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Le roman et la nouvelle au XIXe siècle : le réalisme et le naturalisme/Maupassant, Pierre et Jean, Chap. IV

Leçons de niveau 11
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Maupassant, Pierre et Jean, Chap. IV
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Chapitre no 5
Leçon : Le roman et la nouvelle au XIXe siècle : le réalisme et le naturalisme
Chap. préc. :Maupassant, Pierre et Jean, Chap. II
Chap. suiv. :Bilan de Pierre et Jean
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Nous sommes au chapitre IV du roman. Pierre se réveille d'excellente humeur et chasse ses soupçons de la veille : il lui paraît désormais impensable de mettre en doute la fidélité de sa mère. Après le déjeuner, il décide de partir faire une promenade en mer avec le matelot Papagris (dit Jean-Bart) chargé de l'entretien de la « Perle ». Le temps est radieux.

« Quand ils débouchèrent en pleine mer, en atteignant la pointe de la jetée nord qui les abritait, la brise, plus fraîche, glissa sur le visage et sur les mains du docteur comme une caresse un peu froide, entra dans sa poitrine qui s’ouvrit, en un long soupir, pour la boire, et, enflant la voile brune qui s’arrondit, fit s’incliner la Perle et la rendit plus alerte.

Jean-Bart tout à coup hissa le foc, dont le triangle, plein de vent, semblait une aile, puis gagnant l’arrière en deux enjambées il dénoua le tapecul amarré contre son mât.

Alors, sur le flanc de la barque couchée brusquement, et courant maintenant de toute sa vitesse, ce fut un bruit doux et vif d’eau qui bouillonne et qui fuit.

L’avant ouvrait la mer, comme le soc d’une charrue folle, et l’onde soulevée, souple et blanche d’écume, s’arrondissait et retombait, comme retombe, brune et lourde, la terre labourée des champs.

À chaque vague rencontrée, — elles étaient courtes et rapprochées, — une secousse secouait la Perle du bout du foc au gouvernail qui frémissait dans la main de Pierre ; et quand le vent, pendant quelques secondes, soufflait plus fort, les flots effleuraient le bordage comme s’ils allaient envahir la barque. Un vapeur charbonnier de Liverpool était à l’ancre attendant la marée ; ils allèrent tourner par derrière, puis ils visitèrent, l’un après l’autre, les navires en rade, puis ils s’éloignèrent un peu plus pour voir se dérouler la côte.

Pendant trois heures, Pierre tranquille, calme et content, vagabonda sur l’eau frémissante, gouvernant, comme une bête ailée, rapide et docile, cette chose de bois et de toile qui allait et venait à son caprice, sous une pression de ses doigts.

Il rêvassait, comme on rêvasse sur le dos d’un cheval ou sur le pont d’un bateau, pensant à son avenir, qui serait beau, et à la douceur de vivre avec intelligence. Dès le lendemain il demanderait à son frère de lui prêter, pour trois mois, quinze cents francs afin de s’installer tout de suite dans le joli appartement du boulevard François Ier.

Le matelot dit tout à coup :

— V’la d’la brume, m’sieu Pierre, faut rentrer.

Il leva les yeux et aperçut vers le nord une ombre grise, profonde et légère, noyant le ciel et couvrant la mer, accourant vers eux, comme un nuage tombé d’en haut.

Il vira de bord, et vent arrière fit route vers la jetée, suivi par la brume rapide qui le gagnait. Lorsqu’elle atteignit la Perle, l’enveloppant dans son imperceptible épaisseur, un frisson de froid courut sur les membres de Pierre, et une odeur de fumée et de moisissure, l’odeur bizarre des brouillards marins, lui fit fermer la bouche pour ne point goûter cette nuée humide et glacée. Quand la barque reprit dans le port sa place accoutumée, la ville entière était ensevelie déjà sous cette vapeur menue, qui, sans tomber, mouillait comme une pluie et glissait sur les maisons et les rues à la façon d’un fleuve qui coule. »
Maupassant, Pierre et Jean (1887), chapitre IV

Plan détaillé

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Un récit réaliste

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Montrer que Maupassant raconte cette sortie en mer de manière précise réaliste.

Une plongée dans l'univers maritime

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Utilisation de tout un vocabulaire technique pour désigner :

  • les différentes parties du bateau : voile, foc (petite voile avant), tapecul (petite voile arrière pour empêcher la bateau de dériver), amarré, mât, flanc de la barque, gouvernail, bordage (ensemble des planches recouvrant la structure du bateau), pont
  • les différentes types de bateaux : barque, vapeur charbonnier, navire, bateau
  • les différentes types de manœuvres et de mouvements du bateau : s'arrondit (pour la voile), s'incliner (pour le bateau), hissa (le foc), amarré, couchée (pour la barque), être à l'ancre, en rade, gouvernant, vira de bord, vent arrière
La mer et le climat
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  • Champ lexical de la mer : pleine mer, pointe de la jetée, abritait, onde (vocabulaire littéraire et vieilli pour désigner la vague), vague, flots, marée, rade (bassin de grandes dimensions débouchant sur la mer et permettant aux bateaux de mouiller), côte, eau, met, jetée, port
Vocabulaire moins souvent technique (jetée, rade) mais précis et surtout très varié (par exemple pour évoquer le mouvement de l’eau : onde, vague, flots)
  • Le climat marin : brise (vent peu violent), vent, brume, brouillard marin, nuée humide et glacée (très gros nuage, vocabulaire littéraire) + la jetée nord, vers le nord
À nouveau un vocabulaire précis et varié, parfois aussi littéraire ; un climat associé à des indications de type géographique (les points cardinaux) ; un climat montré dans son évolution, de la brise fraîche agréable du début au brouillard humide et glacé de la fin.

L'illusion de vivre la scène en temps réel

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Un rythme globalement lent, malgré un moment d'accélération, donnant l'impression de vivre ce moment comme en temps réel et de bien pouvoir se le représenter.

  • Succession de verbes au passé simple : débouchèrent, glissa, entra, s'arrondit, fit, rendit, hissa, dénoua, …
Montrent qu'on est dans un récit et sont essentiellement des verbes de mouvement permettant une bonne visualisation de la scène
  • Utilisation de nombreux indicateurs temporels : quand, tout à coup, puis, alors, maintenant, lorsque, …
Marquent bien le chronologie des faits et soulignent la précision avec laquelle la scène est racontée
Des descriptions
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  • Intégrée à la narration, la description se répartit sur l'ensemble du passage : soit notations descriptives dans un passage au passé simple, soit moment de pause plus nets avec passage à l'imparfait
À chaque étape du récit, le lecteur peut se représenter la scène
  • La description concerne des aspects variés : le temps, le bateau, la mer, les autres bateaux dans la mer, Pierre, ses états d'âme, ses pensées, ses projets d'avenir
Possibilité d'une visualisation totale de la scène, à la fois le personnage et le paysage + préoccupations simples de Pierre rêvant d'un peu d'argent pour s'installer dans un appartement
Un moment d'accélération avec résumé d'actions
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  • Lorsqu'ils vont de bateau en bateau dans la rade
  • Lorsqu'ils gagnent le large et voguent pendant trois heures : mais les notations descriptives viennent, à l’intérieur de cette accélération, recréer un effet de ralenti

Le rappel de l'ancrage social des personnages

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  • Seule réplique du texte : langage familier et oral, à l'image du niveau social du personnage, typiquement réaliste
  • Exécute des manœuvres : sujet des verbes au passé simple correspondant aux manœuvres de voiles, Pierre, lui, est au gouvernail. Cela montre le rapport hiérarchique entre les deux : Jean-Bart au service de Pierre, ce qui indique qu'il est inférieur socialement
  • Rappel de sa profession par la périphrase « docteur »
  • Inquiétudes quant à son avenir, préoccupations financières retranscrites par le discours indirect libre : éléments typiquement bourgeois. Il pense à son installation en tant que médecin

Un récit symbolique

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Première partie du commentaire

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Maupassant est un romancier réaliste et naturaliste de la deuxième partie du XIXe siècle. Il a écrit Pierre et Jean en 1887, dans cette fiction les personnages, à plusieurs reprises, près de l'eau. Justement dans l'extrait, Pierre fait un promenade en mer pour oublier sa jalousie à l'égard de son frère et soupçon son fidelité sur sa mère. Sur ce passage, nous poserons la question suivante : en quoi dans cet extrait, hors du réalisme, Maupassant donne une dimension symbolique à cette promenade en mer ?


Tout d'abord, nous allons montrer que Maupassant raconte cette sortie en mer de manière précise et réaliste.

En premier lieu, nous avons l'impression, en lisant ce texte, de nous retrouver plongés dans l'univers maritime. Nous observons en effet la forte présence du champ lexical de la mer à travers des mots comme « mer », « eau », « port », « jetée », « rade » ou encore « vague ». Ce champ lexical, extrêmement abondant tout au long de l'extrait, contribue à donner l'illusion au lecteur d'être en train de voguer sur la mer aux côtés de Pierre et de Jean-Bart, embarqués à bord de la « Perle ». Nous pouvons imaginer les différents types de bateaux qui se trouvent dans la rade du Havre, depuis la simple « barque » jusqu'au « vapeur charbonnier ». L'embarcation de Pierre est évoquée de manière très précise avec toutes ses parties : sa « voile », son « foc », son « tapecul », son « mât », son « gouvernail », son « bordage » et son « pont ». Le caractère technique de certains de ces certes contribue fortement au réalisme du texte. de plus, Maupassant utilise également un vocabulaire spécialisé pour désigner les manœuvres et mouvements propres à la navigation comme le révèlent les verbes « s'arrondit » (pour la voile), « s'incliner » (pour le bateau), « hissa » (pour le foc), « amarré », « gouvernant » ou encore « vira de bord ». Même les mouvements de l'eau sont évoqués avec précision et nuance puisqu'on trouve aussi bien les mots simples « vague » et « courant » que les termes « flots » ou « onde », plus recherchés. Enfin, cette plongée dans le monde marin s’effectue aussi grâce à tous les éléments qui renvoient au climat: la « brise », le « vent », la « brume », le « brouillard marin » ainsi que la « nuée humide et glacée ». Au fil du texte, le climat nous est montré en évolution, depuis la brise fraîche et agréable du début jusqu’au brouillard épais et inquiétant de la fin, ce qui, une fois de plus, confère une dimension réaliste à la scène. La fine connaissance que Maupassant avait de l‘univers maritime : ainsi été particulièrement exploitée afin de permettre au lecteur de se représenter au mieux cette promenade en mer.

En outre, l’auteur nous donne l’illusion de vivre la scène en temps réel. Cent illusion est créée grâce à l’utilisation régulière du passé simple tout au long du texte, temps qui permet d’évoquer des actions ponctuelles dans leur succession Les verbes employés tels « débouchèrent », « glissa », « entra », « hissa », « dénoua », « leva » ou « vira » sont essentiellement des verbes de mouvements, ce qui aide a la bonne visualisation de la scène et à la compréhension de son déroulement De plus, la présence fréquente d’indicateurs temporels comme « quand », « tout à coup », « puis », « alors », « maintenant », « lorsqu[e] », marque bien la chronologie des faits et souligne la précision avec laquelle le récit est mené. Parfois aussi, l’imparfait apparaît pour des actions représentées dans leur durée ou encore pour de courtes pauses descriptives. C’est le cas par exemple lorsqu’il est dit que « l’avant ouvrait la mer» ou qu’une « secousse secouait la Perle […] qui frémissait dans la main de Pierre ». Le temps s’étire alors de manière indéterminée comme pour mieux immerger le lecteur dans la scène. Cette immersion est enfin liée au fait que l’on peut aussi bien se représenter le paysage et les actions des personnages que les états d’âme de Pierre grâce à l’utilisation du point de vue interne, visible dans la phrase « Il rêvassait, comme on rêvasse sur le dos d’un cheval ou sur le pont d’un bateau, pensant à son avenir qui serait beau, et à la douceur de vivre avec intelligence ». Ici, les verbes « rêvasser » et « penser » nous projettent dans l’intériorité de Pierre et nous font partager ses sensations et ses projets d’avenir. Certes, une petite accélération du rythme de la narration est perceptible au centre du texte, introduite par la formule « Pendant trois heures » qui amorce un résumé d’actions, mais même à ce moment-là, les adjectifs « tranquille, calme et content » ou la comparaison « comme une bête ailée, rapide et docile » créent un effet de ralenti qui permet au lecteur de garder l’illusion de vivre la scène.

Enfin, l’aspect réaliste de cette sortie en mer est également lié à l’évocation du statut social des personnages en présence. De toute évidence, Pierre et Jean-Bart ne sont pas issus du même milieu social : l’un appartient à l’univers de la bourgeoisie, tandis que l’autre est d’origine plus modeste. En effet, Pierre est désigné par la périphrase « docteur » et le passage en point de vue interne nous révèle qu’il s’inquiète de son avenir de médecin. Maupassant utilise le discours indirect libre dans la phrase commençant par « Dès le lendemain il demanderait à son frère de lui prêter, pour trois mois, quinze cents francs añn de s’installer... » pour nous faire partager les préoccupations de son personnage. Celles-ci sont d’ordre professionnel et financier, ce qui contribue à ancre: Piero dans le milieu de la petite ou moyenne bourgeoisie. De plus, on observe qu’à bord du bateau, Pierre est celui qui est aux commandes car il tient le « gouvernail » entre ses mains et fait aller le bateau « à son caprice ». Jean-Bart, quant à lui, est celui qui exécute les manœuvres. En effet, il est sujet des verbes « hissa » et « dénoua » correspondant aux manipulations des voiles. En outre, dans la seule phrase au discours direct du texte, « V’la d’la brume, m’sieur Pierre, faut rentrer », on l’entend parler avec un langage familier et oral révélateur d’un milieu populaire. Les contractions de mots et l’absence du pronom « il » devant le ve'be « falloir» font penser à un patois campagnard. On peut aussi noter le respect manifesté vis-à-vis de Pierre à travers l’apostrophe « M’sieur Pierre », signe du rapport hiérarchique entre les deux personnages.

Ainsi Maupassant multiplie-t-il les procédés afin de peindre cette sortie en mer avec précision et réalisme. Cependant, le récit n’est pas seulement réaliste, il est aussi fortement symbolique, comme nous allons à présent le démontrer.