Droit civil en première année de Licences de Droit et de Science politique/Devoir/Galop d’essai de premier semestre : fiche de jurisprudence et questions de cours
Durée : 3 heures.
I. Fiche de jurisprudence (6 points)
[modifier | modifier le wikicode]Faire la fiche de jurisprudence (en 6 étapes) de l’arrêt rendu ci-dessous.
«
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS CASSATION, sur le pourvoi de la dame veuve A..., d'un arrêt rendu, le 31 mai 1915, par la Cour d'appel de Montpellier, au profit du sieur Y....
ARRET.
Du 20 février 1917.
LA COUR,
[...]
Sur le moyen unique de cassation :
Vu l'article 2 du Code civil ;
Attendu que toute loi nouvelle régit, en principe, même les situations établies ou les rapports juridiques formés dès avant sa promulgation ;
Qu'il n'est fait échec à ce principe par la règle de la non-rétroactivité des lois formulée dans l'article 2 du Code civil qu'autant que l'application de la loi nouvelle porterait atteinte à des droits acquis sous l'empire de la législation antérieure ;
Attendu que l'article 340 du Code civil prohibant[1], sauf dans un cas particulier, la recherche de la paternité conférait éventuellement au père naturel la faculté d'opposer une fin de non-recevoir à l'action en déclaration de paternité qui serait intentée contre lui ;
Mais que ce texte ne lui faisait pas acquérir, pour toujours, le droit de se soustraire à la constatation du lien l'unissant à son enfant, et à l'exécution des obligations naturelles en dérivant ;
Attendu, dès lors, que la loi du 16 novembre 1912[2] n'ayant, par la suppression de la faculté résultant de l'ancien article 340, enlevé au père naturel qu'une simple expectative, doit conformément au principe susénoncé, être appliquée même aux enfants nés avant sa promulgation ;
Attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la dame A..., se fondant sur les dispositions du nouvel article 340 du Code civil, a, dans le délai prévu par ce texte, formé au nom de son fils mineur contre le sieur Y... une action en déclaration de paternité ;
Attendu que, sans examiner au fond cette demande, la Cour de Montpellier l'a déclarée irrecevable par le motif que l'enfant qui en faisait l'objet était né antérieurement à la promulgation de la loi de 1912 ;
Mais attendu que cette circonstance, ainsi qu'il vient d'être établi, était inopérante pour faire écarter l'application à la cause de la loi actuellement en vigueur ;
[...]
D'où il suit, qu'en statuant comme il l'a fait, l'arrêt [infirmatif] attaqué a faussement appliqué l'article 2 du Code civil, et violé l'article 340 nouveau du même Code ;
Par ces motifs, CASSE, ...
»
— Cour de cassation, chambre civile, audience publique du mardi 20 février 1917. Non publié au bulletin
- ↑ Article 340 du Code civil, version du 1er janvier 1835 au 16 novembre 1912 :
« La recherche de la paternité est interdite. Dans le cas d’enlèvement, lorsque l’époque de cet enlèvement se rapportera à celle de la conception, le ravisseur pourra être, sur la demande des parties intéressées, déclaré père de l’enfant. »
- ↑ Article 340 du Code civil (extrait), version du 17 novembre 1912 au 14 juillet 1955 :
« La paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée :
- Dans le cas d’enlèvement ou de viol, lorsque l’époque de l’enlèvement ou du viol se rapportera à celle de la conception ;
- Dans le cas de séduction accomplie à l’aide de manœuvres dolosives, abus d’autorité, promesse de mariage ou fiançailles, et s’il existe un commencement de preuve par écrit, dans les termes de l’article 1347 ;
- Dans le cas où il existe des lettres ou quelque autre écrit privé émanent du père prétendu et desquels il résulte un aveu non équivoque de paternité ;
- Dans le cas où le père prétendu et la mère ont vécu en état de concubinage notoire pendant la période légale de la conception ;
- Dans le cas où le père prétendu a pourvu ou participé à l’entretien et à l’éducation de l’enfant en qualité de père ;
L’action en reconnaissance de paternité ne sera pas recevable :
- S’il est établi que, pendant la période légale de la conception, la mère était d’une inconduite notoire ou a eu commerce avec un autre individu ;
- Si le père prétendu était, pendant la même période, soit par suite d’éloignement, soit par l’effet de quelque accident, dans l’impossibilité physique d’être le père de l’enfant ; »
II. Répondre aux questions suivantes (6 points)
[modifier | modifier le wikicode]a). Est-on, en l'espèce, dans une situation contractuelle ou dans une situation non contractuelle ?
b). Établissez un schéma expliquant le problème qui se pose en l'espèce.
c). Expliquez la position de la Cour d'appel.
d). Expliquez la solution donnée par la Cour de cassation.
e). À quelle théorie doctrinale peut-on rattacher cette solution ?
III. Questions de cours (8 points)
[modifier | modifier le wikicode]a). Parlez de la promulgation des lois.
b). Parlez des décrets autonomes.
c). Qu'est-ce que l'ancien droit civil français ?
Correction
[modifier | modifier le wikicode]Dérouler la boîte déroulante ci-dessous pour consulter la correction.
Il s’agit d’un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation en date du 20 février 1917 portant sur l’application de la loi dans le temps dans le cadre d’une situation non contractuelle en cours.
En l’espèce, un homme (Sieur B) et une femme (Dame G) ont eu un enfant en dehors du mariage avant le 17 novembre 1912, date à laquelle une nouvelle loi venant autoriser l’action en déclaration de paternité entre en vigueur
La mère de l’enfant assigne en justice le père prétendu de l’enfant et forme au nom de ce dernier une action en déclaration de paternitésur le fondement de la loi nouvelle
Les juges de première instance ont fait droit à la demande de la mère de l’enfanten application du nouvel article 340 du Code civil. À la suite de ce jugement, Sieur B interjette appel. La Cour d’appel de Montpellier rend un arrêt infirmatif et déclare la demande de Dame G irrecevable sur le fondement de l’article 2 du Code civil, car l’enfant était né antérieurement à la promulgation de la loi nouvelle de 1912, cette dernière venant autoriser l’action en déclaration de paternité. Un pourvoi est alors formé par la mère de l’enfant sur le fondement de la violation de l’article 2 et bde l’article 340 nouveau du Code civil.
L’article 340 nouveau du Code civil, résultant de la loi nouvelle du 16 novembre 1912, remet-il en cause des droits acquis du père non marié (naturel) d’un enfant à ne pas voir sa filiation établie et peut-elle s’appliquer, conformément à l’article 2 du Code civil, à une situation non contractuelle établie avant son entrée en vigueur
En premier lieu, la Cour de cassation vient préciser qu’en application de la théorie classique de l’application de la loi dans le temps, toute loi nouvelle régit en principe les situations établies ou les rapports juridiques formés avant sa promulgation. Elle ajoute également qu’il n’est fait échec à cette règle que dans le cadre où cette nouvelle disposition porterait atteinte à des droits acquis. Cette explication permet ensuiteà la Cour de cassation d’accueillir le pourvoi de la mère de l’enfant en considérant que l’article 340 ancien du Code civil ne faisait pas acquérir au père naturel de l’enfant un droit acquis (mais unesimple expectative) et donc qu’il étaitimpossible pour ce dernier de se soustraire à l’action en déclaration de paternité du nouvel article 340 du Code civil
En conséquence, la cour d’appel de Montpellier n’a pas respecté les articles 2 et 340 nouveau du Code civil.
Le 20 février 1917, la chambre civile de la Cour de cassation casse donc et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 31 mai 1915 (et renvoie l’affaire pour être rejugée devant une autre cour d’appel).
II. Répondre aux questions suivantes
a). Nous sommes dans une situation non-contractuelle. En effet la naissance d’un enfant est un fait juridique.
b).
c). La Cour d’appel de Montpellier a infirmé le jugement rendu par les premiers juges en déclarant irrecevable l’action en recherche de paternité introduite par la demanderesse (Mme G). Elle donne ainsi raison à l’appelant (M. B).
Pour justifier sa décision, la Cour d’appel se fonde sur l’article 2 du Code civil qui pose le principe de la non-rétroactivité de la loi. En effet, elle considère que l’enfant est né avant le 17 novembre 1912, date d’entrée en vigueur de la loi du 16 novembre 1912 (qui intègre, dans le Code civil, la possibilité d’exercer une action en recherche de paternité). Puisqu’au moment de la naissance de l’enfant, l’action en recherche de paternité était interdite, appliquer la loi nouvelle à cette situation constituerait, selon la Cour d’appel, un non-respect de l’article 2 du Code civil. Ce faisant, une telle décision serait considérée comme une « injustice » pour le père.
d). La Cour de cassation a rendu un arrêt de cassation symbolisé par son visa : l’article 2 du Code civil. Ensuite, elle a fait un rappel de la règle de droit en la matière, en deux étapes.
Premièrement, elle considère que « toute loi nouvelle régit, en principe, même les situations établies ou les rapports juridiques formés dès avant sa promulgation ». La Cour de cassation pose donc un principe : l’admission de la rétroactivité de la loi nouvelle à une situation non-contractuelle née antérieurement. En l’espèce, la naissance de l’enfant est bel est bien une situation juridique non-contractuelle, établie avant la promulgation de la loi du 16 novembre 1912. Aussi, cette situation est en cours (l’enfant est toujours considéré comme « enfant naturel »).
Toutefois, la Cour de cassation constate, de manière implicite, que cette nouvelle loi n’a pas prévu de dispositions transitoires pour expliquer de quelle manière elle devrait composer avec la loi ancienne, pour éviter les litiges. Par conséquent, elle relève qu’il y a empiètement de la loi nouvelle sur la loi ancienne.
Deuxièmement, elle retient « qu’il n’est fait échec à ce principe par la règle de la non-rétroactivité formulée dans l’article 2 du Code civil qu’autant que l’application de la loi nouvelle porterait atteinte à des droits acquis sous l’empire de la législation antérieure. » Ici, la Cour de cassation pose une exception : la non-rétroactivité de la loi nouvelle en présence de droits acquis.
Elle explique en effet que pour interdire l’application de la loi nouvelle à la naissance de l’enfant (conformément au principe de non-rétroactivité rappelée par la Cour d’appel), il aurait fallu démontrer qu’elle porte atteinte à des droits acquis. En l’espèce, les droits acquis s’entendent comme ceux qui sont entrés définitivement dans le patrimoine du père. Autrement dit, pour interdire l’application de la loi nouvelle sur le fondement de l’article 2 du Code civil, la Cour d’appel aurait dû démontrer que la loi nouvelle portait atteinte au droit acquis du père à ne pas voir sa filiation établie à l’égard de l’enfant. Puisque ce droit n’était pas acquis mais constituait une simple espérance (ou expectative), la loi nouvelle était applicable pour autoriser l’action en recherche de paternité introduite par la mère, au nom de son fils.
Pour toutes ces raisons, la Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel de Montpellier, considérant que celle-ci a «faussement appliqué » l’article 2 du Code civil. Elle estime qu’en l’espèce, il n’y avait pas rétroactivité mais application de la loi nouvelle à une situation non contractuelle en cours.
d). On rattacher cette solution à la théorie classique, dite aussi doctrine des droits acquis.
III. Questions de cours
a). La promulgation est l'acte par lequel le chef de l'état atteste de l'existence de la loi et donne l'ordre aux autorités publiques d'observer et de faire observer cette loi.
Pour les lois ordinaires, le secrétariat général du Gouvernement s'assure, préalablement à leur promulgation, qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel. En cas de saisine, le délai de promulgation est suspendu.
En application de l'article 10 de la Constitution, la promulgation de la loi définitivement adoptée doit intervenir dans le délai de quinze jours qui suit la transmission du texte au Gouvernement.
La publication intervient dans les jours qui suivent cette signature.
b). Un décret est un acte exécutoire émis par le pouvoir exécutif. C'est une décision qui ordonne ou règle quelque chose. Le décret, dont les effets sont analogues à ceux d'une loi, est l'une des manifestations du pouvoir réglementaire de l'exécutif. Sa portée peut être générale, lorsqu'il formule une règle de droit, ou individuelle lorsqu'il ne concerne qu'une seule personne (par exemple : une nomination).
Il est signé par le Président de la République (en cas de décret délibéré en Conseil des ministres) ou par le Premier ministre (en cas de décret en Conseil d'Etat ou de décret simple), et éventuellement contresigné par un ou plusieurs ministres. On distingue :
- les décrets d'application qui précisent les modalités ou conditions d'application d'une loi ;
- les décrets autonomes, sur des sujets qui ne sont pas liés à la publication d'une loi ;
- les décrets de répartition qui, après le vote des lois de finances, répartissent les masses budgétaires entre les différents ministères.
Tous les décrets sont publiés au Journal officiel et s’appliquent à partir de leur publication. Les décrets ont une valeur juridique supérieure aux arrêtés, bien que ces deux actes soient tous les deux des actes de nature réglementaire.
c). En France, on qualifie d'Ancien Droit le droit français en vigueur sous la Monarchie d'Ancien Régime, c'est-à-dire jusqu'à la Révolution française qui instaure un « Nouveau Droit » (le droit français contemporain) fondé sur des principes législatifs et des usages juridiques nouveaux. L’ancien droit civil français comprenait :
- le droit romain ;
- le droit coutumier ;
- les ordonnances royales ;
- le droit canonique.
Cet Ancien Droit se distinguait en deux grands ensembles : le nord de la France appliquait un droit coutumier, fondé sur des usages et des privilèges qui étaient souvent l'œuvre des siècles ; le sud de France était quant à lui soumis au Droit romain, souvent codifié.
Les ordonnances royales s’appliquaient sur l’ensemble du territoire. Les lois du Roi étaient constamment rédigées dans le souci de respecter et préserver les coutumes des provinces ; le droit écrit royal cohabitait avec le droit coutumier local et ne le supplantait que très rarement pour des domaines régaliens bien précis (armée, fiscalité, etc.).
Le droit canonique aussi s’appliquait à la fois dans les pays de droit coutumier et de droit écrit, dans un souci de souveraineté entre le pouvoir temporel (État) et le pouvoir spirituel (Église).