La tragédie et la comédie au XVIIe siècle : le classicisme/Molière, Les Fourberies de Scapin

Leçons de niveau 11
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Molière, Les Fourberies de Scapin
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Chapitre no 3
Leçon : La tragédie et la comédie au XVIIe siècle : le classicisme
Chap. préc. :Racine, Andromaque
Chap. suiv. :Racine, Britannicus
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Scapin s'est fait la promesse de se venger de l’avarice de son maître Géronte : il le fait entrer dans un sac pour échapper aux attaques imaginaires de rivaux qui veulent le tuer.

« Scapin

   Prenez garde. En voici un autre qui a la mine d’un étranger. Cet endroit est de même celui du Gascon, pour le changement de langage, et le jeu de théâtre. « Parti[1] ! Moi courir comme une Basque[2], et moi ne pouvre point troufair de tout le jour sti tiable de Gironte ? » Cachez-vous bien. « Dites-moi un peu fous, monsir l’homme, s’il ve plaist, fous savoir point où l’est sti Gironte que moi cherchair ? » Non, Monsieur, je ne sais point où est Géronte. « Dites-moi-le vous frenchemente, moi li fouloir pas grande chose à lui. L’est seulemente pour li donnair un petite régale sur le dos d’un douzaine de coups de bastonne, et de trois ou quatre petites coups d’épée au trafers de son poitrine. » Je vous assure, Monsieur, que je ne sais pas où il est. « Il me semble que j’y foi remuair quelque chose dans sti sac. » Pardonnez-moi, Monsieur. « Li est assurément quelque histoire là tetans[3]. » Point du tout, Monsieur. « Moi l’avoir enfie de tonner ain coup d’épée dans ste sac. » Ah ! Monsieur, gardez-vous-en bien. « Montre-le-moi un peu fous ce que c’estre là. » Tout beau[4], Monsieur. « Quement, tout beau ? » Vous n’avez que faire de vouloir voir ce que je porte. « Et moi, je le fouloir foir, moi. » Vous ne le verrez point. « Ahi que de badinemente ! » Ce sont hardes qui m’appartiennent. « Montre-moi fous, te dis-je. » Je n’en ferai rien. « Toi ne faire rien ? » Non. « Moi pailler de ste bastonne dessus les épaules de toi. » Je me moque de cela. « Ah ! toi faire le trole. » Ahi, ahi, ahi ; ah, Monsieur, ah, ah, ah, ah. « Jusqu’au refoir : l’estre là un petit leçon pour li apprendre à toi à parlair insolentemente ! » Ah ! peste soit du baragouineux[5]. Ah !

Géronte, sortant sa tête du sac.

   Ah ! je suis roué[6] !

Scapin

   Ah ! je suis mort !

Géronte

   Pourquoi diantre faut-il qu’ils frappent sur mon dos ?

Scapin

   Prenez garde, voici une demi-douzaine de soldats tout ensemble. Il contrefait plusieurs personnes ensemble. « Allons, tâchons à trouver ce Géronte, cherchons partout. N’épargnons point nos pas. Courons toute la ville. N’oublions aucun lieu. Visitons tout. Furetons de tous les côtés. Par où irons-nous ? Tournons par là. Non, par ici. À gauche. À droit. Nenni. Si fait. » Cachez-vous bien. « Ah ! camarades, voici son valet. Allons, coquin, il faut que tu nous enseignes où est ton maître. » Eh ! Messieurs, ne me maltraitez point. « Allons, dis-nous où il est. Parle. Hâte-toi. Expédions[7]. Dépêche vite. Tôt. » Eh ! Messieurs, doucement. Géronte met doucement la tête hors du sac, et aperçoit la fourberie de Scapin. « Si tu ne nous fais trouver ton maître tout à l’ heure[8], nous allons faire pleuvoir sur toi une ondée de coups de bâton. » J’aime mieux souffrir toute chose que de vous découvrir mon maître. « Nous allons t’assommer. » Faites tout ce qu’il vous plaira. « Tu as envie d’être battu. » Je ne trahirai point mon maître. « Ah ! tu en veux tâter ? » Oh !

Comme il est prêt de frapper, Géronte sort du sac, et Scapin s’enfuit.

Géronte

   Ah, infâme ! ah, traître ! ah, scélérat ! C’est ainsi que tu m’assassines ! »
Molière, Les Fourberies de Scapin (1671), Acte III, scène 2

  1. Mis pour « Pardi ».
  2. Expression proverbiale signifiant « courir très vite ».
  3. Il y a sûrement quelque chose de louche là-dedans.
  4. Doucement
  5. Quelqu'un qui parle une langue en l'estropiant.
  6. Meurtri par les coups.
  7. Dépêchons-nous
  8. Immédiatement

Comique de situation et de caractère[modifier | modifier le wikicode]

Inversion des rôles entre Scapin et Géronte[modifier | modifier le wikicode]

Géronte, enfermé dans un sac, rendu aveugle, perd pour un temps son statut de maître et se retrouve condamné à subir les règles du jeu concocté par Scapin ainsi que les coups de bâton de ce dernier. Les répliques « Ah, je suis roué » et « Pourquoi, diantre faut-il qu’ils tapent sur mon dos ? » montrent qu’il est en position de victime et ne maîtrise pas la situation.

Scapin, son valet, se retrouve maître de la situation et d’un comique de caractère car Géronte est ridiculisé pour sa crédulité, sa naïveté, et Scapin pour sa propension, sa tendance, à la fourberie. Le spectateur le savoure d’autant plus qu’il sait de quoi il retourne. Il est complice de Scapin.

Retournement final de situation[modifier | modifier le wikicode]

Le comique de situation se renforce lorsque la supercherie est découverte. En effet, Géronte met la tête hors du sac et voit qu’il a été piégé. La réplique « C’est ainsi que tu m’assassines » démasque totalement le bourreau.

Le spectateur, qui jusque-là en savait plus que Géronte, en sait désormais plus que Scapin. Il vit lui aussi ce retournement.

C’est le procédé types de farce[1] de « l’arroseur arrosé » qui constitue à la fois un comique de situation et de caractère[2].

Comique de gestes[modifier | modifier le wikicode]

Du côté de Scapin[modifier | modifier le wikicode]

Scapin n’hésite pas à rouer de coups Géronte. Les didascalies le précisent. Scapin imite les soi-disant ennemis de Géronte. Certaines répliques tiennent lieu alors de didascalies : c’est ce qu’on appelle des didascalies internes. Exemples très nombreux : « L’est seulemente pour le donnair un petite régal sur le dos d’une douzaine de coups de bâtonne, et de trois ou quatre petites coups d’épée au trafers de son poitrine », « Moi l’avoir enfie de tonner ain coup dans sti sac » et « Moi pailler de ste bâtonne dessus les épaules de toi », « Courons toute la ville », « Furetons de tous les côtés. Par où irons-nous ? Tournons par là. Non, par ici. A gauche. A droit. Nenni. Si fait », « Nous allons t’assommer ».

Scapin, découvert, finit par s’enfuir pour échapper aux représailles.

Du côté de Géronte[modifier | modifier le wikicode]

Géronte est enfermé dans un sac, mais sort la tête, comme un pantin sortant de sa boîte, puis est remis à sa place par Scapin : ce jeu de scène est comique.

La deuxième fois que Géronte sort la tête, il le fait doucement, ce qui renforce le comique puisque cela lui permet de découvrir le piège de Scapin. Puis il sort complètement, au moment même où Scapin allait le frapper, ce qui provoque la fuite de Scapin[3].

Comique de mots[modifier | modifier le wikicode]

Voix et accents[modifier | modifier le wikicode]

Scapin imite d’abord un étranger parlant français avec un fort accent, ce qui contribue au comique, par les déformations de mots et bizarreries de syntaxe que cela occasionne.

Puis, sur le principe de la gradation, il imite les voix d’une demi-douzaine de soldats.

L’acteur doit alors faire preuve de virtuosité pour restituer les différentes voix, pour donner à cette scène sa dimension polyphonique. On assiste ici à un double spectacle : le spectacle d’ensemble, à l’intérieur duquel Scapin monte un spectacle à l’intention de Géronte. C’est ce qu’on appelle le théâtre dans le théâtre ou une mise en abyme.

Formules à double sens[modifier | modifier le wikicode]

La phrase « Li est assurément quelque histoire là-tetans », au premier sens, l’ennemi pense qu’il y a quelque chose de louche dans le sac, comme quelqu’un de caché ; mais le mot « histoire » renvoie aussi à l’histoire inventée de toutes pièces par Scapin, ce qui renforce la complicité avec le spectateur.

« Ah ! je suis mort », Scapin fait référence au péril imaginaire qui le menace et aux coups qu’il dit avoir reçus ; mais a posteriori, cela peut signifier qu’il a échoué.

« Ah ! je suis roué », Géronte fait référence aux coups qu’il a reçus ; mais Molière joue ici de la polysémie, une rouerie étant une fourberie, l’acte d’une personne rusée ; c’est comme si Géronte pressentait qu’il était victime d’une ruse, qu’il n’était plus tout à fait dupe.

Conclusion[modifier | modifier le wikicode]

La scène est particulièrement jubilatoire car s’y manifestent toutes les formes de comique : le comique de situation, de caractère, de gestes et de mots. Elle s’inscrit dans une double tradition : carnavalesque et farcesque. Le plaisir du spectateur en en outre redoublé par le double spectacle auquel il assiste et la complicité qui le lie successivement à chacun des personnages.

Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. On reconnaît là des procédés de la farce. Au Moyen Âge, la farce est une pièce comique courte qui vient s’intercaler au milieu de la représentation d’un mystère, afin de permettre au spectateur de sa détendre et de rire. Un mystère est une pièce religieuse mettant en scène des épisodes de l’histoire chrétienne ; les représentations avaient lieu sur la place publique et pouvaient durer plusieurs jours, d’où la nécessité d'intermèdes comiques. Types de personnages de farce : le mari trompé, la femme acariâtre, le vieillard amoureux, le médecin charlatan… Procédés comiques utilisés dans la farce : mauvais tours, coups de bâton, gifles, plaisanteries grossières, courses poursuites…
  2. On peut dire de la situation mise ici en scène qu’elle est « carnavalesque ». En effet dans l’antiquité, lors de la période de carnaval, les rôles étaient inversés : le chef de la maison devenait esclave et les esclaves lui donnaient des ordres. Cette période, loin de remettre en cause l’ordre établi, fonctionnait comme une soupape de sécurité, visant à combler les frustrations. C’est exactement ce qui se passe dans cette scène, avec l’inversion des rôles entre le maître et le valet qui permet au valet de prendre sa revanche, de remettre en cause provisoirement l’ordre établi.
  3. Le rôle des didascalies est de donner des indications de mise en scène qui, en plus d’aider à la représentation de la pièce, peuvent aider n’importe quel lecteur à mieux imaginer, visualiser et ressentir la scène. Certaines répliques peuvent aussi jouer à elles seules un rôle de didascalie en suggérant un jeu de scène : c’est ce qu’on appelle une didascalie interne.