Méthodologies cliniques

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Chapitre no 3
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Le cadre de la cure et les techniques utilisées peuvent être modifiés au cours d'une psychothérapie éclectique, en fonction des problématiques individuelles, mais aussi pour la même personne d'une séance à l'autre, tandis que la méthodologie relationnelle globale demeure constante.

La prise en compte du transfert dans la rencontre clinique avec la personne est un levier essentiel pour la co-construction d'une alliance thérapeutique stable et durable; continue. Dans cette mesure, la continuité clinique transférentielle incarne le cadre relationnel de la cure éclectique, tandis que les techniques de parole (association libre, analyse des rêves, récapitulation, ...), ainsi que les médiations psycho-corporelles (yoga, méditation dynamique, massages...), les modalités individuelles, groupales ou collectives forment un cadre pratique en mouvement[1], suivant le rythme impulsé par le contenu subjectif des séances, les échanges relationnels entre soignant et soigné, le matériel de la cure exprimant la division inconsciente du Sujet désirant.

Si la continuité relationnelle et le rythme des séances représentent des constantes fondamentales du suivi psychothérapique éclectique, ces dernières impliquent, par effets accidentels de crise, des ajustements asymptotiques aux bouleversements des états psychiques des consultants, qui affectent transférentiellement la cure dans le sens de la discontinuité, du mouvement, et peut-être du côté du changement, du rétablissement ou de la résilience.

Les thérapies dynamiques éclectiques s'appuient sur les méthodologies cliniques pour interpréter, mettre en lien et appliquer différentes techniques, pratiques ou théories de manière cumulative, additionnelle, sans réduction d'un modèle à un autre, sans recours à la systématisation des procédures automatiques.

La pratique clinique consiste ainsi à soigner la personne et non le symptôme ou la maladie, en prenant en compte la fonction protectrice et défensive des tableaux sémiologiques, dans une approche compréhensive et globale des interactions de l'individu avec son environnement, à partir de l'écoute de ses plaintes, de ses demandes et de ses choix de vie. La recherche clinique quant à elle, se caractérise par des allers-retours analytiques entre les pratiques cliniques et les modèles théoriques ; entre le matériel issu du terrain clinique et les concepts qui émergent de la subjectivité des chercheurs cliniciens.

La méthode clinique est donc une démarche scientifique interdisciplinaire de recherche et de production de savoir, mais c'est aussi une pratique particulière du soin psychique, du traitement médical ou de la psychothérapie. Elle s'appuie sur une conception de la santé mettant en lien nature et culture, via la pluridisciplinarité, l'éclectisme, l'interprétation de phénomènes appréhendés selon des points de vue contradictoires, la traduction et la transcription de concepts appartenant à des domaines distincts de la connaissance et des savoirs.

Origines

L’étymologie du terme de clinique est empruntée au latin impérial clinice, «médecine exercée près du lit du malade», elle-même issue du grec κ λ ι ν ι κ η ́ (sous-entendu τ ε ́χ ν η), qui indique ainsi un positionnement au chevet du patient ou dans sa chambre, et renvoie à une conception humaniste et subjective du rapport à la personne en mauvaise santé, malade ou en demande de soutien[2].

Dans l'antiquité, les mains permettent d'exercer l'art du massage pour la santé, par les techniques de l'effleurage, du pétrissage et de la friction, comme un traitement thérapeutique "à portée de main".

La main, "cet outil qui tient lieu des autres" (Aristote), permet de traduire les pensées, d'accomplir les idées et les sentiments en actes concrets. Les mains produisent un effet apaisant et bienfaisant sur l'être en aidant le corps à se guérir par lui-même, comme un baume pour l'âme répondant au besoin d'être touché et manipulé. Les mains aident l'esprit à se détendre et à se libérer. Le massage est aussi une forme de communication, "une langue sans parole, qui nous rapproche les uns des autres, nous unit" dans l'intimité. Le massage conserve la santé, voire permet de la recouvrer[3].

En tant que méthode de recherche, les sciences humaines ont recours à la méthode clinique au travers de différentes techniques d'entretien, de colloque singulier et de médiation permettant de recueillir, d'interpréter et d'analyser un matériel, des informations ou des situations.[4]

Le clinicien soigne l'ensemble de la personne, de manière holistique, et non seulement le symptôme, à partir de la rencontre d'un sujet via ses conduites et ses discours.

La méthode clinique rappelle ainsi l'exigence éthique comme nécessaire à la relation thérapeutique entre soignant et soigné.

Élaborée à la fin du XVIIIe siècle, la science médicale clinique instaure un nouveau rapport à la maladie avec l'abandon des explications de la folie en termes de possession diabolique, d'animalité ou de trouble des humeurs : « La maladie se détache de la métaphysique du mal à laquelle, depuis des siècles, elle était apparentée ; et elle trouve dans la visibilité de la mort la forme pleine où son contenu apparaît en termes positifs. »[5]

Médecine

Scène à l'asile Bedlam de Londres, gravure, Hogarth, 1796

A) La psychiatrie romantique

En Europe, avec le tournant de 1850, un grand nombre d'hôpitaux psychiatriques sont ouverts. Ils sont subdivisés en pavillons et incluent une ferme. Les asiles d'aliénés ou "maisons de fous" (Tollhauss) sont renommés en hôpitaux de traitement psychique, la direction est confiée au triumvirat composé du médecin, de l'administrateur et du psychologue. Les médecins romantiques, de l'école des Physiker (organicistes) ou des Psychiker (psychistes) qui dirigent ces institutions vivent continuellement avec leurs malades. Ils pratiquent une "médecine spéciale" relevant d'un nouveau domaine d'expertise qui vient contrebalancer l'emprise des empiriques, des hommes de loi, des philosophes et des prêtres[6].

Dans le contexte allemand de la tradition médicale animiste, les psychistes s'opposaient aux conceptions organicistes devenues dominantes à partir de 1820. Ces cliniciens se méfiaient des classifications psychiatriques et insistaient sur la spécificité et l'unicité des entités cliniques propres à chaque cas individuel, inscrits dans la tradition du médecin chimiste précurseur du vitalisme médical Georg Ernst Stahl (1659-1734), pour qui la maladie correspond à un oubli d'une partie du corps par la force spirituelle qui anime l'organisme, le maintient en vie contre la décomposition. Le psychiatre et administrateur Johann Gottfried Langermann (1768-1832) ouvrit la voie aux psychiatres allemands Johann Christian August Heinroth (1773-1843), Karl Wilhelm Ideler (1795-1860) et Heinrich Wilhelm Neumann (1814-1884) ainsi qu'au Belge Joseph Guislain (1797-1860), qui tout en reconnaissant des causes physiques et psychiques aux maladies mentales, considéraient que les causes psychologiques sont suffisantes pour provoquer ces désordres. Ils donnèrent chacun une importance particulière à différentes passions : la régression, le pêché et les sentiments de culpabilité (Heinroth), l'angoisse (Guislain), les pulsions sexuelles et leur frustration (Ideler et Neumann). Les conceptions morales religieuses imprègnent également les théories et les pratiques des psychistes, qui s'impliquaient subjectivement dans le traitement de leurs patients en en tirant une forme de savoir auto-analytique. Pour Heinroth, le sentiment du bien procure une force d'intelligence dont la privation pousse l'aliéné à rechercher "l'élément actif de sa nature" dans une source d'excitation artificielle. La cohésion de l'esprit n'est plus assurée par l'âme, qui ne trouve plus en elle-même suffisamment d'énergie et se soumet ainsi au monde extérieur afin d'étancher la soif de vivre du corps.

Heinroth autour de 1818 emploie un "traitement moral" consistant à limiter l'excitation externe grâce à l'isolement et aux sédatifs, mais aussi à ramener à la raison une pensée pervertie, avec finesse et tact, en reconduisant l'âme sur la voie dont elle s'est écartée. Sur le modèle de la direction de conscience, le psychiatre associe les fonctions du prêtre, du médecin, du philosophe et de l'éducateur, il "s'élève en élevant", s'offrant comme modèle au patient en entretenant avec lui de longs dialogues. Ideler prescrit également aux médecins une sévère habitude d'observation d'eux-mêmes et leur demande une âme harmonieuse. Johann Christian Reil (1759-1813), qui forge le terme de "psychiatrie" (médecine de l'esprit) vers 1808, élabore comme Heinroth des systèmes psychothérapeutiques diversifiés très individualisés, incluant selon les cas individuels et en fonction des causes physiques ou psychiques, les traitements chimiques (diététique et médicament), les traitements physiques et mécaniques (chirurgie), la thérapie rééducative (stimulations corporelles et sensorielles), la thérapie de choc ou encore des formes thérapeutiques artistiques ou théâtrales.[7] Un plan ou programme de traitement devait tenir compte des symptômes, mais également du sexe, de l'âge, de la profession, de la personnalité, de la situation économique et sociale de l'individu, de l'entourage et de la famille. Inspiré par le médecin aliéniste français Philippe Pinel (1745-1826), Guislain apporte une attention à l'hygiène, à la formation du personnel, à la confidentialité, aux loisirs des malades et à l'architecture des bâtiments psychiatriques. Au plan éthique, l'indépendance et l'originalité de chaque médecin impliquait des variations dans les méthodologies employées ; Reil, anatomiste physiologiste du cerveau, introduit une psychologie pratique empirique avec le recours à des stimulations agréables ou aversives, tandis qu'Heinroth prend soin d'éviter tout traitement dangereux (primum non nocere) et que Guislain préconise une limitation stricte des pratiques coercitives envers les malades. Neumann quant à lui affirmait que le médecin soigne des malades et non des maladies.

Avec la vogue de l'étude de l'anatomie cérébrale et les nouvelles orientations des scientifiques, l'œuvre de ces pionniers est tombée dans la désuétude ou le discrédit, mais leurs apports méthodologiques ont durablement influencé le développement de la psychiatrie dynamique (Bleuler, Freud et Jung). La médecine moderne a également élaboré une grande partie de ses modèles actuels à partir de cette méthode clinique, globale et intuitive, reposant sur l'écoute phénoménologique et l'observation pragmatique en contexte de la personne. Les avancées humanistes du domaine clinique se sont aussi répandues jusqu'à la branche expérimentale de la médecine, avec la tendance à isoler les causes, à chercher à prévoir les évolutions pathologiques et à prévenir ou soigner les lésions organiques aussi bien que les maladies psychiques, envisagées vers 1850 comme la dégénérescence de la nature humaine primale.

B) L'empirisme moral

Claude Bernard et ses élèves, peinture à l'huile d'après Léon Lhermitte, Claude Bernard dans son laboratoire faisant ses expériences de vivisection » (1889) représentant C. Bernard entouré des préparateurs Nestor Gréhant, Victor Alphonse Amédée Dumontpallier, Paul Bert, Arsène d’Arsonval, Jules Lesage, Charles-Louis Malassez et Albert Dastre

Le médecin physiologiste Claude Bernard (1813-1878), fondateur de la médecine expérimentale, passe de la méthode anatomo-clinique à une conception physiologique de la maladie, visant à expliquer les phénomènes pathologiques par leur rapport avec l'état normal.[8] Ce faisant, il institue la discussion du problème moral, clinique et éthique au fondement de la méthode expérimentale, comme un préalable indispensable à toute recherche médicale.[9] Claude Bernard est donc le successeur des médecins cliniciens, et parmi ceux-ci, de l'aliéniste Pinel.

Il n'est pas sans importance de noter ici que contrairement à la légende, ce n'est pas Pinel qui développa la méthode compréhensive du traitement moral, précédé par les psychistes allemands et par la réforme anglaise des institutions publiques et privées, avec le County Asylums Act en 1808 et l'abolition de la contention vers 1830 par Conolly qui introduit le no restraint.

Pinel se réfère à cette réforme en traduisant les Institutions de médecine pratique de Cullen, et au plan architectural, via Crichton, avec le débat entre le panoptique carcéral de Bentham ou l'asile londonien de Bedlam, versus les projets de constructions spacieuses et aérées, bénéficiant de fenêtres ouvrant sur l'air curateur de la campagne, sans volets ni barreaux. Pinel est aussi inspiré par William Tuke (1732-1822), quaker non médecin, qui pratiquait un accueil bienfaisant et une éducation morale, un entraînement à la discipline des passions avec un gouvernement éclairé d'ordre familial. Ces influences britanniques conduisent Pinel à chercher une légitimité scientifique "empirique", une efficacité appuyée sur les faits se distanciant des traditions aliénistes. Il accorde par conséquent une grande importance aux causes organiques ; à l'étude de la forme du crâne, à celle du rôle pathogène de l'épigastre (filets nerveux au niveau de l'estomac) et aux dispositions héréditaires, à une évaluation méthodique reposant sur une classification raisonnée des maladies mentales. À partir du constat de l'échec des localisations anatomiques de l'aliénation, il donne dans le même temps une place importante aux passions et aux "désirs factices" suscités par le milieu social. Les débordements passionnels et délirants demandent selon lui d'être arraisonnés en provoquant une "passion contraire" plus forte, par un ébranlement de l'imagination. Autrement dit, l'empirisme moral de Pinel et sa recherche d'efficacité psychologique se traduisent par l'impression sur les fous de "motifs de crainte, d'espérance, de sentiment d'honneur", avant de les encourager, de "s'emparer de la confiance des aliénés" afin de "leur faire sentir leur dépendance". Son traitement moral théorique consiste donc à ouvrir un espace au déploiement de la maladie, comme la médecine expectante hippocratique, afin d'observer la folie, puis de la subjuguer par la terreur psychologique pour la maîtriser "rationnellement", pour orienter la volonté des malades vers des buts admis par la société, dans une conception patriarcale centraliste de l'autorité médicale et de l'ordre disciplinaire hospitalier. Cette organisation totalitaire visant une socialisation forcée était régie dans les moindres détails de la vie asilaire, rythmée par le travail, les repas, les loisirs et la programmation du sommeil. Les transgressions et les désobéissances sont sanctionnées empiriquement, mais aussi mesurées humainement avec le souci d'éviter les punitions trop arbitraires.

Le surveillant de Pinel et grand malade incurable, précurseur des infirmiers psychiatriques, Jean-Baptiste Pussin (1745-1811), mis de plus en application la méthode du traitement moral sur le terrain clinique[10]. Il fut également l'auteur du geste inaugural de retrait des chaînes des aliénés agités, mais la portée clinique et historique de cet acte fut sans doute moindre que celle de son habitude de recruter le personnel de l'hôpital parmi les convalescents. Si ces entraves concrètes, les fers, se sont en effet progressivement raréfiées dans les pratiques cliniques sous l'influence de Pinel, comme les bains froids, les saignées débilitantes ou les médications affaiblissantes, la contention et l'isolement se sont maintenues jusqu'à nos jours dans la plupart des hôpitaux, en particulier pour les malades dangereux vis-à-vis d'eux-mêmes ou d'autrui. À cet égard, Esquirol (1772-1840), élève de Pinel, fait de l'isolement une de ses principales techniques thérapeutiques, afin de détourner l'attention crispée des aliénés sur leurs idées fixes ou de leur permettre de rétablir une attention distendue, de remettre en ordre leurs pensées incohérentes, suite à des stimulations sociales excessives de l'entourage. Adapté et dosé à chaque cas, l'isolement permet de manier le souhait des patients de retrouver leur foyer comme un moteur du traitement. L'enfermement est aussi l'occasion de sensations nouvelles, de réflexion et de rencontres avec les autres malades, qui pourront donner des exemples positifs ou négatifs. Cette cohabitation devient en elle-même un autre moyen de traitement.

De même, l'efficacité des traitements pharmaceutiques sur les symptômes, pour leurs effets de sédation et d'abrasion des débordements passionnels, a amené le traitement de la psychose par les neuroleptiques, découvert par le psychiatre neurologue Jean Delay (1907-1987) et le psychiatre Pierre Deniker (1917-1998), à être qualifié de "camisole chimique", en référence à un apaisement clinique des malades réduisant l'urgence du traitement des causes psychiques et sociales. Plusieurs générations de psychiatres modernes se sont en conséquence focalisées sur le diagnostic nosologique et la prescription de traitements visant la réduction des symptômes, dans la suite des descriptions des classifications sémiologiques et des recherches organicistes sur les neurotransmetteurs, abandonnant ainsi, faute de formation, une grande part du soin clinique aux professions paramédicales ou infirmières et aux psychologues.

C) Le pouvoir psychiatrique

La marginalité, réactionnelle à la réduction du psychisme à l’idéal de la Raison, incarne une variance libre, pénalisée pour son irrationnalité par le Grand enfermement dans des prisons extra-carcérales, avec la visée d’une punition thérapeutique, que nous retrouvons aussi dans la perversion des politiques concentrationnaires (“Arbeit Macht Frei” ; “Le travail rend libre”).

Pinel, médecin en chef de la Salpêtrière, délivrant les aliénés de leurs chaînes en 1795, Tony Robert-Fleury, 1876-1878

Fin politique, Pinel, lorsqu’il contacte les députés du jeu de Paume, instaure le statut de malade mental et son asservissement à l’organicisme médical, déplaçant l'accent d'une surveillance policière de la folie vers une rééducation médicale des conduites humaines et des désordres psychiques. Dans la distinction entre les aliénés et les délinquants et criminels, qui partageaient avant la Révolution les mêmes lieux de réclusion, les fous deviennent des objets médicaux susceptibles d'humanité et d'intelligence. Ils demeurent, sous l'autorité psychiatrique, privés du plein statut de sujets de Droit, dont ils se trouvent aliénés non seulement par la maladie elle-même, qui obscurcit le discernement nécessaire à la vie dans la Cité, mais également par le statut juridique d'exception initié par Pinel. Ce statut exorbitant du Droit commun sera confirmé par la Loi du 30 juin 1838 élaborée par Esquirol, Ferrus et Falret afin de régir le traitement des malades mentaux et les limitations de leur liberté, avec l'objectif administratif de défendre la société. Les malades sont traités et protégés par un établissement dans chaque département, mais ils peuvent également y être mis hors d'état de nuire à la société, via les internements forcés, d'office par l'autorité administrative ainsi qu'à la demande de la famille ou d'un tiers.

La Loi, âprement débattue au parlement, exprime la recherche d'un équilibre entre projet soignant et visées sécuritaires de la bourgeoisie Louis-Philipparde. La psychiatrie se professionnalise, tandis que les malades sont considérés incapables, mis sous tutelle et leurs biens gérés par un service spécialisé. Des conventions permettent aux établissements religieux d'accueillir les aliénés dans les départements dépourvus d'asile public. L'aliéniste dispose d'un pouvoir d'assignation à résidence et de maintien en détention ; de plus l'article 64 du Code Pénal déclare l'aliéné irresponsable, ouvrant ainsi au psychiatre un domaine d'expertise et d'intervention sociale, aux côtés des juges et des avocats, avec la prérogative de permettre à l'auteur d'un crime ou d'un délit d'échapper à la justice.

Ces nouveaux pouvoirs administratifs, juridiques et politiques du psychiatre, inédits dans le domaine médical, vont pour se légitimer s'appuyer sur les nosologies descriptives avec la présentation des folies partielles de Pinel ou des monomanies d'Esquirol, comme autant de formes morbides du même processus d'aliénation, partielles ou totales, innées ou acquises, curables ou incurables. Pinel et Esquirol pratiquaient à l'occasion des autopsies, ou posaient un diagnostic de trouble cérébral, cependant leur méthode consistait essentiellement à lister des facteurs prédisposants et adjuvants, sans chercher à expliquer les faits. Pinel était réticent quant aux discussions sur la nature des lésions du siège de l'entendement, tandis que ses élèves publieront des travaux universitaires qui détermineront la naissance de l'organicisme en psychiatrie. La thèse d'Antoine Laurent Bayle décrit ainsi en 1822 une paralysie générale associée à un délire évoluant vers l'affaiblissement intellectuel, avec des troubles moteurs et de l'articulation progressifs ainsi qu'une inflammation chronique des méninges provoquant des lésions cérébrales. Ce cas clinique d'une corrélation entre symptomatologie psychiatrique et atteintes lésionnelles du système nerveux (syphilitique) sera utilisé comme un argument en faveur d'une causalité neurologique des maladies mentales, visant à asseoir la psychiatrie parmi les institutions médicales, à rétablir son prestige et son pouvoir face aux polémiques. Cette démarche, politique plus que scientifique ou clinique, adressée aux juristes et à l'opinion publique, ne convaincra pas même les spécialistes organicistes, car une corrélation clinique ne permet pas d'inférer objectivement de causalité, ni de généraliser un cas particulier à l'ensemble des maladies psychiques.

Esquirol n'était pas universitaire ; son autorité était plus fragile que celle de Pinel, professeur réputé de pathologie en médecine. Le Dr. Urbain Coste, médecin, critique en 1826 la "politesse des tribunaux" qui avait ouvert les portes des prétoires aux psychiatres, estimant que les magistrats détiennent autant de savoir sur la folie que les spécialistes. Les "lumières naturelles de la raison" et le sens commun suffiraient pour juger de qui est fou ou sensé, sans qu'il ne soit nécessaire d'y adjoindre les "ignorances ambitieuses de l'école". Pour Étienne Georget, organiciste, la folie serait une affection cérébrale idiopathique, et non sympathique, résonant avec les pathologies viscérales. Il contredit Pinel et oppose les "romans" de certains de ses confrères aux "descriptions pathologiques", tout en reconnaissant la distinction de deux maladies dans la paralysie générale décrite par Bayle, il voit une unité entre le processus morbide organique et ses conséquences psychiques. Georget défend le traitement moral, à condition que son fondement soit organique et rationnel afin de rendre la psychiatrie défendable, scientifique, objectivable et quantifiable devant les autres médecins et le public. Partisan de l'isolement, il rend aussi compte plus modestement de sa pratique clinique. Il limite l'emploi de la contrainte, calme les aliénés pour les influencer ensuite, comme Pinel et Esquirol, sans attaquer de front les idées, affections ou penchants exaltés. "Ne dites point à des hallucinés qu'ils n'entendent rien mais entrez avec eux dans le lieu d'où partent les voix"[11]

L'avocat Élias Regnault interroge pour sa part le diagnostic de monomanie homicide qui justifie l'expertise psychiatrique : la folie serait une et non partielle, indivisible comme la raison, il n'y aurait pas de folie sans délire ni de continuité entre les passions fortes et la déraison. Permettre aux aliénés d'échapper aux conséquences de leurs actes reviendrait à engager les autres à commettre les mêmes forfaits par imitation. L'internement dans les maisons d'aliénés serait en outre inefficace thérapeutiquement, l'isolement asilaire serait en lui-même néfaste et susceptible de rendre fou[12]. La caution scientifique de la psychiatrie se trouve ainsi attaquée depuis les origines de la discipline, qualifiée de pseudoscience, suspectée d'abus de pouvoir en permettant aux coupables d'échapper à la justice des tribunaux.

La controverse fit également rage entre le premier professeur français de psychiatrie Antoine Royer-Collard (Dont Bayle était l'interne à Charenton) et le philosophe fondateur de la psychologie introspective Maine de Biran. Dans la lignée de Pinel, le psychiatre considère qu'un reste de raison subsiste chez l'aliéné, suivant des "degrés infinis" entre la raison et l'idiotisme ; tandis que le philosophe soutient que la perte de l'activité libre et de la conscience du moi par l'aliéné ne lui permet pas d'exercer les facultés dépendant de la volonté et de la conscience, telles la perception, l'attention et la mémoire. L'opinion publique est choquée par l'idée naissante d'une continuité entre normal et pathologique, qui se développe à partir d'une pratique clinique psychiatrique cherchant les causes de la folie dans les aléas de la subjectivité des patients. Le psychiatre en vient à conceptualiser des folies partielles ou agies sans délire, mais dans le même temps il reprend le dispositif aliéniste de ségrégation répressive qui garde le fou à distance du corps social sous couvert de thérapie. Le traitement moral et le projet éthique qui l'accompagne, la philanthropie, ne sont plus suffisants au regard des progrès de la médecine du corps, qui poussent les psychiatres vers le modèle des sciences de la nature, l'organicisme et les classifications nosographiques afin de justifier leur pratique clinique et leur pouvoir administratif.

La manie affecterait l'ensemble des facultés, tandis que la démence obscurcit l'entendement et l'idiotie se repère dés la naissance. Esquirol tente de substituer au terme de mélancolie celui de lypémanie. Ce faisant, il s'inscrit dans une filiation clinique et philosophique en prenant position dans un débat antique, en se distanciant de la théorie des humeurs, en décrivant par des moyens qualitatifs une folie triste portant atteinte au registre des sentiments. Cet apport d'Esquirol est qualifié avec constance par les auteurs modernes de "sans succès", du fait du faible écho de la lypémanie chez les cliniciens ultérieurs, qui ont surtout relevé la critique esquirolienne de la théorie de l'humeur mélancolique. Néanmoins, ces considérations relèvent d'une conception consensualiste des connaissances scientifiques, qui ne rend pas compte de l'importance des fondations cliniques posées par Esquirol, sur lesquelles reposent encore le statut et l'expertise des psychiatres. L'affirmation d'une détermination pathologique d'un processus d'aliénation subjective commun aux différentes formes pathognomoniques représente non seulement une étape importante de l'histoire des méthodologies cliniques, mais elle transmet surtout le récit du rendez-vous manqué entre l'organicisme médical et la clinique intersubjective des troubles de l'humeur. Le rapport des maladies psychiques à l'environnement socio-affectif des individus, aux évènements de vie rapportés par les anamnèses et les interventions psychothérapeutiques envisageables n'ont pas été pris en compte par les détracteurs d'Esquirol, qui se sont contentés, sur des fondements erronés et dépourvus de preuve empirique ou expérimentale, d'assimiler les symptômes psychiatriques à des lésions organiques du cerveau. Avec sa proposition du terme de lypémanie, Esquirol a réussi à inscrire la psychiatrie dans la continuité de la tradition médicale humaniste tout en démarquant un nouveau champ pathologique référé à la démarche clinique, au substrat organique comme aux précipités psychiques historicisés formés dans les cas particuliers d'aliénation subjective.

Les autres monomanies que la lypémanie perturbent électivement la volonté, instinctives comme la "folie morale" décrite par l'Anglais Prichard. Un secteur de la raison troublé peut ainsi provoquer un délire localisé cohabitant avec un fonctionnement mental opérant, ou l'éclosion du délire peut se déployer tardivement à partir du registre sensoriel via les hallucinations. La perception sans objet des hallucinations est identifiée par Esquirol comme un symptôme psychiatrique majeur à distinguer des lésions locales des sens, des associations d'idées, des effets de l'imagination et des illusions d'origine périphérique. À partir de la description clinique d'un phénomène cérébral ou psychique indépendant des sens qui égare la raison, comme un "rêve éveillé" qui donne corps aux souvenirs, aux idées anciennes, aux produits de l'entendement, sous l'effet d'une lésion d'un centre de la sensibilité ou du mouvement entraîné dans le cerveau par les idées fixes et les passions exaltées, le savoir psychiatrique vient légitimer l'expertise des aliénistes dans le dépistage des signes de l'aliénation. Ce statut d'expert vient s'appuyer sur les concepts issus de la sémiologie comme celui de monomanie, afin de permettre au psychiatre d'affirmer l'irresponsabilité d'un malade. L'aliéné, en proie aux hallucinations sans que son entourage ne s'en doute, lutte contre elles dans l'isolement, avant de s'abandonner à leur empire et sous cette influence de passer éventuellement à l'acte. L'arrêt soudain du discours et des conduites, la fixation bizarre du regard sur un point de l'espace seront attribués à un automatisme cérébral par l'élève d'Esquirol, Baillarger (1809-1890), qui différenciera les hallucinations psychosensorielles des hallucinations psychiques, ces dernières rendant compte de phénomènes de pensée entendue par le malade.

D) La médecine clinique

"Voyez cette montagne, ce mage. Qu'y a-t il de réel en eux ? Essayez d'en ôter nos fantasmagories, ce que les hommes y ont ajouté, hommes positifs ! Ah, si vous pouviez ça ! Si vous pouviez oublier votre origine, votre passé, vos écoles préparatoires, ... tout ce qu'il y a en vous d'humain et d'animal ! Il n'est pour nous aucune "réalité", — il n'en est pas pour vous non plus, hommes positifs, — nous sommes loin d'être les uns aux autres aussi étrangers que vous le pensez, et notre bonne volonté de dépasser l'ivresse est peut-être aussi respectable que la croyance que vous avez d'être incapables de toute ivresse." (Nietzsche, Le gai savoir, 1882)

Deux grands jalons de l'histoire de la médecine clinique sont représentés par les entités structurelles de la mélancolie et de la psychopathie[13].

Si la psychopathie n'est pas clairement délimitée en tant qu'entité nosographique, le terme de mélancolie est également polysémique, changeant selon les époques et les cultures. Il est donc nécessaire de situer la mélancolie et la psychopathie dans un contexte historique qui tienne compte des évolutions sémiologiques et structurales dans le discours des cliniciens.

Concernant la mélancolie, nous devons pour en situer l'origine remonter à la médecine aristotélicienne, et en particulier au problème 30.1 d'Aristote, L'homme de génie et la mélancolie[14]. Les conceptions psycho-physiologiques qui y sont développées, ainsi qu'une référence dans le texte à un "écrit sur le Feu" de Théophraste sont sans doute les meilleurs indices, a minima, de la participation à sa rédaction par le premier successeur d'Aristote à la tête du lycée fondé par celui-ci après s'être éloigné de Platon. Dans la tradition philosophique grecque, l'élève signait parfois du nom de son maître. D'après Diogène Laërce, Théophraste était par ailleurs l'auteur de Problèmes s'intéressant à la politique, à la morale, à la physique et à l'amour, mais aussi d'un traité de la Mélancolie ; il a écrit sur des sujets médicaux comme l'épilepsie, l'enthousiasme, les vertiges ou encore le délire, le sommeil et les songes. Le problème 30.1, daté autour de 300 av. J.C., garde une grande valeur clinique actuelle, d'autant plus que la mélancolie avait alors une signification médicale bien différente de son sens contemporain. La pensée réflexive exprimée dans ce texte bénéficie de la position médiane du regard grec antique, à la croisée des cultures et des idées, au fondement d'un entre-deux de la démarche spirituelle et du raisonnement scientifique, de l'introspection philosophique et d'un discours sur l'Homme médiatisé par une connaissance de soi.

En effet, cet écrit philosophique illustre, sous une forme quasi-analytique, un cas de mélancolie par les tourments du héros Héraclès.

Aristote et Phyllis, Hans Baldung Grien, gravure sur bois de fil, 1513

La "maladie sacrée" d'Héraclès forme un arrière fond historique, culturel et magico-religieux auquel la médecine hippocratique va opposer le modèle diagnostic de l'épilepsie. Cette école médicale sera elle-même controversée par l'écrit d'Aristote, dans la mesure où l'épilepsie n'est plus dans son texte qu'une épreuve, parmi d'autres maladies provoquées par les remous de la bile noire mélancolique. Comme Hippocrate, Aristote rapporte les symptômes à des causes rationnelles et matérielles, mais il ne rapporte pas ces dernières à la seule nature. Au contraire, son modèle a tendance à réduire la nature à un état de base modifié par une dynamique relevant d'une temporalité de l'occasion. Le mélancolique souffre accidentellement d'une inertie résiduelle de la bile noire, qui exerce sa pesanteur sur différents lieux du corps. Les échanges rythmiques entre les perturbations venues de l'extérieur et les tensions internes vont modifier l'état naturel selon les propriétés du mélange mélancolique. Ainsi, la mélancolie apparaît comme un état symptomatique délimité dans le temps et provoqué par les transformations du mélange humoral, inscrit dans une évolution et un parcours, comme pour Héraclès, dans une histoire, des épreuves et des travaux héroïques.

La psychopathie, chronologiquement ultérieure, a été repérée quant à elle par le psychiatre autrichien et expert médico-légal Richard Freiherr Von Krafft-Ebing (1840-1902), créateur des termes de sadisme et de masochisme, avec la publication en 1886 de Psychopathia Sexualis, best-seller de la littérature psychiatrique sous forme d'étude médico-légale d'une sélection de cas cliniques exemplaires des perversions sexuelles, qui étend au domaine de la sexualité la classification des maladies mentales à partir de la description des symptômes. Le terrain pour cette description clinique avait été préparé par le médecin russe Kaan, avec un traité en latin au sujet des transformations des instincts sexuels publié en 1844 et intitulé également Psychopathia Sexualis. Les apports du psychiatre allemand Jakob Christoph Santlus en 1864 quant à une théorie théorie dynamique des instincts, de leurs interactions et de leurs déviations, l'étude du psychiatre français Ernest-Charles Lasègue sur l'exhibitionnisme en 1877, ainsi que le traité sur les aberrations sexuelles du français Pierre Moreau de Tours en 1880 furent d'autres précurseurs de l'étude clinique des pathologies sexuelles.

Le sadisme sexuel a été défini de cette manière par Krafft-Ebing comme le fait "d'éprouver une sensation de plaisir allant jusqu'à l'orgasme lors d'humiliations, de châtiments et de cruautés de toutes sortes exercés sur un autre humain ou même sur un animal, ainsi que la pulsion à provoquer ces sensations de plaisir par des actions adéquates"[15]. L'abstinence sexuelle n'est nocive selon lui que pour certaines prédispositions individuelles, avec des effets d'agitation, d'insomnie voire d'hallucination (1889).

Depuis la fin du XXème siècle, la méthode clinique est de plus en plus délaissée au profit de la méthode expérimentale et de la médecine empirique fondée sur les faits (evidence based medicine), ce qui n'est pas sans susciter des controverses[16], surtout dans les domaines les plus subjectifs de la médecine, comme la psychiatrie ou l'hypnose médicale.[17]

En outre, le Dr Richard Horton, rédacteur en chef de la revue scientifique The Lancet, reconnue mondialement, a fait une annonce polémique en 2015, déclarant qu' "Une grande partie de la littérature scientifique, sans doute la moitié, pourrait être tout simplement fausse. Affligée d’études avec des échantillons réduits, d’effets infimes, d’analyses préliminaires invalides, et de conflits d’intérêts flagrants, avec l’obsession de suivre les tendances d’importance douteuse à la mode, la science a pris le mauvais tournant vers les ténèbres."[18]

Le Dr Marcia Angell, ex-rédacteur en chef du New England Medical Journal, une autre des revues médicales évaluées par les pairs les plus prestigieuses, a également déclaré :

"Il n’est tout simplement plus possible de croire une grande partie des publications de la recherche clinique, ni de compter sur le jugement des médecins expérimentés ou sur les directives médicales faisant autorité."

Ces doutes concernent au premier chef la publication de résultats empiriques (en laboratoire), issus des tests "cliniques" (sic) sur l'efficacité des médicaments.[19] Les grandes compagnies pharmaceutiques falsifieraient les tests sur la santé, la sécurité et l’efficacité des médicaments, en prenant des échantillons trop petits pour être statistiquement significatifs, ou bien, pour les essais, embaucheraient des laboratoires ou des scientifiques en conflit d’intérêt.

Les neurosciences sont également particulièrement sensibles aux biais méthodologiques, car les démarches expérimentales et empiriques ne prennent pas suffisamment en compte les effets de l'intervention des chercheurs, comme le montre une étude en biologie de l'Université de Californie à Los Angeles[20]. Les dendrites des neurones, lorsqu'on ne les perce pas avec des électrodes, produisent un signal analogique plus important que le signal binaire du soma des neurones qui avait été enregistré jusqu'alors, et sur lequel reposent tous les modèles neurologiques et neuropsychologiques majoritaires au début du XXIème siècle[21].

Jerome Kagan, psychologue et professeur titulaire à l’Université de Harvard, 1ère du classement de Shanghaï, a pour sa part sévèrement critiqué le diagnostic de Trouble du Déficit de l'Attention avec Hyperactivité (TDAH), l'un des plus fréquemment posé en psychopathologie moderne. Selon Kagan, le TDAH ne serait pas une vraie pathologie et même un canular complet.

« … (le trouble de déficit de l’attention) est une invention. Chaque enfant qui ne réussit pas à l’école est envoyé voir un pédiatre, et le pédiatre dit « C’est le TDAH, voici de la Ritaline ». En fait, 90 % de ces 5,4 millions d’enfants n’ont pas un métabolisme anormal de la dopamine. Le problème, c’est que si le médicament est disponible pour les médecins, ils feront le diagnostic correspondant ».[22]

Le psychologue vise lui aussi l’industrie pharmaceutique : trop d’argent circulerait via les ordonnances médicales et les ventes de médicaments. Les médecins perçoivent des revenus supplémentaires importants lorsqu'ils prescrivent certains médicaments dont les laboratoires font la promotion de manière incitative, immorale et corruptrice. De plus, les compagnies pharmaceutiques influencent le processus politique via un lobbying structurel et endémique, dépensant chaque année des milliards de dollars auprès des politiciens pour obtenir le vote de Lois étatiques en faveur de leurs intérêts industriels. Ces pratiques anti-démocratiques entraînent de faux diagnostic, démultipliant le nombre et la fréquence des cas d'enfants traités pour un TDAH.

D'après Kagan, prenant la dépression en exemple, «Si vous faites des entretiens avec des enfants et des adolescents âgés de 12 à 19 ans, alors 40 pour cent peuvent être classés comme anxieux ou déprimés. Mais si vous regardez de plus près et que vous vous demandez combien d’entre eux sont sérieusement fragilisés par cela, le nombre se réduit à 8 pour cent.  »

Les erreurs de diagnostic – et donc le sur-diagnostic – se répètent pour l'ensemble du domaine de la santé mentale, en oubliant que tous les individus qui présentent un symptôme ou un comportement imprévisible n’ont pas de maladie psychique. Surtout les enfants. Selon les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), aux États-Unis, «Environ 11% des enfants de 4-17 ans (6,4 millions) ont été diagnostiqués avec le trouble de déficit de l’attention à partir de 2011. »[23]

Pour Kagan, un des effets de cette tendance est de catégoriser les enfants en les exposant à la stigmatisation. « Qui est diagnostiqué avec le trouble de déficit de l’attention ? Les enfants qui ne sont pas bons à l’école. Cela ne se produit jamais avec les enfants qui réussissent bien à l’école. Et si on faisait du tutorat à la place de l’enseignement ?  »

Le psychologue estime que les professionnels de la santé mentale doivent changer leur approche du diagnostic, pour le TDAH, mais aussi la dépression, l’anxiété et les autres troubles psychiques, en examinant les causes, et pas seulement les symptômes, comme en médecine générale. Il ne dénie pas la réalité des maladies psychiques comme le trouble bipolaire, la schizophrénie, l'anxiété sociale ou les troubles obsessionnels compulsifs, en considérant que certaines personnes ont une fragilité du système nerveux central qui les prédispose à ces maladies, en raison de causes héréditaires ou prénatales. Cependant il affirme que ces personnes sont différentes les unes des autres, si bien que les responsables de l'administration aux enfants de médicaments altérant le cerveau devraient prendre le temps d'examiner les causes profondes des problèmes posés par la maladie psychique.

Psychopathologies

Théodule Ribot avant 1916

La psychopathologie, référée à la méthode clinique, est issue de l'École française avec le philosophe-historien Hippolyte Taine et le philosophe Théodule Ribot. Elle est apparue de manière distincte, à la même époque, de la psychologie expérimentale.[24] Celle-ci est née en Allemagne sous l'influence du physiologiste Wilhelm Wundt, élève du médecin philosophe de la nature Gustav Théodor Fechner, avec la création à Leipzig du premier institut de psychologie expérimentale, en tant que science de la mesure des fonctions psychologiques.

Ribot, inspiré par Claude Bernard, reprend l'idée que la maladie est une expérience naturelle, en l'appliquant à la psychologie. Il étudie ainsi les fonctions normales en explorant leurs perturbations : mémoire, volonté, personnalité. Il introduit en France le principe de l'évolution et de la dissolution décrit par le neurologue britannique John Hughlings Jackson, ainsi que la distinction qualitative entre symptômes positifs et négatifs dans les maladies nerveuses.

La discipline psychopathologique se cristallise autour des débats concernant l'étiologie sexuelle des névroses, en particulier de l'hystérie et de la neurasthénie, dans la suite de la description des perversions par Krafft-Ebing et des discussions sur leur caractère inné ou acquis, ou en Angleterre, des Études sur la psychologie sexuelle de Havelock Ellis.

En 1864, Moritz Benedikt s'oppose aux théories de Briquet sur l'hystérie (1859), en considérant qu'il s'agit de troubles sexuels fonctionnels de la libido attribués à des maltraitances subies dans l'enfance ou à des secrets pathogènes d'ordre sexuel se soignant par la confession psychothérapeutique. Il publie en 1868 quatre cas cliniques d'hystérie masculine attribués à une maltraitance infantile. Benedikt s'inscrit ainsi dans la filiation clinique de la psychiatrie romantique, pour laquelle les tableaux cliniques passionnels de l'hystérie étaient un terrain de prédilection, tandis que l'impact de l'instinct sexuel dans l'hystérie se trouvait dénié par les neurologues les plus influents et reconnu seulement par les gynécologues, bien que ce fut un élève de Charcot, Chambard, qui évoqua le premier la notion de zones érogènes en 1881.

La théorie de la dégénérescence de Magnan et Morel a poussé dans les premiers temps les psychopathologues du côté des facteurs constitutionnels, puis progressivement, des relations de cas cliniques par Binet, Féré, Moll ou Meynert firent pencher la balance dans le sens d'une psychogenèse inconsciente remontant à l'enfance.

Binet relève ainsi dans l'histoire de fétichistes des évènements déterminants de la forme ultérieure de la perversion. Féré rapporte en 1894 l'apparition de déviations sexuelles suite à des évènements épuisants chez des femmes victimes d'attouchements sexuels dans l'enfance. Meynert décrit également l'empreinte laissée par les premières sensations d'excitation sur la vie sexuelle ultérieure. Dallemagne, dans son ouvrage de 1894 Dégénérés et déséquilibrés, considère que les poussées génitales inconscientes vers cinq-six ans forment le substrat des volitions et des sentiments adultes. En 1898, le criminologue autrichien Hanns Gross ajoute aux névroses et aux psychoses susceptibles de se manifester, du fait de la frustration des instincts sexuels, la propension aux actes criminels. Albert Moll dénonce en 1901 le risque d'une excitation sexuelle partagée lors des châtiments corporels et son influence durable sur l'enfant puni. Dans ses Recherches sur la libido sexuelle de 1898, il s'appuie sur Dessoir pour décrire une phase d'indifférenciation sexuelle avant la puberté, dans laquelle l'individu est susceptible d'excitation vis-à-vis de tous les corps vivants et chauds, même animaux. L'évolution ultérieure vers une phase de différenciation permettra de distinguer l'hétérosexualité et l'homosexualité authentique de la bisexualité et de l'homosexualité indifférenciée.

Le professeur Charcot montrant à ses étudiants de la Salpetrière la transe hypnotique de "Blanche" (Marie Wittman), André Brouillet, 1887

Ribot, qui n'était pas médecin, propose en 1896 dans son ouvrage La Psychologie des sentiments une classification des troubles sexuels selon leur cause physiologique, sociologique, psychologique inconsciente ou consciente. Le développement psychique de l'enfant, les racines inconscientes de la personnalité et les fantaisies de l'imagination apparaissent comme autant de facteurs de la psychogenèse des perversions sexuelles.

Ribot est considéré comme le grand maître en psychologie du psychothérapeute clinicien Pierre Janet, ce dernier étant aussi un disciple du neurologue Jean-Martin Charcot de la Salpêtrière, sur le versant médical. Janet, médecin, propose un modèle descriptif de la dissociation et de la tension psychique.

Bertha Pappenheim en 1882 à 22 ans, Photographie d'archive du Sanatorium de Bellevue, Kreuzlingen, Allemagne

Un autre élève de Charcot, Sigmund Freud, également influencé par l'école hypnotique de Nancy du psychothérapeute Hippolyte Bernheim, ou encore par le médecin physiologiste Joseph Breuer, fut aussi un des premiers européens à se référer aux travaux de Hughlings Jackson. Ses apports cliniques s'appuient sur la conflictualité psychique inconsciente, illustrée par le célèbre cas clinique "Anna O.", co-publié par Freud et Breuer dans les Études sur l'hystérie en 1895. Cette patiente hypermnésique de Breuer, de son vrai nom Bertha Pappenheim, pionnière du travail social, est la véritable inventrice de la méthode du traitement cathartique, qu'elle désignait sous les termes de "talking cure" (cure de parole) ou de "ramonage de cheminée". La cure cathartique, utilisée également par Janet pour le cs de Marie rapporté dans sa thèse sur l'Automatisme psychologique, consistait à appliquer les techniques hypnotiques afin de permettre la reviviscence de représentations d'évènements traumatiques et des affects afférents. Cette approche clinique sera réactualisée en 1930 par le psychodrame analytique du psychothérapeute de groupe Jacob Levy Moreno et en art-thérapie, par les thérapies d'improvisation théâtrale aussi appelées dramathérapie.

Dans sa période pré-psychanalytique et dans le cadre de ses études sur l'aphasie et les paralysies cérébrales dés 1891, Freud introduisit la notion d'agnosie, qui est encore étudiée par les neurologues du 21ème siècle. Passant éclectiquement de l'anatomie microscopique à la neurologie anatomo-clinique puis à la neurologie clinique et enfin à la "neurologie théorique extra-clinique", la formation de Freud l'amena à formuler des synthèses médicales et psychologiques qui ont donné leur essor à la clinique des névroses et ont amené avec elle la fondation du courant psychanalytique[25].

La psychopathologie est ainsi portée depuis ses fondements par des psychothérapeutes, des chercheurs, des cliniciens utilisant différentes techniques de soin psychique.

Depuis la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique régissant l’usage du titre de psychothérapeute et par arrêté du 8 juin 2010, « L’inscription sur le registre des psychothérapeutes est subordonnée à la validation d’une formation en psychopathologie clinique ». L'accès à cette formation est réservé aux « titulaires d'un diplôme de niveau doctorat donnant le droit d’exercer la médecine en France », ainsi qu'aux détenteurs « d’un diplôme de niveau master dont la spécialité ou la mention est la psychologie ou la psychanalyse »[26].

Psychanalyse

La psychanalyse, en proposant différentes théories sur le transfert affectif, tout en reposant sur une méthode spécifique, a profondément influencé la démarche clinique et la psychopathologie.

Les psychanalystes ont en effet développé des modèles relationnels et interactifs inscrivant la situation de l'entretien dans une double demande, que ce soit lors d'une entretien clinique dont l'objectif est la recherche ou le traitement thérapeutique.[27] Cette double demande, lorsqu'elle émane de la dyade patient-thérapeute, mais aussi de tout rapport de sujet à sujet y compris ceux des expériences psychotechniques, est décrite comme un transfert associé à un contre-transfert[28].

Le rapport de sujet à sujet intervient comme un fait de résistance aux tentatives d'objectivation psychologique des propriétés individuelles, dans toutes les réactions humaines de l'individu, et même domine toute épreuve des dispositions individuelles dans les conditions de réalisation d'une tâche ou d'une situation. Les idéologies naturalistes, avec l'idéal de l'efficience et l'observance stricte de règles morales, que nous retrouvons dans le piétisme des Quakers britanniques, présentent le risque éthique de la fabrication arbitraire de croyances collectives consensuelles, par l'emprise de l'instrumentalisation empirique d'une "sélection de techniques" orthodoxe, éducative, rituelle ou initiatique.

L'intérêt de cet apport méthodologique de la psychanalyse repose notamment sur la prise en compte des biais d'intervention du chercheur sur son terrain clinique, et permet ainsi une participation plus active, par exemple la recherche-action promue en psychologie sociale par Kurt Lewin, ou encore la neutralité bienveillante soutenue par Sigmund Freud en psychanalyse.

Bien que les entretiens de recherche en sciences humaines n'aient pas toujours un objectif d'intervention thérapeutique, le chercheur et le sujet y sont également inscrits dans un échange transféro-contre-transférentiel.

Freud et ses disciples psychanalystes : De gauche à droite, assis ; Sigmund Freud, Sándor Ferenczi, Hanns Sachs. Debouts ; Otto Rank, Karl Abraham, Max Eitingon, Ernest Jones. 1922, Becker & Maass, Berlin

De plus, la psychanalyse a été définie par Sigmund Freud comme une méthode d'investigation du psychisme inconscient, une méthode de traitement thérapeutique et une conception théorique psychologique.[29] La discipline psychanalytique rassemble donc une méthode psychologique avec une pratique de soin psychique donnant lieu à des études de cas clinique dans l'après-coup de la rencontre clinique.

La formation et la vision "hétéroclites"[30], originales, baroques, de Freud ont été déterminées par sa rencontre avec l'école française, notamment lors de ses contacts au Collège de France, au cours de son voyage à Paris, dont il rend compte en 1886, avec l'héritier de Claude Bernard, Louis-Antoine Ranvier, mais aussi avec Louis Alfred Ferdinand Maury, sur lequel il prendra appui pour conceptualiser l'Interprétation des rêves. Freud, comme le montre une lettre de 1900 à son ami W. Fliess, prend dans la suite de son parcours ses distances avec la méthode expérimentale, en particulier en élaborant une conceptualisation métapsychologique de l'appareil psychique, appuyée sur une conception psycho-sexuelle de la pulsion et de la représentation, analysées selon les points de vue topique, dynamique et économique. Un autre de ses apports essentiels s'incarne dans la notion de défense (Abwehr), introduite en 1894, avec la signification d'un oubli des représentations sexuelles effractantes pour la conscience et la personnalité. Le terme, issu de Meynert, sera repris par sa fille Anna, qui publia son principal ouvrage sous le titre Le Moi et les mécanismes de défense en 1936.

Freud était un scientifique autodidacte, un selbstdanker, toujours prêt à remettre en question ses modèles théoriques à l'aune des observations cliniques.

Jacques Lacan insistera quant à lui sur la dimension du langage et le signifiant ; la division inconsciente du Sujet.

L'éthique de la démarche psychanalytique repose, non pas sur des règles déontologiques, ni sur le cadre temporel, matériel et technique de la cure, mais elle se fonde, via l'implication subjective du clinicien sur son terrain clinique, sur le cadre psychique interne des analystes.

La formation clinique par un travail sur soi en profondeur est une condition de développement d'un contrôle éthique personnel intériorisé, ancré dans la culture et la connaissance des modèles théoriques. Cette formation se poursuit tout au long de l'activité des cliniciens, sous différentes formes de régulation clinique, supervision et co-vision, participation à des associations de psychothérapeutes et à des travaux scientifiques.

Cependant nombre de psychanalystes ont oublié, avec leur accession à un statut prestigieux, que cet effort d'élaboration clinique par la parole, d'introspection et de remise en question réflexive n'est pas facultatif en psychothérapie, ni réservé aux étudiants. Lacan a en son temps dénoncé le dogmatisme théorique et la ritualisation technique des psychanalystes orthodoxes, comme l'effet de la reconnaissance sociale du mouvement psychanalytique et de son adaptation aux attentes culturelles des sociétés, en particulier l'influence du behaviorisme aux États-Unis sur les conceptions psychologiques de la psychanalyse du Moi, comprise comme une résistance ou une méconnaissance vis-à-vis des enseignements de Freud. La précision des références aux écrits freudiens, l'attention aux détails et le fixisme méthodologique sont autant de symptômes obsessionnels venant pallier un défaut de rigueur, une compréhension de la clinique psychanalytique obscurcie par les enjeux institutionnels de pouvoir et de compétition entre psychanalystes.

"Est-ce à dire que si la place du maître reste vide, c'est moins du fait de sa disparition que d'une oblitération croissante du sens de son œuvre ?"[31]

Cet état de fait est dû à la position d'exception, à la posture psychique intransmissible des grands psychanalystes, dont la précocité individuelle, étayée sur un sens de l'écoute profond et remarquable, les a amenés à renverser la succession de l'ordre premier et naturel des générations.

Les maîtres de la psychanalyse ont ainsi privé leurs élèves de la parole de leurs aînés, en systématisant la position d'écoute au motif de ses vertus thérapeutiques.

Quand ils ont eux-mêmes pris la parole (à distinguer du discours privé du sujet de l'analyse), c'était de manière immature[32], dans l'emprise anale et la domination orale de la toute-puissance, car ils étaient structurellement peu familiers de ces prises de parole, étant formés à l'écoute clinique[33].

"(...) Ne faudrait-il pas que ce fût Socrate lui-même qui vînt ici prendre la parole, ou bien plutôt que je vous écoute en silence."[34]

Psychologie

Dans le contexte français, la Société Française de Psychologie est fondée en 1901. Elle est d'abord présidée par Pierre Janet, puis par Henri Piéron en 1909, Marcel Mauss en 1924, Henri Wallon en 1927, Daniel Lagache en 1949, Maurice Merleau Ponty en 1952, Paul Fraisse en 1962 et René Zazzo en 1977. La Psychologie sera séparée institutionnellement de la philosophie en 1947, après-guerre, avec la création de la licence universitaire de psychologie par Daniel Lagache. La psychologie n'est cependant pas une discipline isolée des autres. Elle s'est développée en empruntant des outils, des concepts et des méthodes à d'autres champs ; notamment aux sciences formelles (mathématiques, informatique), aux sciences de la vie (médecine, physiologie) ou aux sciences humaines et sociales (sociologie, linguistique). En retour, la psychologie a fourni des apports méthodologiques et théoriques à ces différents domaines, tout en s’y référant dans l'éclectisme depuis ses origines[35]. Ainsi, Le développement de la psychologie sociale a été favorisé par l'émigration des juifs d'Europe Centrale qui ont fui le nazisme et ont fondé l'école de la Gestalt Théorie (Théorie de la forme), dans la rencontre du pragmatisme anglo-saxon et des théories psycho-affectives viennoises. Le chef de file de ce courant, Kurt Lewin, distingue les variables psychologiques de celles qui ne le sont pas, en introduisant la notion de champ psychologique dans une écologie analysée en termes de rapports entre variables et de tensions entre phénomènes, selon les trois niveaux individuel, groupal et social[36]. Appliquées au monde du travail, via la méthode de la recherche-action, ces conceptions ont influencé les travailleurs sociaux, les systémiciens et les psychothérapeutes institutionnels dans l'élaboration d'une approche « ultra-clinique », orientée par l'analyse des pratiques et peu théorisée dans les premiers temps.

La reconnaissance légale de la profession de psychologue est le fruit de trois tentatives ; celle de Paul Fraisse dans les années 1950, celle de Didier Anzieu dans les années 1960, puis enfin celle de l'Association Nationale des Organisations de Psychologues (A.N.O.P), une structure rassemblant cinq syndicats et sept Associations de psychologues, soit près de 9000 membres au total. Après plus de dix ans de pressions sur les pouvoirs publics, l'A.N.O.P. obtient la promulgation d'une loi (article 44 de la loi n° 85-872 du 25 juillet 1985) qui limite l'usage professionnel du titre de psychologue aux titulaires d'un diplôme universitaire de psychologie, ainsi qu'à ceux qui exercent cette fonction dans la fonction publique ou qui justifient d'une autorisation administrative reconnaissant leur qualification et leur expérience professionnelle. Signé par le premier ministre Michel Rocard, les ministres de l'Éducation Nationale et de la Santé Lionel Jospin et Claude Évin, le décret d'application n°90-255 du 22 mars 1990 fixe en outre une liste de diplômes permettant d´accéder au titre de psychologue. En plus des formations universitaires spécialisées, approfondies par un stage ou effectuées à l'étranger, sont mentionnés le Diplôme d'État de psychologue scolaire, le diplôme de psychologue du travail délivré par le Conservatoire National des Arts et Métiers, ainsi que le diplôme de psychologie de l'École des Psychologues Praticiens de l'Institut Catholique de Paris.

La psychologie clinique repose, comme son nom l'indique, sur la méthode clinique, depuis sa fondation universitaire[37]. Cependant, avec l’influence de la psychologie américaine, dès la fin du vingtième siècle, la méthode expérimentale a eu tendance à apparaître avec les modèles et les techniques cognitivo- comportementaux[38] dérivés, aux côtés de la méthode clinique, de manière concurrente, éclectique ou intégrative[39]. En effet, la méthode clinique en psychologie se réfère intrinsèquement à des approches diversifiées, comme l’illustre par exemple la formation interdisciplinaire de l'initiatrice du courant de la psychologie sociale clinique et fondatrice du diplôme de Maîtrise en psychologie clinique en France dès 1967, Juliette Favez-Boutonier. Cette pionnière avait puisé dans la philosophie, la médecine, la psychanalyse et la psychopathologie clinique les ressources nécessaires à l’établissement d’une nouvelle discipline académique.

À partir des années 1980, la concurrence entre les approches psychanalytique et expérimentale a donné lieu à des rivalités individuelles et corporatistes au sein des institutions universitaires, qui se sont trouvées en proie à la radicalisation des visions du monde en psychologie, portée par des conflits d'intérêt opposant politiquement les associations de psychologues expérimentaux et de psychanalystes. Les chercheurs des universités françaises, en visant des postes politiquement forts dans l'enseignement et l'administration, afin de promouvoir leur approche et de combattre les autres (suppressions de postes, d'enseignements voire de spécialités), se sont inscrits dans une démarche de prosélytisme dogmatique en décalage avec l'esprit critique nécessaire à la démarche scientifique et en particulier avec la dialectique clinique. La psychologie intégrative, en cherchant à dépasser ces clivages, a échoué à éviter la confusion épistémique entre méthodes expérimentale et clinique ; en proposant une vision expérimentaliste et empirique de la relation clinique elle est restée cloisonnée par les enjeux de pouvoir politique universitaire, incompatibles avec la rigueur scientifique. Là où les spécialistes ont tenté d'imposer des consensus, si besoin par la force administrative, les intégratifs ont cherché mollement des compromis qui n'ont pas permis de prendre en compte la spécificité des différentes approches, ni la singularité des patients concernés.

Les psychothérapies éclectiques demeurent cependant radicalement différentes des psychothérapies intégratives, telles les thérapies basées sur les schémas, qui tentent d'assimiler les thérapies cognitivo- comportementales (TCC) et la psychanalyse, avec pour conséquence un risque de réduction de l'efficacité des deux approches, aggravé par les confusions théorico-pratiques entre des méthodes distinctes et concurrentes. Dans cette mesure, différentes techniques peuvent être métissées, associées au sein d'une psychothérapie éclectique, mais seulement si elles sont compatibles méthodologiquement, ce qui n'est pas le cas des protocoles systématisés des TCC et de la psychanalyse, qui relèvent de conceptions opposées de la personne humaine, du symptôme et de la causalité psychique. Ces modalités méthodologiques doivent en conséquence être nettement différenciées et identifiées cliniquement, car elles n'ont pas les mêmes objectifs. L'approche éclectique, devenue marginale à l'Université mais encore bien représentée parmi les pratiques hospitalières en psychiatrie de secteur, repose sur un dialogue contradictoire interdisciplinaire soutenant la pluralité des techniques et sur un choix réflexif préalable à toute intervention clinique. L'éclectisme clinique incarne un courant de retour aux conceptions et méthodes des fondateurs de la psychologie française, en s'appuyant en pratique sur la régulation clinique, l'analyse institutionnelle ou systémique et au niveau théorique sur l'interprétation des résultats expérimentaux par les sciences cliniques et humaines, ainsi que par la psychanalyse. Ainsi, les techniques de conditionnement, y compris cognitives, devraient toujours être mises en œuvre auprès des personnes par des psychothérapeutes formés à la méthode clinique et engagés dans une régulation clinique des pratiques, individuelle ou groupale.

Pour sa part, le début du XXIème siècle a été marqué par l'insuffisance intrinsèque et systémique des règles déontologiques, dans la formation des psychologues, afin de garantir des pratiques éthiques[40]. Cette limite a été illustrée, dans un contexte de recul de la méthode clinique, par des affaires politico-judiciaires incriminant les psychologues empiristes. Dès la seconde moitié du 20ème siècle, la psychologie comportementale avait été désavouée par la justice, à cause de son recours à des formes sévères de conditionnement aversif. Les interventions des tribunaux américains pour suspicion de maltraitance, à la suite de l'application de la procédure cognitivo- comportementale ABA sur de jeunes autistes n'ont toutefois pas empêché la reconnaissance de l’efficacité de cette technique par les autorités administratives ni par la communauté scientifique[41].Les tribunaux ont en revanche prononcé l'illégalité des pratiques aversives de la méthode ABA, si bien que les punitions ont été abandonnées dans le cadre de ces protocoles expérimentaux . Or du point de vue empirique, celui de la médecine fondée sur les données probantes, l'inclusion scolaire des jeunes autistes aurait tendance à devenir moins fréquente sans usage de punition[42].

Un autre scandale[43][44] au sein de la plus importante organisation de psychologues aux États-Unis, la Société Américaine de Psychologie (APA)[45][46], a également défrayé la chronique. À la suite de cette affaire compromettante[47], l'APA a présenté des excuses, ainsi que la démission d'une partie de sa direction (le PDG Norman B. Anderson, le vice-PDG Michael Honaker, le directeur des relations publiques Rhea Farberman et le directeur en matière d'éthique Stephen Behnke), avant de chercher à changer de dénomination via la création d’une nouvelle Association de Psychologie Scientifique (APS), afin de se désolidariser des individus concernés, de fuir ses responsabilités politiques, morales, méthodologiques et scientifiques. Les dérives constatées ont démontré en particulier que la formation clinique, la régulation et le contrôle déontologique des pratiques de ses adhérents n'étaient manifestement pas assurés par cette association, du fait du paradigme procédural et empirique qui a dominé les orientations de sa direction.

54 pays impliqués dans le programme extraordinaire de transfert et de détention de prisonniers de la Central Intelligence Agency dans la guerre contre le terrorisme, 2013, Open Society Foundation
54 pays impliqués dans le programme extraordinaire de transfert et de détention de prisonniers de la CIA dans la guerre contre le terrorisme, 2013, Open Society Foundation

Une collusion avec les agences gouvernementales[48][49], dans le cadre d'un programme de mesures contre le terrorisme, visait à permettre aux psychologues de continuer à participer à des techniques violentes de conditionnement qualifiées de torture, utilisant à des fins d'interrogatoire la simulation de noyade, l'isolation sensorielle, la privation de sommeil, la réhydratation rectale, le simulacre d'exécution ou les passages à tabac.[50] Le "waterboarding", ou simulation de noyade, consiste à plonger la tête d’un prisonnier dans une bassine et à verser de l'eau sur un tissu qui bouche le nez et la bouche le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’il croie mourir. Selon le New York Times, le cerveau présumé des attentats du 11 septembre 2001, Khalid Sheik Mohamed, aurait été noyé 183 fois, tandis qu'un autre membre d'Al-Qaïda Abou Zoubaydah, l'aurait été 83 fois. Dans un article du New York Times, James Risen révèle ainsi que l’Association Américaine de Psychologie (APA) a étroitement et secrètement collaboré avec la CIA, la Maison-Blanche et le Pentagone, afin de sauver le programme d’interrogatoire, fortement menacé en 2004 après les révélations de graves cas de torture dans la prison américaine d’Abou Ghraib en Irak[51].

Les faits sont publiés dans un rapport établi par des professionnels de la santé et des activistes des droits de l’homme. Parmi eux, Stephen Soldz, spécialiste en psychologie clinique et professeur à la Graduate School of Psychoanalysis à Boston, Steven Reisner, également psychologue clinicien et membre fondateur de la Coalition for an Ethical Psychology et Nathaniel Raymond, directeur du « Signal Program on Human Security and Technology » à la Harvard Human Initiative. A leurs yeux, l’Association Américaine de Psychologie (APA) a joué un rôle crucial dans le maintien du programme de torture. Selon le journaliste James Risen, l’association a autorisé des responsables de l’administration Bush à élaborer certaines des politiques de l’association, qui nie malgré tout avoir facilité quoi que ce soit. Le rôle des psychologues dans le programme de torture de l’administration Bush n’en continue pas moins de faire l’objet d’enquêtes. En 2005, une commission de l’APA, la “Presidential Task Force on Psychological Ethics and National Security”, avait conclu que les psychologues pouvaient continuer à être impliqués dans le programme d’interrogatoires, afin de s’assurer qu’ils répondent à des critères de sécurité et de légalité et qu’ils soient efficaces. Le rapport de ce groupe de travail fut tellement critiqué par les professionnels de la branche, que l’association a finalement retiré les directives autorisant ses psychologues à collaborer.

Des mémos de la CIA publiés par le New York Times indiquent dix techniques employées successivement, en crescendo, pour faire craquer les suspects :

 « Agripper pour forcer l'attention, mur sur lequel on pousse le suspect violemment avec déclenchement d'un son très fort, maintien forcé du visage, gifles avec insultes, confinement dans un espace réduit dans l'obscurité, maintien en position debout contre un mur pour provoquer la fatigue musculaire, positions stressantes, privation de sommeil, enfermement (du suspect) avec des insectes, simulacre de noyade."

Les sites secrets du programme extraordinaire de transfert et de détention de la CIA ; Bleu foncé : Pays d'où les prisonniers auraient été extradés Bleu clair : Pays où le transport des prisonniers aurait été autorisé Rouge : Pays supposés de destination des prisonniers Noir : Sites secrets de la CIA suspectés Sources: Amnesty International, Human Rights Watch, Wikipedia, 2007

L’intégralité des techniques utilisées n’est pourtant pas intégralement révélée dans cette partie du mémo, puisque le rapport sénatorial de 2014, qui a été préfacé par John R. Macarthur, le président du prestigieux Harper's Magazine, décrit des manipulations diététiques, de la nudité forcée, des étranglements, du bruit continu, des couches culottes portées de force pendant plusieurs jours, la roulette russe et l’utilisation d’une perceuse. L'ensemble des techniques employées par la CIA sont qualifiées comme étant "dignes de celles de la Gestapo" par le journaliste politique. Ces procédures, mises en place par l'administration Bush après le 11 septembre 2001 et pratiquées par la CIA, sont considérées comme de la torture par les Nations Unies et ont été interdites par le Président Barack Obama. En janvier 2009, lors de sa prise de fonction, ce dernier, devant les révélations de la presse sur les techniques d’interrogatoire de la CIA, les a proscrites par décret, avec le programme d'enlèvement de la CIA, sans que personne depuis lors n'ait été sérieusement inquiété pour les avoir ordonnées ou exécutées. Cependant, une plainte a été déposée en octobre 2015 par l'Union Américaine pour les Libertés Civiles (ACLU) devant un tribunal fédéral de l’État de Washington, au nom de trois ex-détenus, visant James Mitchell et John Bruce Jessen, deux psychologues sous-traitants de l'APA[52][53], recrutés en 2002 par la CIA comme "architectes du programme d'interrogatoire" dans le cadre de la guerre contre le terrorisme lancée par Georges W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001. Ils auraient "gagné 81 millions de dollars"[54][55], en aidant la CIA à mettre en place et à appliquer un programme de torture, dans le cadre du programme secret d'enlèvements de membres présumés d'Al Qu’Aïda par la CIA entre 2002 et 2008. Le principe et les méthodes de ce programme d’enlèvement ont été dénoncés par le rapport du Sénat américain de 2014, qui détaille les techniques utilisées par les psychologues afin de faire parler les suspects.

En 2005, un an après les terribles images de sévices commis par des militaires américains dans la prison d'Abou Ghraib, la presse américaine met à découvert les avions secrets de la CIA, affrétés pour le « programme extraordinaire de transfert et de détention de prisonniers », planifiés dans le but d’interroger des personnes suspectées de terrorisme dans des "sites noirs" — hors de tout contrôle et répartis à l’extérieur des États-Unis dans 54 pays. Les deux psychologues incriminés, qui ont continué à travailler pour la CIA jusqu'à la fin des programmes, lors de leur déposition devant un tribunal début 2017, ont réfuté le titre "d'architecte" que l'agence de renseignement leur avait donné, puis tenté de justifier leur "travail", face aux accusations. Une requête de l'ACLU a en outre permis la déclassification de documents secrets décrivant les méthodes de la CIA, révélant 83 cas de torture par simulation de noyade, ainsi que plusieurs cas de détention erronée ayant conduit les détenus à de faux aveux[56]. Il est reproché aux psychologues d'avoir "conçu les méthodes" d'interrogatoire de l'agence de renseignement, et mené des "expérimentations illégales sur des prisonniers pour tester et affiner" ces méthodes. L'un des plaignants dans la procédure, l'Afghan Gul Rahman, est mort de froid pendant sa détention par la CIA, victime d'hypothermie mais aussi de déshydratation, de manque de nourriture, et d'une immobilité forcée à cause d'un "enchaînement". C'est sa famille qui le représente. James Mitchell et John Bruce Jessen "ont affirmé que leur programme (d'interrogatoire) était basé sur la science, sûr, et prouvé, (...)"[57][58]

Bien qu’ils aient été contraints de se justifier devant une cour de justice, ils ne seront toutefois pas poursuivis, grâce à un accord secret, passé avec l’ACLU à l'été 2017[59].

En dépit des actions en justice de la société civile, Donald Trump, le milliardaire américain élu Président des États-Unis en novembre 2016, a déclaré durant sa campagne électorale vouloir changer radicalement la politique étrangère américaine et être favorable "absolument" à la légalisation des méthodes d'interrogatoire par simulation de noyade, jugeant que le groupe État Islamique faisait bien pire, lors de l'émission dominicale "This Week" sur la chaîne de télévision ABC[60]. Il a exprimé en outre son intention de modifier les lois interdisant cette technique psychologique empirique, ainsi que d'autres formes plus extrêmes de torture des prisonniers, estimant que l'interdiction de ces pratiques place les États-Unis dans une situation de désavantage stratégique, dans la guerre contre l'État Islamique. Il a également défendu le meurtre des femmes et des enfants des terroristes[61]. Les déclarations de Donald Trump, parfois décriées jusque dans le Parti Républicain, n'ont pas entamé sa popularité : "Je pense que la simulation de noyade, c'est de la gnognotte par rapport à ce qu'ils nous font subir", a-t-il déclaré, citant l'exemple de la décapitation de James Foley, le journaliste américain exécuté par un bourreau de l'EI en août 2014.

« Dans l’un des débats, ils ont interrogé Ted au sujet de la simulation de noyade. Il leur a donné une réponse de faible, puis ils m’ont posé la question et j’ai dit que j’adore ça. Nous devrions rendre ça encore bien plus dur. Ils peuvent couper des têtes, noyer les gens et nous ne pouvons pas simuler la noyade."[62]

Donald Trump encourage l’utilisation de la simulation de noyade et d’autres techniques de torture, parce « même si ça ne marche pas, de toute façon ils ne l’ont pas volé. » Lorsqu’il lui a été demandé s’il approuverait la simulation de noyade, Trump a fanfaronné : « Un peu mon neveu, que je l’approuverais ! ». Malgré les preuves de l’inefficacité du simulacre de noyade en tant que méthode pour recueillir des renseignements et le fait que cet outil facilite le recrutement des ennemis des États-Unis, Trump a maintenu sa position : « Seul un imbécile dirait que ça ne marche pas ! »[63].

Cependant, la directrice de la CIA désignée par Donald Trump a affirmé qu’elle ne croyait pas que la torture fonctionne et qu’elle n’appliquerait pas un ordre présidentiel qu’elle jugerait immoral. Confrontée à un interrogatoire musclé par les membres du Comité sénatorial sur le renseignement, Gina Haspel a soutenu que sa boussole morale était solide. « Je n’autoriserais pas la CIA à mener des activités que je penserais immorales, même si c’était légal techniquement », a-t-elle dit, forte de son expérience de 33 ans passée au service de l’agence. « Je ne le permettrais absolument pas. » Haspel a précisé qu’elle ne croyait pas que Trump lui demanderait de reprendre la simulation de noyade et qu’elle considère que la CIA doit mener des activités cohérentes avec les valeurs américaines. Elle a dirigé une base secrète de détention en Thaïlande, où les terroristes présumés ont subi des simulacres de noyade. Haspel s’est déclarée d’accord avec les membres de la CIA qui ont estimé que de précieuses informations avaient été obtenues durant les interrogatoires des détenus, mais elle a ajouté qu’il n’était pas prouvé que les techniques violentes y aient joué un rôle, ni que ces informations auraient pu être obtenues autrement[64].

Les dirigeants de l'Association américaine de psychologie (APA) ont recommandé, à la suite de ces affaires, c’est-à-dire trop tard, un renforcement des règles éthiques pour interdire à leurs adhérents de participer à des interrogatoires de l'armée ou des services de renseignement. Le conseil d'administration a soumis cette recommandation au vote de ses membres, lors de la conférence annuelle de l'association à Toronto au Canada, prévue du 1er au 3 août 2015, afin d’établir que toute participation d'un psychologue à des interrogatoires relevant de la sécurité nationale, dont les activités antiterroristes, constituerait une transgression de la politique éthique de l'APA[65]. Cette règle s'applique également aux méthodes d'interrogatoire dites non-coercitives auxquelles recourt l'administration américaine actuelle. La recommandation des responsables de l'APA répond à un rapport publié plus tôt en juillet 2015, contenant les résultats d'une enquête indépendante reconnaissant la participation des psychologues de l’APA à des programmes d'interrogatoire musclés de l'agence américaine de renseignement et du ministère de la Défense du temps de l'administration Bush. Cette enquête menée pour le conseil d'administration de l'APA par un avocat de Chicago, David Hoffman, a déterminé qu'il y avait eu collusion entre des responsables de l'APA pour aligner les politiques de cette dernière sur celles du Pentagone, de manière à ce que des psychologues puissent continuer à participer à ces interrogatoires. Les enquêteurs ont également établi que des psychologues de l’APA avaient aidé la CIA à dissimuler certains aspects de son programme d'interrogatoire pour qu'il ne puisse pas être remis en question éthiquement par des médecins et d'autres professionnels de santé. «Le rapport Hoffman contient des faits très troublants qui révèlent des exemples préoccupants de collusion qui n'étaient pas connus», avait souligné après la publication du document Susan McDaniel, membre du comité spécial indépendant de l'APA chargé de faire la lumière sur ces pratiques.

En août 2007, pour son congrès annuel à San Francisco, l’APA avait rejeté un moratoire sur la participation de ses membres aux interrogatoires réalisés dans les centres de détention du programme extraordinaire de transfert de prisonniers[66]. Le regroupement professionnel a adopté en lieu et place une résolution interdisant seulement la participation à certaines techniques violentes d’interrogatoire, alors que l’Association Médicale Américaine, l’Association Psychiatrique Américaine, l’Association Américaine des Traducteurs et la Société pour l’Ethnomusicologie (la musique à haut volume était utilisée comme technique de torture) interdisaient déjà à leurs adhérents de participer à des interrogatoires où les droits fondamentaux humains ne sont pas respectés. Tandis que l’administration Bush déniait l’utilisation de la torture, un rapport secret du Comité International de la Croix Rouge avait déjà fuité, montrant l’effectivité de ces pratiques. Après le vote de rejet du moratoire à l’APA, le Dr. Steven Reisner, partisan du moratoire, avait demandé : « Je veux savoir si l’adoption de cette résolution proscrit l’implication des psychologues dans les techniques d’interrogatoire améliorées que le Président des États-Unis a autorisées dans les sites secrets de la CIA. »

Les défenseurs de la résolution de 2007 affirmaient que les psychologues devaient être présents aux interrogatoires afin de « protéger les prisonniers », pour s’assurer que les militaires ne dépassent pas les limites, alors que dans les faits les psychologues ont aidé les militaires à repousser les limites des techniques d’interrogatoire, afin de briser psychologiquement les prisonniers. Le Dr. Jeffrey Kaye, un psychologue de l’organisation Survivors International, une association de survivants de la torture, a estimé que les psychologues étaient pris dans un cercle vicieux : ils ne pouvaient pas participer aux techniques violentes d’interrogatoire, mais pouvaient participer aux conditions violentes de détention. D’après lui :

« Vous voyez, ils n’utilisent pas la privation de sommeil pendant qu’ils vous interrogent, ils l’utilisent avant votre interrogatoire, comme un paramètre des conditions de détention, pour que vous soyez affaibli durant l’interrogatoire. Le gagnant du jour, et je suis sûr que leurs avocats sont très contents, c’est la CIA. »

Lorsque la convention annuelle a démarré ses travaux, Anthony Romero de l’ACLU a porté publiquement une lettre à l’APA exigeant un moratoire et alertant sur le fait que les psychologues s’exposaient à une responsabilité pénale ainsi qu’à des poursuites judiciaires : « Nous avons trouvé des preuves troublantes de la collusion des psychologues médicaux dans le développement et l’implémentation de procédures destinées à infliger des blessures psychologiques aux prisonniers de Guantanamo Bay et d’autres infrastructures. »

Nous pouvons aujourd'hui nous demander si l’ACLU n’aurait pas dû soulever, outre la responsabilité individuelle des psychologues, la responsabilité morale de l’association, c’est-à-dire sa responsabilité collective professionnelle devant les tribunaux.

À l’ouverture de la session de l’APA sur l’éthique et les interrogatoires, une interrogatrice du Pentagone s’exprimant sous pseudonyme, le “Dr. Katherine Sherwood”, a souhaité que l’assemblée sache que les interrogatoires étaient conduits professionnellement. Elle a raconté que l’accès aux dossiers médicaux des prisonniers lui était refusé :

«  J’aime cuisiner à la maison pour les détenus et je leur amène des plats maison pour nos sessions d’interrogatoire. J’avais besoin de savoir si l’un d’entre eux avait une allergie aux cacahuètes, et cela était pris au sérieux. Il y avait une procédure en place où... l’agent de liaison pouvait demander au personnel médical, qui pouvait choisir ou non de donner une réponse. »

Cette petite cuisine éclaire sous un jour nouveau le terme de « psychologue BSCT » (à prononcer biscuit), qui désigne la Behavioral Science Consultation Team (Équipe de consultation en science comportementale). C’est cette équipe de psychologues qui a participé à développer les techniques violentes d’interrogatoire, dont le rapport du Comité International de la Croix Rouge établit qu’elle a transmis des informations sur « les vulnérabilités et la santé mentale » des détenus, afin de faciliter leur anéantissement psychologique. La lettre de l’ACLU se concluait en ces termes :

« L’histoire de la torture est inexorablement liée au détournement des connaissances scientifiques et médicales. Alors que nous pénétrons plus avant dans le 21ème siècle, il n’est plus suffisant de s’exprimer publiquement pour dénoncer la torture ; nous devons plutôt séparer une bonne fois pour toutes les bourreaux des soignants. En tant que gardiens de la psyché, les psychologues ont le devoir de promouvoir un traitement humain pour tous. »

L'éclectisme psychothérapique correspond précisément à une proposition de séparation des considérations relevant de l'ordre du dogme théorique et statistique d'avec les décisions d'intervention dans le soin psychique, en réintroduisant la distinction épistémologique entre méthode clinique et méthode expérimentale, au cœur de la formation des soignants comme de la régulation de leurs pratiques ; en réduisant les systématisations techniques procédurales et les standards administratifs à leur stricte valeur initiale d'informations hypothétiques susceptibles d'interprétations humaines, de remise en cause analytique ou d'ajustements cliniques.

Il apparaît que les psychotechniciens ou les psychologues empiristes ne disposent pas d'une formation éthique et déontologique suffisante pour appliquer sur le terrain clinique les techniques comportementales et cognitives, qui sont les plus dangereuses pour les patients, du fait de leur intention d'efficacité symptomatique et relèvent du plus haut niveau d'analyse pluridisciplinaire de l'implication subjective des soignants ; de plus cette analyse éclectique relationnelle repose sur une expertise déontologique et clinique de la médiation psychothérapeutique qui ne saurait en aucun cas tolérer la systématisation d'une cure type donnée ou d'un programme procédural reposant seulement sur des critères administratifs d'évaluation quantitative. En revanche, l'école éclectique ne reconnaît pas de détournement ni de dévoiement des méthodes expérimentales ou de la médecine fondée sur les données probantes dans l'utilisation de la torture par l'équipe BSCT de l'APA, mais seulement une preuve supplémentaire de l'inadéquation formelle au soin psychique clinique de ces méthodes de laboratoire et de leur incapacité à prendre en compte la complexité psycho-sociale des phénomènes psychiques, dont la sensibilité subjective des sujets humains ne peut jamais être abstraite, ni objectifiée[67]. dans un référentiel méthodologique clinique.

Par effet de retour, indirectement, la démarche de l'école éclectique vise également l'unification des spécialités médicales, par la méthode clinique globale et par la prise en compte des enjeux éthiques, relationnels et culturels dans tous les actes médicaux grâce aux outils conceptuels et méthodologiques issus des sciences humaines.

Anthropologie Clinique

Dans les années 1980, à partir d'un travail sur la ménopause des femmes japonaises, Margaret Lock, anthropologue à l’Université McGill de Montréal au Canada, a fondé un nouveau courant de l’anthropologie médicale à partir du concept de «biologie localisée». Sous l’impulsion des découvertes en épigénétique, l’influence de l’environnement sur l’expression du programme génétique a conduit les anthropologues à étudier les variations du corps humain en relation avec son environnement social, culturel et économique.

S'appuyant sur les thèmes philosophiques de la continuité du normal et du pathologique, ou de la frontière entre la santé et la folie, les recherches convergent vers une prise en compte de la complexité des interactions entre génome et environnement. Ainsi les implications politiques des études en épigénétique permettent de revisiter les sciences sociales à l'aune du paradigme génétique[68].

La perception des événements de vie et l'observation des éventuels symptômes associés diffère selon la culture, ce qui vient contredire la vision médicale occidentale, considérant par exemple la ménopause comme un processus universel associé à un ensemble de symptômes inévitables, quand la conception japonaise en est spirituelle et positive.

Le concept de «biologie localisée» a été inventé en 1821 par Charles Gardanne, médecin français, pour désigner la période entourant la fin des cycles menstruels.

Le terme a circulé au milieu du XIXe siècle dans le milieu médical en Europe et en Amérique du Nord, en attirant l’attention sur la complexité des facteurs qui influencent la ménopause et en remettant en cause l’idée selon laquelle le savoir médical serait porteur d’une vérité sur le corps humain[69].

Depuis les années 2000, les découvertes épigénétiques donnent des arguments scientifiques en faveur de l’existence d’un lien entre nature et culture, d’où l’importance des études en biologie localisée, qui cherchent à expliquer le fonctionnement du génome d’une personne et de son corps.

Les variations des gènes et de leur expression résultent d’une lente évolution, dirigée par des facteurs d’ordre culturel, historique et socio-économique, mettant en jeu l’interaction du corps avec l’environnement, que ce soient les habitudes alimentaires, les conduites ou encore les pollutions environnementales.

La «biologie localisée» vient ébranler la vision du corps biologique universel forgée par la médecine moderne en traduisant l’enchevêtrement entre facteurs biologiques, sociaux et environnementaux, influençant les processus biologiques tout au long de la vie. Ces interactions sont d’autant plus dynamiques avec les mouvements de populations incessants dus à la mondialisation. Margaret Locke propose le concept de «biologie située», qui retranscrit les variations biologiques du corps observées comme correspondant à un instantané figé de ces mouvements. Le corps humain reste le même, mais des différences moléculaires importantes surgissent du fait de la situation du corps dans un environnement spécifique, à un instant donné.

Les recherches en épigénétique révèlent le fondement moléculaire de l’influence de l’environnement sur l'organisme, ce qui donne lieu au développement de nouveaux médicaments, par exemple pour le cancer. Toutefois la construction d'un discours médical sur ce fondement est une tendance jugée inquiétante par les historiens et les anthropologues, en particulier les retombées de l’épigénétique comportementale. Les études qui établissent des liens entre la base moléculaire de maladies psychiques telles la dépression avec les facteurs socio-économiques (pauvreté), donnent ainsi lieu à des traitements et des recommandations médicales. Cependant les interactions sont plus complexes : le racisme et la discrimination sont à l’origine des mauvaises conditions socio-économiques (Afro-Américains aux États-Unis) et dépendent de choix politiques relevant de la responsabilité collective des sociétés.

Les sciences humaines doivent donc participer à l'élaboration des politiques de santé.

" (...) Les sociétés qui encouragent la violence chronique, les inégalités et les discriminations violent le droit à la santé de leurs citoyens et des générations à venir."[70]

Les découvertes en épigénétique doivent donc être comprises et interprétées à la lumière des sciences humaines, sociales et cliniques, afin de favoriser des pratiques sanitaires éthiques.


Notes & références

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  48. Torture: les psychologues américains ont validé les techniques d'interrogatoire de la CIA, http://www.lexpress.fr/actualite/monde/torture-les-psychologues-americains-ont-valide-les-techniques-d-interrogatoire-de-la-cia_1698150.html
  49. USA: quand des psychologues aident le Pentagone à bien torturer, http://www.rtbf.be/info/monde/detail_usa-quand-des-psychologues-aident-le-pentagone-a-bien-torturer?id=9029952
  50. KUBARK, Le manuel secret de manipulation mentale et de torture psychologique de la CIA, Traduit de l'anglais (États-Unis) par Émilien et Jean-Baptiste Bernard, Introduction de Grégoire Chamayou, Zones, , 192 p. ISBN 2-355-22045-X, lire en ligne
  51. https://blogs.letemps.ch/etats-unis/2015/05/01/torture-la-collaboration-de-lamerican-psychological-association/
  52. Torture: les psychologues américains ont aidé la CIA pour «se faire bien voir» des militaires, http://www.45enord.ca/2015/07/torture-les-psychologues-americains-ont-aide-la-cia-pour-se-faire-bien-voir-des-militaires/
  53. Torture à la CIA: les psychologues avaient conçu les directives éthiques, http://www.lapresse.ca/international/États-Unis/201507/11/01-4884744-torture-a-la-cia-les-psychologues-avaient-concu-les-directives-ethiques.php
  54. Deux psychologues admettent leur rôle dans les tortures de la CIA, https://fr.sputniknews.com/international/201606231026094824-cia-tortures-psychologues/
  55. Torture : deux psychologues ont vendu leurs techniques 80 millions de dollars à la CIA, http://www.lesechos.fr/15/12/2014/lesechos.fr/0204017543685_torture---deux-psychologues-ont-vendu-leurs-techniques-80-millions-de-dollars-a-la-cia.htm
  56. De nouveaux détails glaçants sur les tortures de la CIA émergent, juin 2016,https://fr.sputniknews.com/international/201606201025982896-cia-tortures-documents/
  57. Plainte contre deux psychologues associés aux tortures de la CIA, http://www.i24news.tv/fr/actu/international/ameriques/88954-151014-plainte-contre-deux-psychologues-associes-aux-tortures-de-la-cia
  58. D'anciens détenus, torturés par la CIA, portent plainte aux États-Unis, http://www.lefigaro.fr/international/2015/10/14/01003-20151014ARTFIG00180-d-anciens-detenus-tortures-par-la-cia-portent-plainte-aux-États-Unis.php
  59. http://information.tv5monde.com/info/etats-unis-les-architectes-du-programme-de-torture-de-la-cia-ne-seront-pas-juges-186903
  60. http://www.lepoint.fr/monde/États-Unis-donald-trump-favorable-au-retour-a-la-torture-par-simulation-de-noyade-22-11-2015-1983806_24.php
  61. http://www.news.com.au/finance/work/leaders/trump-vows-to-legalise-torture/news-story/92be656c4481b6ef28250f8bb0e45ba7
  62. Donald Trump Rally in Indianapolis 4/20/2016
  63. Donald Trump Report, Democratic National Committee, 12/19/15
  64. Trump's nominee to lead the CIA says she doesn’t believe torture works, Deb Riechmann And Kevin Freking, The Associated Press, 10 mai 2018
  65. http://www.20minutes.fr/monde/1660839-20150731-etats-unis-psychologues-veulent-plus-participer-interrogatoires
  66. https://www.truthdig.com/articles/psychologists-in-denial-about-torture/
  67. Cf. Robotisme psychique
  68. Margaret Lock, The Alzheimer Conundrum, Princeton University Press, 2013
  69. Margaret Lock, Encounters with Aging: Mythologies of Menopause in Japan and North America, University of California Press, 1993
  70. Margaret Lock, entretien réalisé par Catherine Mary, En santé, il y a un lien entre nature et culture, 2 juin 2015, Le Temps (lire en ligne)