Anthropologie des jeux vidéo/Personnages joueurs
Introduction
[modifier | modifier le wikicode]Lorsque l'on parle de jeux vidéo, nos premières pensées se tournent le plus souvent vers l'action, l'amusement ou encore l'histoire. Mais derrière chaque choix, chaque personnage incarné, il y a un joueur avec ses envies propres, ses réflexes, ses habitudes et parfois même ses contradictions. Il est ensuite intéressant de comprendre comment et de quelle manière les joueurs se comportent lorsqu'ils se retrouvent plongés dans les univers vidéoludiques, plus précisément au cœur des sociétés de personnages non-joueurs qui les habitent.
Certains joueurs aiment foncer dans le tas, tandis que d'autres préfèrent parler à chaque personnage ou traquer le moindre secret de la carte. Ces différences ne sont pas anodines, elles en disent long sur notre rapport au jeu et à l'univers qu'il déploie. Et c'est la raison pour laquelle un chercheur comme Richard Bartle a tenté de classer les joueurs selon leurs motivations principales, tandis que d'autres se sont intéressés aux personnages peuplant les jeux vidéo et à leur rôle ou aux différents types de liens pouvant unir un personnage joueur, un personnage existant dans l'univers du jeu contrôlé directement par le joueur, et des personnages non-joueurs, des personnages contrôlés par le système du jeu.
Approche par les systèmes économiques
[modifier | modifier le wikicode]Envisageons tout d'abord une approche économique des sociétés de «personnages non-joueurs» repris dans ce texte comme dans le monde du jeu sous l'acronyme "PNJ" et "PJ" pour le personnage joueur. Cet élément, pour de très nombreux jeux vidéo, fait office de pierre angulaire dans ces mondes où le troc, l'artisanat, le patrimoine ou encore la gestion financière sont des mécaniques clés. Ces économies virtuelles et dynamiques cherchent à imiter les principes économiques[1] du monde réel.
Dans certains jeux appartenant au genre des RPG, à savoir Role Playing Game (Jeu de rôle), ou MMORPG, soit massively multiplayer online role-playing game (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur), le rôle des PNJ ne se cantonne pas à de simples interactions scénarisées. Ceux-ci occupent des rôles de marchands, d'artisans, de banquiers ou encore de médecins, avec, en certaines occasions, une participation active aux échanges des biens et services. Certains jeux, comme la série des Kingdom Come, approfondissent cette participation par un système de réputation/négociation avec les marchands[2]. Ceux-ci ne vont pas simplement rester passifs face à des offres désavantageuses ou lorsque les personnages joueurs tentent de leur refourguer des objets volés.
Ces systèmes économiques reposent bien souvent sur la dynamique de l'offre et de la demande, laquelle peut directement influencer la disponibilité des objets, leur prix, créant parfois même certains déséquilibres économiques comme la pénurie artificielle, l'inflation, voire des marchés monopolistiques. Il y a matière à s'interroger sur la frontière entre le jeu et la modélisation économique, le plus souvent capitaliste, en rapport aux réalités économiques contemporaines.
Dans ses travaux, Edward Castronova apporte de précieux éclairages concernant ces dynamiques, notamment dans son ouvrage Synthethic world[3]. Il y démontre que les mondes persistants en ligne possèdent des économies suffisamment complexes pour être comparées à celles du monde réel, ayant des règles et marchés propres. Il indique également que les comportements économiques des joueurs reflètent des logiques utilitaristes, parfois très proches de celles des sociétés capitalistes modernes. Les PNJ, eux, jouent un rôle structurel, contribuant à la stabilité et à la continuité des mondes virtuels.
D'un point de vue anthropologique, les sociétés de PNJ peuvent amener de multiples questionnements. De fait, ces personnages sont nombreux à effectuer des tâches répétitives, ce qui n'est pas sans rappeler des formes d'automatisation du travail humain. C'est là une dynamique qui peut être mise en parallèle avec les systèmes de "radiant quests", des quêtes génériques, répétables, subordonnées aux quêtes scénarisées et qui vont ajouter de la matière et éviter que le joueur ne se retrouve sans objectif.
Le concept de "personnage non-joueur"
[modifier | modifier le wikicode]La perception du personnage joueur est une notion qui peut être assez floue et dépendante de l'expérience de chacun. Certains chercheurs tiennent toutefois à distinguer ce terme de celui de "l'avatar". Selon Klevjer, l'avatar devrait être conçu par le type d'incarnation fictif et la participation fictionnelle qu'il permet, tandis que la notion de "personnage joueur" serait plus précisément associée à un sujet qui agit et pense à l'intérieur d'un monde diégétique[4].
Selon le scientifique Henrik Warpefelt, Un PNJ, ou NPC en anglais (Non-player character) peut-être défini comme "tout personnage dans un environnement de jeu contrôlé par l'ordinateur, plutôt que par les joueurs".[5]
A noter au passage que ce terme a été intégré dans le langage courant via la culture du mème dans une dimension humoristique pour désigner des individus passifs ou semblant dénués de personnalité[6].
Évolution du joueur dans une société de PNJ
[modifier | modifier le wikicode]Dans de nombreux cas, après une phase introductive et limitative, le joueur sera introduit dans le monde du RPG auquel il joue. Dans ce dernier, il sera immédiatement, ou progressivement, immergé dans la société propre à ce monde. Afin d'intégrer le joueur en tant qu'acteur et non pas que simple observateur, de nombreux jeux vont proposer un système de moralité dynamique, un système où le joueur va tenter de façonner progressivement son rôle ainsi que son influence (on peut être aimé, conspué, ou même susciter un sentiment mitigé). Si ces systèmes obéissent à de simples schémas de cause à effet, certains jeux vont rendre un grand nombre d'actions commises par le joueur impactantes, parfois même des actions anodines (telles que les poulets dont l'agression amène des répercussions dans certains jeux de la série The Legend of Zelda[7]).
Les jeux de rôles virtuels fonctionnent comme des microcosmes sociétaux[8]à l'intérieur desquels les décisions du joueur ne sont pas jugées uniquement selon des règles préétablies, mais elles sont également interprétées par les PNJ en fonction des normes de morales simulées qui leur sont propres. les développeurs cherchent avant tout à offrir une expérience stimulante et cohérente plutôt que crédible d'un point de vue scientifique et philosophique. De ce fait, les décisions qui se présentent aux joueurs peuvent avoir des conséquences prévisibles et claires, tandis que d'autres peuvent se montrer imprévisible ou se trouver dans des zones grises. Il convient donc de parler d'un système d'effets non pas seulement défini par les actions, mais aussi par les intentions du PJ.
Ce type d'interaction et de relation amène à la création d'un écosystème où le joueur sera perçu différemment selon sa conduite, influençant la manière dont il est accepté, rejeté ou redéfini au sein du système social du jeu.
Par conséquent, l'évolution du personnage dépend autant des choix individuels que son joueur fera au cours de sa partie, de sa "run", que des réponses systémiques des PNJ, ces derniers pouvant réajuster leurs comportements et croyances selon leurs propres schémas moraux internes.
Les choix individuels sont effectivement une composante de certains jeux qui en dit beaucoup sur le comportement des joueurs. Ces choix peuvent être faits en fonction d'un système de moralité, comme évoqué plus tôt, des croyances propres à la diégèse du jeu, aux objectifs personnelles du joueur ou tout simplement aux valeurs personnels de ce dernier selon l'alignement (éthique et moral) choisi pour son personnage.
Une typologie des joueurs a également été développée par Richard Bartle en 1996. Elles scindent les joueurs en quatre catégories: Les "Accomplisseurs", cherchant à accumuler des marqueurs d'accomplissement comme de l'expérience ou des équipements, les "Explorateurs", cherchant eux à découvrir l'espace de jeu et à s'immerger dans son univers, ensuite il y a les "Socialisateurs", qui cherchent avant tout à interagir avec d'autres joueurs ou avec des PNJ, et enfin il y a les "Tueurs", ces derniers se focalisent sur l'optimisation et l'élimination, concentrés sur leur score. Si la typologie de Bartle concerne avant tout les jeux en ligne multijoueurs, elle peut tout naturellement être utilisée comme grille d'analyse pour les RPG.
Analysons maintenant les rapports entre joueurs et Pnj, pour cela, revenons aux origines du genre RPG.
Typologie de lien avec les PNJ
[modifier | modifier le wikicode]Les Role playing games, ou jeux de rôle sur table, ont évolué depuis les prémices de Donjons et dragons en 1974, soit des jeux de rôles sur table dont les possibilités narratives sont infinies, ont pris forme au sein de l'industrie vidéoludique jusqu'à en devenir une composante majeure. Bien qu'il s'y retrouve de nombreuses mécaniques de leur ancêtre papier, notamment dans les types de relation PJ-PNJ, ces dernières sont limitées par les capacités techniques du jeu vidéo.
Par conséquent, l'industrie a évolué vers des schémas types qui sont devenus de véritables codes au sein du monde du jeu vidéo, lesquels ont implicitement créé des liens types entre PJ et PNJ. Selon Christine Daviault, il y a lieu de parler d'un "casting de soutien"[9] (supporting cast), potentiellement composé de milliers de personnages secondaires, positionnés sur un schéma actanciel par rapport au héros, soit le personnage joueur.

Pour rentrer davantage dans la dichotomie de ces types de liens, prenons d'abord l'un des plus courants avec la fonction instrumentale. Dans cette première configuration, le personnage joueur va se servir des êtres qu'il rencontre afin de progresser. Selon une étude de Warpefelt et Verhagen[10], de nombreuses personnes assimilent les PNJ qui vont acheter, vendre et fabriquer des objets pour le personnage joueur, à ceux qui vont lui proposer des quêtes ou encore des services.
Cette relation "instrumentale" va cloisonner ces personnages dans un rôle utilitaire et fonctionnel. Il en découle, de ce fait, des interactions superficielles et mécaniques, le joueur ne cherchera pas, généralement, à en apprendre plus sur le personnage une fois la quête ou transaction terminée.
Selon l'étude citée plus tôt, certains personnages, ne remplissant pas ce premier type de rôle, peuvent être présents afin de fournir des informations générales, souvent du lore, et donner l'impression que l'endroit est affairé (donner un sentiment de vie). Notons que cette fonction qui est souvent celle attribuée aux personnages enfants dans de nombreux jeux. Ceux-ci étant présents pour l'immersion, mais souvent écartés de certaines mécaniques (comme la mortalité) par censure préventive.
Toutefois, notons que si cette répartition des rôles est une structure récurrente dans le domaine, certains jeux poussent la complexité des dynamiques bien plus loin avec des PNJ "multifonctions". Dans un jeu comme Baldur's gate 3, où presque chaque personnage rencontré est susceptible d'avoir une histoire unique à raconter, le PJ peut parfois se surprendre à faire du troc avec un garde ou un passant. Ces variantes de personnages, proposant une large panoplie d'interactions, s'organisent en véritables taxonomies d'action[11]. Par exemple, Le personnage est-il hostile? Si oui on l'affrontera. S'il n'est pas hostile ou qu'il peut-être "convaincu" de ne plus l'être, alors il pourrait être classifié plus profondément qu'en tant qu'ennemi.
Ainsi, cet approfondissement permet sans nul doute de généraliser des comportements très spécifiques et de nuancer le rôle des entités que l'on rencontre, permettant de les rattacher à plus qu'à une étiquette basée sur leur fonction, une perception plutôt enfantine du monde où, par un point de vue limité par son développement cognitif (voir la tâche des trois montagnes de piaget & inhelder[12]), on se figure pas, par exemple, que le boulanger puisse avoir une vie en dehors de son commerce à laquelle retourner une fois sa journée terminée.
Très récemment, en parallèle de l'essor prodigieux de l'intelligence artificielle sur quelques années, une combinaison de cette dernière avec le système de plusieurs jeux vidéo a permis d'apporter une nouvelle profondeur aux interactions entre le PJ et les PNJ. L'un des cas les plus célèbres de cette révolution s'est produit avec The Elder Scolls V: Skyrim. Le très célèbre RPG de Bethesda, souvent moqué en ligne pour ses personnages peu naturels et partageant souvent des lignes de dialogues très répétitives entre eux, s'est vu devenir le terrain d'expérimentation de nombreux joueurs et moddeurs, soit des créateurs de contenu non-officiel ajoutable au jeu. Le site d'actualité vidéoludique Gamerant dit dans un article[13] sur cette évolution de Skyrim que "ce n'est qu'une question de temps avant que les développeurs de jeux ne commencent à implémenter des choses comme l'IA générative et des voix de synthèses dans leurs jeux pour créer des expériences plus uniques et immersives". Si les effets de cette évolution commencent seulement à apparaître au sein de l'industrie vidéoludique, le cas de Skyrim a déjà de quoi fasciner. Des joueurs tentent par exemple de pousser les PNJ contrôlés par l'IA à brisé le quatrième mur et à "prendre conscience" de leur propre nature, comme dans la vidéo[14] du youtubeur Brainfrog.
Mais si les différents rôles des personnages entourant le joueur peuvent être des représentations limitées, des limites peuvent également émaner du personnage joueur, le plus souvent concernant ses origines.
Analyse de quelques mondes vidéoludiques
[modifier | modifier le wikicode]Certains experts parlent du ressort scénaristique du héros en "terre inconnue"[15]. Propre à de nombreux jeux cherchant à justifier un manque d'appartenance du PJ au monde dans leur narration, ce trope vidéoludique a été fortement exploité dans de nombreuses franchises et peut nuire à l'immersion du joueur. Il consiste en un postulat initial: le personnage est loin de son foyer dans un monde qu'il ne connaît pas, et le plus souvent, ce foyer est seulement évoqué (ça peut-être un autre pays, une autre galaxie ou encore une autre époque). La narration s'en trouve souvent simplifiée, car cela propose une justification au fait que le personnage ne connaisse rien au monde qu'il découvre, à l'instar du joueur.
Cependant, certains jeux parviennent à jouer habilement avec cette formule, c'est notamment le cas de la série de jeux Fallout, et plus particulièrement de ses premiers opus. Le joueur y incarne un personnage qui a grandi dans un abri, privilégié et coupé du reste du monde, en marge d'une société survivant dans un monde en cendres. Ici, le personnage va évoluer dans une contrée, une société qui lui est étrangère et cruelle. Il va donc devoir apprendre à maîtriser les codes du monde post-apocalyptique pour survivre. Toutefois, le foyer existe, il fait partie intégrante du jeu et de sa narration, il n'est plus seulement dans l'esprit du joueur, et ce dernier va devoir partir en quête de moyens pour le préserver lui et ses habitants.
L'analyse[16] de Guillaume Grandjean des espaces sociaux dans Zelda: Breath of the Wild est également un cas très intéressant. Elle révèle que dans ce titre récent, l'organisation des villages dans le jeu n'est pas anodine, elle témoigne d'une structure sociale complexe. L'agencement des villages combine un désordre apparent, imitant l'organisation naturelle, et ce, avec une logique de design rigoureuse. Cela illustre le concept rhétorique de negligentia diligens, une notion de Cicéron qui s'oppose notamment aux aspects trop artificiels d'une rhétorique publique. Dans le cas de Zelda, les villages sont établis selon une certaine logique, en fonction de la nature des lieux, généralement dans des régions accueillantes, retirées des plaines sauvages, et elles sont reliées entre elles par des routes et des points relais où le PJ peut se reposer.
La série de jeux Persona s'inspire majoritairement de la psychologie analytique de Carl Gustav Jung. En effet, le concept de "Persona" représente pour Jung le masque social porté par l'individu. Dans les jeux de la série, chaque personnage va devoir faire face à une "ombre", une manifestation de ses désirs refoulés ou de ses peurs, et devra l'accepter pour éveiller sa "Persona". Un processus qui symbolise l'intégration des différentes facettes de soi, un thème donc central dans la construction de l'identité. Les joueurs vont eux-mêmes être poussés par le jeu à adopter des comportements à la fois introspectifs, sociaux et moraux. Cette notion renvoie également à celle des choix effectués par les joueurs.
Pour approfondir cette idée de "choix du personnage joueur", prenons une série de jeux RPG dont les choix sont un des éléments phare, la série des jeux Mass Effect. Le joueur y incarne en apparence un soldat dans un théâtre galactique science fictionnel cherchant à protéger les races extraterrestres et humaines vivant en communauté face à une menace globale. Cependant le rôle du personnage joueur se révèle de plus en plus central dès le début du premier des trois jeux. A forcer de jouer, le joueur comprend qu'il n'incarne pas seulement un soldat humain, mais une figure de messie, souvent contrainte à faire appelle à une approche diplomatique... Enfin cela seulement face aux choix évidents, car certains pourraient pousser le joueur à adopter une approche calculatrice et cruelle, alors que dans d'autres cas, il pourrait n'y avoir tout bonnement aucune "bonne solution".
La série repose sur un système de décision morale binaire (Parangon vs Renégat), mais les conséquences de ces choix se manifestent souvent à long terme (nos choix du premier jeux peuvent influencer l'issue des deux opus suivant), une idée explorée[17] par Sophie Wright et Alena Denisova pour qui, "le sentiment d'agentivité des joueurs est souvent renforcé par le poids émotionnel de leurs décisions, même lorsque ces choix sont techniquement contraints par la structure du jeu". Elles mettent en avant le fait que cette construction narrative donne aux joueurs l'impression de façonner activement l'histoire du monde au centre duquel ils évoluent, bien que les embranchements soient généralement cadrés dans des trajectoires narratives assez rigides. En effet la ramification des choix a beau être immense, le jeu doit malgré tout retombé sur les rails pour continuer en raison d'une limitation technique propre au jeu vidéo.
Toujours dans cette idée, Tyler Paulley montre dans sa thèse "The Official Rulebook for Choice in Video Games: An Examination of Choice in Modern Narrative Games"[18] témoigne également de cette limitation. Dans le cas de Mass effect, le jeu fonctionnerait selon une grammaire du choix où l'illusion de liberté est soigneusement orchestrée. Paulley y distingue des types de décisions en fonctions de leur impact comme étant soit cosmétiques, contextuelles, ou déterminantes et il note la série alterne entre ces niveaux pour maintenir l'engagement du joueur. De ce fait, sauver un personnage ou choisir de le sacrifier à un moment clé peuvent sembler décisifs, mais l'impact réel sur la structure narrative sera souvent différé voire même symbolique. Ce caractère différé va toutefois, loin de diminuer l'importance du choix du joueur, augmenter son effet dramatique en faisant peser une forme de responsabilité sur le PJ. Ce sentiment de responsabilité sera développé par la suite en abordant l'idée d'une domination du joueur sur les PNJ.
Analyse des comportements du joueur
[modifier | modifier le wikicode]Certains chercheurs ont avancé qu'au travers du lien entre le joueur et le personnage joueur, un schéma similaire à celui d'un marionnettiste[19]peut être envisagé. Cet acte métaphorique prendrait place par le biais de la manette ou, du clavier/souris, lesquels permettraient "la manipulation d'un personnage inanimé par des mains humaines dans une performance dramatique".
Cette idée du marionnettiste ferait écho au désir intemporel de l'humain de jouer à Dieu. Pour aller dans le sens de cette théorie, il suffit d'observer les nombreuses thématiques appartenant au paradigme religieux dans les jeux, plus particulièrement les God games. Bien que ceux-ci sortent du cadre des RPG, Wiemker et Wysocki vont pointer des éléments caractéristiques de ces jeux appuyant cette idée, comme le point de vue en surplomb du joueur, ou plus largement son rôle en tant qu'entité divine[20]. Ces jeux positionnent le joueur en tant qu'entité divine avec des pouvoirs presque surnaturels et illimités, contrôlant le jeu à une large échelle. Un exemple des plus évidents est la série des jeux Les Sims, univers dans lequel il n'y aura pas nécessairement un personnage identifiable comme personnage joueur, car le joueur a la possibilité d'en incarner un grand nombre, et de régir leur quotidien et leurs relations sociales. En plus des pouvoirs divins accordés au joueur en comparaison à ceux des PNJ, une autre récurrence qui peut être observée dans ces jeux est le choix d'une caméra libre, souvent posée en angle quasi-zénithal, soulignant possiblement le statut divin du joueur.
On peut également observer certaines tendances liées au personnage joueur lui-même, notamment en ce qui concerne le genre de ce dernier. En effet, certaines études[21] ont pu observer que de nombreux joueurs choisissent de créer et d'incarner un personnage d'un genre différent du leur, et ce, pour des raisons parfois plus poussées qu'une simple distinction visuelle. Certaines raisons provoquant ce comportement peuvent être purement liées à des questions de gameplay. C'est notamment le cas de la série Fallout évoquée plutôt, dans celle-ci on retrouve plus particulièrement les aptitudes "Confirmed bachelor"[22], "Black widow[23] , "Cherchez la femme" ou encore "Lady killer", des traits que l'on peut apprendre à son personnage et qui vont affecter sa personnalité et son rapport avec le monde. Cela va se matérialiser de deux façons, la première par des dialogues supplémentaires auprès de certains personnages lié à l'attirance du personnage en fonction de l'aptitude choisie (apprendre dans l'ordre les aptitudes "Cherchez la femme" puis "Black widow" va identifier un personnage féminin comme homosexuel puis bisexuel). Le deuxième avantage est un bonus au combat face aux personnages du ou des genre(s) ciblé(s). Ce genre d'élément va venir sublimer l'expérience de jeu et la "rejouabilité" tout en soulignant l'amoralité absolue de l'univers de la série.
Si cette mécanique de jeu apporte déjà une plus grande profondeur au personnage joueur, des jeux plus récents ont poussé le champ des possibles plus loin encore, avec, par exemple, la possibilité de jouer un personnage transsexuel dans le jeu Hogwart's legacy[24] , ou encore de personnaliser le genre ou les caractéristiques physiques, voire sexuelles, de son personnage, comme c'est notamment le cas dans Cyberpunk 2077[25]. Pour approfondir les tenants et les aboutissants du genre du personnage, ou plutôt de l'avatar, le chapitre consacré à ce sujet est plus indiqué.
Conclusion
[modifier | modifier le wikicode]Pour conclure ce chapitre, une réflexion possible serait que jouer, c'est un peu se révéler. En effet, en observant le comportement des joueurs, il apparaît que le jeu reflète la personnalité du joueur se tenant derrière l'écran. Une étude[26] a notamment observé l'influence des jeux sur la construction de l'identité des joueurs, celle-ci se développant spécifiquement en fonction de leurs interactions avec le jeu et les éventuels autres joueurs, reflétant des dynamiques sociales et culturelles complexes.
En effet, le rapport dialectique entretenu entre le personnage joueur et les personnages non-joueurs témoigne bien de la manière dont les individus ont tendance à s'insérer et à interagir avec leur environnement social réel, mais d'une manière plus artificielle et spécifique. Le concept de negligentia diligens, vu plutôt, rend notre réalité moins lisse que celle du jeu. Les interactions avec les PNJ peuvent en effet devenir des miroirs ou extensions symboliques des normes, valeurs et structures sociales influençant le joueur au quotidien. Les jeux vidéo offrent ainsi une exploration des frontières identitaires et relationnelles, soit un espace d'expérimentation sociale varié.
Ainsi, l'analyse du personnage joueur par sa relation avec la société virtuelle constituée de personnages artificiels s'avère être un terrain propice pour comprendre les mécanismes identitaires et culturels à l'œuvre dans les univers vidéoludiques. Ce chapitre permet donc d'arriver à la conclusion que les jeux vidéo sont plus que de simples distractions, ils sont en effet de potentiels outils de réflexion sur les interactions humaines, parfois à une échelle sociétale, permettant de développer une compréhension des dynamiques collectives et individuelles du monde réel.
Mots-clés
[modifier | modifier le wikicode]Société de PNJ - Systèmes économiques - Personnage joueur - Personnages non-joueurs - Evolution du joueur - Typologie de liens - Instrumentaliste - Rôle multifonction - Mondes vidéoludiques - Comportements des joueurs
Notes et références
[modifier | modifier le wikicode]- ↑ Fanny Barnabé, Julien Bazile et Rémi Cayatte, « De la société en jeu au jeu comme société : un parcours dialectique », Emulations - Revue de sciences sociales, no 30, 2019-09-03, p. 7–15 (ISSN 1784-5734 et ISSN 2030-5656) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2025-03-19)]
- ↑ (en) « Shopping and Haggling », sur Kingdom Come: Deliverance Wiki (consulté le 21 avril 2025)
- ↑ (en) Edward Castronova, Synthetic Worlds: The Business and Culture of Online Games, University of Chicago Press [lire en ligne]
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- ↑ Henrik Warpefelt, The non-player character: exploring the believability of NPC presentation and behavior, Department of Computer and Systems Sciences, Stockholm University, 2016 (ISBN 978-91-7649-379-3)
- ↑ « Le Personnage Non Joueur : un moteur d’immersion ? – LIGUE LUDIQUE », sur www.ligue-ludique.fr (consulté le 16 avril 2025)
- ↑ « Cocotte », sur ZeldaWiki (consulté le 16 avril 2025)
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- ↑ (en) « Black Widow (Fallout: New Vegas) », sur Fallout Wiki (consulté le 21 avril 2025)
- ↑ Par Erwan Lafleuriel Mis en ligne le 2 mars 2021 16:15, « Le RPG Harry Potter Hogwarts Legacy permettra de créer des personnages transgenre », sur IGN France, (consulté le 21 avril 2025)
- ↑ Par Erwan Lafleuriel Mis en ligne le 6 mai 2020 15:45, « Cyberpunk 2077 : vous pourrez customiser votre sexe, et on ne parle pas du choix homme/femme », sur IGN France, (consulté le 21 avril 2025)
- ↑ (en) Jingyang Ai, Beth Cross et Carole Bignell, « The construction of gamer identity in narratives about video game playing and formal education learning experiences », Research in Learning Technology, vol. 31, 2023-11-06 (ISSN 2156-7077) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2025-04-21)]
Questionnaire
[modifier | modifier le wikicode]Parmi les choix de réponses aux questions, il peut y en avoir une, plusieurs, toutes ou aucune réponses correctes.

