Recherche:Étude des conférences d'Henri Guillemin

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Étude des conférences d'Henri Guillemin

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Le texte qui suit est une retranscription de la conférence d'Henri Guillemin consacrée à Robespierre.

À terme, cette page pourrait reprendre la liste de ces conférences et à rediriger vers d'autres retranscriptions.

Les buts de cette publication sont :

  1. contribuer à pérenniser cette partie de l'œuvre de Henri Guillemin en passant de l'oralité à l'écrit;
  2. mettre le texte à disposition de la communauté sous une forme (celle de Wikipedia) permettant enrichissements, mises en relation, discussions de fond, etc;
  3. (re)placer le texte dans un contexte à vocation scientifique et encyclopédique

La source de cette retranscription est disponible sur le site d'Étienne Chouard[1]. Les deux enregistrements qui constituent cette conférence sont disponibles sur le site du CERN[2],[3].

Conférence d'Henri Guillemin sur Robespierre 12 février 1970[modifier | modifier le wikicode]

Notre association du personnel est très heureuse d'accueillir à nouveau monsieur Henri Guillemin.

Il y a trois ans, il nous avait passionnés de l'affaire Dreyfus, une affaire qui a ébranlé la France au siècle dernier.


Et c’est aussi un des sujets qui a aussi ébranlé la France et je dirais même l'Europe.

Je crois que c’est une insulte de le présenter, vous le connaissez tous puisqu’il est déjà venu ici.

Et pour ceux qui suivent ses conférences sur le petit écran, je vais tout de suite lui donner la parole.

- Je me mets là, devant, alors ?

- Non non, vous pouvez vous balader.

- Et puis ça alors, qu'est-ce que j'en fais de ça ? Je le laisse comme ça ?

- Oui vous pouvez le laisser comme ça.


- Bon. Et bien l'image traditionnelle de Robespierre vous la connaissez.

Enfin telle que je l'avais apprise moi-même dans les livres de Louis Madelin qui faisait autorité quand j'étais étudiant : l'image d'un incorruptible, c’est entendu, mais en même temps une espèce de pion âcre, enfin, un fanatique glacé, une espèce de cuistre guillotineur si vous voulez.

Alors, immédiatement, on opposait le visage de Danton, en vous disant : "Oui, bien entendu, il est moins incorruptible, mais Danton, c’est tout de même l'homme «de l'audace, encore de l'audace».

C'est un homme duquel sortait une chaleur humaine. Tandis que ce petit monsieur propret mais aux mains sanglantes, quelle horreur !"

"Mains sanglantes", ça me fait penser à l'image que j’ai vue en entrant, où le nom de Robespierre est accompagné de sang qui coule…

Alors, est-ce exactement comme ça qu’il faut le voir ? Je n'en suis pas sûr.

Et je peux vous dire que depuis un certain nombre d'années, cette ancienne image s'est déjà pas mal modifiée.

C'est Mathiez, le premier, qui était le grand rival de Aulard, vous savez à la Sorbonne, Mathiez, après lui monsieur Soboul, qui a le même prénom : Albert Soboul.

Jean Massin qui a fait un très bon Robespierre.

Et puis tout récemment, enfin il y a deux ans je crois, Max Gallo qui a aussi rapporté un Robespierre dont la physionomie est modifiée par rapport à l'image traditionnelle.

Eh bien, je vais tenter de vous présenter Robespierre tel que je le vois.

Alors pour ça il faut d’abord regarder ce que c’est que le mouvement de 1789, pour voir l'insertion de Robespierre.

Eh bien la chose importante à vous dire, citation de Michelet, qui est un grand écrivain, mais mon estime pour l'historien n'a cessé de décroître ; Michelet vous affirme ceci, "Ce qu’il importe de savoir, c’est à quel point les idées d'intérêt furent étrangères au mouvement de 89"…

Et il ajoute même, oui : "la révolution fut désintéressée, c’est là son côté sublime"…

Je n'en crois plus rien.

Voyons, qu'est-ce qui c’était passé réellement au XVIIIe siècle ?

La formation d'une nouvelle classe, hein. Nous l'appellerons si vous le voulez la richesse mobilière.

Il y a eu cette grande expansion économique au XVIIIe siècle, que vous connaissez.

Donc, il c’était constitué une classe de financiers, d'industriels, de banquiers.

Ces gens représentaient réellement une très grande part de la fortune française.

Or, ils voyaient que, comme on dirait aujourd'hui, les leviers de commande étaient uniquement entre les mains de l'aristocratie.

Alors, ces gens avaient envie de s'affirmer.

Et ils avaient un théoricien, qui s'appelait Barnave, qui était un avocat du Dauphiné, un client des Perrier, (les Perrier, c’était de grands industriels de la région) et Barnave a prononcé en 90 une phrase très importante, que je crois savoir par cœur : "Une nouvelle distribution de la richesse, appelle — c'est-à-dire exige — une nouvelle distribution du pouvoir."

Autrement dit : nous qui sommes très importants dans la France, nous tenons à avoir notre part dans la gestion des affaires publiques.

L'occasion qui va se présenter pour cette nouvelle classe, c’est la situation financière française en 1789 : la banqueroute imminente.

Et deux raisons de la banqueroute, qui sont les suivantes : Il y a une très célèbre, l'autre qui l'est moins.

Raison célèbre, il y avait des parasites qui ne payaient pas d'impôts, et c’était précisément ce qu'on appelait les privilégiés, à savoir l'aristocratie et le clergé ;

Mais deuxièmement il faut aussi penser à la politique financière des rois de France, surtout Louis 15 et Louis 16.

Une politique d'emprunts permanents.

Lorsque la France de Louis 16 décide de soutenir les insurgés d'Amérique, qui vont donner les États-Unis, il faut de l’argent liquide pour faire la guerre.

Necker, Suisse vous savez, qui est "au service de la France".

Necker dit : "tout l’argent que vous voudrez !"

Naturellement, on fait des emprunts énormes. Et je vous dirais entre parenthèses que Necker s'y retrouve personnellement parce qu’il fait semblant d’être désintéressé, à ce moment-là, de n'être plus banquier, et il prête jusqu'à 14% à l'État français. C'est intéressant quoi, un ministre des finances qui fait du 14% personnellement…

Ce qui lui permettra ensuite d'acheter le Château de Coppet.

Bon alors en 1789, vous avez la situation que voici.

La moitié, c’est vrai ce que je vais dire, la moitié du budget des dépenses françaises passe aux arrérages de la dette.

Situation éminemment malsaine.

Alors vous pensez bien que ces industriels, ces grands personnages, ces notables, ne vont pas eux-mêmes faire la révolution et descendre dans la rue.

Il leur faut un bélier. Le bélier est tout trouvé, c’est la petite plèbe, c’est le petit peuple.

Si vous lisez un livre divertissant et qui ne voudrait pas l'être, mais qui l'est tout à fait, un livre de monsieur Gaxotte de l'académie française sur la révolution française, vous y lirez cette phrase surprenante : "En somme en 1789, l’ensemble était cossu".

Je vous assure que c’est merveilleux de penser, l’ensemble était cossu !

Alors vous voyez quand on passe à des choses sérieuses, quelqu’un qui Dieu sait n’est pas un communiste, j’ai nommé monsieur Edgar Faure, qui a fait un très bon livre sur la chute de Turgot, et qui a cette phrase très importante, qui est un homme qui sait de quoi il parle.

"C'est vrai la richesse française, la richesse nationale française s'était beaucoup accrue au XVIIIe siècle, et cela avait aboutit - écrivait Edgar Faure - à faire les pauvres plus pauvres."

Monsieur Godechot, encore aujourd’hui je crois, doyen de la faculté des lettres de Toulouse, et qui a fait dans une collection importante qui s’appelle "Les trente journées qui ont fait la France", qui a fait le 14 juillet, nous apporte lui des chiffres.

Alors je vais vous donner quelques uns de ces chiffres.

Le travailleur, à ce moment-là c’est quoi ?

C'est le travailleur des champs, surtout journalier. Mais il y a aussi plus de travailleurs des villes qu'on ne l'imagine.

Il y a déjà des concentrations industrielles.

Enfin, le travailleur des champs ou le travailleur des villes, gagne à peu près 20 sols par jour au XVIIIe siècle.

20 sols, pouvoir d'achat actuel, 4 à 5 francs suisse à peu près. (3 à 4 euros)

Ces gens ne gagnent leurs 20 sols que quand ils travaillent, bien entendu.

Il y a le dimanche, et il y a énormément des fêtes chômées.

Alors ces gens gagnent leurs 20 sols quand ils travaillent, environ 320 ou 330 jours par an.

De quoi se nourrissent-ils ? Ils se nourrissent avant tout de ce qu'on appelait "la miche".

La miche de pain, on ne parlait pas de kilo à ce moment-là, ça ferait une miche de 1 kilo.

Cette miche de pain coutait 40 centimes. 40 sols, enfin, disons 40 centimes, en 1750.

Elle ne cessera pas, le prix ne cessera pas de monter. Elle va passer de 10 sous à 12 sous, à 13 sous...

Et ce n’est pas par hasard que le 14 juillet, c'est-à-dire le jour où il y a la prise de la Bastille, dont je vais vous parler, est aussi le jour où la miche de pain est la plus élevée, elle coute 14 sous.

Alors comme il faut manger tous les jours même si on ne travaille pas tous les jours, regardez la situation de gens qui dépensent déjà 14 sous pour manger, qui gagnent 20 sous quand ils travaillent.

Alors qu'est-ce qu’il leur reste pour leur habitation ou pour leur logement, ou pour leur vêtement ?

Des gens donc très malheureux. Ce n’est pas étonnant que dans l'année de 1788 il y avait pas mal de tumulte, des émeutes, des petites insurrections, de la misère.

Et en avril 1789 les états généraux ne sont pas réunis, ils vont se réunir le 5 mai.

En avril 89 à Paris, une très violente insurrection qu'on appelle "l'émeute réveillon", quartier Saint-Antoine, quartier ouvrier, où il y aura, on fera donner la troupe, où il y aura environ 150 morts.

C'est vous dire qu’il y avait là un bélier tout à fait disponible, c'est-à-dire de pauvres gens qui crevaient.

Les notables qui sont réunis à Versailles d’abord puis à Paris après, vous savez, c’est l'assemblée dite "constituante" maintenant.

Les états généraux qui se sont transformés en assemblée constituante, estiment que tout va bien.

Le roi a en effet reculé, on va arriver à faire une constitution.

Et par conséquent ces notables, c'est-à-dire la richesse mobilière, ont l'impression qu’ils ont gagné.

Quand brusquement, le 12 juillet 1789, le roi fait marche arrière, renvoie Necker qui était au pouvoir et, étant financier lui-même, favorisait les financiers.

Le roi renvoie Necker et met à la place un gouvernement que nous appellerons d'extrême droite, avec Breteuil.

Situation dramatique. Cette fois la bourgeoisie parisienne, la grosse bourgeoisie, la bourgeoisie d'affaires parisienne, décide de se lancer — pas elle-même, bien entendu — mais de lancer le peuple contre la Bastille qui était le symbole même de l'autocratie.

On va armer le peuple. C'est très redoutable hein, et c’est dans la journée du 13 juillet 1789 qu'on va ouvrir les Invalides, où il y avait 30 000 fusils, des canons, de la poudre, et on va distribuer des armes aux pauvres gens.

On notera par exemple que deux Suisses, très importants, le banquier Pergaud et un autre banquier Genevois qui s’appelle Delessert,

(Pergaud c’est un Neuchâtelois) sont là parmi les gens les plus incandescents, qui ont ramassé des fusils et qui les distribuent aux gens qui passent devant chez eux.

Vous avez Boscari qui est un agent de change et un futur membre de l'assemblée législative, agent de change, qui lui aussi ne va pas se battre, c’est pas convenable, mais distribue des fusils.

Alors ça y est le 14 juillet, le roi a reculé, on a rappelé Necker, on a gagné !

Attention ! On a gagné avec un grand risque : on a armé la plèbe.

Qu'est-ce qu'elle va faire de ces fusils ?

Alors, il faut lui reprendre ces fusils. Et on a trouvé un truc admirable, en effet qui va réussir tout de suite.

On avait distribué gratuitement ces fusils à la petite plèbe. On va les lui racheter pour 40 sous.

Alors la plupart des fusils reviennent. Vous comprenez, les gens qui avaient touché un fusil pour rien, on leur dit si vous rendez le fusil, vous avez 40 sous, ils rendent leur fusil.

Aux trois armées comme on a peur que ça leur ait donné des mauvaises idées, on va constituer tout de suite, dès le 15 juillet, ce qu'on appelle d’abord une MILICE BOURGEOISE.

Puis le mot parait tout de même trop nu, on appellera ça une GARDE NATIONALE. La garde nationale sera une armée supplétive pour faire tenir tranquille les pauvres.

Et cette garde nationale se crée à Paris, et se crée aussi en province.

Maintenant comme l'a fait Regallier, on va faire une constitution.

On a annoncé que tous les Français devenaient des citoyens.

Mais l'abbé Sieyès fait admettre une constitution qui divise les français en deux classes.

Il y a ceux qui payent des impôts et ceux qui n'en payent pas.

On appellera tout le monde citoyen, pour rire, mais il y aura les citoyens actifs et les citoyens passifs.

C'est un chef-d'œuvre d'humour noir d'appeler citoyen passif, puisque le passif c’est celui qui n'a pas le droit de vote !

Alors en somme il n'y a que les possédants ou les demi-possédants, ceux qui ont un petit peu d'argent, qui auront le droit de vote.

C'est ça, "la constitution".

En plus, loi Le Chapelier de 1793 (en réalité 1791) : à savoir interdiction est faite, sous peine de prison, aux ouvriers - aux salariés comme on disait déjà - de se coaliser, pour je cite, pour enchérir leur travail.

Défense de se coaliser pour enchérir leur travail, c'est-à-dire : interdiction est faite aux salariés, aux prolétaires, de défendre leurs intérêts.

Et comme le 17 juillet 1791, les citoyens passifs se sont mêlés de ce qui les regardait pas, lorsque ce jour-là après la fuite du roi à Varennes, ils ont demandé la déchéance du roi, il y avait 100 000 personnes à peu près qui étaient réunies aux Champs de Mars pour signer sur un registre, où les cordeliers, qui étaient des gens d'extrême gauche, avaient déposé une pétition pour que le roi soit déchu ; La Fayette, chef de la garde nationale, de la garde bourgeoise, et Bailly maire de Paris, feront tirer et sans sommation, sur ce peuple qui est là.

Vous savez c’est une date, ce 17 juillet 1791, qu’il faudrait inscrire en rouge dans les livres, au moins aussi gros que le 14 juillet.

Le 17 juillet 1791, sans sommation on fera tirer sur le peuple parce qu’il se mêle de ce qui ne le regarde pas, en demandant la déchéance du roi.

On ne saura jamais exactement le chiffre des tués.

Vraisemblablement près d'un millier.

Ça, c’est une leçon donnée aux petites gens qui veulent s'occuper de la gestion des affaires nationales, qui n'appartient qu'aux possédants.

En somme, les constituants sont des Voltairiens. Comprenez-moi bien, je ne parle pas du tout de Voltaire au sens religieux.

On en parle tout le temps mais on oublie que Voltaire avait une certaine doctrine politique.

Et Voltaire avait affirmé la doctrine que voici : "Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne."

Ça, c’est une morale d'entretenu. Eh bien, c’est la morale de la constituante.

Il y avait un monsieur qui n'était pas d'accord. Un seul, un seul !

Un petit avocaillon d'Arras, qui s'appelait Maximilien de Robespierre.

Il était tout seul à la constituante à faire des protestations.

D'où sort-il ? C'est un garçon qui n'a pas eu de chance, il a perdu sa mère tout petit. Quand il avait 9 ans son père a disparu, on dit qu’il est allé mourir à Munich, on en sait rien.

On croit qu’il était parti avec une femme. Toujours est-il que ce petit Robespierre de 9 ans, est chef de famille puisqu’il y a derrière lui deux sœurs et un petit garçon qu'on appelle en famille "bonbon" et qui s’appelle en réalité Augustin.

La chance de notre Maximilien de Robespierre, c’est un oncle paternel qui va obtenir pour lui une bourse de l'évêque d'Arras.

C'est avec de l’argent ecclésiastique qu’il va faire ses études.

Études au collège Louis le Grand, bonnes études, bon travailleur, il veut faire du droit.

Et à 23 ans, il va prendre la succession, après un intervalle, la succession de son père qui avait été avocat à Arras.

On a quelques dessins de ce très jeune Robespierre.

Il a une figure poupine, à 23 ans il a l'air d'un gamin.

Il a des yeux un peu candides, il a un nez retroussé comme Talleyrand.

Et il n’est pas particulièrement ni méchant ni gentil, enfin il est quelconque.

C'est un garçon qui n’est pas insociable, qui va dans les bals, qui tourne le madrigal comme tout le monde.

Mais on se moque un peu de lui parce qu’il a une passion : il parle tout le temps de Jean-Jacques Rousseau.

Pas de Rousseau des confessions ni de la Nouvelle Héloïse, mais le Jean-Jacques du contrat social.

Il est fou de Jean-Jacques, il vit de Jean-Jacques, il l'a vu et il le dit à tout le monde.

Il était né en 1758, Rousseau est mort en 1778.

En 78 Robespierre était encore étudiant à Paris.

Rousseau n'était pas loin, à Ermenonville, chez le marquis de jardin, vous savez.

Et le petit Robespierre lui avait demandé une audience.

Eh bien Jean-Jacques Rousseau avait accepté de voir ce garçon !

Je ne pense pas qu’il avait tenu des propos sublimes, mais enfin il lui avait parlé.

Alors Robespierre disait "j'ai vu Jean-Jacques Rousseau !".

Bon, les gens souriaient un peu.

Mais les gens souriront moins lorsqu’ils verront un certain trac, comme disent les gens aujourd'hui, que Robespierre avait répandu à la fin de l'année 1788 lorsqu’il était candidat aux états généraux, candidat du Tiers état.

Je vais vous lire, ce texte est tout court, la phrase essentielle je vais vous la lire lentement. C'est du Robespierre de 1788 :

"La plus grande partie de nos concitoyens - la plus grande partie - est réduite par l'indigence à ce suprême degré d'abaissement, où l'Homme, uniquement occupé de survivre, est incapable de réfléchir aux causes de sa misère et aux droits que la nature lui a donné."

C'est terrible de demander ça, et de dire aux gens : vous allez réfléchir aux causes de votre misère !

Vous êtes des exploités, vous êtes des malheureux, prenez-en conscience !

Vous comprenez que c’était terrifiant. Alors un homme qui dit des choses comme ça se fait repérer tout de suite.

Et même il va encore plus loin, il va prononcer un mot terrible à la tribune.

Il va parler d'hypocrisie — vous m'entendez : d'hypocrisie— à propos de la déclaration des droits de l'Homme.

Pourquoi donc ? La déclaration des droits de l'Homme votée à l'unanimité avait pour article principal, vous le savez ça, c’est assez souvent cité :

"Tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit".

C'était la grande phrase de la déclaration des droits de l'Homme.

"Tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit".

Alors Robespierre dit : Nous avons tous voté ça, mais quelle application en faites-vous ?

L'égalité ? Je ne la vois pas, l'égalité !

Ces hommes qui sont tous égaux, alors pourquoi avez-vous distingué les français en deux groupes : les citoyens actifs et les citoyens passifs, d’après leur argent.

Ils sont tous libres ? Il y a aussi des citoyens noirs parce que la France avait encore à ce moment-là quelques colonies, surtout dans les Antilles.

Il avait demandé l'abolition de l'esclavage.

Le lobby colonial qui était extrêmement puissant à la constituante avec La Fayette, entre autres, qui s'était absolument opposé, la constituante avait maintenu l'esclavage.

Et Robespierre disait : Hypocrisie de dire que tous les hommes... puisque les hommes noirs vous voulez les laisser en esclavage.

Et puis il y a d'autres esclaves, qui sont pas noirs, qui sont blancs, ce sont ces ouvriers auxquels vous interdisez de se coaliser pour défendre leur salaire.

Je dis donc le mot hypocrisie parce que ni l'égalité, ni la liberté, ne sont respectés par vous.

Il avait compris aussi ce que c’était que "la fédération" :

Si vous lisez notre ami Michelet, vous voyez, et qui a été beaucoup répété depuis : la fédération c’est la grande fête nationale française.

Ça se passe le 14 juillet 1790. Les gardes nationales sont venues se rassembler à Paris.

La France prend conscience de son unité. Paraît-il que le patriotisme est né ce jour-là.

Il ne s'agit pas de patriotisme. Il s'agit de quoi ? Du premier congrès armé de la bourgeoisie.

Ce sont les gardes nationales qui font tenir tranquille les paysans ou les ouvriers qui se sont rassemblés à Paris, pour dire : nous sommes les maîtres, parce que nous avons les armes.

Et Robespierre va dire ceci : "vous voulez diviser la nation en deux classes, dont l'une ne sera armée que pour contenir l'autre. C'est aux classes fortunées que vous voulez transférer la puissance !".

Voici des mots de Robespierre. Alors vous pensez qu’il était détesté.

Un type comme Mirabeau par exemple, qui passait pour un ami du peuple, et qui était vendu - le mot que j'emploie n’est pas un mot de polémique -.

Il était vendu Mirabeau puisque nous connaissons sa vente, son achat.

Ca s'est passé en octobre 1789, il avait une sorte de dette comme vous savez.

Et le roi lui avait remis ce jour-là en octobre 1789, 200 000 francs cash, ce qui ferait un million de francs suisses aujourd’hui (800 000 euros).

Et 6 000 francs par mois, c'est-à-dire 24 000 francs à peu près (20 000 euros). C'est pas mal quand même, 24 000 francs par mois, pour continuer à pousser ses coups de gueule et faire croire qu’il était à gauche, mais toujours voter pour la conservation des intérêts.

Bon alors, Mirabeau détestait Robespierre, il l'avait repéré comme extrêmement dangereux.

Et comme Mirabeau était très intelligent et qu’il avait le sens du pittoresque, il avait trouvé une phrase comique, mais pas mauvaise, sur Robespierre, qu’il répétait beaucoup : "Quand monsieur Robespierre monte à la tribune, il me fait penser à un chat qui a bu du vinaigre !" disait-il.

Quelqu'un qui n'était pas bête non plus, Dieu sait : La fille Necker, vous savez la banquière, enfin Madame de Staël.

Madame de Staël en 1816 dira : "Je n'ai vu qu'une fois dans ma vie Robespierre, ces traits étaient ignobles, - oh non pas du tout - ces veines étaient d'une couleur verdâtre dit-elle - et alors la suite - Il professait sur l'inégalité des rangs et des fortunes, les idées les plus absurdes.".

J’ai compris : fortune, verdâtre, etc. Bon...

Alors je vais vous citer maintenant un texte du journal de Paris.

Il y avait quatre grands journaux à Paris à ce moment-là.

Le journal de Paris du 28 octobre 1789.

C'est tout petit, c’est un compte-rendu de la séance de la veille.

La séance donc du 27 octobre à l'assemblée nationale.

Cette phrase est inouïe ! Elle est donc du journal de Paris.

"Hier, monsieur Robespierre, est encore monté à la tribune. On s'est rapidement aperçu qu’il voulait encore parler en faveur des pauvres. Et on lui a coupé la parole."

Voilà comment ça s'est passé.

Alors le malheureux Robespierre quand il voit que cette révolution a pratiquement avorté, il s'aperçoit que ce qu'on a appelé la révolution française c’est une rixe de possédants.

C'est une bagarre de nantis. Entre richesse mobilière et richesse immobilière, mais sur le dos de ce que Victor Hugo appellera la Cariatide, c'est-à-dire les pauvres, les prolétaires, les travailleurs.

Lui il dit : Robespierre, cette révolution est ratée. Espérons qu'elle va reprendre sous une autre forme, et il propose une mesure suicidaire à ses collègues les députés.

Il leur dit : Nous devrions décider qu'on ne va pas se présenter à la législative.

Vous savez la constitution prévoyait qu’il y avait une chambre, qui s'appelait l'assemblée législative.

On allait l'élire à la fin de l'année 91.

Robespierre espérant que le changement d'un personnel politique amènerait peut-être au pouvoir des gens plus soucieux d'équité, dit : Nous tous qui sommes là, on ne se représentera pas aux élections.

On laissera des jeunes gens venir.

Comme il fait cette proposition et qu’il dit : moi, je ne me présenterai pas. Les autres n'osent pas dire non, alors il est entendu qu'aucun membre de l'assemblée constituante ne pourra faire partie de la législative.

Oui mais enfin avec ces élections qui sont censitaires, seuls les possédants votent. Qu'est-ce que ça va donner ?

Ça va donner une chambre de notables. Une chambre de grands possédants.

La législative est immédiatement dirigée par un groupe de tête.

On s'aperçoit que ce sont les meneurs. Les types particulièrement remarquables qu'on va appeler les Girondins.

Pourquoi Girondins ? Parce que, au départ, c’était un noyau de députés de la Gironde.

Vous savez il y avait Vergniaud, qui était une espèce de playboy gascon qui avait beaucoup de succès féminin à Paris. Très beau, du reste, un admirable garçon.

Il y avait un autre bordelais qui s'appelait Guadet, qui était pas mal mais seulement il parlait du nez !

Alors on l'appelait le canard !

Alors il y avait Guadet et puis il y avait Gensonné.

Il y avait donc trois Bordelais d’abord, puis à côté il y avait des gens qu'on va appeler Girondins bien qu’ils ne fussent pas de la Gironde, parce qu’ils pensaient comme eux.

Il y avait le parfumeur Isnard qui était du Var, il y avait Barbaroux, qui n'avait pas de barbe, qui était marseillais.

Il y avait celui qu'on appelait, Dieu sait pourquoi, le vieux Roland, il avait 57 ans, moi je le trouve tout jeune.

Et puis il y avait le marquis de Condorcet, il tenait beaucoup à se faire appeler marquis, il disait toujours qu’il était un ami personnel, c’était vrai, de D'Alembert.

Disons, si vous voulez, que c’était l'encyclopédiste de service à la législative.

Alors ça, c’est les Girondins.

Qu'est-ce qu’ils vont faire les Girondins ?

Ils conduisent la politique française, c’est vrai. Et la législative est élue pour deux ans.

Elle ne fera pas les deux ans. Elle est élue à l'automne 1791 et elle va tomber le 10 août 92 dans les circonstances que vous savez mais que je vais vous rappeler.

Alors qu'est-ce qu’ils vont faire ces Girondins qui conduisent tout ?

Ils vont faire une seule chose ! Ils vont déclarer la guerre à l'Autriche et à la Prusse.

Voyons là-dessus encore, on nous dit, c’est Michelet par exemple, Michelet nous dit : Pourquoi la guerre ? Parce que les Girondins étaient des hommes qui adoraient la liberté.

Le volcan révolutionnaire jetait ses étincelles sur le monde entier. Ou encore changeant d'image : c’est l'océan révolutionnaire qui déborde.

Enfin soyons sérieux. Bon, alors on nous dit autre part : guerre préventive.

Ça se fait, des guerres préventives. On savait absolument que les autres allaient attaquer.

Les Autrichiens et les Prussiens ne pouvaient pas tolérer cette France en désordre.

Que la reine était autrichienne et que par conséquent son frère l'empereur d'Autriche n'avait qu'une idée, c’était d'écraser les Français.

Ce n’est pas vrai ! Plus aucun historien aujourd’hui ne soutiendrait que la France était menacée militairement à ce moment-là.

Il y avait les émigrés bien sûr. Ils étaient environ 15 000. Qui étaient à Coblence, vous savez sur les bords du Rhin.

Ils étaient 15 000 sur les 25 millions de Français. Ce n'était pas extrêmement dangereux, ils faisaient beaucoup de moulinets.

Mais ils n'étaient redoutables que s'ils avaient derrière eux la possibilité d’avoir l'appui militaire des forces autrichiennes et des forces prussiennes.

Ça, c'eût été redoutable.

Mais précisément le malheur de ces émigrés, c’est qu’ils ont beau supplier les Autrichiens ou les Prussiens d'intervenir, les Autrichiens et les Prussiens ne veulent pas intervenir !

Et même la reine Marie-Antoinette qui a écrit à son frère l'empereur en lui disant : "le plus grand service que vous pourriez nous rendre serait de nous tomber immédiatement sur le corps".

L'empereur d'Autriche ne veut rien entendre. Pourquoi ?

Parce que l'Autriche et la Prusse ont leur yeux fixés sur l'Est et non pas sur l'Ouest.

Sur l'Est, c'est-à-dire la Pologne. Vous vous rappelez le fameux destin de la Pologne au XVIIIe siècle. Gâteau que tout le monde mangeait : non, ils étaient trois à le manger.

Il y avait déjà eu deux "mangements" si je puis dire. Et l'Autriche et la Prusse regardaient avec inquiétude du côté de Catherine II dont les dents étaient très longues, en disant : si on n’intervient pas, elle va tout manger, alors il faut qu'on garde nos soldats pour une intervention militaire en Pologne !

Après, on verra du côté de la France...

Donc rien à faire, ils ne veulent pas s'engager. Tout ce que les émigrés ont obtenu de la Prusse et de l'Autriche c’est la déclaration de Pillnitz, vous trouvez ça dans tous les livres.

Déclaration purement platonique en disant : Oui le moment venu, si notre unité se constitue, si l'Angleterre - qui avait bien envie de rester neutre - accepte aussi, alors on pourrait envisager plus tard une intervention militaire sur la France.

Il n'y a pas de danger militaire. Alors pourquoi est-ce que les Girondins vont faire la guerre ?

Eh bien c’est très intéressant, beaucoup d'histoires ne le disent pas encore.

Ils vont faire la guerre pour avoir de l'argent. Pourquoi ? La banqueroute dont je vous ai parlé tout à l’heure, comment est-ce qu'on l'avait conjurée ?

Vous vous rappelez, à l'automne 1789, la France décide de mettre la main sur les biens du clergé.

Et je n'y vois aucun inconvénient étant donné que l'église avait 3 milliards et demi de biens, ce qui était un peu excessif.

Alors, comme la situation française était pénible, on prenait l’argent du clergé.

On ne pouvait pas jeter comme ça immédiatement sur le marché, ces trois milliards et demi de biens, ils en avaient fait pour la première fois vous le savez bien, des papiers monnaie.

Qu'on appelait des assignats : les assignats étaient gagés par cette fortune ecclésiastique devenue fortune nationale.

Ça c’était passé à l'automne 89 et nous en sommes maintenant à l'automne 91.

La planche aux assignats a déjà tellement bien tourné qu’il a un milliard et 900 millions d'assignats en circulation.

L'assignat commence à perdre sa valeur. C'est-à-dire qu'en 91, si vous arrivez dans une banque avec un assignat de 100 francs et que vous demandez 100 francs or, on vous donnera 80 francs.

L'assignat a déjà perdu 20%. Si on continue, il n'y a pas de raison pour que ça s'arrête, si on continue à faire tourner la planche aux assignats comme ça, dans 6 mois il n'y a plus de gage.

Par conséquent c’est la monnaie qui tombe. Il faut faire de l’argent ! On peut bien en trouver du côté du Gurin à tout prix, mais heureusement il y a les Rhénans à côté de la France, il y a les Belges qui ont pas mal d'argent.

Eh bien on va aller prendre les biens d'autrui. C'est exactement ça, la guerre des Girondins c’est une guerre de rapine.

Et il ne faut pas que je me mette à affirmer des choses si affreuses sans apporter immédiatement des preuves.

Alors je vais vous les donner, les preuves.

14 décembre 1791, nouveau ministre de la guerre, il s’appelle Narbonne, il est très bien avec les Girondins, Narbonne c’est l'amant numéro X de madame de Staël.

Elle trouvait plus drôle de faire l'amour avec un ministre, alors elle l'avait fait ministre de la guerre.

Alors le 14 décembre 1791, il est à la tribune ce Narbonne, et il dit la phrase suivante. Qui est un officiel, vous pouvez vérifier. "Il faut faire la guerre. Le sort des créanciers de l'État en dépend."

Enfin, on ne peut pas être plus net, n'est-ce pas ?

Si on ne fait pas la guerre, le sort des créanciers de l'État, il est fichu.

Le 29 décembre 91, Brissot, qui est apparenté comme négrillon, apparenté aux Girondins. Lui aussi fait cette déclaration, écoutez bien : "la guerre est indispensable à nos finances et à la tranquillité intérieure."

Je vous demande de garder tranquillité intérieure dans un coin de votre mémoire.

"Indispensable à nos finances et la tranquillité intérieure".

Il y a toujours ce gêneur qui est toujours là pour empêcher de danser en rond. C'est Robespierre qui va encore faire une protestation pendant un mois et demi.

Il n'est plus député puisque c’est la législative, mais il a sa tribune des Jacobins.

Décembre 91 et janvier 92, Robespierre fait une charge permanente et à fond contre l’idée de la guerre.

Et qu'est-ce qu’il dit ?

Son premier argument c’est : si vous voulez faire cette guerre d'agression, vous vous reniez !

Pourquoi reniement ? Parce que la constituante, à un moment où elle n'avait pas besoin d'argent, avait accepté à l'unanimité de voter une proposition de Robespierre.

Ça c’était passé en mai 90, le 23 mai 1790 je crois. Robespierre avait fait voter par la constituante ceci : La nation française déclare solennellement qu'elle ne fera plus jamais de guerre d'agression.

Ce monsieur Gaxotte dont je vous ai parlé tout à l’heure, dans ce gentil livre sur la révolution française, dit : c’était "une sottise humanitaire" que proposait Robespierre.

Alors je vous demande de réfléchir un instant à ce qu’il se serait passé si la France réellement fait ce que Robespierre lui demandait.

Qu'est-ce que c’était que la politique internationale à ce moment-là ? Comme aujourd’hui c’était la jungle, les gros mangeant les petits.

La France - je ne suis pas particulièrement chauvin - enfin la France à ce moment-là représentait la première nation d'Europe. La plus peuplée, 26 millions d'habitants.

Celle qui était soi-disant la plus lettrée.

Eh bien, si la France avait réellement, à partir de 1790, avait décidé que plus jamais, elle, ne ferait de guerre de conquête et de guerre d'agression, il me semble qu'un pas eût été accompli dans le sens de la civilisation.

Bon alors, on avait voté parce qu’à ce moment-là il n'y avait pas de problème de guerre.

Mais maintenant que la guerre s'imposait pour les raisons financières que vous avez vues, reniement ! disait Robespierre.

Vous avez promis que la France n'attaquerait pas, et elle va attaquer.

Les Girondins disent, ce que répètera monsieur Michelet : c’est "une guerre de générosité" que nous faisons, c’est pour répandre nos idées.

Et Robespierre disait : mais parfait, envoyez donc des émissaires partout, mais n'envoyez pas des soldats. Parce que personne n'aime les missionnaires armés, dit-il.

Et les soldats qui vont arriver avec l’idée de la liberté soi-disant au bout de leur baïonnette, on sait très bien ce qu’ils feront les soldats !

Ils vont tuer d’abord, c’est leur métier. Ils vont piller, ils vont violer.

C'est la meilleure façon de faire détester nos idées.

Troisièmement disait Robespierre : avec quoi voulez-vous faire la guerre ? On ne fait pas la guerre avec une armée sans cadres, et il n'y a plus de cadres !

Quand tout à l’heure je vous parlais émigrés qui était 15 000, c’était quoi les émigrés ?

C'était presque tous des officiers. Alors je vais vous donner un chiffre encore. C'était sur Bonaparte que j’ai découvert ça.

Bonaparte était à ce moment-là lieutenant au quatrième régiment d'artillerie, et j’ai vu dans la correspondance de Bonaparte - je vais lentement hein -

j'ai vu dans la correspondance de Bonaparte, qu'en janvier 91 il y avait au quatrième régiment d'artillerie 80 officiers. Janvier, 80 officiers.

En novembre 91, il y a 14 officiers. Il en reste 14 sur les 80. Ce qu’il se passait au quatrième régiment d'artillerie devait se passer dans des tas de régiments.

La plupart des officiers avait émigré, et donc pas de cadres. Donc Robespierre dit : vous faites la guerre dans des conditions telles que le désastre est infaillible.

Et il ajoute, se rappelant de ce qu’il avait vu le 17 juillet 91 quand La Fayette avait fait tirer sur le peuple, il dit : faites attention, vous avez réparti les forces françaises en trois groupes.

Il y a l'armée Rochambeau, l'armée La Fayette, l'armée Luckner. Si jamais l'armée La Fayette remporte un succès, craignez que La Fayette ne transforme ses soldats en des prétoriens et ne revienne sur Paris à la tête de ses troupes pour nous imposer le gouvernement de son choix.

Qui serait la dictature militaire, et dit Robespierre, il n'y a pas de pire despotisme que le despotisme militaire.

Ce qui n'était pas mal vu.

Bon, alors, maintenant quatrième remarque : Il dit, ce que vous proposez c’est une guerre de diversion, une guerre de diversion !

Le prix du pain avait bien baissé à la fin de l'année 89 et encore en 90, donc il n'y avait plus de problème social.

Les gens mangeaient à peu près. Mais voilà qu'en 91, le problème s'était de nouveau posé. Soit que la récolte ait été déficitaire, soit que des gens aient accaparé les blés comme l'avait fait Necker.

C'était une des origines de sa fortune. Necker accaparait le blé et disait : "il y a disette" quand le prix était monté, et il remettait sur le marché à un prix supérieur.

Toujours est-il que les gens ne mangeaient plus en 91 ! De nouveau, agitation sociale.

Boscari, dont je vous ai parlé tout à l’heure, l'agent de change. En février 92, arrive les yeux hors de la tête à la tribune.

Il est maintenant député de la législative, puisqu’il n'était pas député de la constituante.

Il était en même temps commerçant et agent de change. Il avait un magasin d'épicier. Et il dit : il s'est passé une chose épouvantable, ce matin des ménagères sont entrées dans mon épicerie et ont volé des piles de savon !

C'était vrai, c’était des choses extrêmement indignes. Il avait annoncé une augmentation massive du prix du savon, et les femmes avaient pris ça très mal, elles étaient venues voler le savon.

Ce qui était déjà très coupable. Mais alors ce qu’il se passe le 3 mars 92 tout à côté de Paris, c’est infiniment plus grave.

C'est à Étampes que ça se passe. Les ouvriers agricoles d'Étampes qui ne mangent pas à leur faim, sont venus trouver le maire.

Le maire s’appelle Simonneau, c’était un petit industriel, c’était un tanneur.

Et c’est la première fois qu'on va entendre parler d'un mot qui va être si célèbre pendant la révolution, ces gens demandent le MAXIMUM.

Vous savez, aujourd’hui on dit maximum mais ils disaient "maximom" alors je prononcerai comme eux.

Ca voulait dire quoi le maximum ?

Ces gens demandent une intervention des pouvoirs publics, soit municipaux, soit départementaux, soit nationaux, pour fixer le prix de vente des denrées de première nécessité.

Surtout le prix de vente du pain. Ça c’est inqualifiable, les Girondins disent que c’est intolérable.

Ce sont des amis de la liberté comme vous le savez. La première liberté pour eux c’est la liberté économique, on ne doit pas intervenir sur les marges bénéficiaires.

C'est à ce moment-là même que monsieur Roland, le vieux Roland dont je vous parlais, prononce cette phrase : "Tout ce que l'assemblée - la législative - peut faire en matière économique, c’est de déclarer qu'elle n'interviendra jamais."

Alors comme le maire leur dit : Non non, n'y comptez pas, jamais je ne taxerai le pain.

Les types qui crèvent, le tue ! C'est le premier mort, un des premiers morts de la révolution.

Mort pour la propriété si vous voulez.

Les Girondins sont complètement affolés. En se disant : Il faut faire la guerre. Vous vous rappelez Brissot. La guerre est indispensable à la tranquillité intérieure.

Puisqu’il y a une insurrection sociale, il faut vite vite vite déguiser les soldats en conscrits, les jeunes gens en conscrits, les envoyer à la caserne, les envoyer sur le front.

Parce que nous pouvons espérer quelques résultats militaires, et surtout cela fera une ponction sur la classe ouvrière.

Et tous ces petits prolétaires ne nous embêterons plus puisqu’ils seront des soldats.

Robespierre l'avait vu, et le dit.

Cinquièmement, dit Robespierre : Vous Girondins, qui attaquez tout le temps "le parti autrichien" qui est aux Tuileries.

C'est vrai, il y a un parti autrichien qui était le parti de la reine. Vous ne voyez donc pas qu'en demandant la guerre, vous faites le jeu de la cour ?

Michelet en 1869, dans une postface à son histoire, répondant à une attaque de Louis Blanc, Michelet dira : monsieur Louis Blanc a repris les calomnies, les calomnies de Robespierre contre les Girondins, qui soi-disant "faisaient le jeu de la cour".

Michelet n'hésite pas à écrire : "La guerre, la cour en avait peur, une peur effroyable"…

Alors je vais vous montrer la "peur effroyable" que la cour avait de la guerre :

Vous vous rappelez déjà ce que Marie-Antoinette avait dit, en demandant à son frère d'intervenir militairement le plus vite possible.

Et voici une phrase de Louis 16. Elle est du 14 décembre, c'est-à-dire le même jour où il y avait le discours de Narbonne que je vous ai cité tout à l’heure.

Le 14 décembre 91, le roi de France, Louis 16, écrivant à son ami le baron de Breteuil qui a été ministre pendant deux jours, vous vous rappelez le 12, 13 et 14 juillet, et qui est maintenant réfugié à Bruxelles.

Le 14 décembre 91, le roi de France, Louis 16, écrivant à Breteuil, il lui dit : "L'état physique et moral de l'armée française est tel qu'elle ne peut même pas faire six mois de campagne."

Conclusion : il faut faire la guerre le plus vite possible !

Parce qu’il y aura un désastre, et qu'on pourrait rétablir la situation telle qu'elle devait l'être en 1788.

Alors le roi va faire que les responsables de l'affaire prennent leurs responsabilités.

Il va appeler un ministère Girondin. Et c’est un ministère Girondin qui, le 20 décembre 1792, va déclarer la guerre à l'Autriche.

Le résultat ne s'est pas fait attendre : dès le 25, désastre. L'armée de Luckner, je dois vous dire entre parenthèses que Marie-Antoinette par l'intermédiaire de son ex amant Fersen avait averti les autrichiens du mouvement.

On a le petit billet où elle dit à Fersen : "L'armée de Luckner va faire mouvement, avertissez qui de droit."

L'armée de Lucker s'avance du côté de Tournet. Deux régiments de Dragons qui étaient commandés par des officiers qui étaient restés sur place, imaginant qu’ils pourraient rendre de meilleurs services en restant.

Deux régiments de Dragons désertent, les officiers passant du côté des Autrichiens.

Les français, sans doute pour faire aimer la révolution, brûlent les faubourgs de Tournet avant de se retirer. C'est si vous voulez "le front", comme on l'appellera depuis, qui est ouvert.

Les Autrichiens peuvent foncer sur Paris, puisqu’il n'y a plus d'armée française.

Elle s'est volatilisée du côté de Luckner. Ils n'avancent pas !

La reine et le roi se rongent les poings en disant : Mais la route est libre, ils ne viennent pas !

Ils ne viennent pas parce que l'affaire de la Pologne n’est pas encore réglée.

Alors, faute d'intervention militaire on peut au moins faire une intervention orale, et tout ce que le roi et la reine obtiennent, c’est le fameux manifeste de Brunswick.

Tous les livres d'histoire vous en parlent.

Manifeste de Brunswick : déclaration signée et rédigée, mais surtout signée, par le chef du corps expéditionnaire prussien, qui s’appelle le duc de Brunswick.

Avaient collaborés à la rédaction de ce document : un Genevois qui s'appelait Mallet Du Pan, je ne sais pas ce qu’il faisait là-dedans, mais enfin il avait du style, alors il écrivait.

Et qu'est-ce que c’était que cette déclaration ?

C'était une mise en garde adressée aux parisiens. "Si jamais, avant notre arrivée, disait les austro-prussiens, vous faites le moindre outrage au roi et à sa famille, Paris sera livré à une totale subversion."

C'est extrêmement dangereux d'écrire ça, puisque les envahisseurs annonçaient qu’ils avaient parti liée avec la cour.

Ils comptaient sur des Français terrorisés, se mettant à plat ventre devant eux.

Le résultat a été une indignation furieuse des parisiens, en se disant : Enfin, ça ne passera pas comme ça.

Et le 10 août 1792, la plèbe se jette sur les Tuileries.

Le roi est déchu. Robespierre qui est membre de la commune insurrectionnelle fait voter immédiatement le suffrage universel.

Alors oui, ça, c’est la révolution.

Vous savez quand on dit la révolution française, il ne faut pas confondre, hein.

De 89 à 92 c’est une fausse révolution, c’est la réformette dont je vous ai parlé, la bagarre des nantis.

Mais à partir de 1792, C'EST LA révolution.

Madame de Staël s'y trompera si peu, que dans ses considérations sur la révolution française de 1816, elle écrira : "Dès lors, la révolution changea d'objet. Les gens de la classe ouvrière s'imaginèrent que le joug de la disparité des fortunes allait cesser de peser sur eux."

Et en d'autres termes, plus imaginés, Chateaubriand, dira dans une phrase trop peu citée et que je trouve admirable, dans les mémoires d'outre-tombe : "à partir du 10 août 92, les sabots frappaient à la porte des gens à souliers".

Bon, suffrage universel. Qu'est-ce que peut bien être le suffrage universel dans cette France qui est presque totalement analphabète ?

Il y a 85% des Français qui ne savent ni lire ni écrire.

Par conséquent quand on annonce : Suffrage universel, et tout le monde peut voter.

Très très peu de gens votent. Il y avait environ 5 à 6 millions d'électeurs qui pouvaient être inscrits, qui étaient des Français qui avaient l'âge de voter.

Il y en aura 1,3 million, pas plus, qui voteront.

La plupart ne votent pas, ils ne comprennent pas de quoi il s'agit, ces pauvres paysans.

Et ceux qui vont voter sont ceux qui sont encore dociles à leur notable, les nouveaux notables.

Les aristocrates sont partis, c’est les bourgeois qui ont acheté les châteaux.

Alors les bourgeois disent : "voilà comment il faut voter".

Résultat, sur les 750 membres de la nouvelle assemblée, cette nouvelle assemblée qu'on aurait dû appeler la "Constituante numéro deux".

Puisqu'une constituante c’est fait pour faire une constitution, et qu’il y a une constitution républicaine à faire maintenant.

Mais on n’avait pas encore l’idée de répéter : constituante, ça c’est réservé pour des conciles. De mettre un numéro un : Vatican 1, Vatican 2.

Alors on avait trouvé, à cause de l'Américanisme en vogue, on avait trouvé un mot anglais, "Convention", mais les français ne savaient pas alors ils disaient tous CONVENTION.

Alors c’est entendu on va faire une convention ! Pour les élections à la convention, pour les 750 membres, alors que toute la France rurale et artisanale vote : sur 750 membres, il y a DEUX représentants de la classe ouvrière :

Il y a un cardeur de laine de Reims qui s’appelle Armonville, et un ouvrier armurier de Saint-Étienne qui s’appelle Noël Pointe. C'est tout.

Tout le reste c’est des bourgeois, c’est des notables ! Avec les Girondins qui sont là plus virulents que jamais, et avec les anciens de la constituante qui cette fois ont le droit de se présenter.

Alors on voit reparaître le Boissy d'Anglas, le Sieyès… enfin tout le vieux personnel est là.

Robespierre, qui se rend compte que c’est extrêmement dangereux et qu’il n'obtiendra pas grand-chose, annonce que, puisqu'on fait une constitution républicaine, il faut mettre un certain article, dans cette constitution républicaine, sur LA PROPRIÉTÉ.

Robespierre et la propriété : j’ai lu dans un certain nombre de livres que Robespierre était un pré-communiste.

Moi je croyais que le communiste, c’était un collectivisme, c'est-à-dire que c’est la nation qui s'empare des éléments de production.

JAMAIS Robespierre n'a songé à ça ! Robespierre est Rousseauiste ; si vous avez lu le contrat social, qui de ce côté-là est assez enfantin, l’idée sociale de Rousseau c’est : répartition assez équitable des propriétés, que chacun ait son petit lopin de terre.

Eh ben c’est ça, la pensée de Robespierre. Seulement si Robespierre n'est en rien collectiviste, il dit que la propriété doit connaitre DES LIMITES.

Alors dans un certains discours il déclare ceci : "Il y a dans votre déclaration des droits de l'Homme, un adjectif inédit.

Et il a raison : la déclaration des droits de l'Homme à propos de la propriété, avait dit : la propriété est INVIOLABLE, soit, ET SACRÉE !

Ah, c’était la première fois qu'on employait un mot religieux pour la propriété. Mais je vous l'ai dit déjà les constituants étaient des gens positifs, des voltairiens, qui savaient distinguer ce qui est réel et ce qui est irréel.

Alors les choses sacrées, de religieux ça n'avait pas de consistance. La propriété, ça c’est une chose respectable, donc on va mettre "sacré".

Robespierre dit : "vous avez déclaré que la propriété était sacrée, demandez donc À UN NÉGRIER puisque vous n'avez pas voulu abolir l'esclavage, demandez à un négrier sa propriété, il va vous montrer, vous désigner du doigt un bateau.

Non je me trompe, dit Robespierre. Un vaisseau flottant, un cercueil flottant. Un cercueil flottant plein de femmes et d'enfants, d'hommes et d'enfants à la peau noire. Et il vous dira en toute conscience et appuyé par vous-même : ceci est ma propriété. Ma propriété sacrée."

Robespierre dit : "Vous savez que ce n’est pas possible, on ne peut pas être propriétaire d'êtres humains. Donc vous voyez qu’il y a une limite à la propriété.

Et de même que la limite de la liberté c’est la liberté d'autrui. De même la limite de la propriété c’est la vie ou la dignité d'autrui.

Je demande donc que la constitution républicaine marque telle limite au droit de propriété."

Hurlement, vocifération ! Immédiatement Barère propose : "peine de mort pour…" (les Girondins aimaient beaucoup jongler avec ce mot)

"Peine de mort pour quiconque proposera une loi attentatrice à la propriété individuelle ou commerciale."

Ça, il ne l'oubliait pas : "ou commerciale".

Et comme on arrive à l'anniversaire de la mort de Simonneau, vous savez le pauvre tanneur qui s'était fait liquider l'année précédente, les Girondins organisent une grande fête, qu'on va appeler la "fête des lois".

Fête des lois ou fête des morts, enfin en l'honneur du martyr de la propriété.

Et pour ce jour-là, les Girondins ont fait modifier l'écusson républicain, qui depuis septembre 92 était : "liberté, égalité, fraternité".

Fraternité c’est un mot de trop => les Girondins mettront sur les écussons ce jour-là : "LIBERTÉ, ÉGALITÉ, PROPRIÉTÉ !" [éclats de rires dans la salle]

Et à partir du mois de mai 1793, c’est une offensive, suivez-moi bien, une offensive des Girondins pour appeler la province à se lever contre Paris.

Pourquoi ? Parce que Robespierre est député de Paris. Parce que dans les élections pour la convention, si des élections ont été parfaites de notables très assoupis à travers toute la France, la députation parisienne est entièrement, comme nous dirions aujourd'hui, d'extrême gauche :

Il y a là Robespierre, il y a là Marat, il y a Danton dont je parlerai tout à l’heure.

Enfin, des gens redoutables. C'est pourquoi les Girondins disent : il faut appeler la province au secours de ce Paris qui est menacé.

Et le 8 mai 1793, Vergniaud monte à la tribune, jette son premier appel de guerre civile.

Vergniaud dit : "Habitants de la Gironde, levez-vous !"

"Il n'y a plus une minute à perdre, sous peine de voir les bases de la société se dissoudre."

Cambon, qui est à la fois député et industriel du midi, Cambon fait à la tribune une déclaration parallèle : "Généreuse population du midi, levez-vous !"

Ça va aboutir à la déclaration d'Isnard (le parfumeur Girondin) du 25 mai 1793, où Isnard à la tribune va faire son petit Brunswick.

Vous vous rappelez, Brunswick le Prussien, qui avait dit : "si les parisiens ne sont pas sages, Paris sera livré à une totale subversion".

Et lui, Isnard, qui est cependant, je le croyais, un Français, va dire : "si la population de paris se mêle du MOINDRE ATTENTAT à l'égard de la PROPRIÉTÉ, Paris sera DÉTRUIT par les forces provinciales."

Puis comme il a le sens du pittoresque : "Et bientôt, dit-il, le voyageur des bords de la Seine se demandera si jamais une ville s'est élevée là."

Alors Robespierre, qui a compris, le soir-même aux Jacobins, dit : "c'est clair, la situation est maintenant entre les sans-culottes et les culottes dorées. J'appelle le peuple à l'insurrection."

Et le 31 mai, la foule entoure la convention, exigeant la disparition de 32 députés Girondins.

Michelet déchire ses vêtements en racontant ça, en disant "c'est un attentat".

C'est vrai, c’est parfaitement vrai. C'est extrêmement illégal :

Ce sont les représentants de la nation. La nation n'a pas voté, elle aurait dû voter.

Et c’est une toute petite partie de la plèbe parisienne qui se mêle de dire : nous portons atteinte au suffrage universel, et nous voulons l'expclusion de 32 députés.

Lamartine, qui ne passe pas pour un esprit violent, Lamartine dans son histoire des Girondins dira : "oui c’est vrai, c’était parfaitement illégal.

Mais il y a des morts, il y a des cas, il y a des heures, où il n'est plus question de légalité ou d'illégalité, il y a des heures de vie ou de mort !", a dit Lamartine.

Or, le 31 mai 1793, la situation de la France était telle que, si on n’avait pas agi CONTRE LES FAUTEURS DE GUERRE CIVILE, puisque les Girondins appelaient à la guerre civile, c’était non seulement la fin de la République mais aussi la fin de la France. Signé Lamartine.

D'ailleurs il y a des excités comme Hebert, vous savez Hebert qui dirigeait le "Père Duchesne" un journal qui est assez déshonorant, dont Jaurès dans son histoire socialiste de la révolution française dira : "si la révolution avait pu être déshonorée, elle l'eût été par Hebert".

Hebert demandait du sang. Il demandait qu'on tuât ces députés.

Et c’est Robespierre (et Couthon du reste) qui s'y était absolument opposé en disant : "Ah non surtout pas, pas une goutte de sang ! Je ne demande même pas qu'on les mette en prison."

Robespierre disait : nous les excluons. Ce qui est déjà très raide.

32 députés qui sont exclus. On leur demandera simplement de donner leur parole d'honneur qu’ils ne quitteront pas leur maison.

Pour les aider à tenir leur parole d'honneur, on mettra un gendarme dans la maison, mais enfin ils seront là, tranquillement chez eux.

C'est vrai que Lamartine a raison : il faut que je vous rappelle la situation de la France à ce moment-là.

C'était une des pires que mon pays ait jamais connu.

Robespierre s'était méfié des généraux, et il avait quelque raison parce que La Fayette, qui commandait un des trois corps d'armée, quand il avait vu arriver le 12 août, c'est-à-dire la république, avait trouvé cette république inacceptable.

Et le 19 août 92, donc 9 jours après l'insurrection parisienne, ce chef de corps d'armée française avait déserté.

[La Fayette] était passé de l'autre côté, il n'avait pas offert ses services à l'ennemi mais il dit : "je ne me bats plus, je ne veux plus défendre un pays qui ne m'intéresse pas".

Mais Dumouriez, l'année suivante, avait fait bien pire : le 4 avril 1793, Dumouriez qui, lui, n'était pas seulement responsable, comme La Fayette, d'une partie du front, mais de TOUT le front français,

après l'échec qu’il avait subi le 18 mars à Neerwinden, était passé DU CÔTÉ des Autrichiens !

Entrainant avec lui tout son état-major dans lequel il y avait un certain petit duc de Chartres qui deviendra Louis-Philippe.

(L'entrée du roi Louis Philippe dans la politique française c’est sa trahison avec Dumouriez.)

Toujours est-il que Dumouriez est passé de l'autre côté et a OFFERT SES SERVICES à l'envahisseur.

Qui du reste ne l’utilisera pas. On ne le verra reparaitre que beaucoup plus tard.

Le front était crevé et à ce moment-là l'affaire de Pologne était réglée.

Cette fois les Austro-Prussiens vont avancer.

Bon alors, Péril survint.

Deuxièmement, le 10 mars 93 - et je vous explique la situation fin mai, début juin, hein - le 10 mars 93, tous les départements de l'ouest avaient pris feu.

C'est ce qu'on appelle d'un mot simplifiant la Vendée, l'insurrection de Vendée.

Or vous savez où ça se trouve la Vendée, à un certain point français. En réalité c’est la Bretagne aussi.

Il faudrait dire Bretagne et Vendée qui avaient pris feu.

Là je tiens à vous dire très rapidement une rectification.

J’ai longtemps vécu sur l’idée que c’était une insurrection RELIGIEUSE.

Que ces vendéens et ces bretons étaient des gens extrêmement catholiques, qu’ils ne pouvaient pas tolérer la politique antireligieuse de la convention et qu’ils avaient pris feu.

Effectivement, ils vont constituer une armée qu'on appellera la grande armée catholique et royale.

Ce n’est pas vrai. Ça ne s'est pas passé comme ça.

Il n'y avait plus de persécution religieuse en 1793, à cause de Robespierre !

Robespierre était franc-maçon, il était non-catholique. Mais il ne voulait pas qu'on persécutât quiconque pour ses opinions religieuses.

En revanche, en 90, 91, 92, il y avait eu de la persécution religieuse, quand on avait décidé la CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ.

Et autant je vous ai dit tout à l’heure que je trouvais normal que la nation prenne les 3 milliards et demi de biens du clergé, autant je trouve parfaitement anormal que des laïcs sans mandat décident une réforme de l'Église.

Ça ne les regarde pas : il fallait au moins consulter le pape ou au moins les fidèles.

Pas du tout, les constituants avaient dit : ça se passera comme ça et comme ça.

Alors il y avait la moitié du clergé français qui n'avait pas marché, on appelle ça "les prêtres réfractaires", et je vous assure que LES GIRONDINS QUI ÉTAIENT FURIEUSEMENT ANTIRELIGIEUX avaient poussé avec violence à la persécution antireligieuse.

Est-ce que les vendéens avaient bougé ? Absolument pas.

Et c’est maintenant qu'on ne persécute plus les prêtres que les Vendéens bougent. Pourquoi ?

Parce que je vous l'ai dit, c’est le 1er mars 93 que les Autrichiens ont enfoncé le front français.

Parce que le territoire français est menacé, parce que la convention vient de demander une levée générale, on n’ose pas encore parler de conscription, mais on dit il faut que tout le monde défende le sol national,

Et quand on demande aux paysans de Bretagne ou de Vendée de prendre les armes pour aller défendre cette frontière de l'Est, ils ne savent même pas où c'est.

Pas question ! La Vendée et la Bretagne se peuplent d'objecteurs de conscience, des gens qui ne veulent pas marcher, qui ne veulent pas aller se battre.

Toujours est-il que ces départements seront à feu et à sang.

Et les Girondins ? Il y a Vergniaud et quelques autres qui étaient d'honnêtes gens.

Qui ayant donné leur parole d'honneur, ont maintenu leur parole d'honneur, ont pas bougé.

(D'ailleurs ça leur coutera la tête.)

Mais la plupart des autres sont partis. Et qu'est-ce qu’ils ont fait ?

Les Girondins ont eu à ce moment-là partie liée avec les royalistes et ont mis en insurrection tous les départements où ils étaient importants.

Si bien qu'au 1er juin 1793, 60 départements sur les 90 départements français sont en état d'insurrection.

Vous voyez la gravité de la situation.

Il y a quelqu’un à ce moment-là qui est très important et dont je ne vous ai pas encore parlé, c’est Danton.

J'en ai pas encore parlé parce que je le réservais pour maintenant et c’est en effet à partir de 93 qu’il va avoir un grand rôle.

Autant Robespierre était un fanatique, qui avait une certaine idée, une doctrine quoi, une doctrine sociale,

autant il est impossible de savoir quelles sont les idées politiques de Danton.

Danton n'en a pas. Danton c’est un opportuniste.

Danton, c’est quelqu’un qui a fait un riche mariage, il a épousé une cabaretière de Paris qui avait une propriété à Sèvres, enfin un monsieur opulent.

Il ne sort pas de rien, lui : le petit Robespierre avait pas le sou, tandis que Danton, son père, qui était procureur à Arcis-sur-Aube, avait déjà une certaine fortune, et on voit Danton considérer surtout la révolution comme une occasion d'avancement personnel.

Je dirais si vous voulez : "eau trouble, bonne pêche".

Et effectivement, Danton qui est un disciple de Mirabeau, va être, lui aussi, ACHETÉ.

Ne croyez pas que je fais de la polémique. Preuve :

Le 10 mars 91, Mirabeau est encore vivant et il n'en a plus pour longtemps.

Vous savez, il va mourir le 2 avril, (il va mourir entre deux putains

—enfin, on meurt comme on peut—) [rires], mais il était encore vivant le 10 avril (erreur : le 10 mars)

Le 10 avril 91 (idem, c’est le 10 mars), Mirabeau écrivait à Lamarque.

Lamarque c’était un monsieur, un Belge du reste, qui était chargé par le roi de gérer sa liste civile.

Le roi avait une telle liste civile, 25 millions de l'époque ça fait plus de 100 millions d'aujourd'hui, ça fait pas mal.

Alors avec cette liste civile, il pouvait se payer des collaborateurs.

Mais évidemment, plus les consciences étaient élevées, plus le prix était cher.

(Vous avez vu ce qu'avait couté la conscience de Mirabeau, hein, à peu près 1 million, )

Alors le 10 mars 91, Mirabeau écrivait à Lamarque : "Selon vos instructions, hier - 9 mars 91 - j’ai remis 30 000 livres à monsieur Danton"

Donc Danton est acheté par la cour en secret.

et c’est là où vous savez, on me dit "vous êtes l'homme des petits papiers, il ne faut pas regarder ça"

Les petits papiers ça apprend des tas de choses. Et monsieur Mathiez avait été voir les petits papiers d'Arcis-sur-Aube, là où Danton avait ses origines familiales, et il a trouvé qu’à la fin de l'année 91 et au début de l'année 92, Danton s'était très joliment arrondi.

Il avait acheté l'ancien prieuré ecclésiastique de Nuisement, il avait acheté Saint-Jean du Désert, il avait acheté une magnifique gentilhommière au centre d'Arcis-sur-Aube avec de vastes communs, de grandes dépendances et un beau parc, juste à côté du pont d'Arcis-sur-Aube.

Enfin, la révolution rapportait. On sait par Alexandre Lameth dans les mémoires parues sur la restauration que Danton disait politiquement comme ceci : "Je déteste leur sale démocratie - à propos de Robespierre, sale démocratie - je ne veux pas de leur république de wisigoths"

Voilà la politique Danton. Danton était très intéressé par les affaires de fournitures militaires, aujourd’hui c’est fini on ne s'enrichit plus dans les fournitures militaires [rires], mais à ce moment-là vous n'imaginez pas ce qu'on se faisait.

Il y avait un certain abbé, l'abbé d'Espagnac, dont monsieur Mathiez a suivi les comportements.

L'abbé d'Espagnac était un fournisseur militaire, se faisait - suivez-moi je vais vous dire les chiffres fournis par monsieur Mathiez - se faisait de 5 À 6 MILLIONS DE L'ÉPOQUE, il se faisait jamais payer en assignats, toujours en numéraire, 5 à 6 millions PAR MOIS de bénéfices dans les fournitures militaires.

C'était le meilleur ami de Danton, et Danton ne le quittait pas.

Et dès que Dumouriez était entré en Belgique, Danton et Dumouriez étaient en cheville, Danton faisait des voyages permanents entre la Belgique et la France, il avait eu un incident à Béthune un jour où il rentrait dans sa petite calèche personnelle suivie de deux fourgons, des douaniers inconvenants lui avait demandé d'ouvrir les fourgons, on avait trouvé un fourgon plein de dentelles, un autre fourgon qui était plein d'argenterie.

"Qu'est-ce que c’est ?" Danton avait dit : "ça, c’est des biens nationaux !"

Ah bon... "bien nationaux…"

Alors il était rentré, et cet homme avait décidé que la situation devenant très dramatique, et allant devenir très dramatique, il était important peut-être qu’il en profitât.

Alors il s'était fait nommer au Comité de Salut Public, que l’on avait créé le 6 avril 93, et il était devenu pratiquement le personnage le plus important.

En avril, hein : avril 93.

Mais cette situation dramatique qu’il avait espéré maîtriser devenait de plus en plus dramatique, si bien qu'au renouvellement, — le renouvellement était mensuel, chose que j’ai longtemps ignorée : LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC EST RENOUVELÉ MOIS PAR MOIS.

Quand on nous dit qu’il a une dictature : minute ! Il a une dictature morale, mais il est perpétuellement contrôlé par la convention puisque tous les mois il est ou reconduit ou changé.

Le 10 juillet 93, il y a renouvellement du Comité De Salut Public.

La situation est devenue tellement tragique, que Danton se dit : il vaut peut-être mieux que je m'esquive, que je me place dans la coulisse.

Il peut pas le dire ouvertement, il a son idée derrière la tête, et il explique à ses camarades, c’était un homme vous savez très jovial qui tapait sur le ventre de tout le monde, qui les tutoyait, qui racontait beaucoup d'histoires graveleuses, enfin il avait une grande popularité.

Et il venait de se remarier. Il avait perdu sa première femme, la cabaretière, en février 93. Il avait d'elle deux enfants qu’il adorait, il aimait beaucoup ses gosses, il aimait beaucoup sa femme.

Il la trompait tout le temps mais il l'aimait bien. Enfin elle était morte en février 93 et Danton est pas quelqu’un qui peut supporter un long veuvage si bien que, veuf en février, il se remarie en juin,

Il la prend plus jeune, elle a 15 ans et demi, et il explique à ses camarades, il explique à ses amis de la convention, jouissant de la popularité que vous lui connaissez, il dit : "écoutez tout de même, enfin, je viens de me marier, elle a 15 ans et demi, j’ai des tas de choses à lui apprendre, vous allez me donner un petit congé !"

Alors tout le monde dit : "oui Danton, bien sûr" [rires]. Ça y est il part, le 10 juillet 93, il n'est plus au pouvoir.

Et Danton a dit : "le seul qui soit digne de me remplacer, c’est Robespierre."

C'est un beau cadeau à faire à Robespierre que lui confier le pouvoir dans une situation pareille.

Robespierre se dérobe, il refuse d'entrer au Comité De Salut Public. Il y a peut-être une raison de peur, oui, parce que la situation était trop dramatique, mais il y avait une autre raison que je n'ai apprise que dans le livre de Massin, qui est extrêmement éclairant : c’est LA SANTÉ de Robespierre :

Je crois, il me semble bien, que Robespierre devait être un tuberculeux.

Le 12 juin, aux Jacobins, il avait dit : "je crois que je vais démissionner."

Il y a 5 ans que cet homme était sur la brèche, il était tout le temps fiévreux.

"Je n'ai plus la force de continuer mon travail" avait-il dit.

Le 12 juin. Puis il avait fini par ne pas donner sa démission, il refuse d'entrer au pouvoir le 10 juillet. Il a honte.

Et le 27 juillet, une vacance vient de se produire, un nommé Gasparin s'est retiré du Comité De Salut Public.

Tout le monde à l'Assemblée crie "allez Robespierre, à vous !" il y entre.

Il va rejoindre les trois qu’il avait délégués avant lui, c’était Couthon, c’était Saint-Just et c’était le bon Saint-André. Le pasteur Bon Saint André qui est un homme très remarquable et sur lequel il n'y a pas encore d'études suffisantes.

Il va rejoindre ses camarades au Comité De Salut Public le 27 juillet 93, et peut-être savez-vous déjà que, quand on va le tuer, le 9 thermidor, c’est le 27 juillet 94.

Donc quand Robespierre entre au pouvoir, il a très exactement 1 an à vivre, et pas un jour de plus.

Alors c’est peut-être le moment de regarder d'un peu plus près ce gringalet aux yeux pâles.

Eh bien il habite chez un menuisier, Duplay, vous savez c’est à partir d'octobre 91 qu’il est là.

Les Duplay, papa Duplay, maman Duplay, deux filles Duplay et un garçon qui s'était engagé et qui avait déjà une jambe de bois, disaient à Robespierre pour lequel ils avaient une estime passionnée : "Robespierre, venez chez nous."

Robespierre a dit : "Oui oui, si vous voulez, mais alors je paie."

"Oh, pas question !" avait dit Duplay, "quel honneur".

Et en effet les Duplay n'étaient pas pauvres. On dit menuisier c’est vrai, mais c’était pas un artisan menuisier, c’était un patron menuisier qui avait 8 ouvriers.

Alors Robespierre accepte d'aller vivre chez eux À CONDITION DE PAYER son entretien.

Ils sont très embêtés, les deux, mais Robespierre paiera, il y tient.

Il s'est logé tout au sommet de la maison, sa petite chambre, c’est une espèce de cellule.

Vous savez, c’est une chambre mansardée, donne sur la cour intérieure, ça sent le sapin.

Il y a tout le temps du bois qui sèche là-dedans. Et ameublement misérable, volontairement du reste, il y a deux tréteaux sur lesquels il y a une planche de sapin où il travaille.

Il a fait mettre des rayons pour ses bouquins et il y a un lit de fer dans un coin.

C'est ça la chambre de Robespierre. Il est vrai qu’il y a des tas de dessins de lui, ce qui permet de dire à ses adversaires : il était narcissiste, il se contemplait tout le temps.

Mais non, c’est maman Duplay, en tout bien tout honneur, qui était passionnée de lui, et qui tapissait sa chambre d'images de lui qu'on vendait dans les rues !

Oh peut-être qu’il y trouvait plaisir, mais c’est vrai, c’est maman Duplay.

C'est un garçon qui n'a pas de femme dans sa vie, et ça amuse beaucoup Danton.

Déjà Danton savait que Robespierre tenait à payer sa pension.

Et Danton avait utilisé cette charmante formule : "on dirait que l’argent lui faisait peur !".

À Danton, ça lui faisait pas peur du tout. Enfin Robespierre tenait…

Alors, quand Danton avait su qu'on avait beau surveiller Robespierre, il n'avait pas de maitresse.

Pourtant il y avait les deux filles Duplay. Il y en a une qui va épouser un ami de Robespierre, député du Nord comme lui, qui s'appelait Lebas.

ça c’est Elisabeth, et puis il y avait Éléonore qui je crois était assez amoureuse de Robespierre.

Maman Duplay aurait été folle de joie d’avoir Robespierre pour gendre, elle lui présentait toujours son Éléonore.

Et d’après les mémoires de Robespierre, il aurait dit un moment que, peut-être, peut-être, il se marierait APRÈS, disait-il.

Et je suis convaincu que, quand il disait "après", il mentait. Il sentait qu’il n'y aurait pas d'après.

Ou bien qu’il allait y perdre la vie, ou bien qu’il allait mourir de sa tuberculose.

Ah, au moment où j'en suis venu de la vie vous savez, je crois comprendre maintenant ce que c’est que les obsédés sexuels.

C'est les gens qui n'ont pas connu une tentation plus grande.

Je vois par exemple un homme comme Lamartine, que j’ai bien étudié, un homme comme Jaurès que j’ai bien étudié, il n'y a pas de femmes dans leur vie.

Parce que quand un type est PASSIONNÉ PAR UNE IDÉE au point où l'était Robespierre, c’est ça qui compte le plus.

Robespierre c’était quelqu’un qui croyait à ce qu’il disait, et même c’est une phrase bien amusante de Mirabeau contre lui que j’avais réservée pour tout à l’heure pour vous la citer maintenant.

Mirabeau avait osé dire avec un incroyable cynisme : "Monsieur De Robespierre est disqualifié pour la politique car il croit tout ce qu’il dit" disait Mirabeau [rires].

Eh bien c’est vrai. C'était un homme qui avait une grande idée, l’idée que PERSONNE NE S'OCCUPE DES ÉCRASÉS, DES HUMILIÉS, DES DÉSHÉRITÉS, eh bien moi, Robespierre je voudrais le faire.

Bien. Qu'est-ce qu’il va faire ? Il va en remettre un coup je vous assure.

Il va commencer, il avait déjà demandé à Couthon et à ses camarades, par L'ABOLITION DES DROITS FÉODAUX.

Alors vous devez dire que je déraille, étant donné que chacun sait que les droits féodaux c’est la nuit du 4 août où ils ont été abolis.

Il faut lire, je vous le recommande, la page de monsieur Michelet à ce propos.

C'est magnifique, jamais il n'a été plus beau, il est saisi de transport lyrique, il finit par crier : "il n'y avait à ce moment-là plus de classes en France, rien que des français à part entière, vive la France !"

C'est dans le texte de Michelet.

Vous savez ce qui c’était passé en vérité, il y avait un certain nombre de châteaux qui s'étaient mis à bruler, parce que les paysans avaient envoyé des délégués, états généraux ils n'y comprenaient pas grand-chose.

Mais il y avait DEUX CHOSES qui les intéressaient, c’était de NE PLUS PAYER LES DIMES ECCLÉSIASTIQUES et de NE PLUS PAYER LES DROITS FÉODAUX.

Les députés étaient réunis depuis le 5 mai. Après le 14 juillet où ils ont su qu’il s'était passé de drôles de choses à Paris, les paysans de certaines régions s'impatientent et disent : et nos dimes ? quoi, et nos droits féodaux ?

Comme ils voient que rien ne se passe, ils mettent le feu à un certain nombre de château, et même de châtelains, enfin…

Épouvante à la constituante. Alors dans la nuit du 4 août, comme on sait que ça flambe un peu partout, et qu’il faut jeter sur ce feu non certes de l'huile mais de l'eau, il y a le duc d'Aiguillon qui va monter à la tribune et faire une grande déclaration en disant : "L'aristocratie est PRÊTE À renoncer à ses droits féodaux".

Ce qui fait que les journaux le lendemain, avec des manchettes (il n'y en avait pas à l'époque mais enfin en gros caractères), vont dire : l'aristocratie est prête à RENONCER à ses droits féodaux.

Et tout le monde CROIT que ce jour-là l'aristocratie y avait RENONCÉ.

Mais il faut regarder le texte : qu'est-ce qu’il avait dit le duc d'Aiguillon (et aussi le duc de Noailles qui avait parlé ce jour-là) ?

Il avait dit : "Nous sommes prêts à envisager de renoncer à nos droits féodaux SI ON NOUS LES RACHÈTE AU DENIER TRENTE".

Ce qui pour moi était du chinois. Le denier trente ça voulait dire : "Si un paysan vient demain chez nous, AVEC TRENTE ANNUITÉS DE DROITS FÉODAUX, eh ben c’est fini il ne payera plus jamais."

Vous voyez un paysan en France s'amener avec trente annuités de droits féodaux ?!

C'était une énorme plaisanterie ! Mais ça avait FAIT CROIRE aux paysans que les droits féodaux étaient supprimés.

Si bien que les châteaux ne brulaient plus, enfin une certaine tranquillité était venue.

Mais les aristocrates continuaient (ou les successeurs des aristocrates continuaient) à demander leurs droits féodaux.

Alors, Robespierre, maintenant au pouvoir, dit : Abolition des droits féodaux, plus de rachat, abolition. Un.

Deux : il voudrait bien faire rétablir LE MAXIMUM.

Mais comment voulez-vous qu'on fasse rétablir le maximum par une chambre qui est REMPLIE de grands possédants et de grands notables ?

Les Girondins y sont les plus importants. Et même maintenant ce ne sont plus des Girondins mais des gens qui pensent comme eux.

Robespierre va uniquement obtenir quelque chose qui est déjà un petit point : à savoir "peine de mort contre les accapareurs de denrées de première nécessité".

Quiconque accaparera du blé risque sa tête.

Troisièmement. Robespierre qui est averti par la conduite de Dumouriez et par celle de La Fayette, va faire avec Saint-Just une certaine circulaire que je vais vous dire.

"L'insubordination des généraux est la pire dans une république. Dans un État libre, c’est le pouvoir MILITAIRE qui DOIT ÊTRE LE PLUS ASTREINT."

Alors décision de mettre des commissaires civils à côté de tous les généraux en campagne, non pas pour surveiller leur comportement stratégique, ça les regarde pas, mais pour voir qu’ils ne fassent pas le même coup que Dumouriez ou que La Fayette.

Et d’autre part, on a reconstitué des cadres qui seront pris dans la petite troupe, c’est là où on va ressortir les fameux, les Hoche, les Marceau, les Kléber, qui étaient des simples soldats, des sergents, des sous-lieutenants, et qu'on va bombarder généraux.

Alors cette fois, on va obtenir en effet un certain nombre de succès. Les Français qui se faisaient battre partout jusqu'alors vont obtenir GRÂCE À ROBESPIERRE ET À SAINT-JUST, ET NON PAS GRÂCE À CARNOT COMME ON LE RACONTE !

Carnot et ses 14 armées, Carnot est un instrument de Saint-Just et un instrument de Robespierre. On va obtenir la victoire de Hondschoote qui va délivrer Dunkerque, la victoire de Wattignies qui va délivrer Maubeuge, et Hoche est en train de constituer à Strasbourg une armée assez puissante pour reconquérir l'Alsace sur laquelle les Autrichiens sont entrés.

Enfin, Robespierre va SUPPRIMER, pour le plus grand deuil de Danton, les FOURNISSEURS MILITAIRES.

C'est-à-dire que L'ÉTAT PASSERA DIRECTEMENT SES CONTRATS : il ne passera plus par l'abbé d'Espagnac et autres.

Et il va faire établir 3 usines nationales d'armement, les premières :

Deux usines à Paris et une usine à Brest pour l'armement maritime, ce qui fait pousser des hurlements aux industriels en disant : "quoi ? Alors, l’industrie privée est menacée par l’industrie d'État, c’est intolérable !"

Mais Robespierre jouit d'un tel prestige qu’il n'y a pas moyen de dire le contraire.

Alors Danton, qui s'était persuadé qu'une fois Robespierre au pouvoir s'y tuerait, enfin glisserait sur toutes les peaux de banane, Danton va essayer à trois reprises de le faire tomber.

Je dirai ça très rapidement. Danton va commencer le 1er septembre par une opération étrange que voici : [soupir] le 1er septembre une nouvelle arrive à Paris et je reconnais qu'elle était énorme.

Robespierre s'était méfié des généraux à juste titre et avait oublié ce qui était un grand tort, il avait oublié les amiraux. Il y avait la flotte française de Méditerranée qui protégeait les côtes de Provence contre la flotte anglaise qui était là.

Et le 28 août 1793, les deux amiraux de la flotte française, l'amiral Chaussegros et l'amiral Trogoff avaient rendu les navires français aux anglais et avaient aidé les Anglais à occuper l'arsenal de Toulon.

C'était pas mal de la part de ces amis. Alors quand cette nouvelle catastrophique arrive à Paris, Danton y voit l’occasion d'un soulèvement.

Et c’est Danton qui réunit le peuple devant l'hôtel de ville en accusant de la manière la plus directe le comité de salut public, puisqu’il n'en fait pas partie et que Robespierre est le numéro un, le comité de salut public de "MOLLESSE".

Et c’est Danton (qui déjà était l'initiateur du tribunal révolutionnaire, créé à sa demande le 9 mars, alors que j’avais toujours cru moi que c’était Robespierre le tribunal révolutionnaire, non c’est DANTON qui l'avait créé le 9 mars),

ce 1er septembre, Danton prononce la parole suivante : "L'heure est venue d'une troisième révolution !".

Je me demande ce que ça peut signifier. La première en 89 n'était pas une révolution, la seconde 10 août 92 était LA révolution, la seule révolution possible. C'est-à-dire qu'on donnait le suffrage universel aux gens et on se disait : d'années en années, tout de même, il y aura de moins en moins d'analphabètes, et avec le suffrage universel, les gens ouvrant leurs yeux sur leur condition et COMPRENANT LES CAUSES DE LEUR MISÈRE, arriveront peut-être à faire une république d'équité.

Mais parler d'une troisième révolution n'était parler de rien d’autre chose que d'une anarchie.

Il était soutenu, Danton, par un individu dont j’ai déjà prononcé le nom devant vous : Hebert, qui était un enragé, un furieux.

Qui gagnait du reste, 30 000 livres par mois, 30 000 francs par mois avec son horrible journal le Père Duchesne.

Mais Hebert va être contré par son adjoint qui s’appelle Chaumette.

Hebert était le numéro 1 de la commune, Chaumette était le numéro 2, qui était un homme extrêmement estimable, qui vivait volontairement dans la pauvreté et qui va défendre Robespierre et qui va dire aux gens : "ne faites pas ça, ne vous jetez pas comme le demande Danton sur la convention pour recommencer un 31 août."

Le même Danton, ce 1er septembre, dit : "Le tribunal révolutionnaire ne travaille pas assez, il n'y a pas assez de têtes qui tombent, JE DEMANDE UNE TÊTE PAR JOUR." DIT DANTON.

"IL FAUT METTRE LA TERREUR À L'ORDRE DU JOUR !", ce n’est pas une phrase de Danton, c’est une phrase qu’il va répéter.

C'est le curé constitutionnel de Chalons sur Saône[4], dont le nom m'échappe maintenant, qui a dit "il faut mettre la terreur à l’ordre du jour" et dont Danton s'est emparé.

Grâce à Chaumette il n'y aura pas d'insurrection, on ne va pas se jeter contre la convention.

Mais les conventionnels auront TELLEMENT PEUR que Robespierre va obtenir d'eux le 9 septembre ce qu’il n'avait pas encore pu leur arracher :

LE VOTE DU MAXIMUM. Le 9 septembre 1793, grâce à la peur qu’ils ont eu, ils consentent à intervenir dans une affaire commerciale et à dire : le pain ne se vendra pas au-delà de tant.

Et comme une disposition légale n'est appliquée que si on la surveille, l'application, Robespierre fait créer UNE PETITE ARMÉE, 4000 hommes, qu'on appellera "armée révolutionnaire", mais qui aura du canon avec elle.

Et ces 4000 hommes passeront leur temps à roder dans Paris et autour de Paris pour voir si le maximum est appliqué.

Deuxième tentative de Danton, curieuse celle-là, vraiment, très peu connue.

Et c’est monsieur Soboul qui nous l'a révélée. Vous savez, Albert Soboul dont je vous ai parlé tout à l’heure, qui est marxiste et qui est athée.

Je ne suis ni l'un ni l'autre. Et monsieur Soboul nous a apporté une vraie révélation dans son énorme bouquin de 1400 pages qui s’appelle "Les sans-culottes parisiens de l'an 2" à propos de la déchristianisation.

En octobre et novembre 93, il y a tout à coup ce que je croyais moi être une lame de fond dans le prolétariat parisien contre le christianisme.

Pas contre le cléricalisme. C'est fini, il n'y a plus de cléricalisme.

Mais maintenant, c’est vrai, on va voir les choses comme ceci : Notre Dame de Paris fermée, transformée en temple de la raison, une persécution religieuse extrêmement violente.

J'avais donc cru que ça sortait des profondeurs du peuple.

Une espèce de haine viscérale contre un christianisme menteur.

Ce monsieur Soboul, marxiste et athée, qui a fait une énorme recherche parmi les procès-verbaux des assemblées populaires de Paris, des Cordeliers, des Jacobins, de tous les petits groupes locaux des arrondissements, déclare : "J’ai tout étudié — c’est un travail de Bénédictin, vous savez — dans aucun procès-verbal de réunion populaire, JAMAIS je n'ai vu qu’il fût question de déchristianisation : LA DÉCHRISTIANISATION EST VENUE D'EN HAUT, D'UN GROUPE DE BOURGEOIS DANTONISTES."

Le premier qui a lancé l’idée c’est Fabre d'Églantine. Fabre d'Églantine qui est un escroc qu'on va bientôt arrêter, c’est lui qui a inventé vous le savez, le calendrier révolutionnaire, c’est très beau.


2ÈME PARTIE :

[…]

Mais alors, comment se fait-il que la convention vote d'enthousiasme et à l'unanimité le calendrier révolutionnaire ?

Ben, c’est bien clair, dit Monsieur SOBOUL : dans l’ancien calendrier (grégorien), il y avait des DIMANCHES, on se reposait tous les dimanches. Tandis que maintenant, on ne se reposera que tous les DIX JOURS. Alors, vous comprenez, le patronat est ravi, les ouvriers travailleront deux jours de plus. Donc : enthousiasme pour le calendrier révolutionnaire !

Le pauvre évêque constitutionnel de Paris, qui s’appelait GOBEL, va se voir menacé, sommé de démissionner et de dire le lendemain 8 novembre à la Convention : « j’ai menti toute ma vie, je n’y croyais pas, tout ça ne sont que des blagues… »

Qui lui demande de se désavouer ? C’est Léonard BOURDON, député dantoniste de l’Oise, et Anacharsis CLOOTS[5], qui était un banquier prussien multi millionnaire.

Qui va représenter la « Déesse de la raison » à l’église Notre Dame de Paris ? J’avais toujours cru que c’était une prostituée… Pas du tout ! C’était une femme de très bonne compagnie qui s’appelait Madame MOMORO, femme d’un imprimeur très riche de Paris[6] et, lui aussi, dantoniste.

Donc, l’opération de la déchristianisation est une tentative poussée par DANTON pour mettre ROBESPIERRE dans une situation difficile.

On savait que ROBESPIERRE était un homme qui croyait en Dieu. Comme il croyait en Dieu, DANTON avait dit de lui : « Il habite une jésuitière ». La jésuitière des DUPLAY, vous vous rendez compte, hein…

Alors, évidemment, ROBESPIERRE va protester, il va dire « Non, il ne faut pas faire cette persécution !». On pourra donc le dénoncer comme un ami de la Réaction.

Mais c’est que le « petit peuple » ne marche pas !

On trouve facilement de la canaille pour casser les têtes des saints dans les églises, on les paye un petit peu et puis ça y est…

Mais l’ensemble de la population parisienne ne marche pas, au point que Le Journal de Paris, dont je vous ai cité une phrase tout à l’heure (ROBESPIERRE monté à la tribune et auquel on a coupé la parole…), voyant que la déchristianisation ne prend pas va écrire avec irritation la phrase que voici : « Alors quoi, les hommes du 10 août veulent aller à la messe ? » Oh non, ils ne voulaient pas aller à la messe, mais ils ne voulaient pas que l’on se bâtit là-dessus.

Alors, quand DANTON voit que ça ne marche pas, c’est lui-même qui monte à la tribune après un congé qu’il avait pris et qui dit : « je demande l’arrêt de ces mascarades anti religieuses ».

Deuxième tentative : ratée.

Troisième tentative, DANTON va faire une volte-face complète : Le 5 décembre de cette année 1793, CE MÊME DANTON QUI, AU MOIS DE SEPTEMBRE DEMANDAIT « UNE TÊTE PAR JOUR », LE VOILÀ QUI FAIT DE L’HUMANITARISME. Et à la tribune de la Convention il dit : « Je demande l’économie du sang des hommes ». Et le 5 décembre, lançant son petit ami Camille DESMOULINS[7] avec son journal Le vieux Cordelier dans une entreprise périlleuse, il fait demander L’ÉLARGISSEMENT DES SUSPECTS.

Ouverture des prisons. Il y avait 200 000 suspects à ce moment-là en prison. C’était probablement trop.

J’ai vu d’assez près la résistance et la Libération en France. J’étais, tout le monde le sait, du côté de la résistance, mais j’ai été assez écœuré de ce qui s’est passé au moment de la libération où j’ai vu très souvent, sous mes yeux, des gens qui n’avaient rien fait mais que quelques ennemis personnels déclaraient collaborationnistes. Eh bien, je suis convaincu que sur les 200 000 emprisonnés, il devait y en avoir pas mal qui étaient là sur des dénonciations personnelles, alors qu’ils n’étaient pas dangereux politiquement. Au point que ROBESPIERRE, en novembre, avait dit « il faut faire absolument un triage » parmi ces 200 000 : il faut les regarder un par un et élargir tous ceux contre lesquels il n’y a rien. Mais entre ce triage des incarcérés et la libération totale des 200 000, il y a un abîme. Parce que sur ces 200 000, mettons qu’il y en avait la moitié qui étaient des agents royalistes ou des girondins, c’était immédiatement remettre en circulation des gens qui allaient ruiner la République vous voyez la situation terrible dans laquelle se trouvait ROBESPIERRE d’un côté il y a les enragés à la façon d’HEBERT[8] qui veulent du sang et du sang, des « vers dans l’arbre » et de l’autre côté vous avez un DANTON qui est la « scie dans l’arbre » qui essaie de détruire la République.

ROBESPIERRE avait des raisons de se réjouir et des raisons de ne pas se réjouir.

Raisons de se réjouir : situation militaire qui marchait bien et MALLET du PAN[9], ce Genevois dont je vous avais parlé et qui avait collaboré au manifeste de Brunswick. Dans un rapport au Prince, il était à la solde – je crois oui – des Princes. Les Princes, ça veut dire les candidats royaux. Vous savez, le futur Louis XVIII, le futur Charles X.

MALLET du PAN en février 1794 disait aux ennemis de la France : « il faut reconnaître que nous sommes en train de « recevoir des piles » enfin les Français gagnent parce que nous (les Austro-Prussiens), nous n’avons que des soldats matériels ». C’est-à-dire des automates des robots, indifférents au sort de la guerre tandis que les soldats de la République, SONT DES SOLDATS PASSIONNÉS, disait-il.

Ces soldats qui croient qu’ils se battent pour eux-mêmes ou pour leurs enfants, ceux-là en effet ont un tel élan, un tel mordant, un tel moral, qu’ils remportent des victoires que nous, nous ne savons pas remporter.

Alors, sur le plan militaire : avantage.

Sur le plan financier, gros avantage. À partir du maximum et à partir d'une loi que j’ai oublié de vous dire, c’est vrai : peine de mort contre l'agiotage sur les assignats. Si bien que quand ROBESPIERRE était entré au pouvoir, l'assignat était à 37. Ça veut dire 100 francs papier = 37 franc or

Au bout de sept mois de pouvoir, ROBESPIERRE a fait monter l'assignat de 37 à 74 ! Donc ça marche.

Mais il y a d'autres choses qui ne marchent pas. En particulier, ROBESPIERRE a vu devant lui CAMBON[10], chef du Comité des Finances qui a fait une singulière déclaration. Autre chose que vous ne savez sans doute pas et que je ne savais pas moi, enfin peut-être que vous saviez, ces comités sont indépendants les uns des autres. Ne croyons pas qu’il y a le Comité de Salut Public qui coiffe tout, il y a la Convention, qui coiffe tout, qui contrôle tout, et puis il y a des comités parallèles. Comité de Salut Public pour les affaires générales, Comité de Sûreté Générale pour la police, Comité des Finances et Comité des Subsistances.

CAMBON, l’industriel CAMBON, est à la tête du comité des finances. Il avait fait le 24 août 1793 quelque chose de bien, il avait créé le Grand Livre de la République, le Grand Livre de la Dette, comme on dit pour montrer que la République française gère un peu mieux ses finances que la monarchie, excellent.

Mais voilà qu'au début de l'année 1794, il fait à la Convention une déclaration que ROBESPIERRE ne comprend pas.

Là aussi, je vais parler plus lentement. [soupir] CAMBON dit : “nous allons distinguer parmi les créanciers de l'État entre ceux qui reçoivent moins de 1 000 francs de pension par an, et ceux qui reçoivent plus de 1 000 francs. Ceux qui reçoivent moins de pension, on leur paiera leur pension en assignats, et ceux qui reçoivent plus de 1 000 francs on leur paiera en numéraire."

Alors après, ROBESPIERRE va aller trouver CAMBON et lui dit qu’il pense que sa langue a fourché, que c’est un lapsus et qu’il pense qu’il voulait dire que les plus pauvres vont être payés en monnaie non dévaluée.

CAMBON le reçoit avec violence en lui disant "occupez-vous de ce qui vous regarde, moi je suis le chef chez moi".

ROBESPIERRE a vu ce que faisait CAMBON à ce moment-là. Il se dit “on est en train de me saboter”. En plus, dès qu’il aura frappé les hébertistes (c’était surtout des hébertistes qui étaient les cadres de la petite armée révolutionnaire dont je vous ai parlé qui surveillait le maximum), BARÈRE[11] demande immédiatement la suppression de l'armée révolutionnaire, et dès que l'armée révolutionnaire est supprimée, le maximum va être abandonné et l'un des chefs du Comité des Subsistances, qui est un ami du gros commerce, va faire savoir aux commerçants qu’il fermera les yeux sur la non application du maximum.

Alors vous voyez qu’il y a des choses qui sont heureuses et d'autres qui sont très malheureuses.

Or, ROBESPIERRE est de plus en plus malade. Déjà il avait pris un congé le 13 février et il était revenu au pouvoir le 13 mars. Dans sa maladie, il avait réfléchi et s'est dit “il faut tout de même y aller”. Alors on va frapper contre DANTON. Ce n’est pas un sanguinaire ROBESPIERRE, c’est un homme à qui la guillotine a toujours paru assez révoltante, mais enfin la situation est telle que si on ne frappe pas DANTON, qu'est-ce qui va arriver ?... Mais frapper DANTON, c’est extrêmement grave, d’abord il connaissait les enfants de DANTON, il les aimait bien. Si on frappe DANTON, on va frapper le groupe, FABRE d’ÉGLANTINE (8).

FABRE d’ÉGLANTINE est un ancien pédéraste que lui, ROBESPIERRE, avait converti (9). Il avait fait son mariage, le jeune garçon avait maintenant un petit enfant. ROBESPIERRE aimait les gosses, "alors je vais faire trois petits malheureux, les deux fils de DANTON puisque je vais couper la tête au père et le fils de Camille DESMOULINS et cet enfant me doit la vie." D'autre part, l'opinion publique.

Nous, maintenant à la distance où nous sommes, nous faisons des distinctions formidables entre un MIRABEAU ou un MARAT par exemple. Mais les braves gens de Paris voyaient ça grosso-modo : il y avait les amis du peuple et les ennemis. Un homme comme DANTON, comme MARAT, comme ROBESPIERRE, comme MIRABEAU, tout cela c’était pareil. C'était la bonne gauche quoi, les amis du peuple. Alors si on voit les républicains qui s'entretuent, il y a de quoi “glacer la Révolution”, c’est le mot que va employer SAINT-JUST... Eh bien ROBESPIERRE s'est dit : “il faut quand même le faire”.

Le 5 avril 1794, on guillotine DANTON et ses camarades. ROBESPIERRE est prostré. Alors comme il voit que c’est fini, enfin qu’il a l'impression que, ou bien on va le tuer, ou bien la fièvre qui est en train de le miner va l'emporter, décide de mettre les bouchées doubles, c'est-à-dire de vider le fond du sac, c'est-à-dire d'expliquer aux gens de la convention son idée derrière la tête.

J’ai fait peut-être le savez-vous un livre qui s’appelle “L'arrière-pensée de JAURÈS” on pourrait faire un livre sur l'arrière-pensée de Jean-Jacques ROUSSEAU, on ne peut pas expliquer le Contrat Social si on ne connaît pas la Profession de foi du Vicaire Savoyard, et il y a une arrière-pensée de ROBESPIERRE. Et dans les trois cas, Jean-Jacques ROUSSEAU, JAURÈS, ROBESPIERRE, C'EST LA MÊME arrière-pensée. Alors ROBESPIERRE va, dans deux discours du printemps 1794, expliquer aux gens son but dernier. Grosso modo qu'est-ce que c’est cette arrière-pensée ? Eh bien ces trois personnes que je viens de vous dire, qui ont l'air de s'occuper d'affaires sociales et politiques, ils pensent tous que ce n’est pas la constitution d'une Nation qui est importante, cette constitution doit servir à L'INDIVIDU. Le but n’est pas une organisation sociale plus équitable. Le but c’est de permettre à l'individu humain, comme disait Jean-Jacques ROUSSEAU, d'accomplir sa destination. Tenez, par exemple, quand JAURÈS dira "sous le régime capitaliste, l'individu est enfoncé dans la matière jusqu'au cœur sous l'écrasement économique et sous l'obsession militaire. Je veux essayer de construire une cité d'espérance où l'Homme s'aperçoit que les étoiles existent."

C'est la même chose pour ROBESPIERRE. Il va prononcer un discours que j’ai recopié en partie, pardonnez-moi, ça fera une minute et demie, mais il faut que je vous lise ça :

"Nous voulons une Patrie qui procure du travail — qui procure du travail — à tous les citoyens ou les moyens de vivre à ceux qui sont hors d'état de travailler. Nous voulons une cité où les transactions seront la circulation de la richesse et non pas le moyen pour quelques-uns d'une opulence fondée sur la détresse des autres. Nous voulons une organisation humaine [ça ,c'est l'enfantillage de ROBESPIERRE – HG] Nous voulons une organisation humaine où les mauvaises passions seront enchaînées, l'égoïsme, la cupidité, la méchanceté. Nous voulons substituer la droiture aux bienséances, substituer le mépris du vice au dédain du malheur [j'aime mieux la suite – HG], substituer les braves gens à la bonne compagnie. Nous voulons une demeure des hommes où toutes les âmes s'agrandiront, nous voulons accomplir les destins de l'humanité."


Et à la suite de ce discours, c’est là où il fait sa proposition, folle peut-être, où il dit "je voudrais que la Nation française reconnaisse l’existence d'un Être Suprême. Parce que si la nation française reconnaît l’existence d'un Être Suprême, la première conséquence de cette proclamation sera que la Nation française s'engagera du même coup à travailler pour la Justice, à défendre les opprimés et à respecter les misérables". dit-il.

Alors effectivement, le jour de la Pentecôte, ça lui sera assez reproché, mais sur le nouveau calendrier ça n'apparaissait pas (c’était le 10 prairial), le jour de la Pentecôte 1794, il y aura cette Fête de l'Être Suprême. La plupart des livres que j’ai lus la ridiculisent. Et je comprends bien qu'elle ait des côtés ridicules. Il avait demandé l'organisation matérielle ou artistique de la Fête à un nommé DAVID, que vous connaissez, et qui confondait la grandeur et le grandiose.

Alors DAVID avait décidé de mettre au sein du Champ de Mars une énorme statue de l'Athéisme, et puis on la brûlerait, cette statue, parce qu'elle serait en carton. Mais dedans il y aurait une statue en dur qui serait la statue de la Sagesse Humaine. Alors vous imaginez le coup, on a brûlé l'Athéisme et quand la Sagesse Humaine est apparue, elle était plutôt charbonneuse [rires]. On avait aussi donné aux gosses de Paris de petites histoires à chanter. Tous ces pauvres enfants avaient appris dans les écoles des petits cantiques laïques et complètement idiots.

Il ne faut pas s'arrêter à ça et essayer de comprendre ce qu’il a voulu faire ce jour-là.

RENAN raconte dans ses souvenirs d'enfance et de jeunesse que, quand il était gosse, il a vu un vieux type qui lui avait montré, les tirant d'un tiroir, trois épis de blé qui tombaient en poussière bien-sûr.

Et ce vieux type avait dit au petit RENAN "tu vois p'tit, ces épis de blé ils viennent de la Fête de l'Être Suprême". À tous les gosses de Paris on avait donné trois épis de blé ce jour-là, parce que ça avait un sens. Et comme le petit RENAN ne comprenait rien, bien-sûr c’était un gamin, le vieux disait "c’était beau petit, tu ne peux pas savoir comment c’était beau". Alors je vais essayer de vous faire comprendre pourquoi c’était beau.

Il y avait au moins 300 000 personnes qui étaient là, réunies au Champ de Mars. Pourquoi le Champ de Mars ? Parce que c’est là que ça s'était passé le 17 juillet 1791, quand les possédants avaient tiré sur les non possédants. Alors ROBESPIERRE avait décidé "on fera la fête là pour que plus jamais une chose pareille ne se produise". Il se trouvait être, par roulement, le président de la Convention, il s'était fait très beau : plumet tricolore, et puis l'Éléonore qui avait un béguin pour lui, lui avait donné un bouquet. Il avait aussi un bouquet à la main, un gros bouquet tricolore ! Il y avait des roses, il y avait des marguerites et il y avait des bleuets.

Il marchait devant la Convention qui était derrière lui, entouré d'une espèce de ceinture tricolore, un ruban tricolore qui entourait les 700 députés. Puis lui marchait à environ 20 pas devant. Il était dévoré par sa fièvre, ce qui fait que, de temps en temps, les témoins disaient qu’il était tout rouge ou qu’il était tout pâle. Il avançait avec son bouquet, entouré d'acclamations. Les gens criaient "Vive ROBESPIERRE !" et lui était tout malheureux, il regardait par terre avec un pauvre sourire, il regardait un peu timidement à droite et à gauche, ayant l'air de dire aux gens "non, il ne faut pas crier vive ROBESPIERRE, il faut crier vive la République !" [soupir].

Puis il a fait son discours, il a expliqué ce que c’était pour lui "l'Être Suprême". Il n'avait pas osé dire Dieu. Ah ! Je comprends, c’est une syllabe fatigante, un phonème usé, une syllabe morte ! Alors il avait essayé de dire ce que disait Jean-Jacques ROUSSEAU : l'Être Suprême, peu importe le nom...

Je crois bien que si un certain nombre de gorges étaient serrées ce jour-là, c’est parce que, à mon sens, c’était la première fois qu'un gouvernant parlait de Dieu aux gens pour autre chose que pour les duper, et pour les asservir. [applaudissements] Attendez, attendez…

ROBESPIERRE signait ce jour-là sa condamnation à mort. Il y avait des tas de gens qui le haïssaient. Il y avait d’abord tout "le Ventre" comme on dit, vous savez, par opposition à "La Montagne" il y avait "le Marais", "Le Ventre" de la Convention, c'est-à-dire les notables, qui ne lui pardonnaient pas son maximum.

Il y avait les proconsuls hideux comme CARRIER, vous savez, les mariages républicains, comme FRERON, comme BARRAS, comme TALLIEN qu’il avait fait rappeler et qui lui en voulaient à mort.

Il y avait CARNOT…

La France, mon pays, avait obtenu un succès militaire à Fleurus, c’était le 25 juin, je crois, 1794. Alors ROBESPIERRE avait dit : "On s'arrête !" puisqu’il n'y a plus un seul étranger sur le territoire français. Et CARNOT était tombé dans une rage folle en disant : "S'arrêter ?! Au moment où la guerre va payer !!!".

Et le 13 juillet 1794, CARNOT envoie à PICHEGRU pour son entrée en Belgique la dépêche que voici : " Vous allez entrer en Belgique, PRENEZ TOUT, IL FAUT VIDER LE PAYS." Et ROBESPIERRE lui dit "mais C'EST DÉSHONORANT, C'EST LA HONTE DE LA RÉPUBLIQUE !"

CARNOT passe immédiatement du côté de ceux qui décident de tuer ROBESPIERRE. [gros soupir]

On ne peut pas le tuer tant qu’il aura les faubourgs pour lui. La petite plèbe l'aime, alors si l’on touche ROBESPIERRE, ça va être une insurrection.

Alors qu'est-ce qu’ils vont faire ses ennemis ? Ses ennemis sont tous puissants au Comité de Sûreté Générale et ROBESPIERRE va essayer de demander par deux fois la révocation de FOUQUIER-TINVILLE, qui fait tomber toutes les têtes, vous savez, et dont ROBESPIERRE trouve que c’est un affreux.

Chiffre : le tribunal révolutionnaire, de sa création jusqu'à maintenant (juin 1794), Le Tribunal Révolutionnaire fait tomber en 6 mois 1 200 têtes. En 40 jours, 1 876 têtes vont tomber, en 40 jours ! Pourquoi ? Pour qu'on puisse dire que c’est ROBESPIERRE, puisqu’il passait pour le numéro un, qui transforme la guillotine en un instrument de folie.

Et c’est Lamartine, à mon sens qui aura dit là-dessus la phrase la plus pénétrante, je ne l'ai jamais vue reproduite. C'est dans "Les Girondins" de Lamartine qui sont bien plus intéressants qu'on imagine : "Ils le couvrirent pendant quarante jours du sang qu’ils versaient pour le perdre". Et en effet, dans l'opinion publique, le bruit court "ROBESPIERRE est devenu fou de rage, il fait tuer des gens !"

Il y avait eu un attentat. Un nommé ADMIRAT qui avait essayé de tuer ROBESPIERRE de loin, il y avait une petite Cécile RENAULT qui avait été saisie avec deux canifs, elle avait dit "oui, c’est vrai, je veux tuer ROBESPIERRE".

Alors on avait fait passer à la guillotine cinquante personnes d'un seul coup, on n'avait jamais vu ça.

Revêtus de la chemise rouge des parricides afin de pouvoir affirmer : "parricide" parce que le père de la Patrie, ROBESPIERRE, a décidé qu’il fallait cinquante personnes quand on avait levé, de loin, une main contre lui.

On a fait passer à la guillotine l'évêque GOBEL, et CHAUMETTE. Avec quelle inculpation ? Écoutez-moi bien : Inculpation D'ATHÉISME ! Comme si ROBESPIERRE, transformé maintenant en un inquisiteur, un TORQUEMADA, voulait envoyer à la guillotine ceux qui, métaphysiquement, ne pensaient pas comme lui. Et JAMAIS cette pensée n'était venue à ROBESPIERRE !

Ca y est ! Maintenant on l'a ! On va faire "le nouveau maximum", (le 21 juillet, hein, on est tout près, puisque c’est le 27 qu’il va tomber) Le 21 juillet, nouveau maximum, OUF... Non ! Quel nouveau maximum ?! Le maximum DES SALAIRES ! Parce que Robespierre, pour les usines nationales d'armement, avait fait monter les salaires considérablement, et que le 21 juillet 1794, la Convention décide un abaissement des salaires de 30, 40 et 50% !

Or, comme on croit toujours que c’est ROBESPIERRE qui dirige tout, les ouvriers parisiens disent "mais il nous abandonne ! Il envoie à la guillotine des gens de chez nous, il fait tomber les salaires à 50% !"

Alors on peut y aller... [gros soupir]

ROBESPIERRE était retombé malade le 14 juin. Et vous pensez bien qu'un homme comme lui était guetté [essoufflé], alors s'il y a là un de ces petits détails… (j'en ai encore pour 7 à 8 minutes, pardonnez-moi) [gros soupir] c’est encore un petit détail qui m'intéresse beaucoup : on le suivait, vous pensez bien, Robespierre : il n'y avait pas de gorilles, non, mais enfin il y avait des gens qui l'espionnaient. Alors j’ai trouvé le détail que voici : après huit jours passés chez lui sans sortir, M. ROBESPIERRE est réapparu dehors. C'était le printemps 94, un printemps formidable, enfin radieux. La campagne, à ce moment-là, c’était tout à côté de Paris, en dix minutes on était à la campagne. Alors ROBESPIERRE qui était vacillant sur ses jambes mais qui ne voulait pas le montrer, sortait avec son chien. Il avait un grand chien qui s'appelait "Brount", dont la tête était assez haute et lui, il était petit. Alors les policiers qui surveillaient ROBESPIERRE disent "on voit de temps en temps, qu’il s'appuie sur la tête de son chien comme s'il avait une canne pour se soutenir en marchant". Et puis où il va ? Il va à une "corne de bois" dit le rapport. Ca veut dire, je pense, un bois en pointe, quoi, qui donnait sur une pente qui descendait vers la Seine. Et là, M. de ROBESPIERRE reste des heures assis là au soleil, les mains dans l'herbe, avec son chien couché autour de lui, et la tête renversée.

Le 26 juillet (c'est fini, hein), le 26 juillet, ROBESPIERRE apparaît brusquement à la Convention. Émotion... Qu'est-ce qu’il va dire ? Et il dit : "Mes mains sont liées, mais je n'ai pas encore un bâillon sur la bouche, alors j’ai un certain nombre de choses à vous dire avant de mourir", dit-il.

"Quand la République tombe entre certaines mains, ce sont CES MAINS-LÀ qui font la contre-révolution" dit-il.

"Que voulez-vous que nous fassions quand le responsable des finances —(cette fois il y va tout droit, hein : CAMBON)—, QUAND LE RESPONSABLE DES FINANCES FOMENTE L'AGIOTAGE, FAVORISE LE RICHE ET DÉSESPÈRE LE PAUVRE ? J'en ai assez de vivre, dit Robespierre, dans un monde où l'honnêteté est toujours victime de l'intrigue et où la Justice est un mensonge".

Bon, il fait son discours, le lendemain ça y est : c’est le 27 juillet. Dans la nuit, [essoufflé] les comploteurs, c'est-à-dire SIEYÈS et les autres, sont allés trouver la plupart des députés en disant : «le discours de ROBESPIERRE n'est que le prélude à "une nouvelle tombée de têtes" et vous (on dit ça individuellement à chacun), et vous, vous êtes sur la liste que ROBESPIERRE veut tuer demain». Alors quand, le lendemain 27 juillet dans l'après-midi, SAINT-JUST monte à la tribune pour justifier ROBESPIERRE, on ne lui laisse pas la parole : c’est TALLIEN qui le bouscule réellement. Vous savez, la tribune de la Convention, c’était tout petit. SAINT-JUST était installé là debout, TALLIEN arrive et lui donne un coup d'épaule pour le faire tomber de la tribune. L'autre s'accroche, ROBESPIERRE descend lui-même des travées, ils sont trois dans ce tout petit espace et TALLIEN, qui avait préparé son scenario, tire de sa poche un glaive, enfin un couteau quoi, le dresse au-dessus de la tête de ROBESPIERRE et crie à l'assemblée : "Si vous ne votez pas l'arrestation du dictateur, je le tue devant vous !"

Le scenario était prêt, tout le monde hurle "À bas le dictateur ! À bas le nouveau CROMWELL !".

Arrestation de ROBESPIERRE. Alors là, détail que vous savez, c’est assez beau, LE BAS, qui était presque son beau-frère, qui avait épousé Élisabeth, dit : "Si vous arrêtez ROBESPIERRE, je demande à être arrêté !" Ah ben ça va... Si vous voulez...

Et puis "Bonbon", Augustin, le tout petit, c’était le benjamin, il avait 26 ans et il avait l'air d’avoir 20 ans. Il dit : "Si vous arrêtez Maximilien, alors moi aussi !" Alors ça fera le bon poids... On arrête aussi le petit Augustin.

Alors, on arrête ROBESPIERRE. HANRIOT, qui dirigeait la Garde Nationale qui était maintenant Républicaine et Plébéienne, arrache ROBESPIERRE aux gendarmes. On l'enferme à l'Hôtel de Ville, on bat le rappel pour espérer que les faubourgs vont se lever.

Il y avait 48 sections dans Paris, il y en a 17 qui vont répondre sur 48, pas plus... 3 500 gars se réunissent devant l'Hôtel de Ville. Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse avec les 3 500 gars ?

ROBESPIERRE refuse de les envoyer à l'abattoir. On lui dit : "mais signez un ordre, qu’ils attaquent !" ROBESPIERRE dit "Non ! assez de sang, d'ailleurs tout est foutu, tout est perdu."

Alors, comme ces 3500 gars à qui on ne donne même pas une miche de pain, ni un verre de vin, S'EN VONT, dans la nuit du 27 au 28, à 2h30 du matin, il n'y a plus personne pour protéger ROBESPIERRE qui est dans la grande salle de l'Hôtel de Ville.

C'est alors que Léonard BOURDON, "héroïque", à la tête de 14 gendarmes, décide de mettre la main sur ROBESPIERRE.

La tradition dit que c’est un gendarme dont le nom est incertain. Les uns disent "MEDA", les autres disent "MERDA", je préfèrerais la deuxième solution... Le gendarme MERDA va tirer un coup de revolver sur ROBESPIERRE et lui casse la mâchoire.

Bonbon, Augustin, prend peur... Le 28 juillet il fait très chaud, il saute par la fenêtre, qui est ouverte, et il se fracasse les jambes. Quant à LE BAS, il se tue.

Et les gendarmes, qui avaient probablement le goût du divertissement, ont pris COUTHON qui était là. COUTHON, vous savez, c’est un paralytique, il est dans sa petite voiture. Alors ils vont le lancer depuis le haut du grand escalier de l'Hôtel de Ville parce que ce sera d'agréables pirouettes. Ce qui va permettre à M. GAXOTTE, de l'Académie française, d'écrire : "Et, au bas des marches, COUTHON faisait le mort…" Et puis ce sera les 106 — vous entendez ? — les 106 exécutions ! "C'est la libération de Paris" comme va écrire Monsieur BESSAND-MASSENET dans son livre de 1946. On avait réservé ROBESPIERRE pour la fin, bien entendu, pour qu’il puisse bénéficier du spectacle. Et comme il avait la mâchoire cassée et qu’il avait une espèce de bandeau autour de la tête, pour le guillotiner il faut bien qu'on enlève le bandeau. Alors, au moment où, debout devant la guillotine, on lui arrache le bandeau, tout le monde voit cette bouche ouverte et sanglante d'où s'échappe un hurlement...

Eh bien c’est fini ! La Révolution "inacceptable" est terminée. Il n'y aura plus de maximum. M. BOISSY d'ANGLAS va monter bientôt aux applaudissements du Ventre pour annoncer que l’on rétablit le cens, on détruit le suffrage universel, et BOISSY d'ANGLAS prononce cette "admirable" parole : "Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social". La pauvre Madame de STAEL qui avait dû fermer son salon va pouvoir enfin le rouvrir, elle reviendra de Coppet avec dans ses bagages Benjamin CONSTANT, les poches pleines de juteux francs suisses. [rires]

Alors, j’ai à peu près fini. Quelle est la conclusion ?

On me reproche de plus en plus d’être manichéen : il y a le blanc et le noir, il y a le bien et le mal, tout ce qui est la droite c’est le mal, tout ce qui est la gauche c’est le bien.

ROBESPIERRE un petit saint... Il n'y a pas de petit saint. ROBESPIERRE est quelqu’un dont je connais parfaitement les défauts. Très orgueilleux, assez insupportable, capable de haine. Il y a un prêtre qu’il a détesté, qui s'appelait l'abbé Jacques ROUX, qui faisait partie des "enragés", qui était un prêtre ultra-gauche, vous savez. Je ne sais pas pourquoi ROBESPIERRE l'a poursuivi d'une véritable férocité. Ce prêtre a fini par se suicider en prison tellement ROBESPIERRE le tracassait. Je sais aussi que ROBESPIERRE est un homme sanglant : il a voté la mort de Louis XVI et il a voté d'autres morts. Et s'il fallait opter par exemple entre Ganghi et ROBESPIERRE, il est certain que ce n’est pas ROBESPIERRE que je choisirais. Mais pour finir je voudrais vous apporter une citation inattendue de Graham GREENE. [essoufflé]

C'est dans "Les Comédiens". À la fin des Comédiens, Graham GREENE met en scène un petit curé de la République dominicaine, tellement peu important qu’il n'avait pas de nom, et un docteur communiste qui s’appelle le Docteur MAGIOT. [essoufflé] Et on compare la violence et l'indifférence.

Et le petit curé dit : "La violence peut-être une forme de l'amour, ça peut être un visage indigné de l'amour. La violence est une imperfection de la charité, mais l'indifférence est la perfection de l'égoïsme".

Quant au Docteur MAGIOT le communiste, il va dire, lui : "J’aimerais mieux — au conditionnel, hein — j'aimerais mieux avoir du sang sur les mains que de l'eau de la cuvette de Ponce PILATE !".


PEGUY distinguait les hommes en deux groupes grosso-modo : Il disait "Il y a ceux qui ne s'occupent que de leur sexe et de leur compte en banque. J'appelle ça la mer morte" disait-il. "Et puis il y a ceux qui s'occupent un petit peu — UN PETIT PEU ! — d’autre chose que de leur plaisir et de leur argent". "Et puis, à la limite", disait-il reprenant PASCAL, "à la limite, il y a les témoins qui se font tuer".


Eh bien je crois que je n'ai pas sollicité l'histoire et je ne vous ai rien caché, j’ai essayé d’être loyal : pour moi, ROBESPIERRE, c’est un témoin qui s'est fait tuer.

[longs applaudissements…]



Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. http://Étienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2012/05/04/218-henri-guillemin-explique-robespierre-et-les-revolutions-francaises_la-fausse-et-la-vraie Page consacrée à cette conférence sur le site d'E. Chouard.]
  2. Première partie de la conférence en .mp3
  3. Deuxième partie de la conférence en .mp3
  4. ""Il s'agit peut-être de Clermont-Tonnerre (Anne-Antoine-Jules de)""
  5. Jean-Baptiste CLOOTS dit Anacharsis (1755 - 1794)
  6. ) Antoine-François MOMORO (1756 – 1794)
  7. Camille DESMOULINS (1760 – 1794)
  8. Jacques-René HEBERT (1757 - 1794)
  9. Jacques MALLET du PAN (1749 – 1800)
  10. Pierre Joseph CAMBON (1756 – 1820)
  11. Bertrand BARERE (1755 – 1841)