Littérature de jeunesse en anglais : Eleanor Fortescue-Brickdale, Le conte de Fleur et Blanchefleur/L'Amiral de Babylone et ses épouses

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Chapitre 5 : L'Amiral de Babylone et ses épouses
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Après avoir fait ses adieux à son ami le passeur, Fleur avança avec une telle diligence qu'à la tombée du jour, il atteignit le pont à l'entrée de Babylone. Il présenta la bague du passeur au gardien du péage qui l'accueillit avec courtoisie et l'invita à dormir chez lui dans la cité.
Le lendemain, Fleur fit le tour de la cité et réalisa la toute-puissance de l'Amiral ainsi que la force des défenses de la ville. Son cœur flancha. « Hélas, se dit-il, je suis dans la même ville que Blanchefleur mais en quoi cela me rapproche-t-il d'elle ? J'ai eu tort de quitter la maison de mon père, j'aurais sûrement trouvé un nouvel amour et il est peut-être encore temps de retourner chez nous car si l'Amiral entend parler de moi, je suis un homme mort car il ne libérera jamais ma Blanchefleur pour tout l'or du monde. Que suis-je venu chercher dans ce pays sans ami à qui me confier et sans espoir d'aide ? »
En le voyant ainsi, méditant avec mélancolie, son hôte vint le trouver et l'accosta en ces termes : « Mon ami ! Pourquoi cet air malheureux ? Avez-vous un souci avec le logement ou la nourriture, dites-moi ce qui vous chagrine, j'arrangerai tout. »
Fleur lui répondit : « Je n'ai rien à redire à l'accueil que vous m'avez réservé dans votre maison ; je n'ai jamais été aussi bien reçu ; mais j'ai peur de ne pas réussir à atteindre le but de mon voyage ; cela me désespère. »
« Allons dîner et puis nous en reparlerons, » lui dit son hôte.

Ils rentrèrent donc de concert et se mirent à table ; mais Fleur, en voyant que son serviteur l'avait servi dans la coupe du prix de Blanchefleur, en eut le cœur bouleversé et fondit en larmes. Son hôtesse, Lycoris, touchée par son désespoir, dit à son mari Daries, « Vite, débarrassons la table car ce jeune homme a besoin d'un réconfort autre que de la nourriture. »
Quand la table fut débarrassée, Daries encouragea son invité à lui conter sa peine pour l'aider ou lui donner conseil. Mais Lycoris intervint une fois de plus en lui disant : « Autant que j'en puisse juger, je crois que ce jeune homme porte le deuil de la jeune Blanchefleur qui est maintenant enfermée dans la tour de l'Amiral et qui a passé avec nous deux semaines à pleurer sur son triste destin parce qu'elle avait été vendue et séparée de son bien-aimé ; rappelez-vous ses larmes et ses soupirs. Souvenez-vous, cette jeune Blanchefleur a été achetée dix fois son poids d'or par l'Amiral. À mon avis, ce jeune homme doit être son frère ou son amoureux. »
« Je ne suis pas son frère mais son amoureux ! » s'écria Fleur tout étonné par ce discours. Puis, réalisant à quel point cette phrase inconsidérée risquait de lui coûter la vie, il corrigea de suite : « Non, non, je ne voulais pas dire cela, je suis son frère, pas son amant. Nous avons les mêmes parents. »
«  Vous venez de vous contredire en quelques mots, répliqua son hôte. Vous feriez mieux de me dire la vérité car je vous préviens que c'est pure folie de venir chercher Blanchefleur. Si jamais l'Amiral a vent de votre présence, vous êtes un homme mort. »
« La vérité, c'est que je suis le fils du roi d'Espagne et je suis venu chercher ma Blanchefleur qui m'a été volée. Sans elle, la vie m'est intolérable, aidez-moi et je vous couvrirai d'or. Car avant qu'une nouvelle lune n'apparaisse, je dois la trouver ou mourir. »

Daries lui répondit : « Perdre la vie pour les beaux yeux d'une demoiselle sans recourir à mon aide, je ne saurais l'accepter ; si tout le monde vous venait en aide, si Blanchefleur pouvait échapper à l'Amiral, Seigneur de cent rois, dont la cité de Babylone couvre un espace de 20 milles carrés et possède des murs de défense de soixante-dix pieds de hauteur, construits dans une pierre si résistante qu'aucune machine de guerre ennemie n'en peut percer l'obstacle, murs à l'intérieur desquels trente-trois portes en solide métal ont été enchâssées avec art, et surmontés de sept cents tours d'une hauteur jamais vue par un œil humain, ces tours sont gardées par sept cents seigneurs, chacun d'eux aussi puissant qu'un roi, et, comme si tout cela ne suffisait pas à prouver la folie de votre quête, sachez que dans le cœur de la cité se dresse un puissant château. Ce château possède quatre étages, et c’est au quatrième que Blanchefleur demeure avec quatre autres nobles demoiselles dans une belle chambre dont la charpente des fenêtres est en bois de myrte au doux parfum et dont les portes sont en bois d'ébène résistant au feu, recouvert d'or battu sur lesquelles sont gravées d'étranges arabesques de mots, de volutes et de fleurs, et comme seules y demeurent des jeunes filles, cette tour porte le nom de Tour des Vierges. Au milieu se trouve une colonne de cristal dont jaillit une source dont les eaux sont conduites dans chaque pièce par des arcades puis retournent à la colonne. Depuis chaque chambre des demoiselles, un escalier en colimaçon mène à celle de l'Amiral et, de là, pendant quatorze jours en suivant, deux jeunes filles doivent être au service de leur Seigneur, le matin et le soir, l'une lui apporte une fine serviette en lin et l'autre de l'eau dans un bol en or. Le gardien de cette tour est le plus sauvage et cruel des gardiens et tue immédiatement tout homme qui approche sans raison. De plus, la tour est gardée jour et nuit par seize sauvages soldats qui ne ferment jamais l’œil pendant leur sommeil ; et il existe encore une autre caractéristique dont vous entendrez sûrement parler.

Chaque printemps, l'Amiral change de femme ; et quand l'année se termine, il convoque tous les seigneurs, les rois et les princes de son royaume et en leur présence répudie sa femme et exige que l'un d'eux la décapite pour empêcher tout homme de la posséder après lui ; et c'est ainsi qu'elle paie d'une mort amère l'honneur passager de ces épousailles princières ; après la mort de sa femme, l'Amiral, pour la remplacer, convoque les demoiselles de la tour dans un jardin où elles pénètrent en tremblant, aucune ne convoitant le fatal honneur d'être choisie comme nouvelle épouse. Ce jardin est clos par des murs d'or et de lapis-lazuli ; il s'y trouve de beaux arbres de toutes sortes et l'on peut donc y trouver des fruits en toutes saisons. S'y trouvent aussi de précieuses épices, gingembre, cannelle, mélisse, clou de girofle, noix de muscade et macis. Tout ceci en fait un vrai paradis terrestre auquel se joignent les parfums de fleurs et les chants des oiseaux. Au milieu de ce paradis jaillit une source d'eau claire surmontée d'un arbre toujours vert qui offre en permanence de frais bourgeons et les fruits les plus variés.