La liberté/Connaissance et expérience de la liberté, enjeux

Leçons de niveau 13
Une page de Wikiversité, la communauté pédagogique libre.
Début de la boite de navigation du chapitre
Connaissance et expérience de la liberté, enjeux
Icône de la faculté
Chapitre no 6
Leçon : La liberté
Chap. préc. :Origine et développement du concept de liberté
Chap. suiv. :Sociologie de la liberté
fin de la boite de navigation du chapitre
En raison de limitations techniques, la typographie souhaitable du titre, « La liberté : Connaissance et expérience de la liberté, enjeux
La liberté/Connaissance et expérience de la liberté, enjeux
 », n'a pu être restituée correctement ci-dessus.

Connaissance et expérience de la liberté, enjeux[modifier | modifier le wikicode]

Les différentes conceptions vues ci-dessus nous font connaître plusieurs conceptions de la liberté. Mais le problème de savoir s'il y a quelque chose de tel que la liberté reste entier. Il y a un problème épistémique de la liberté, qui peut être envisagé d'un point de vue théorique et d'un point de vue pratique.

La connaissance théorique de la liberté[modifier | modifier le wikicode]

S'il y quelque chose comme la liberté, quelle sorte de chose est-ce ? Est-ce une substance, une essence, une faculté, un acte, etc. ? Les auteurs examinés plus haut nous ont déjà fourni quelques réponses possibles.

Comment en a-t-on connaissance ? Avoir connaissance de quelque chose comme la liberté, cela ne suppose-t-il pas en même temps avoir la preuve de son existence ? La liberté serait donc dans ce cas observable et devrait faire partie des phénomènes. Pourtant si la liberté se manifeste en tant que phénomène empirique, il faut bien qu'elle se conforme aux lois de la nature. Or, cela semble bien être une contradiction. Il semble que rien de tel que la liberté ne puisse être donné dans le monde ; mais il serait sans doute plus exacte de conclure que la liberté, comme objet de connaissance, nous échappe, et qu'elle n'est jamais un objet de notre expérience.

Cette difficulté peut être contournée de plusieurs manières :

  • on peut nier le problème, en disant que la liberté n'existe pas. Le problème ne se pose donc pas, puisque dans cette perspective, il ne s'agit que d'un non sens métaphysique. Cette première solution implique que l’on réduise la volonté à une causalité naturelle, ou qu'on la nie ; par exemple, pour Friedrich Nietzsche, il n'y a ni volonté ni non volonté, mais notre action n'est qu'une résultante de processus physiologiques.
  • mais on peut chercher à la sauver en en faisant un être transcendant l'expérience et une condition de cette expérience. Cette seconde solution paraît contradictoire : en faisant de la liberté un être transcendant, ne retire-t-on pas en fait à l'homme toute liberté en la situant au-delà de son expérience, bien qu'elle soit pensée comme une condition ? Elle semble inintelligible et l’on risque de ne plus savoir si l’on est libre ou non. La liberté, dans ce cas, peut faire l’objet d'une foi rationnelle, dans la mesure où nous jugeons qu'elle est une nécessité morale, et qu'on ne saurait s'en passer sans refuser du même coup toute dignité à l'homme. La liberté pourrait ainsi être comprise comme une illusion transcendantale, i. e. comme un concept de la raison que cette dernière ne peut pas ne pas penser, bien qu'aucun objet et aucune action ne viennent (et ne puissent) confirmer son existence.

Le transcendantalisme et le déterminisme semblent donc s'entendre pour retirer la liberté de l'expérience humaine.

L'expérience de la liberté[modifier | modifier le wikicode]

Les problèmes théoriques soulevés par le concept de liberté amènent à se poser la question de savoir si la conscience de la liberté, ou l'expérience que nous en avons, porte d'une manière certaine sur une réalité ?

Si oui, à quelle genre de réalité a-t-on affaire ? L'expérience semble manquer de consistance pour le déterminer. En effet, si la conscience que nous avons de la liberté n'en est pas une connaissance, la liberté est soit une réalité métaphysique soit un concept vide.

Si conscience et connaissance sont deux choses différentes, avoir conscience de quelque chose ne garantit pas son existence. Il faut donc plus que la conscience pour savoir si effectivement nous sommes libres. Ainsi, il peut sembler que non, notre expérience de la liberté ne porte pas sur une liberté, mais sur un type d’être dont la nature est hors de notre portée.

C'est pourquoi, pour certains philosophes, vouloir prouver la liberté est une absurdité : un homme qui n'a pas l'esprit gâté, n'a pas besoin qu'on lui prouve son franc arbitre ; car il le sent. (Bossuet) ; et pour Leibniz, la liberté fait l’objet d'un vif sentiment interne. De même encore, Bergson en fait une donnée immédiate de la conscience.

La liberté serait donc d'abord un objet d'une intuition immédiate et interne. Mais on retombe alors dans les difficultés évoquées au début de cette article : le sentiment de la liberté, ou son intuition, n'est ni clair ni probant. L'aliéné ou l'homme ivre peuvent s'imaginer agissant de leur propre chef ; bien plus, même un homme tenu pour sain d'esprit est susceptible de se faire de graves illusions sur son propre compte.

C'est pourquoi le problème métaphysique de la liberté tire en fait son importance des enjeux moraux qui en découlent.

Enjeux métaphysiques et moraux de la liberté[modifier | modifier le wikicode]

L'ensemble de cette problématique et les différentes conceptions des philosophes du passé permettent de voir plus précisément en quoi la liberté est un concept métaphysique fondamental : ses conséquences morales sont en effet considérables.

  • Etablir la possibilité de la liberté, c’est sauver la responsabilité et la valeur de l'homme, du moins dans une perspective humaniste.
  • La liberté, comme condition des notions morales, donne un sens aux choix moraux en bien comme en mal : ou, autrement dit, l'essence de la liberté, c’est le devoir.
  • La liberté, comme obligation, soumission à une loi que l’on se donne, découle du devoir.
  • La liberté donne un sens à l’existence humaine : renoncer à la liberté, c’est renoncer à la qualité d'homme.

On voit bien ici en quoi une détermination métaphysique, en apparence très spéculative et difficile, peut se montrer décisive pour la vie, pour l’existence concrète. En effet, on pose ou on nie que la liberté soit un attribut essentiel : la liberté est ou non constitutive de la nature humaine. Nier la liberté, ce serait donc supprimer l'essence de l'homme. Pratiquement, la question serait de savoir si cela revient à dire que nier la liberté est une perspective dans laquelle on ne voit pas de contraintes morales qui empêchent quiconque de nier aussi l'humanité d'un autre homme. "Tout est permis" dit Nietzsche, assumant cette négation anti-humaniste de l'essence de l'homme. Mais les doctrines de ce genre ont-elles nécessairement ces conséquences ? Nier la liberté, cela implique-t-il qu’il ne soit pas interdit de nier, opprimer, torturer ou détruire l'autre ? Si, en effet, la liberté implique l’existence du devoir comme sa condition, sa suppression entraînerait peut-être la suppression d'une distinction entre le bien et le mal :

Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs. Il n'y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme; et c’est ôter toute moralité à ses actions que d'ôter toute liberté à sa volonté. (Rousseau, Le Contrat social).