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Les stéréotypes, partie 2[modifier | modifier le wikicode]

Durée de la vidéo : 12 minutes[modifier | modifier le wikicode]

Prise de conscience handicap 3

Transcription textuelle de cette vidéo[modifier | modifier le wikicode]

Le texte ci-dessous est la transcription textuelle de l’information contenue dans cette vidéo.

Les prophéties auto-réalisatrices[modifier | modifier le wikicode]

On vient de voir comment les stéréotypes biaisent la perception de la réalité, comment finalement, ce que je comprends, ce que je vois ou ce que je mémorise est différent de la réalité. On va aller au-delà. Je vais vous expliquer comment les stéréotypes peuvent avoir un pouvoir encore plus fort, non pas le pouvoir de biaiser la réalité, mais de la fabriquer.


Il existe un concept en psychologie sociale qui s’appelle les prophéties auto réalisatrices. Vous vous retrouvez dans les transports en commun très tard, pas tellement en sécurité car vous êtes tout seul. Et puis à la station d’après monte ce que vous identifiez comme étant un skinhead. Un individu assez grand, costaud, crâne rasé, le bombers, la grosse ceinture en cuir, les rangers… Il a tous les codes du stéréotype qui décrit les skinheads que l’on perçoit comme des gens violents.


Première réaction automatique, votre corps se met en posture défensive : on se replie, on ferme le manteau, on tire ses manches pour tout cacher et puis on se met face à la vitre. Puis ce skinhead, qui n’est peut-être pas skinhead vient vous demander l’heure poliment. Vous lui répondez à peine, vous ne le regardez pas : « Non, non, je n’ai pas l’heure ». La personne insiste « Monsieur ne me dites pas que vous n’avez ni téléphone ni montre ?

  • Excusez-moi je n’ai pas l’heure, j’ai le droit. Laissez-moi tranquille !
  • Mais monsieur, je vous ai bien parlé pourquoi vous me parlez comme ça ?


Petit à petit le ton va monter et à l’arrivée, il est probable que vous vous preniez une grande claque. Quand vous rentrez chez vous, comment vous racontez l’histoire ? Vous dîtes : « Tu ne croiras jamais ce qui m’est arrivé. J’étais dans les transports en commun, tranquille. Je ne demandais rien à personne et sous prétexte que je n’ai pas donné l’heure à une personne, il m’a mis une claque. Il m’a agressé, simplement parce que j’ai refusé de lui donner l’heure. Vraiment les skinheads, comme ils sont violents ! » Vous voyez que l’histoire ne dit pas si cet individu est peut-être skinhead ou pas. Il a des codes vestimentaires qui le laissent penser, peut-être qu’il est gentil comme tout, peut-être qu’il n’avait pas de montre et qu’il voulait juste savoir l’heure. Mais j’étais tellement persuadé qu’il était agressif que j’ai réuni inconsciemment toutes les conditions pour le rendre agressif.


Et à l’arrivée comme il a vraiment été agressif, il a fini par confirmer le stéréotype que j’avais à son égard. Vous voyez le problème. On est plus dans un stéréotype qui nous tombe dessus, on est dans un stéréotype que j’utilise inconsciemment pour fabriquer une réalité de telle sorte qu’elle me fasse du bien, puisqu’elle confirme ce que je pensais au préalable. On est dans la tautologie absolue, on est dans un biais qui confirme une réalité que j’ai moi-même créée. Tout cela de manière inconsciente. Vous imaginez comme c’est compliqué de lutter contre ce type de stéréotypes.


Illustration : l’intelligence dans le cadre scolaire[modifier | modifier le wikicode]

On l’a démontré pour la première fois, il y a très longtemps, dans une expérience qui est restée célèbre mais plus que discutable d’un point de vue éthique. Il s’agit de persuader un instituteur de la classe primaire que dans sa classe, il y a des enfants précoces intellectuellement, alors que ça n’est pas le cas. Ce sont juste des enfants qui ont été tirés au sort, et à propos desquels on a fait croire à l’instituteur qu’ils avaient un score à un test factice de dépistage de la précocité mentale.


On informe l’instituteur que ces enfants sont prétendument intelligents. On laisse l’année de CP se dérouler. On les laisse passer en CE1 en maintenant le leurre pour l’instituteur, pour les enfants ainsi que pour les parents. Puis à la fin du CE1, on remesure à nouveau l’intelligence, et ô miracle, on constate que les enfants qui ont été tirés au sort, donc qui n’ont pas réellement une intelligence supérieure, ont fini par devenir beaucoup plus intelligents que tous les autres enfants. 4 mesures d’intelligences ont été prises : un test de mesure du QI au début de CP, le Test factice de dépistage de l’intelligence 4 mois plus tard, un autre test de mesure du QI en fin de CP et un dernier test de mesure du QI en fin de CE1. À partir du moment où des élèves ont été annoncés comme précoces, ces derniers ont progressé bien plus que les autres. Le simple fait pour l’instituteur d’être persuadé qu’il a dans sa classe des enfants intelligents, va finir par générer chez lui des comportements de renforcement affectifs, des encouragements et va finir par créer un effet que l’on appelle un effet pygmalion. On a un stéréotype sur l’intelligence qui devient vrai. On a une prophétie qui s’est auto réalisée. Essayons de transférer ce phénomène dans les entreprises. Quel impact ça peut avoir, d’avoir un stéréotype négatif du point de vue de l’employabilité envers des personnes en situation de handicap ? Est-ce qu'inconsciemment, on n’a pas une attitude qui les met, qui les enferme dans une situation où quoiqu’ils fassent, ils n’arriveront pas à être performants. Et puisqu’ils n’arrivent pas à être performants, en toute bonne foi, on se dit qu’on avait bien raison de penser qu’ils ne peuvent pas être performants. En réalité, c’est plus complexe que cela. Si on est soi-même acteur de ce phénomène, ça veut dire qu’on a construit, partiellement ou non, ces stéréotypes. Le problème c’est que les faits finissent par les renforcer.


Comment ça fonctionne ?[modifier | modifier le wikicode]

Alors les prophéties auto réalisatrices fonctionnent dans toutes les étapes ou toutes les situations d’évaluation professionnelle. Qu’elles soient très sérieuses, très professionnelles comme l’entretien de recrutement ou l’entretien d’évaluation. Mais c’est aussi vrai dans les rencontres à la machine à café, dans le sourire qu’on a avec certaines personnes plutôt que d’autres, dans le pas de recul qu’on marque face à quelqu’un qui génère, chez nous, une petite anxiété, du fait de son comportement, de sa façon de parler. Par rapport à tout ce qui va sortir de la « normalité ». On voit bien que ça fonctionne aussi dans le positif. Dans la slide que vous avez là, on comprend comment ça fonctionne. Je suis un évaluateur, je reçois un collaborateur pour son entretien annuel, je sais déjà et je suis persuadé que l’année a été formidable pour lui, donc je vais accentuer mes questions dans le positif, je vais le renforcer positivement, dès qu’il va dire quelque chose d’intelligent, je vais faire un signe montrant que je suis sensible à son intelligence. De fait, il est en confiance, s’il est en confiance, il est bon et s’il est bon, il me donne raison. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. J’ai confirmé, il a confirmé ce que j’ai fabriqué à son insu et inconsciemment ce que j’ai projeté sur lui.


En négatif, on voit les dérives. Je suis persuadé qu’il ne pourra pas réussir à s’intégrer dans cette équipe. Ô miracle, 6 mois après il s’en va. Je l’avais bien dit, mais est-ce que ce n’est pas moi qui ai créé les conditions pour qu’il ne reste pas. Tout cela est inconscient, ça veut dire qu’on n’est pas dans une logique de discriminer volontairement une personne. Ça arrive mais c’est un cas minoritaire qui ne nous intéresse pas ici. Ce qui nous intéresse ce sont les personnes qui pensent bien faire, qui agissent avec bienveillance et qui malgré elles, finissent par avoir des comportements qui sont discriminatoires.


La menace du stéréotype[modifier | modifier le wikicode]

Vous avez une autre illustration de ce phénomène. De la façon dont les stéréotypes peuvent avoir un impact négatif et peuvent construire cette réalité et qui est encore plus indirecte car il n’y a même plus besoin d’intervention. L’idée de départ repose sur la question des auto stéréotypes, de l’image que j’ai de moi-même. Quand j’appartiens à un groupe qui est victime de stéréotype, qui est victime de discrimination, je connais la nature des stéréotypes, je n’ai aucun problème avec ça. Si vous demandez à des maghrébins en France quels stéréotypes on a d’eux en France, je peux vous garantir, et les études le montrent, qu’ils sont capables de nous dire exactement le contenu de l’image qu’on a envers eux. Donc on est lucide quand on est dans un groupe qui est stigmatisé ou victime de discrimination. Idem pour les personnes en situation de handicap. Quand vous les interrogez, ils sont parfaitement lucides sur ce que l’on dit d’eux. Ils entendent, ils voient, ils constatent, donc ils le savent. On a un effet qui peut se produire, c’est ce que l’on appelle un effet de stigmatisation sociale. Si je sais ce que l’on pense de moi, on pourrait se dire que ce que l’on fera, c’est qu’on va essayer de le contredire, on va essayer de donner tort aux personnes qui pensent ça de moi. C’est plus compliqué que ça, car c’est précisément la volonté de contredire un stéréotype qui consomme de mon énergie mentale, qui me met une forme de pression évaluative, et cette pression se traduit par du stress, qui se traduit par une sorte de déconcentration et finalement par une baisse de la performance. On voit comment le simple fait d’étiqueté une personne sur son groupe, c’est-à-dire de renforcer son identité stigmatisante, peut déclencher un comportement d’échec. Là on est dans une forme de stéréotype qui est très implicite, très inconsciente, et quasiment impossible à détecter, sauf quand on fait des expériences.


Illustration : expérience dans une université Américaine[modifier | modifier le wikicode]

Sur la slide qui vous est proposée, vous avez une expérience de ce type. Stéréotype aux États-Unis selon lequel les afro-américains ont une intelligence analytique inférieure aux blancs. On va dans une université, et on prend un échantillon d’étudiants qui sont très homogènes : même université, même cursus, même année d’études, des blancs et des noirs. On sait très bien qu’il existe un stéréotype de ce type là sur les afro-américains. Alors on va diviser la population en deux groupes : d’un côté des blancs et des noirs à qui on dit qu’ils vont être soumis à un simple exercice de laboratoire et de l’autre côté, le même nombre de blancs et d’afro-américains à qui on va dire qu’ils vont être soumis à un test d’intelligence. Quand vous dites à un afro-américain que vous allez mesurer son intelligence, c’est comme si vous lui mettiez une enclume sur les épaules et que vous lui demandiez de courir. C’est comme si vous lui disiez, on va t’évaluer sur la dimension sur laquelle, tu sais qu’on pense que tu es nul. On le met donc potentiellement en situation d’échec.


Et il se passe le phénomène que vous voyez apparaître ici : quand on expliquait qu’il s’agissait d’un exercice, les afro-américains ont des scores comparables aux blancs, et quand vous expliquez qu’il s’agit d’un test d’intelligence, les noirs ont un score significativement inférieur aux blancs. Ils n’ont pas changé, ce sont les mêmes. On a juste mis le doigt sur le stigmate, là où ça fait mal. C’est à dire qu’on a renforcé leur identité selon laquelle ils sont moins qualifiés intellectuellement. Ces expériences sont assez récentes sur l’échelle de la recherche en psychologie sociale. Les plus anciennes ont à peine 20 ans. Et depuis on a reproduit ce phénomène sur l’origine sociale, sur le sexe homme/femme, sur l’âge. À chaque fois, on démontre que lorsque vous prenez un groupe qui est victime de stigmate, et que vous mettez l’accent sur ce stigmate, vous mettez le groupe en échec.


Ça veut dire quoi en réalité ? Je suis dans une organisation, je suis en situation de handicap. Si le handicap n’est pas stigmatisé, si j’ai le sentiment que je peux vivre normalement, si j’ai le sentiment que tous les jours on ne me rappelle pas que je suis en situation de handicap, je peux espérer avoir des comportements normaux et une compétence et des performances attendues.


En revanche, si je suis dans un environnement où de toutes sortes de façons, par les petites blagues, par les dispositifs, par des petites contraintes, parfois par des petits sourires compassionnels dans l’ascenseur, on me rappelle que je suis une personne en situation de handicap, le danger c’est que je prenne l’enclume, que je me la mette sur la tête et je ne pourrais plus avancer. On est dans un effet quasiment automatique qui est assez difficile à déconstruire mais qui montre à quel point ces stéréotypes peuvent être internalisés, utilisés par les personnes inconsciemment sur elles-mêmes.


En conclusion, pour travailler efficacement sur les stéréotypes, il faut travailler aux trois étages de la fusée. Les hétéros stéréotypes, ce que l’on pense des autres ; les auto stéréotypes, ce que l’on pense de soi ; et les métas stéréotypes. Et mettre toutes ces personnes autour de la même table, et leur expliquer qu’ils sont tous en train de chanter la même chanson, la chanson des stéréotypes qui sont construits par la culture, et s’ils sont construits par la culture, par tout le monde, ils doivent être déconstruits par la culture et par tout le monde.