Anthropologie de l'espace numérique/Que faut-il entendre par numérique ?
Le terme numérique, qui se présente ici sous la forme d'adjectif, fait référence à un format de données, ou d'informations, transmises au travers d'un langage dont l'écriture est composée de chiffres. Le langage informatique, par exemple, s'articule autour du chiffre 0, qui désigne un circuit électrique ouvert et donc sans passage de courant, alors que le chiffre 1 indique que le circuit est fermé et donc que le courant est transmis.
C'est pour cette raison que l'on parle de système binaire ou de code binaire pour désigner le langage machine dont la grammaire repose uniquement sur l'usage du signe 0 et 1 (voir illustration ci-dessous). Ces codes informatiques sont ainsi rassemblés dans des fichiers exécutables, qui ont pour particularité de pouvoir être directement lisibles et interprétables par les ordinateurs, alors qu'ils sont difficilement compréhensibles par les humains.

Le terme numérique se traduit en anglais par « digital » en référence aux doigts de la main, notre plus ancien instrument de comptage, mais aussi au mot digit, qui signifie chiffre en anglais. Charles Babbage (1829-1839) avait d'ailleurs mis au point un système informatique décimal pour faire fonctionner une machine analytique. Un instrument dont les développements théoriques réalisés par Ada Lovelace aboutirent à l'écriture de tout premier programme informatique. Par la suite, le système décimal fut cependant abandonné en faveur du système binaire, sans doute en raison de la simplicité de mise en œuvre de ce langage au niveau des machines.
C'est ainsi qu'en 1941, Konrad Zuse construit le Zuse 3, un tout premier calculateur qui fonctionnait avec des relais électromécaniques, ou autrement dit des interrupteurs commandés à distance au départ d'une centrale de commande. Des commandes qui précisément étaient mises en fonction au départ du langage binaire composé de 1 et de 0 pour commander respectivement l'ouverture et la fermeture des relais électromécaniques au départ de rubans pré-perforées.
En opposition au numérique, il y a les données et signaux dites analogiques qui ont pour particularités d'être analogue à l'information d'origine. Une hauteur sera par exemple substituée par l'intensité d'un signal électrique, une pression par la position d'une aiguille dans un manomètre, une température par la hauteur du mercure dans un thermomètre, une altitude par une couleur de plus en plus foncée, et ceci toujours dans une continuation analogue et continue à la source.
Les systèmes analogiques ont pour avantage d'être facilement compréhensibles par les humains, mais ont pour inconvénient de nécessiter une connexion permanente entre l'émetteur et le récepteur si l'on veut que la transmission soit complète et non interrompue. Un canal de communication unique et séparé est donc nécessaire pour chaque signal transmis.
Les signaux numériques au contraire peuvent se transmettre par paquets qui seront ensuite rassemblés à l'arrivée dans le but d'établir un signal complet. Dans un seul câble électrique, on ne peut donc transmettre qu'une seule musique de manière analogique, alors que l'on peut en transmettre plusieurs de manière numérique et selon le degré d'échantillonnage du signal. Au fur et à mesure de la réception des paquets, un système de tampon permettra ensuite de diffuser la musique en continu.
En plus de pouvoir se scinder en paquets, les signaux numériques peuvent aussi être porteurs de l'identité de l'émetteur et du récepteur de l'information. Une adresse IP comme c'est le cas dans le réseau Internet. Grâce à cela et un peu comme le transport de marchandises sur les réseaux routiers, il est alors possible au travers d'un seul canal de communication, une paire de fils en cuivre comme c'est le cas en téléphonie, de faire passer plusieurs signaux simultanément et entre des émetteurs et des récepteurs variés. Un peu comme des camions qui circulent sur une même autoroute, alors qu'ils ont chacun une provenance et une destination différente.
Ainsi, et de manière similaire au réseau routier, un seul câble électrique raccordé à un ordinateur, peut simultanément être utilisé pour téléphoner, surfer sur le net, écouter la radio ou télécharger des fichiers. Cela avec cette particularité commune du transport routier : plus il y a d'informations numériques en circulation sur un câble électrique, plus lente sera leurs transmissions.
Il est ensuite important de ne pas associer systématiquement le numérique au virtuel. Un signal, une donnée numérique, tout comme les applications qui les produisent et les espaces qu'ils peuvent modifier, est tout à fait actuel dans sa manière d'être. Ce qui veut dire qu'il existe à l'instant présent et pas dans une projection future, comme le fait d’entendre le terme virtuel qui provient du mot latin médiéval virtualis que l'on peut traduire par l'expression « en puissance », ou autrement dit sans effet.
Les espaces numériques tels que des jeux vidéo, que l'on considère souvent comme virtuel par abus de langage, devraient plus justement être qualifiés de fictifs dans le sens où ils sont plus souvent imaginaires que réalistes. Ils ne sont pas naturels en soi, mais cela ne les empêche pas d'être bien réels, et d'exister de manière visible, audible et actuelle au sein d'une infrastructure informatique manipulée par des personnes tout aussi réelles et actuelles.
Au lieu d'employer l'expression « réalité virtuelle », il serait donc aussi plus juste, sémantiquement parlant, d'utiliser celle de « réalité artificielle ». Car encore une fois, ce qui se passe dans les casques de visionnage est tout à fait réel et actuel, même si issu d'une imagination humaine parfois inspirée par la nature. Une expression à ne pas confondre aussi avec l'expression « réalité augmentée » utilisée lorsqu'un système permet à l'utilisateur de visionner ce qui l'entoure, mais avec l'incrustation d'éléments produits de manière numérique.
Comme autre ambiguïté, il y a ensuite l'expression « anthropologie numérique ». Dans un cas, on l'utilise effectivement pour désigner l'usage des outils informatiques dans la pratique de l'anthropologie, au même titre que l'expression « humanités numériques » désigne l'usage des nouvelles technologies en sciences des lettres. Alors que dans un autre cas, elle fait référence au domaine de l'anthropologie consacré à l'étude des êtres humains au sein des espaces numériques. Cela alors qu'en réalité, il serait impossible d'étudier l'humain au sein des espaces numériques sans utiliser des outils numériques.
Ainsi, les outils numériques utilisés aujourd'hui en anthropologie ne se limitent plus à l'usage d'un traitement de texte. Ils regroupent de nos jours toute une batterie de moyens de captation et de communications qui plonge les anthropologues dans divers espaces numériques. Même si l'on veut limiter son terrain d'étude à un espace géographique, il semblerait impossible aujourd'hui de passer sous silence les informations qui circulent dans les réseaux sociaux et autres espaces numériques dédiés au partage et à la communication.
Le numérique est donc devenu quelque chose d'incontournable dans l'étude des êtres humains. À tel point que l'on peut parler aujourd'hui d'un écoumène numérique parallèle à l'écoumène géographique, de sorte à pouvoir mieux contextualiser la vie des humains par rapport à deux espaces distincts, mais en perpétuelle interactions.
Mots-clefs
[modifier | modifier le wikicode]Circuit ouvert fermé - Digital/Analogique avantages inconvénient - Transmission par paquet - Virtuel/actuel - anthropologie (du) numérique.
Questionnaire
[modifier | modifier le wikicode]Parmi les choix multiples de réponses aux questions, il peut avoir une, plusieurs, toutes ou aucune réponses correctes.