FRA6730-A-A18-Cours 11 : Mais où est passé le réel ?

Une page de Wikiversité, la communauté pédagogique libre.

Bienvenu sur la page du Cours 11 du séminaire FRA6730-Littérature et culture numérique assuré par Marcello Vitali-Rosati. Le séminaire est offert aux étudiants du Département des littératures de langue française et aux étudiants du DESS en édition numérique à l'Université de Montréal. Le Cours 11 a eu lieu le 4 décembre 2018 et est intitulé : Mais où est passé le réel ?

Prérequis[modifier | modifier le wikicode]

Pour préparer ce cours étaient à lire :

Métaontologie[modifier | modifier le wikicode]

  • Déconstruction : contre l'unité. Ce mouvement, débuté 50 ans plus tôt, dans la mesure où il s'agit d'une critique rationnelle du pouvoir en place s'inscrit dans une démarche intellectuelle de type « lumière » : toute vérité (même la rationalité, même la logique) est un produit d’un pouvoir. Il s'agit alors de questionner les vérités tenues pour acquises, pour voir leurs origines, et ainsi mener une archéologie du savoir (démarche analogue à celle Foucault[1]). Penser une réalité amène une dynamique qui ne peut être résumée à une unité, mais qui, au contraire, est multiple sans pour autant conduire à un relativisme et à une dissémination du sens[2].
  • Risque de constructivisme radical : on n'a plus la réalité

Qualités primaires et secondaires[modifier | modifier le wikicode]

John Locke propose la solution suivante pour résoudre le problème d’unité du réel avec deux types de qualités[3] :

  • Primaire : ce que les choses sont en soi donc là indépendamment : de type objectif et mathématique (extension, composition chimique)
  • Secondaire : les choses dépendent de notre perception (couleur)

Or, peut-on vraiment parler de qualités primaires ?

Paradoxe[modifier | modifier le wikicode]

  • Un monde auquel nous n'avons pas accès
  • Un accès au monde sans monde[4]

Le réalisme dogmatique[modifier | modifier le wikicode]

  • Le monde existe indépendamment de nous
  • Sur quelle base pouvons-nous l'affirmer ?

Le corrélationisme[modifier | modifier le wikicode]

Une solution pour échapper à ce paradoxe est celui du corrélationisme, solution développée notamment par Wittgenstein :

Il est possible de soutenir la thèse suivant laquelle [...] la corrélation est par elle-même éternelle. Dans ce dernier cas, celui de l'hypostase de la corrélation, nous n'avons plus affaire à un corrélationisme au sens strict, mais à une métaphysique qui éternisera l’Ego ou l'Esprit pour en faire le vis-à-vis pérenne de la donation de l’étant. [...] Mais le corrélationisme n'est pas une métaphysique [...]. Dire que nous ne pouvons nous extraire de l'horizon corrélationnel, ce n'est pas affirmer que la corrélation pourrait exister par soi, indépendamment de son incarnation en des individus. Nous ne connaissons pas de corrélation qui soit donnée ailleurs qu'en des humains, et nous ne pouvons pas sortir de nous-mêmes pour découvrir s'il est possible qu'une telle désincarnation du corrélat soit vraie. Le Témoin ancestral est donc une hypothèse illégitime du point de vue d'un corrélationisme strict[5].

La philosophie doit ainsi se concentrer sur le langage (naissance de la philosophie analytique). Le monde est donc l’ensemble des énoncés, ce que je ne peux pas dire, il faut le taire. Or :

  • Il n'y a que notre accès au monde
  • Le risque du constructivisme radical
  • Le problème des ancestraux : le discours humain peut traiter d'événements survenus avant l’apparition de l’espèce humaine (le Crétacé) et avant l'invention de la notion d'accès au monde. C'est là un discours sur un élément qu'en principe je ne pourrai tenir. À ce problème a été proposée une solution constructiviste qui est celle d'une rétrojection du présent par rapport au passé. La vérité de la proposition ne peut être située que par rapport à l’accès. Cependant, la rétrojection est contraire au sens de l’Énoncé qui n’a de sens que si décorrélé de ce que nous disons : il trouve son sens pas seulement par rapport à mon accès, mais dans une inscription plus universelle.

Problèmes des deux approches[modifier | modifier le wikicode]

  • Unité du réel
  • Unité du corrélat absolu

Une médiation originaire (ontologique)[modifier | modifier le wikicode]

Considérant la médiation intrinsèque à l’être, il est impossible de décorréler l’être et l’accès à l’être car le réel est ce qui est et ce qui se donne. Le témoin ancestral permettant d’une médiation de l’être, notre accès au monde a une valeur ontologique qui dépasse la nature humaine. Le Crétacé est alors le fait d’être son témoin et le crétacé.

Anamorphose et métaontologie[modifier | modifier le wikicode]

L'anamorphose[modifier | modifier le wikicode]

  • Unité et multiplicité
  • Perspective vs anamorphose
  • Plusieurs visions du monde, plusieurs mondes
Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs, 1533, Londres (détail).

(démonstration du professeur : monte sur une chaise placée à un angle du tableau pour présenter la perspective révélant l'anamorphose)

La notion de bonne perspective - notion de perspective comme accès au monde unique et privilégiée - est remise en question à la Renaissance notamment par le développement de dispositif de perspective telle que l'anamorphose qui propose une multiplicité de point de vue.

La structure anamorphique que nous proposons refuse elle aussi ce préjugé, à ceci près que le chevauchement qu’elle met en évidence n’est pas tout à fait une fusion — laquelle donnerait lieu à un résultat homogène et consensuel — mais plutôt la démonstration d’une dimension multiple, hétérogène (soit, parfois, contradictoire et conflictuelle) des choses[6].

Le réel lui-même est une série parfois en compétition de modes de donation : l'anamorphose peut être pensée d’un point de vue épistémologique et ontologique (c’est le réel lui-même). Les témoins ancestraux sont alors autant de visions multiples du monde, intrinsèques au monde lui-même, soit des modes de donation au monde. Un monde est à la fois l’être et l’accès à l’Être, mais plusieurs accès sont envisageables donc l'Être est multiple.

Éditorialisation et anamorphose[modifier | modifier le wikicode]

Quelles sont les relations entre différentes anamorphoses ?

[L'anamorphose] permet de s’extraire de la logique oppositionnelle qui caractérise le discours ontologique (imaginaire, virtuel ou représentation vs réel), pour lui substituer une logique cumulative. Éditorialiser, en ce sens, signifie produire des anamorphoses en contribuant à l’agencement d’une réalité multiple.

Les discours sur le discours sur le Crétacé, selon des régimes de discours, existent et co existent. La solution se trouve dans la considération de l'inscription.

Éviter le dogmatisme[modifier | modifier le wikicode]

  • Être médié
  • Une médiation originaire
  • Matérielle
  • Inscrite
  • Non-humaine (ou pré-humaine)
  • En action
  • Multiple - Être-multiples
  • Métaontologie : Ontologie des ontologies

Pour éviter le dogmatisme, il faut penser un être médié, non selon une médiation originelle mais matérielle et multiple : l'être lui-même ne peut pas être dit au pluriel (les êtres deviennent des multiplicités de l’être soit des étant) car il demeure au singulier. Les différentes ontologies sont des plans de réflexions ou des anamorphoses. Chaque ontologie est fondée sur un système anamorphique. La métaontologie permet d’être un système interne, parcours parmi les ontologies, créant des parcours de lecture comme des regards depuis l’Intérieur. Il ne s'agit pas de hiérarchiser mais de demeurer entre les inscriptions particulières.

Le fait numérique place face à une nouvelle émergence : notre pensée est toujours incarnée et inscrite dans un contexte particulier. Le numérique montre des façons d’être de l’être, des inscriptions. L'éditorialisation est alors l’inscription matérielle de l’être de quelqu’un.

Une question finale se pose cependant : comment montrer l’émergence d’une pensée indépendante de la personne qui l’exprime[7] ?

Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1998 (1re éd. 1972) (ISBN 2070295826 et 9782070295821) (OCLC 45404661) [lire en ligne] 
  2. Richard Marin, « Introduction », dans Meurtre au palais épiscopal, Éditions de l’IHEAL (ISBN 9782915310979, lire en ligne), p. 19–24
  3. John Locke, Essai sur l'entendement humain, J. Vrin, 2006 (ISBN 2711618099 et 9782711618095) (OCLC 492735539) [lire en ligne] 
  4. Quentin Meillassoux, Après la finitude : essai sur la nécessité de la contingence, Éd. du Seuil, 2012 (ISBN 9782021092158 et 2021092151) (OCLC 914566142) [lire en ligne] 
  5. Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, Dover Publications, 2012 (ISBN 1306339901 et 9781306339902) (OCLC 868269973) [lire en ligne] 
  6. Servanne Monjour, Mythologies post-photographiques : l'invention littéraire de l'image numérique, Presses de l'Université de Montréal, 2018 (ISBN 9782760639256 et 2760639258) (OCLC 1051240710) [lire en ligne] 
  7. Voir la critique à la métaphysique de la présence chez Derrida.