Recherche:Cordes vibrantes - Justesse et Vibrato au Violon

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Résumé :

La théorie de la mécanique des cordes vibrantes est appliquée au cas du  violon. Elle sert d'abord à établir la relation qui existe entre la fréquence des sons émis et la position des doigts sur les quatre cordes du violon frottées par l'archet. Ensuite, des critères de la justesse des notes en sont déduits et discutés, et une analyse du vibrato obtenu par la modulation de la fréquence des sons, et de ses conséquences sur le timbre du violon, est proposée. Justesse et vibrato  sont discutés numériquement en fonction de paramètres pertinents , comme pour ce dernier l'indice de modulation , fonction de l'amplitude et de la fréquence de  déplacement du doigt, ainsi que de la fréquence de la note "vibrée".


  1. Généralités : Fréquences et Notes

La fréquence des sons émis par le violon est fonction de l’endroit où est pincée par un doigt de la main gauche du violoniste l’une des quatre cordes de son instrument.
Cet endroit, ou impact, est repéré par la distance x séparant la position du doigt sur la corde i, de celle du chevalet. Cette distance est parfaitement définie pour un doigt idéalement fin, de largeur d’impact dx nulle (typiquement représentée mathématiquement par une fonction de Dirac).
La fréquence f de la note émise est la fréquence de vibration de la corde. Cette dernière est fonction de x et est donnée par la théorie classique de la mécanique des cordes vibrantes. Avec un nœud de vibration transversale en x et l’autre sur le chevalet. On prendra le chevalet comme origine de la distance x=0:


fij =


Ki est la caractéristique mécanique de la corde i, et xij est l’abscisse j de la note jouée sur la corde i. On a donc 4 courbes f(x) pour les 4 cordes i du violon, avec la correspondance suivante pour les fondamentaux (cordes à vide, j=0)

Corde i fréquence foi (Hz) Constant

Ki (Hz.m)

i=1, sol2 196 64.5
I=2, ré3 293 96.6
I=3, la3 440 144.7
I=4, mi4 659 216.9

Tableau 1 : fréquences propres de vibration des 4 cordes du violon, de sol à mi, avec la dénomination en notes (colonne 1), la fréquence (colonne 2), et les valeurs de la constante de rigidité des cordes K (colonne 3).

Les constantes Ki ont été calculées avec la valeur de x maximum, correspondant aux cordes à vide, c’est-à-dire la distance sillet-chevalet x0 = 0,33 m. La valeur minimum de xij est en pratique la distance séparant l’extrémité de la touche, du chevalet, soit 0.05 m.

La Fig.1 représente la variation de la fréquence f pour les quatre cordes, avec xij compris entre ces deux valeurs limites.

Fig. 1 : Fréquence de vibration des cordes en fonction de la position j sur la corde i

L'on voit sur cette figure qu’une même fréquence peut être obtenue en jouant chacune des cordes à différentes abscisses j. Ceci est d’ailleurs mis en application pratique pour accorder les cordes à vide i avec la quinte sur la corde i-1. De même, l’obtention d’une même note (f) par différentes positions du doigt xij sur les différentes cordes permet  de « sonder à l’oreille » le « timbre » correspondant.

L'on voit également que la sensibilité de la fréquence à la position xij, (pente df/dx) est d’autant plus forte que i est grand pour un xij donné (du sol vers le mi),  donc que la fréquence est élevée. Enfin le continuum fréquence f vs. la position x du doigt sur chaque corde explique la pratique par le violoniste du « glissando », balayage de la fréquence du son à partir de celui du déplacement du doigt sur chaque corde.

Tous ces faits sont bien connus du violoniste, et sont détaillés ci-dessous par  la quantification de la justesse d’un son.


2. Justesse d’un son : définition, évaluation

Dans l’échelle absolue des fréquences, une note de fréquence f0  donnée, correspondant à une abscisse x0  du doigt sur une corde, sera perçue « fausse » par l’oreille si x est "trop différent de x0", et la fréquence f(x) « trop  distincte » de f(x0). Cette limite ∆f=f-f0  détectable par l’oreille dépend de la fréquence et des caractéristiques mécaniques de l’oreille. On la définit ici par une  valeur relative  théorique (∆f/f)th.

Ici se fait le lien entre cordes vibrantes et solfège. Ainsi en se plaçant dans un schéma de gamme diatonique, la fréquence f d’une note par rapport à une note de référence de fréquence f0 varie comme:

fn = f02n/12

n est le nombre de demi-tons séparant les 2 notes. Ceci permet de quantifier la « justesse » d’un son de fréquence f.

Pour ce faire fixons maintenant deux limites de détection de l’oreille :

a) D’après, Delbeck (Wikipedia) cette limite de détection, (∆f/f)th , est de l’ordre de 4 cents (ou un savart), soit 1,00231*. En revenant à la courbe de base f=K /x , ceci conduit à:

qui relie la variation relative de fréquence à la variation relative de position du doigt sur la corde. Ceci permet de définir un premier critère de  justesse « positionnel » égal à :
           

Il est donc indépendant de la corde i, et ne dépend que de la position j du doigt sur chaque corde (distance sillet-doigt). Pour une corde donnée i, l’écart décroit avec x décroissant, donc à fréquence f croissante : il est ainsi plus difficile de « jouer juste » dans les aigus, cf. tableau 2.

*le rapport (f/f0)th.= 1 cent correspond, dans la nomenclature de gamme diatonique, à un rapport de fréquences   f/f0=21/1200)=1,00058 ; soit f/ f0=1,00231 pour 4 cents, et l’écart relatif de fréquence qui en résulte  est df=f-fo=0,00231f0. Le comma diatonique vaut un quart  de demi-ton, soit df=2(1/12.4)=1,01455 f0, soit 25 ,195 cents.

Le tableau 2 ci-dessous rassemble, avec ce critère des « 4 cents », les écarts de justesse ∆x et les écarts de fréquence ∆f correspondants calculés pour la corde de mi en fonction de la fréquence f .

Fréquence (Hz) Position x (cm) Écart de justesse Δx (mm) Ecart de fréquence ∆f (Hz)
mi4 657 33 7,6 1,5
mi5 1314 16,5 3,8 3
mi6 2629 8,2 1,9 6
mi7 5258 4,1 0,95 12,1

Tableau 2 : représentant pour différentes fréquences usuelles, séparées par des octaves sur la corde de mi , l’écart Δx maximum de position du doigt pour que la fréquence correspondante soit perçue justement . L’écart de fréquence correspondant est donné dans la dernière colonne. La dernière ligne mi7, injouable pratiquement sur un violon standard (x ) est indiquée pour mémoire. (Rappelons qu’à chaque accroissement d’une octave la fréquence est doublée.)

b) Un autre critère de justesse peut être aussi défini : en musicologie, le continuum des fréquences est en fait quantifié par des fréquences déterminées de notes, basées sur des découpes d’une octave (intervalle de fréquence double) de différentes manières : diatonique et chromatique par exemple. Dans cette grille de solfège, le plus petit intervalle de notes déclarées discernables est arbitrairement, mais habituellement, défini par le « comma » : ce dernier intervalle de notes correspond à un petit écart de fréquence d’environ 25 cents pour le comma diatonique*. Par comparaison avec le premier critère de justesse, on voit qu’il lui est environ 6 fois supérieur, c’est-à-dire moins astreignant. Ses valeurs sont celles des colonnes 4 et 5  du précédent tableau multipliées par 6.

* "Les enharmonies qui résultent de cette double décomposition, diatonique ou chromatique, amènent à différencier 2 notes consécutives d’une même gamme, do dièse et ré bémol, par exemple. Elles sont spécifiques des instruments à cordes frottées, violon, alto, violoncelle et contrebasse. Elles n'existent pas pour la gamme tempérée du piano."


3. Vibrato

Le vibrato est apparenté pour partie à la justesse d’un son par les modifications qu’il apporte à la fréquence de ce son. Mais pas seulement ! Il est aussi lié à sa nature vibrationnelle.

Le traitement qui suit est emprunté au traitement analytique et numérique de différents auteurs en modulation de fréquence des ondes radio.

Soit un son d’amplitude Xp(t), de hauteur ou fréquence  fp, variant sinusoïdalement avec le temps t :

Xp(t)=Ap sin(fp(t))


avec, en utilisant les notations précédentes :

fp=K/xp


Si l’on veut  introduire une modulation dans le temps de Xp(t) , on peut l’appliquer soit sur Ap  soit sur fp. On a dans le premier cas une modulation d’amplitude, réalisée en modulant en pratique la pression sur l’archet. Dans le second, on a une modulation de la fréquence fp, réalisée en l’appliquant sur l’abscisse xp de la note sur la corde; le violoniste l’obtient en réalisant un petit déplacement périodique du doigt sur la corde i, ou par une légère rotation du doigt en xp  autour de l’impact p.

En reprenant le traitement mathématique classique de la modulation de fréquence d’une onde , la modulation de fréquence qui en résulte autour du point p s’écrit pour cette dernière :

f(t)=fp+fxm(t)

où  xm  est le petit déplacement du doigt (ici sans dimension) et f la  variation de fréquence correspondante. Par suite l’amplitude du son Xp(t) s’écrit à l’instant t :


Xp(t)=Ap sin(2π (τ)dτ

      = Ap sin(2πfpt+fxm(τ)dτ)

Une modulation purement sinusoïdale basse fréquence et monochromatique fm de xm :                                                                                                                    

xm(t)=cos(2πfmt)


conduit pour Xp à l’expression :

Xp(t) =Ap sin(2πfpt+ sin(2πfmt))


Cette dernière équation peut s’écrire comme une série de fonctions dites de Bessel Jn(z) .

Ces fonctions de Bessel sont des fonctions oscillantes et décroissantes avec leur argument z, ainsi qu’avec leur indice n, nombre entier :


Xp(t) =Ap n(z)sin(2πfp+n2πfm)t )                                    (1)


z=   


est nommé indice de modulation.

On calcule facilement f à partir de la courbe f=K/x :


f=K∆/(xp2-∆2)≈K∆/xp2

et l’argument  z  de la fonction Jn(z) devient :   z= K∆/xp2fm                                               (2)       

     

L’expression de Xp(t) montre que le spectre des amplitudes est un spectre de raies dont les fréquences sont :

(fp ± nfm)

et les amplitudes données par Jn(K∆/xp2fm).


Le spectre de raies calculé est représenté sur la Fig 2, en fonction de n pour 4 valeurs de l’indice de modulation z (seulement 4 valeurs de z ont été choisies pour ne pas surcharger la figure et conserver sa lisibilité). Autrement dit le spectre est constitué de la fréquence porteuse, à laquelle est adjoint un ensemble de raies latérales, symétriques dans le cas présent, (mais pas dans le cas général où xm(t) n’est pas purement sinusoïdal), de fréquences (fp ± nfm). L’amplitude des raies, portée en indice sur chaque raie en fonction de sa fréquence, a une enveloppe ondulée et décroissante avec l’ordre n de la fréquence de modulation, ainsi qu’avec  z. Le spectre ne comporte pratiquement que fp et (fp±fm ) quand z<0.2. On notera également que la fréquence porteuse fp disparaît pratiquement au profit de ses satellites pour certaines valeurs de z.

Les propriétés acoustiques du vibrato sont ainsi fonction de l’étalement de ce spectre. Pour évaluer cet étalement, il importe de calculer d’abord son indice de modulation :

zK∆x/xp2fm

ou z ≈ ∆fp2/Kfm

z est ainsi fonction de quatre paramètres  Ki, ∆i, xp, fm, ou encore ∆, fp, K et fm.

Pour balayer l’ensemble des fréquences et des cordes, on a groupé dans le tableau 3 les valeurs de z/∆≈fp2/Kfm pour les fréquences limites, fmin et fmax jouables sur un violon (qui correspondent aux positions extrêmes , xp= 0,33 m et xp= 0,05 m pour les 4 cordes Ki, et pour une fréquence de modulation de 10 Hz).

Fig.2  Spectre de la décomposition en amplitude de fréquence d’une onde de fréquence fp  modulée en fréquence  par une onde monochromatique de fréquence fm. La fréquence de modulation fm est la différence de fréquence séparant 2 fréquences « satellites » d’indice n et n+1 . L’indice de modulation z vaut 1,3,6 et 9. Ces spectres ont été  calculés avec la tabulation des fonctions de Bessel (d’après A. Angot [4]. n est un entier : les interpolations linéaires entre les amplitudes ont été tracées pour mieux comparer les points à différents z.

Corde fmin (Hz) z/∆ min (m-1) fmax (Hz) z/∆max (m-1)
i=4, mi4 657 199 4338 8672
i=3, la3 438 133 2895 5808
i=2, ré3 293 89 1932 3865
i=1, sol2 195 59 1290 2579

Tableau 3. Tableau représentant les valeurs de l’indice de modulation z pour chaque corde, en fonction de la fréquence porteuse fp, et pour une amplitude de vibrato de 1mm.

On en déduit le tableau  4,  donnant les valeurs de l’indice de modulation z pour les quatre cordes, en fonction de la fréquence fp ,et pour une amplitude de vibrato ∆=1mm.


fmin (Hz) z min fmax (Hz) zmax
i=4, mi4 657 .199 4338 8.672
i=3, la3 438 .133 2895 5.808
i=2, ré3 293 .089 1932 3.865
i=1, sol2 195 .059 1290 2.579

Tableau 4. Variations  de l’indice de modulation en fonction de la fréquence fp, pour chaque corde i, et pour une amplitude de vibrato  ∆=1 mm.

L’indice de modulation z décroit à fréquence décroissante , et se situe pour une amplitude de vibrato de 1mm dans les limites du tableau, z de 0.2 à 10.  Autrement dit, pour les 4 cordes, le spectre de raies est peu étendu en fréquence autour de la fréquence porteuse fp  près du sillet, et s’élargit pour les notes aiguës près du chevalet.


4. Conclusion


Cette étude, basée sur la théorie élémentaire de la mécanique des cordes vibrantes, permet de traiter et quantifier simplement deux aspects importants du comportement harmonique du violon.

-la notion de la justesse d’un son, fonction de sa fréquence de vibration, et par suite de la position des doigts sur les différentes cordes qui permet de le réaliser.

-le vibrato et son analyse spectrale en amplitude des fréquences additionnelles introduites. A défaut de simulation et de reconstruction acoustique, l’on peut néanmoins avancer certaines conséquences directes de l’ analyse du vibrato, à savoir :

- le son est plus « étalé» en fréquence, ou « diffus », dans les aigus, plus « pur » dans les graves . Il peut par suite apparaître dans certains cas comme un correctif de justesse.

- Il ne faut pas, lors du vibrato, que «l’aile (nfm)» de la fréquence porteuse excède la limite de justesse considérée précédemment C’est pourquoi le vibrato est relié à la justesse : nfm doit être suffisamment petit et rester inférieur à 0,00231 fp  pour que la note de fréquence  vibrée fp reste juste :

n<0,00231fp/fm.

- un calcul numérique complet montre que pour  certaines valeurs de l’indice de modulation, égales à 2,4, 5,5, 8,65…. la fréquence porteuse disparait au profit des fréquences satellites.Cette description correspond au cas simple où la modulation est purement sinusoïdale et de fréquence fm. Si cela n’est plus le cas, le spectre se complique et devient asymétrique par rapport à fp, comme par exemple pour une modulation simplement périodique.

- il est nécessaire lors de l’exécution du vibrato, d’assurer un ancrage suffisant du point fixe définissant la fréquence fp, afin d’éviter tout glissando conjugué. L’on peut dire aussi que la modulation de fréquence masque par elle même le phénomène indésirable à l’oreille du  glissando.

Enfin, la « forêt » de pics de fréquences satellites introduite par le vibrato, ainsi que la modulation de leur amplitude, correspond  à  un probable enrichissement du timbre du son , auquel il faut évidemment adjoindre la qualité de facture du violon et celle du « violoniste » !


Références :

[1] Traité élémentaire des cordes vibrantes : figure dans tout traité de physique ou de mécanique générale. Par exemple: Physique générale de François Rothen, Presses polytechniques et universitaires romandes, (1999), Lausanne.

[2] La « règle » des 4 cents : Delbeck, Wikipedia

[3] Gammes diatoniques et chromatiques, comma : Théorie de la musique de Danhauser, Ed. H. Lemoine, (1996).

[4] La modulation de fréquence : André Angot : Compléments de mathématiques, Éditions de la Revue d’Optique (1957)

Auteurs : P. Desré, P. Guyot

Laboratoire CNRS  Simap, Université de Grenoble  Alpes, F.